- En 2018, le gouvernement de la République du Congo a ouvert plusieurs blocs de terre à l’exploration pétrolière, en empiétant sur d’importantes tourbières et un parc national célèbre.
- Selon un site gouvernemental, l’entreprise pétrolière française Total détient les droits d’exploration sur ces blocs.
- Les conservateurs s’inquiétaient que le gouvernement envisage d’autoriser l’exploration pétrolière dans des parcs et des tourbières d’importance internationale alors qu’il essayait en même temps de recueillir des fonds pour leur protection sur la scène mondiale.
D’après ses propres cartes, le gouvernement congolais a ouvert de nouvelles zones d’exploration pétrolière situées dans les plus grandes tourbières du monde et dans le parc national de Nouabalé-Ndoki, une célèbre forêt tropicale.
En 2018, le pays d’Afrique centrale a lancé un appel d’offres aux compagnies pétrolières pour des blocs d’exploration « sur ce que l’on appelle souvent l’une des plus importantes zones protégées d’Afrique », déclare Simon Counsell dans une interview, directeur général de la Rainforest Foundation UK. « C’est étrange. »
Il ajoute que « le gouvernement fait ce genre de choses sans même considérer qu’il s’agit d’une zone protégée par des accords internationaux. »
Le parc national de Nouabalé-Ndoki se situe à la pointe nord du pays. Ses nombreux éléphants des forêts (Loxodonta cyclotis), ses gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) et ses autres animaux sauvages jouissent d’une protection transfrontalière des parcs de la République centrafricaine voisine mais également du Cameroun, plus à l’Ouest. Selon les cartes du Ministère des hydrocarbures de la République du Congo, l’entreprise pétrolière française Total a garanti les droits sur le bloc Koli qui semble chevaucher le parc de Nouabalé-Ndoki.
Les défenseurs de l’environnement craignent que l’exploration pétrolière – et l’extraction qui en découle – dans le parc national de Nouabalé-Ndoki, augmentent le risque de braconnage et de perte d’habitat dans le parc.
Louis Andzouono, gestionnaire de la base de données d’exploration et de production pétrolière de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), a confirmé dans un email à Mongabay que le bloc Koli chevauche le parc national. Mais il a ajouté que les droits d’exploration n’appartenaient à aucune entreprise depuis début juin 2019. Or, au moment de la publication de cet article, les cartes en ligne indiquent encore que Total est le concessionnaire.
Selon ce document, Total contrôle également le bloc Mokelé-Mbembé qui se situe sur une partie des tourbières de la Cuvette centrale. Ce n’est qu’en 2017 que des scientifiques ont découvert que cette forêt marécageuse qui couvre une superficie de 145 500 kilomètres carrés à travers les deux Congo contient plus de tourbières riches en carbone que partout ailleurs sur Terre.
Total n’a pas donné suite aux demandes de commentaires de Mongabay.
L’organisation environnementale Greenpeace Afrique avait déjà constaté ce chevauchement en novembre 2018. Ses analyses avaient montré que plus de 90% des tourbières congolaises – d’une superficie de 18 000 kilomètres carrés, soit la taille du Koweït – se trouvaient dans les blocs offerts.
Victorine Che Thöner, Project Leader du Projet Bassin du Congo chez Greenpeace Afrique avait déclaré à l’époque : « Il est choquant de voir comment le régime congolais se joue de la communauté internationale au sujet des tourbières. Le même régime qui prétend défendre la protection des tourbières lors de grands événements médiatiques montre maintenant ses véritables intentions au monde entier.»
Lors de sa visite à Moscou en mai dernier, le président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, a sollicité l’aide de la Russie pour protéger les tourbières. Selon un communiqué du gouvernement, la ministre du Tourisme et de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, a par la suite rencontré l’ambassadeur de la Fédération de Russie en République du Congo. En plus de la demande d’aide pour la protection soumise par Sassou-Nguesso, ils ont également discuté de la création d’un pipeline qui acheminerait le pétrole du nord du pays – près des blocs Koli et Mokelé-Mbembé – à Pointe-Noire, une ville portuaire sur la côte atlantique du Congo.
