- En 2022, seul 6% de la population congolaise a eu accès à l’électricité. Pour pallier ce manque, les Congolais utilisent massivement du bois comme source d’énergie.
- L’utilisation du bois comme source d’énergie est l’une des principales sources de déforestation en RDC.
- Dans le Nord-Kivu, cette situation est exacerbée par le conflit armé qui a généré plus de 2,7 millions de déplacés internes. Ces personnes fuyant les combats vivent dans des conditions extrêmes, sans accès à l’eau courante et à l’électricité, n’ayant d’autre choix que couper les arbres pour leur survie.
Au milieu d’une foule réunie en cercle, une troupe d’artistes se produisent. Des chants retentissent, accompagnés de tambours et de danses. Une large banderole trahit les intentions de la troupe : « L’avenir de notre environnement est fonction de notre comportement d’aujourd’hui. »
Très vite les tambours laissent place à des discours de sensibilisation en swahili sous forme d’une pièce de théâtre. Nous sommes à Kanyaruchinya, dans le territoire de Nyiragongo, dans le Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Ici, près de 200,000 personnes ont trouvé refuge dans la partie sud de la province, fuyant un conflit qui fait rage depuis 2021.
« On sensibilise autour du parc des Virunga, notamment dans les camps de déplacés. On leur parle du danger de la déforestation, du danger de couper des arbres pour faire du makala », explique Ghislain Kabuyaya, consultant auprès de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) et chargé de ces représentations théâtrales, par téléphone.
En lingala, une des langues officielles de la RDC, le « makala » désigne le charbon de bois. Au Nord-Kivu, comme ailleurs dans le continent, le makala est fabriqué par des petits opérateurs à partir d’arbres fraîchement coupés, carbonisés pendant près d’une semaine dans des fours artisanaux.
Selon le Programme de développement des Nations Unies (UNDP), le bois énergie représente 93% de la consommation totale d’énergie en République démocratique du Congo, loin devant les produits pétroliers 3,5% et l’électricité 3,5%. Et c’est problématique, car pour en produire, il faut couper du bois. Il faut entre 6,5 kg et 10 kg de bois pour produire 1 kg de charbon de bois.
Une destruction de la forêt renforcée par les groupes armés
Au Nord-Kivu, la situation n’est pas différente. D’après un rapport du Cirad publié en 2019, 99% de la population des principales agglomérations du Nord-Kivu, Goma, Butembo et Beni, utiliseraient du bois énergie. Cirad estime aussi que la consommation annuelle en bois énergie par les ménages de Goma (un million d’habitants) a été estimée à 1,26 million de tonnes d’équivalent en bois.
En 2016, l’ONG The Enough Project estimait dans un rapport que 92% du charbon de bois utilisé dans le Nord-Kivu proviendrait de la région des Virunga, dans et autour du parc. « Le charbon produit dans le parc est particulièrement prisé – les bois rares, plus denses, donnent du charbon de meilleure qualité qui brûle plus longtemps et peut être vendu jusqu’à 60% plus cher qu’un bois de moindre qualité », peut-on lire dans le rapport.
De 2010 à 2020, le parc a en effet perdu 33.7 kha de couverture arborée, mais rien ne prouve que ce soit seulement due à la fabrication de charbon. Toutefois, The Enough Project estimait que le commerce illégal du charbon de bois dans le parc rapporte chaque année jusqu’à 35 millions de dollars. Les principaux bénéficiaires étant les groupes armés (principalement les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), milice Hutu) et leurs complices au sein de la population et des autorités, selon l’ONG.
Cette zone, en proie aux conflits depuis le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, est entrée depuis 2021 dans un tout autre niveau de violence. Le M23, un mouvement rebelle armé créé en 2012, a conquis de larges portions de territoire autour de Goma, la capitale provinciale. Les violences que le groupe a engendré ont poussé des centaines de milliers de réfugiés à chercher refuge dans la capitale du Nord-Kivu, augmentant ainsi la population de la ville mais aussi ses besoins en énergie.
Depuis sa résurgence, le M23, un mouvement pro-tutsi dont l’ONU affirme qu’il a le soutien des forces armées rwandaises, s’est lancé lui aussi dans le commerce illégal du charbon de bois.
