- « Dites bonjour à Clarias monsembulai : nouvelle espèce de poisson découverte dans le fleuve Congo ». C’est la première ligne d’un communiqué diffusé en août dernier par Greenpeace annonçant une découverte pas comme les autres.
- Il s’agit d’une découverte d’un poisson. Ce poisson découvert dans le bassin du Congo par deux chercheurs, dont le congolais Raoul Monsembula, porte le nom du chercheur congolais et militant de Greenpeace à Kinshasa. Il s’agit d’une nouvelle espèce de poisson-chat à respiration aérienne, baptisé depuis : Clarias monsembulai
- Le poisson est nommé en l'honneur du Dr Raoul Monsembula, professeur de biologie à l'Université de Kinshasa et coordinateur régional de Greenpeace en Afrique centrale et ancien militant des océans au Sénégal.
- Le poisson en question a été découvert et décrit « scientifiquement dans les affluents du fleuve Congo à l'intérieur et en bordure du Parc National de la Salonga en République démocratique du Congo (RDC) » selon une partie d’un communiqué diffusé au milieu du mois d’août 2022.
Selon le Dr Raoul Monsembula, professeur de biologie à l’Université de Kinshasa, « La richesse biologique de la forêt tropicale du bassin du Congo dépasse notre imagination ». Et il est donc difficile d’imaginer à quelle vitesse les gens la détruisent sans soucis ni peur du lendemain.
Le chercheur ajoute que « Pour être un scientifique africain aujourd’hui, il faut aussi être un activiste africain – afin d’empêcher que toutes ces espèces connues et encore inconnues ne disparaissent ».
Cette déclaration reprise dans un communiqué de Greenpeace et attribuée au chercheur Raoul Monsembula traduit l’engagement du chercheur d’être à la fois un chercheur et activiste de l’environnement au milieu des gens qui détruisent l’écosystème.
Quarante ans
Le bassin du Congo est un écosystème riche en espèces variées. Il abrite au moins 10 000 espèces végétales, 400 espèces de mammifères, 1 000 espèces d’oiseaux et 1 250 espèces de poissons, selon le communiqué de Greenpeace.
Ainsi, le Clarias monsembulai est le dernier ajout à la biodiversité de la forêt du bassin du Congo après 40 ans pendant lesquels aucune nouvelle espèce de Clarias n’a été décrite, raconte le chercheur.
Il fait partie du genre Clarias de poissons-chats à respiration aérienne, connu dans toute l’Afrique et l’Asie tropicale avec 60 espèces actuellement reconnues, dont 31 sont endémiques des eaux douces africaines.
Le Clarias monsembulai s’ajoute également à plus de 128 espèces de poissons déjà identifiées dans le parc national de la Salonga en République démocratique du Congo (RDC). Ce parc est un site du patrimoine mondial de l’UNESCO et la plus grande réserve de forêt tropicale humide d’Afrique, selon le chercheur. Ce site fait face à une menace potentielle parce que le Gouvernent tente d’y ériger un site pétrolier, de quoi inquiéter les activistes environnementaux et l’ensemble de la communauté internationale pro-écologiste.
« Partout où la nature en RDC est menacée par la pollution et l’extractivisme, les communautés humaines sont déplacées, appauvries et dépouillées de leurs traditions locales. Nous, Homo Sapiens, ne prospérerons jamais en exterminant toutes les autres espèces », a déclaré le Dr Monsembula, faisant un clin d’œil aux décideurs politiques de son pays.
« Pour moi, la recherche sur la nature fait partie intégrante de la campagne visant à améliorer la vie des peuples autochtones, des communautés locales et de nous tous qui dépendons de la nature », ajoute-t-il.
Qui est le Dr Raoul Monsembula ?
C’est avec enthousiasme que Raoul Monsembula s’est dévoilé. Il est professeur au Département de Biologie, Faculté des Sciences, à l’Université de Kinshasa en République démocratique du Congo. Il est également activiste de droits de l’environnement et coordonnateur régional Afrique centrale de Greenpeace Afrique.
Raoul Monsembula est biologiste de formation. Il a fait des études postuniversitaires en gestion intégrée des forêts et territoires tropicaux. Il a un diplôme d’études approfondies (DÉA) en hydrobiologie et a soutenu une thèse en hydrobiologie, option ichtyologie (systématique des poissons des eaux douces), comme il le raconte lui-même.
Raoul Monsembula est membre du PAFFA (Pan African Fish and Fisheries Association) et membre du comité de discussion sur l’état de la biodiversité en Afrique centrale.
Il est aussi auteur ou co-auteur de plus d’une vingtaine de publications scientifiques. Il utilise ses deux domaines d’expertise (gestion de l’environnement et hydrobiologie) dans ses travaux au quotidien, explique-t-il.
