- Une récente étude montre que, dans les pays en développement, vivre près d’une zone protégée se traduit par un plus faible niveau de pauvreté et des enfants en meilleure santé.
- Les résultats soulignent que les populations locales retirent davantage de bénéfices de la présence de parcs nationaux touristiques ou à objectifs multiples.
- Mais cette étude présente une limite : elle ne prend pas en compte les conflits entre les humains et la faune.
Imaginez un instant un monde sans parcs nationaux. Le Parc national de Yellowstone ne serait qu’un agglomérat d’éleveurs de bétail et de communautés fermées réservées aux riches fans de grands espaces vides. Le bison sauvage américain se serait éteint et plus aucun loup ne rôderait aux États-Unis. Le Parc national de Manú, dans la partie péruvienne de l’Amazonie, aurait été abattu il y a bien longtemps et les tribus indigènes qui y vivent seraient toutes mortes. Les routes, les trains, l’étalement urbain, l’agriculture et la chasse auraient peu à peu eu raison de la migration traversant le Serengeti. Dans les années 1980, on aurait pu observer quelques rares gnous boîtiller à travers des plaines dévastées. Le dernier lion du Serengeti serait mort avant le nouveau millénaire. Le Parc national Jim Corbett, en Inde, ne serait désormais plus qu’une ribambelle de champs dédiés à une agriculture marginale, et les tigres qui y vivaient auparavant auraient disparu depuis bien longtemps. D’ailleurs, dans cet univers parallèle, les tigres sauvages se sont totalement éteints dans les années 1990. Mais, rassurez-vous, il en reste dans les cirques !
Sans les parcs nationaux, et, par extension, sans tous les différents types de zones protégées qui existent, notre planète serait encore plus chaude, et nous aurions perdu des milliers, voire des centaines de milliers, d’espèces qu’on trouve encore sur Terre à l’heure actuelle. Les zones protégées restent notre meilleure arme pour lutter contre l’extinction de masse et la dégradation écologique. Elles plaisent aussi énormément au public : d’après une étude publiée en 2015, les zones protégées naturelles reçoivent huit milliards de visites par an, c’est-à-dire plus que la population mondiale. Les chercheurs estiment que ces visites génèreraient 600 milliards de dollars américains par an (bien qu’à l’échelle planétaire, les nations n’investissent que dix milliards de dollars américains par an dans la gestion des parcs, ce qui semble complètement inadapté). D’après le Protected Planet Report 2018, 14,9 % des terres mondiales sont protégées, ce qui représente 20 millions de kilomètres carré, l’équivalent de presque deux fois la Chine.
Mais qu’en est-il du revers de la médaille ? Quel impact économique ces zones protégées ont-elles sur ceux qui vivent alentour, en particulier dans les pays pauvres et en développement ? Quand on y pense sans trop réfléchir, on se dit que les zones protégées ont probablement un effet néfaste sur les économies locales ; après tout, l’objectif de ces parcs est de mettre de côté de vastes lopins de terre, ce qui rend impossible leur exploitation économique directe.
Mais, en réalité, on observe que l’inverse se produit ; la revue Science Advances a récemment publié une étude qui surpasse les précédentes de par la taille de son échantillon et son étendue. Celle-ci a montré que les zones protégées présentent des avantages pour les populations voisines, tant au niveau de l’économie que de la santé.
Résider à proximité d’une zone protégée : quels avantages ?
L’étude a montré que non seulement les zones protégées avaient un impact économique positif sur les communautés locales, mais également que les enfants vivant près de ces zones étaient en meilleure santé. Cependant, l’étude présente une limite : ces effets n’ont été observés que pour les zones protégées touristiques ou dites « à objectifs multiples », à savoir que l’accès aux ressources naturelles situées dans l’enceinte du parc est autorisé mais réglementé.
Si l’on compare les personnes résidant près d’une réserve naturelle touristique aux foyers ruraux ne résidant pas à proximité d’un parc, on observe que le niveau de richesse des premiers est supérieur de près de 17 % à celui des seconds. En parallèle, la probabilité de pauvreté est inférieure de 16 % chez le premier groupe. Par ailleurs, vivre à proximité d’un parc à objectifs multiples et touristique se traduit par une hausse du niveau de richesse de 20 % et une baisse de la probabilité de pauvreté de 25 %.
Peut-être plus étonnant encore, les résultats de l’étude ont également indiqué que ces parcs ont aussi un impact sur la santé des enfants de moins de cinq ans résidant à proximité. En effet, le rapport taille-âge des enfants vivant près de parcs touristiques et à objectifs multiples est supérieur de presque 10 % à celui de leurs congénères. En parallèle, la probabilité de retards de croissance pour cause de sous-nutrition est inférieure de 13 % chez ces enfants.
De tels résultats ne sont pas surprenants si l’on se fie aux recherches de ce type menées par le passé : une étude publiée en 2011 avait observé des résultats semblables dans des parcs de Thaïlande et du Costa Rica.
