- Les bulldozers ont ouvert une voie d’environ 40 kilomètres (25 miles) à travers la forêt d’Ebo, riche en biodiversité, dans le sud-ouest du Cameroun, laissant craindre une accélération de l’exploitation forestière illégale et du braconnage.
- Ce projet routier, soutenu par un groupe de politiciens et d’hommes d’affaires locaux, a débuté sans consultation préalable des communautés locales, sans évaluation de l’impact environnemental et sans permis de construire.
- Des groupes de défense de l’environnement, à la fois camerounais et étrangers, ont adressé une lettre ouverte à l’Union européenne et aux États-Unis et à d’autres donateurs, les sommant d’intervenir.
- Le ministre camerounais des Forêts et de la Faune a réagi en ordonnant à son délégué régional d’ouvrir immédiatement une enquête – même si les hauts fonctionnaires du gouvernement avaient assisté à une cérémonie de lancement du projet deux mois plus tôt.
Depuis le mois de mars, les bulldozers opèrent au nord du village de Kopongo au Cameroun, où ils ont ouvert une voie d’environ 40 kilomètres (25 miles) à travers une concession forestière et en plein cœur de la forêt d’Ebo. Un groupe, du nom de Comité de développement de la forêt d’Ebo (CDFE), est à l’origine de ce projet, et affirme que la construction de cette route est nécessaire pour relier les villages se situant à proximité de la forêt – où vivent les communautés déplacées de leur propre forêt il y a une génération – et stimuler l’économie locale. Toutefois, selon, les spécialistes de la conservation, la route ne servira qu’à exposer la forêt à davantage de risques d’exploitation illégale. Le ministère des Forêts a affirmé ne rien savoir sur l’intégralité du projet.
La forêt d’Ebo, située au sud-ouest du Cameroun, couvre 200 000 hectares (490,000 acres) de plaines et de forêts montagneuses riches en biodiversité. Elle abrite de nombreuses espèces menacées, telles que les éléphants de forêt, les gorilles et une population de chimpanzés du Nigéria-Cameroun – représentant un intérêt particulier pour les chercheurs en raison de leurs comportements liés à l’utilisation d’outils, tels que les lianes pour chasser les termites au fond de leurs nids et les pierres pour ouvrir les noix. Les peuples vivant aux environs de la forêt dépendent entièrement des ressources de cette dernière (nourriture, bois et herbes).
En mai dernier, le Comité, dont les membres sont recrutés parmi les politiciens locaux et les hommes d’affaires, a organisé une cérémonie pour le lancement du projet dans le village de Ndokbaembi. Dans une lettre annonçant l’événement, le président général du CDFE Samuel Dieudonné Moth, qui est également député du département du Nkam, a déclaré que le groupe avait contacté des « opérateurs privés » pour prendre en charge la construction de la route. Un site d’actualités local, Journal du Cameroun, a rapporté que la construction de la route était assurée par une société d’exploitation forestière.
Samuel Moth a indiqué que la route était un projet « très important et symbolique pour le peuple banen » qui avait été expulsé de la forêt d’Ebo à la fin des années 1950 par les autorités coloniales durant la guerre d’indépendance du Cameroun. Joint par téléphone, Samuel Moth a expliqué à Mongabay que le CDFE avait décidé d’aller de l’avant « même si cela signifie que nous devons creuser cette route de nos propres mains » mais ne s’est pas prononcé sur les autres questions.
Le lancement du projet au mois de mai a également réuni les préfets, ou les hauts fonctionnaires du gouvernement des départements de Sanaga-Maritime et du Nkam, où se situe la forêt d’Ebo. Le préfet du Nkam, Che Patrick Ngwashi a déclaré au Journal du Cameroun que « cette route est le symbole du développement. Elle va permettre le retour au bercail des populations déguerpies, il y a une soixantaine d’années ». Avant d’ajouter : « Mais elle ne doit pas être une porte ouverte au sciage ou braconnage. »
Les spécialistes de la conservation – et, d’après ces derniers, de nombreux Banen originaires des 40 communautés environnantes – estiment toutefois que c’est précisément ce qui à craindre.
Dans une lettre ouverte adressée aux missions diplomatiques, notamment à celles de l’Union européenne et des États-Unis, avec une copie remise au Premier ministre camerounais, les organisations de défense de l’environnement, dont le Centre pour l’environnement et le développement (l’organisation camerounaise de Friends of the Earth), Friends of the Earth Netherlands, Greenpeace Africa et Green Development Advocates, une organisation camerounaise qui œuvre pour le développement durable en collaboration avec les communautés des forêts, ont déclaré que le projet routier exposait la forêt à davantage de risques d’exploitation illégale et n’offrait aucune solution de développement pour l’économie locale, car il n’assure pas de connexion entre les villages.
Ils affirment que le projet routier est illicite, car aucune évaluation environnementale n’a été menée et parce que cette route va être construite à travers une forêt, dont le statut de classement est, pour le moment, en suspens.