Le chercheur travaille aussi avec les pêcheurs et les communautés vivant dans les forêts tropicales et est collaborateur terrain de l’équipe Congo Project du Musée Américain de l’Histoire Naturelle, ajoute-t-il.
Des projets de recherche exclusivement dans le bassin du Congo
Raoul Monsembula focalise ses recherches sur le bassin du Congo.
« Oui, mes recherches sont focalisées dans le bassin du Congo. Ma motivation est née de mon appartenance à une zone forestière. Je suis né à Nioki, siège de l’exploitation de la plus grande société forestière de la RDC en son temps, la FORESCOM ».
Ses origines familiales l’ont réveillé et il a pris conscience au bas âge, comme il le raconte lui-même.
« J’ai vu dès mon enfance comment le bois quittait ma ville natale pour une direction inconnue. Au même moment, mes congénères avec moi n’avions que la viande de brousse comme aliment avec protéine d’origine animale. La crise de la viande m’avait inspiré de quitter l’option mathématiques-physiques en choisissant la chimie biologie avec l’idée de bien comprendre la nature », poursuit le chercheur.
Par ailleurs, les études en biologie lui ont encore donné une idée sur ce qu’était la nature, sa possibilité d’épuisement et comment la gérer durablement.
« Dès lors, j’avais pris l’option de participer, avec les amis, étudiants et autres enseignants et puis avec Greenpeace, à la protection de l’environnement », conclut-il d’un air aussi fier.
Des problèmes
Travailler en Afrique centrale n’est pas facile. L’accès au terrain n’est pas aisé, rétorque le chercheur. Les zones de la région des grands lacs ou tout simplement le bassin du Congo sont parfois hostiles.
Il faut beaucoup d’endurance pour résister, selon lui. Les moyens de transport sont extrêmement chers. Le carburant est presque inexistant et les routes presque non praticables, ajoute Monsembula.
À ces défis de terrain s’ajoute alors le manque de financement : « Le plus grand problème est celui de moyens financiers. L’argent que nous dépensons pour découvrir la richesse spécifique de notre région vient de l’étranger. Ce sont principalement les américains et les belges qui financent la recherche. C’est qui ne nous donne pas toute la liberté d’agir. On dépend du financement étranger », regrette le chercheur.
En plus, les laboratoires équipés pour la description et l’indentification des espèces se trouvent hors Afrique centrale. Et la plupart des ichtyologistes se connaissent parce qu’ils se rencontrent dans les mêmes laboratoires étrangers, mais pas dans les pays de la région du bassin du Congo.
Prestige ou honneur ?
Monsembula vient de réaliser une recherche qui a abouti sur une découverte d’un animal aquatique, c’est-à-dire le Clarias monsembulai, qui actuellement porte son nom. Ceci a une grande signification pour lui et pour sa carrière.
« L’histoire de l’aboutissement de ce poisson est drôle. Je ne m’abuserai pas du temps des lecteurs. Immortalisé mon nom pour le travail que j’ai entrepris avec les collègues et l’AMNH sur les poisons du bassin du Congo me réjouis. C’est ce que tout scientifique voudrait avoir dans son domaine de recherche », se réjouit le chercheur.
Par ailleurs, il éprouve de la fierté et dédie ce nom à sa promotrice Melanie L.J. Stiassny. Celle-ci l’a formé et a voulu faire de lui un de ses collègues.
« Elle m’a toujours reçu avec respect et m’a beaucoup encouragé dans mes recherches », renchérit le chercheur congolais.
Les premiers échantillons de ce Clarias (3) ont été collectés en 2006, selon le chercheur Raoul Monsembula, et trois autres en 2010 et avaient été nommés comme sp. (species plural), c’est-à-dire inconnu.
Le futur dans ses mains et perspectives d’avenir
L’espèce étant décrite, la suite c’est son écologie, explique Raoul Monsembula. Cette dernière comprend la dynamique de populations, sa distribution, sa reproduction, son alimentation, sa phylogénie, etc.
« Il n’y a aucun intérêt que l’immortalité de ses recherches. J’en suis très fier. Je ne gagne rien que ma réputation pour un travail bien fait. Ça me suffit », conclut-il.
Pour lui, le travail n’est pas terminé. Il faut continuer jusqu’à ce qu’une autre variété soit connue du monde.
« Je reviens du terrain. Je suis en train de suivre une nouvelle espèce de Phenacogrammus. Ce qui me préoccupe pour le moment c’est de récolter le maximum des spécimens pour leur description », ajoute-t-il.
Mais, les efforts fournis ne sont pas grandement récompensés, selon l’expert.
« Nous vivons des financements étrangers et ce sont les laboratoires qui nous financent qui prennent le privilège de nos résultats. Pas de choix. Chez moi un proverbe dit que si ta mère n’a pas du lait pour te nourrir, il faut utiliser le lait de la voisine qui traine », conclut le chercheur.