« Parler des tourbières tout en cherchant à détourner l’argent des pipelines correspond tout à fait au mode opératoire du régime écocidaire de Sassou », affirme Thöner.
D’après Oil and Gas Year, l’économie congolaise repose en grande partie sur le pétrole et le Congo est l’un des principaux producteurs de pétrole en Afrique. Mais au vu de la chute du prix du pétrole de ces dernières années, les dirigeants du pays ont cherché à accroître la production et se sont focalisés sur d’autres sources de revenu, notamment en octroyant des permis d’exploitation minière dans un autre parc national et parmi des concessions ligneuses certifiées FSC.
Selon Thöner, autoriser l’exploration pétrolière dans un endroit tel que le parc national de Nouabalé-Ndoki confirme cette tendance.
Elle ajoute que « le régime de Sassou n’a jamais respecté les frontières des parcs nationaux et les donateurs s’en moquent. »
Des chercheurs du CIRAD, un centre français de recherche pour le développement, ont conseillé à la Total Foundation, la filiale à but non lucratif de l’entreprise pétrolière, de s’orienter vers une restauration et une préservation des forêts. Ils ont suggéré que Total ne touche pas aux blocs Koli et Mokelé-Mbembé, blocs qui chevauchent respectivement le parc national de Nouabalé-Ndoki et les tourbières de la Cuvette. Dans le cadre des initiatives de responsabilité sociale de Total, l’entreprise pourrait même, en vertu de cette suggestion, encourager la désignation de nouvelles aires protégées dans cette partie du Congo afin que le carbone contenu dans les sols marécageux des tourbières soit préservé.
Un tel changement pourrait concorder avec les investissements à but lucratif dans des activités de puits de carbone de Total. D’après une diapositive obtenue par Mongabay, l’entreprise prévoit de réinvestir 100 millions de dollars par an, à compter de 2020, pour « préserver les forêts, les mangroves et les sols dégradés. »
De plus, un tel montant pourrait aider la République du Congo à réduire ses émissions de gaz à effet de serre conformément à l’engagement pris à Paris en 2015 par les dirigeants congolais lors de la conférence de l’ONU sur le climat, où ils prévoyaient de les réduire de 54 % d’ici 2035. Les partisans d’une telle initiative déclarent que les donateurs internationaux, par exemple les défenseurs de l’Initiative pour la forêt d‘Afrique centrale, verraient d’un bon œil la création d’un partenariat international promu par les pays d’Europe et d’Asie, mais également par les Nations unies et la Banque mondiale et qui serait destiné à protéger les forêts d’Afrique centrale.
Pourtant, le Congo aurait continué à inciter Total à poursuivre l’exploration pétrolière dans les blocs.
Counsell, directeur de la Rainforest Foundation UK, a précisé que les groupes impliqués dans le parc national de Nouabalé-Ndoki – certains depuis sa création- ne se sont pas prononcés au sujet des licences, jusqu’à preuve du contraire.
La Société pour la conservation de la vie sauvage a joué un rôle important dans la création du parc national en 1993 et continue de participer à sa gestion.
Mark Gately, directeur du programme de la WCS pour la République du Congo, déclare dans un communiqué à l’occasion du 25ème anniversaire du parc : « L’élaboration d’un tel cadre transparent pour toutes les grandes décisions stratégiques et de gestion a permis d’assurer un haut degré de responsabilité pour toutes les parties prenantes et a facilité une augmentation notable de l’efficacité des activités de conservation sur le terrain. »
Et WCS n’a été que l’un des membres les plus visibles d’un partenariat international à soutenir la conservation du parc, des forêts et des espèces qu’il protège.
Counsell ajoute : « Je suis tout simplement sidéré que la communauté internationale n’ait rien dit ou fait à ce sujet. Ils ont littéralement déversé des dizaines de millions pour cette zone protégée depuis des années. »
Image de bannière d’éléphants des forêts de Kyle de Nobrega/WCS.
John Cannon est un auteur de Mongabay basé au Moyen-Orient. Retrouvez-le sur Twitter: @johnccannon
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/07/congolese-government-opens-nouabale-ndoki-national-park-to-oil-exploration/