« Les constructeurs prétendent que la route servira les communautés locales, mais c’est une absurdité totale », a rapporté à Mongabay Danielle Van Oijen, coordinatrice internationale du programme forestier de Friends of the Earth aux Pays-Bas. « La route passe juste au milieu de la forêt d’Ebo et elle ne relie pas les villages entre eux. Les villages abandonnés du nord-est de la forêt d’Ebo peuvent facilement être reliés de [ce côté-là], mais pas depuis la partie sud. La route actuelle profite juste aux sociétés forestières et elle leur facilite la tâche pour transporter les grumes. »
Danielle Van Oijen a souligné qu’une route était nécessaire pour soutenir le développement local, mais elle a ajouté qu’elle devait être construite autour de la forêt d’Ebo, en utilisant, comme base du projet, les pistes qui relient déjà les villages. La lettre appelle les pays donateurs à faire pression sur le gouvernement camerounais pour enquêter sur le projet de la CDFE et à s’engager pour le financement d’une coopération avec les communautés locales pour élaborer un meilleur projet routier et d’autres dispositifs de soutien au développement local.
Mongabay a contacté les autorités administratives locales de Nkam pour vérifier si les communautés avaient été consultées et si les évaluations environnementales et d’autres demandes de permis avaient été complétées pour la réalisation du projet, mais aucune réponse n’a été reçue à l’heure de la publication de cet article.
Le statut de la forêt est dans les limbes depuis 2012, date à laquelle la proposition de classement de la forêt en tant que parc national a été suspendue à la suite de l’opposition des populations locales, qui y voyaient plutôt un moyen de les expulser à jamais de leurs terres ancestrales. En 2020, juste après avoir accepté la création de deux concessions d’exploitation forestière sur 68 000 hectares (168 000 acres) de forêt, le gouvernement s’était vu contraint d’interrompre rapidement le projet devant la pression des défenseurs de l’environnement.
Les données de Global Forest Watch indiquent une accélération de la déforestation sur l’exploitation forestière au sud d’Ebo, connue sous le nom d’unité de gestion forestière 07 002, avec plus de 1 100 hectares (2 700 acres) de perte de couverture forestière en 2021. Des sources qui possèdent une connaissance solide de la forêt d’Ebo ont indiqué à Mongabay que la forêt était actuellement exploitée sans aucun permis.
Parallèlement aux entretiens avec les ambassades étrangères, les spécialistes de la conservation ont organisé des réunions avec les autorités camerounaises pour les inciter à mettre fin au projet routier. Danielle Van Oijen a souligné que le gouvernement camerounais avait signé de multiples engagements, tels que les Accords de Paris sur le climat et la Convention sur la diversité biologique.
« Alors maintenant il est temps de passer aux actes. En s’engageant à protéger la forêt d’Ebo et à développer l’économie locale, le gouvernement camerounais pourrait créer un précédent important pour la protection de la forêt du bassin du Congo », a fait observer Danielle Van Oijen. « Il est temps de placer la nature et les êtres humains au premier plan, plutôt que de continuer à privilégier les profits engendrés par ces entreprises et leurs acolytes », a-t-elle ajouté.
Dans une correspondance officielle du 25 juillet 2022, Jules Doret Ndongo, ministre des Forêts et de la Faune, a demandé au délégué régional du ministère d’ouvrir une enquête.
« J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir conduire sur le terrain, sans autre délai, une mission mixte brigade régionale de contrôle-service régional des forêts, afin de recouper les allégations de construction d’une route traversant la forêt d’Ebo et d’exploitation illégale de bois sous le couvert de la construction de cette infrastructure », peut-on lire dans cette lettre, suggérant que le projet routier en question n’a pas été approuvé formellement par le gouvernement central.
Ranece Jovial Ndjeudja, responsable de la campagne en faveur des Forêts du bassin du Congo de Greenpeace Africa, a indiqué que la construction d’une route se devait d’être réalisée dans le cadre du droit en vigueur. « Le processus actuel consiste à agir sans consultation en bonne et due forme des communautés, et ne sert pas l’aspiration légitime du peuple banen au développement », a-t-il déploré lors d’un entretien avec Mongabay. « Il est important de stopper le processus en cours pour éviter de porter définitivement atteinte aux intérêts des communautés banen, à la précieuse forêt d’Ebo et à la biodiversité. »
En 2020, lorsque les groupes de la société civile ont tiré la sonnette d’alarme face à la destruction imminente de la forêt riche en espèces diverses, le gouvernement a suspendu les projets des exploitations forestières. Il reste maintenant à voir comment le gouvernement réagira à cette dernière menace, alors que les communautés locales se montrent plutôt silencieuses, pour le moment.
Banner iImage de bannière : Gorilles au Cameroun. La forêt d’Ebo abrite de nombreuses espèces en danger, telles que les éléphants des forêts, les gorilles et une population de chimpanzés du Nigéria-Cameroun. Image de Gregoire Dubois via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/08/private-road-sparks-fears-for-cameroons-ebo-forest/