Cependant, l’avantage que présente l’étude récente par rapport aux recherches antérieures, c’est la taille impressionnante de son échantillon. En effet, les chercheurs se sont penchés sur plus de 600 zones protégées, réparties dans 34 pays, et ont analysé les données de 60 000 foyers et de 87 000 enfants.
« Il s’agit d’un échantillon de données beaucoup plus grand et étendu que ceux utilisés par le passé pour traiter la question. De plus, nos données ont été collectées à l’aide de la même méthodologie », déclare Robin Naidoo, l’auteur principal de l’étude, qui travaille comme spécialiste senior de la conservation pour la WWF.
Il a ajouté que l’étude a nécessité plusieurs années de travail car il fallait « [intégrer] les données environnementales et sociales de façon rigoureuse. »
De plus, l’étude a également montré que les zones protégées qui ne sont ni touristiques ni à objectifs multiples n’ont pas pour autant d’impact négatif sur les populations locales, financièrement parlant.
« Par ailleurs, aucun de nos scénarios n’indique que les zones protégées ont un impact négatif sur le bien-être des êtres humains », précise l’étude.
Cela signifie qu’en moyenne, les parcs ne présentent aucun inconvénient sur le plan économique. Mais Robin Naidoo a tout de même souligné qu’il demeure possible que certains parcs en particulier soient néfastes aux populations locales du point de vue économique.
Mais pourquoi les parcs présentent-ils des avantages aussi considérables ? Il existe plusieurs théories. Premièrement, le tourisme génère des retombées économiques directes et des emplois, et favorise souvent la mise en place de meilleures infrastructures et d’un plus grand nombre d’institutions locales. De plus, les parcs à objectifs multiples donnent accès à des ressources naturelles (qui sont, en théorie, durables).
Par ailleurs, toutes les zones protégées ont un potentiel de « contagion » en matière de santé environnementale et de services écosystémiques. On entend par là que la nature protégée au sein du parc se fraiera naturellement un chemin à l’extérieur des limites de celui-ci : l’eau et l’air seront ainsi moins pollués, des zones tampons naîtront, ce qui réduira le risque d’inondations, et on pourra trouver certaines populations végétales et animales à l’extérieur des frontières du parc.
Mais d’autres personnes considèrent qu’il y a un prix à payer pour cela.
Des coûts non mesurés
Au début du mois de juin, un léopard du Parc national de Kruger, en Afrique du Sud, a réussi à sauter par-dessus une barrière et a tué un enfant, le fils d’un garde forestier local. La direction du parc décrit ce type d’attaques comme « rares » mais a tout de même éliminé le léopard par mesure de précaution.
Notre planète est riche en nuances et extrêmement complexe. Bien que les recherches de Robin Naidoo mettent en lumière les avantages potentiels que représente la vicinité des zones protégées, tout le monde n’est pas de son avis.
D’après la sociologue environnementale Niki Rust, qui est aussi consultante, les résultats de l’étude sont « quasiment insignifiants » car ils laissent de côté un aspect crucial : les conflits entre les humains et la faune.
« Je ne doute pas que les scientifiques aient fait un excellent travail avec les données limitées qu’ils avaient à leur disposition, et je suis d’accord avec leurs conclusions dans le sens où, en se fondant sur les données qu’ils ont utilisées, il semble, de prime abord, que les zones protégées ne placent pas les communautés locales vivant à proximité en situation de handicap sur le plan sanitaire ou économique. Cependant, les données utilisées font complètement l’impasse sur les plus gros coûts liés au fait de vivre près des zones protégées », déclare-t-elle.
Vivre près de régions sauvages peut s’avérer difficile et dangereux. Les conflits entre les humains et la faune recouvrent de nombreuses réalités, que ce soit perdre la vie à la suite d’une attaque de tigre ou de lion ou retrouver ses cultures pillées par des singes ou des oiseaux.
D’après Niki Rust, « il est crucial d’intégrer à ces études les données relatives aux conflits entre les humaines et la faune afin de ne pas véhiculer une représentation complètement erronée de la vie à proximité d’une zone protégée. Nous devons connaître le véritable coût qu’implique réellement le fait de vivre avec des animaux dangereux tels que les éléphants, les lions et les crocodiles, qui peuvent anéantir votre gagne-pain et vous tuer. Nous devons recueillir des données sur le nombre de personnes tuées ou blessées par des animaux sauvages, sur le nombre de cultures dévorées par des primates, sur le bétail tué par des prédateurs carnivores et sur le nombre de puits détruits par des éléphants ».
Niki Rust ajoute que les conflits entre les humains et la faune engendrent également des coûts dont on parle moins, par exemple la peur et le stress que peut générer le fait de vivre à proximité de dangereux herbivores ou de prédateurs capables de vous tuer.
« Toutes les études ont leurs limites, y compris la nôtre » a déclaré Drew Gerkey, co-auteur de l’article et professeur d’anthropologie au College of Liberal Arts de l’université d’État de l’Oregon. « Bien sûr, les conflits entre les humains et la faune représentent un impact négatif très concret auxquels peuvent faire face les locaux résidant à proximité des zones protégées. Dans un monde idéal, nous aurions disposé de données sur la fréquence de tels conflits dans chaque zone protégée, et nous aurions pu inclure ces informations dans nos modèles statistiques, comme nous l’avons fait avec les autres variables. Malheureusement, ces données n’existent tout simplement pas, donc ce n’était pas possible ».
Drew Gerkey explique qu’il n’existe purement et simplement pas d’« échantillon de données exhaustif » concernant les conflits entre les humains et la faune, ni d’ailleurs sur la gouvernance des zones protégées, « un aspect que nous aurions souhaité inclure dans notre analyse », a-t-il ajouté.
Mais, d’après lui, le fait qu’il manque certaines données ne remet pas forcément en question les résultats de l’étude : les conclusions concernant une plus faible probabilité de pauvreté, une richesse accrue et une meilleure santé des enfants demeurent valides.
Bien sûr, il ne faut pas non plus oublier que les conflits entre les humains et la faune ne sont pas répartis équitablement. Ils sont en effet particulièrement nombreux dans des zones telles que l’Afrique sub-saharienne (pensez notamment aux éléphants, aux lions, aux léopards, aux hippopotames, aux buffles, etc.) et dans certaines parties de l’Asie, en particulier les zones où vivent des éléphants et des tigres. En revanche, ils sont très rares, voire quasi-inexistants dans d’autres parties du monde. Par exemple, les conflits entre les humains et la faune sont bien plus rares dans les zones protégées d’Amérique latine et du Moyen-Orient. Dans des régions comme les Caraïbes, de tels conflits n’arrivent presque jamais, et les animaux les plus pénibles sont probablement les oiseaux et les cochons marrons, qui ne sont d’ailleurs pas originaires de cette partie du monde.
Robin Naidoo explique que, quelle que soit la zone protégée et la région, on peut toujours trouver des cas isolés pour lesquels les faits divergent de « l’impact moyen ». Il ajoute que les chercheurs devraient envisager de constituer un fonds d’ « études de cas détaillées », qui permettrait de mieux comprendre la situation.
Les recherches de Robin Naidoo et de ses collègues ont également montré qu’il est vital d’investir dans les infrastructures et la gestion des zones protégées. Partout, les zones protégées ne reçoivent que très peu de financements et, dans certaines contrées, ne sont des parcs à proprement parler que sur le papier. Mais investir dans le tourisme est réellement bénéfique pour les populations locales, ce qui vaut également pour la création de parcs dont certaines zones sont dédiées à l’utilisation des ressources naturelles en vue d’objectifs multiples.
« Nous devons faire en sorte que les avantages de la cohabitation avec la faune soient supérieurs aux coûts », a indiqué Niki Rust, prenant pour exemple les politiques de conservation en Namibie, qui montrent qu’il est possible pour une population de gérer directement sa faune et sa flore tout en en tirant parti.
Robin Naidoo, quant à lui, précise que les résultats de leur étude corroborent l’idée que les zones protégées contribuent en fait à deux des objectifs de développement durable de l’ONU, à savoir la conservation de la vie sauvage et la réduction de la pauvreté.
« Nous disposons désormais de bon nombre de preuves qui donnent à penser que ces objectifs sont en réalité compatibles. », dit-il.
Pendant des années, les chercheurs ont dit et répété que les zones protégées sont notre meilleure arme pour lutter contre l’extinction de masse et le changement climatique. En effet, au cours des dernières années, un certain nombre de chantres de la conservation ont appelé à la mise en pratique du concept de « Half Earth », émettant l’idée qu’il faudrait mettre de côté la moitié de la planète, ainsi que de nombreux types de zones protégées et autochtones pour éviter l’extinction de masse et le collapsus écologique.
Pour l’auteur et naturaliste Wallace Stegner, les parcs nationaux sont la « meilleure idée de l’histoire des États-Unis ». Cependant, même si le pays a ouvert la voie à une nouvelle ère en matière de parcs nationaux, le concept de « zones protégées » remonte en fait assez loin dans l’histoire de l’humanité : depuis bien longtemps, les tribus indigènes mettent de côté des lopins de terre considérés comme « sacrés » ou intouchables, ce qui permet de protéger la vie sauvage dans ces zones. D’une certaine manière, les « zones protégées » ont toujours existé. Et peut-être constitueront-elles notre salut. Malgré la complexité qu’elles recèlent et les défis qu’elles présentent, elles restent indéniablement l’une des meilleures idées de l’histoire de l’humanité.
Références: R. Naidoo, D. Gerkey, D. Hole, A. Pfaff, A. M. Ellis, C. D. Golden, D. Herrera, K. Johnson, M. Mulligan, T. H. Ricketts, B. Fisher. Evaluating the impacts of protected areas on human well-being across the developing world. Science Advances, 2019; 5 (4): eaav3006 DOI: 10.1126/sciadv.aav3006
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/06/national-parks-serving-humanitys-well-being-as-much-as-natures/