Il existe peu d’études sur la question mais en mars 2024, le Pole Institute, un think tank travaillant sur la région des Grands lacs, a publié une étude sur les différents moyens de blanchiment d’argent utilisés par les groupes armés dans la région. Selon le rapport, le charbon arriverait ensuite sur le marché légal pour être vendu aux particuliers grâce à la complicité des autorités locales et permettrait aux groupes rebelles d’acheter des armes mais aussi d’investir dans l’immobilier.
Pourtant des alternatives existent
La RDC possède 60% des forêts du bassin du Congo, la deuxième forêt tropicale au monde. Depuis 2001, d’après l’outil de surveillance satellite Global Forest Watch, le pays a perdu 19 millions d’hectares de couvert végétal. Cela correspond à 12,3 gigatonnes d’émissions de CO2.
En 2012, la FAO estimait que près de la moitié de la perte de forêt en RDC était due à la fabrication de charbon. La population ayant augmenté depuis, sans qu’une alternative n’ait été trouvée, la déforestation continue.
Pourtant, dès la période coloniale, les premières plantations destinées au bois de chauffe et au charbon font leur apparition.
En 2023, le Cirad estime dans un rapport qu’une quinzaine de projets de ce type ont vu le jour depuis 1980 sur le territoire congolais. Mais malheureusement, le rapport stipule que « ces plantations sont encore marginales, trop jeunes et incapables de satisfaire la demande actuelle ou future ».
Au Nord-Kivu, depuis 2007, c’est le Fonds mondial pour la nature (WWF) qui a créé une de ces plantations composées d’eucalyptus et d’acacia pour faire face aux besoins énergétiques de la région. Mais d’après un rapport du Cirad, aujourd’hui, moins d’⅓ du projet a été réalisé. En cause, ils citent « l’insuffisance des moyens financiers, le manque de semences et de plants, les problèmes fonciers, l’insécurité ou encore la faible compétitivité du charbon produit en plantation par rapport à celui issu des forêts naturelles ».
Des alternatives au bois énergie comme le gaz, ou l’électricité, sont difficilement disponibles pour la population. En mai 2023, l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité (ARE) en RDC relevait que l’année précédente seule 6,67% de la population du pays avait eu accès à l’électricité. Cela serait dû à une faible capacité de production et à des
« institutions inefficaces ».
En effet, si grâce au fleuve Congo, la RDC détient des ressources hydrauliques qui représentent 10% des réserves mondiales d’eau douce, l’ARE révèle aussi que seuls 2,4% du potentiel hydroélectrique du pays ont été exploités. Une situation qui ne va pas changer, les nouveaux investisseurs se tournent de plus en plus vers l’énergie solaire. Selon les prévisions, elle représente « plus de 80% de la puissance à installer ».
Au Nord-Kivu, cette tendance se confirme. En 2017, Nuru (« lumière » en swahili, une des langues officielles de la RDC) installe un site de production d’énergie solaire de 1,3 MW à Goma. Un autre site ouvre plus tard à Béni. Grâce à ces nouvelles installations et aux installations hydroélectriques, six opérateurs desservent la province dont la société nationale d’électricité, SNEL, et Virunga Énergies.
Virunga Énergies, une filiale de Virunga Foundation, la fondation qui gère le Parc national des Virunga, est le plus grand fournisseur d’électricité de la région grâce à leur centrale hydroélectrique de Matembé. L’entreprise a 33 208 abonnés, dont 23 105 dans la ville de Goma, des chiffres dérisoires lorsque l’on sait que le Nord-Kivu compte officiellement une population de 6,6 millions d’habitants.
D’après Lucien Kamala, un gomatracien et militant d’Extinction Rébellion, une des raisons pour laquelle la majorité de la population ne souscrit pas d’abonnement auprès des fournisseurs d’électricité serait financière.
« Quand Virunga Energies s’est installée, c’était l’espoir d’un peuple, mais le courant des Virunga est plus cher que celui de la SNEL ; du coup la population ne l’utilise pas forcément », explique t-il. Pour compenser, la population continue d’utiliser le charbon de bois.
« En ce moment un sac de makala c’est 50,000 francs congolais. [environ 18 USD – consommation par mois en makala pour une famille selon lui, ndlr] Avant la guerre, c’était entre 30 et 35 000 francs. [11-12 USD, sachant que le franc congolais a perdu plus de 40% de sa valeur ces 5 dernières années] Pour une famille qui a des enfants avec une TV, un frigo en plus du réchaud, la facture d’électricité peut aller jusqu’à 50 USD par mois. Ça équivaut à 135,000 francs congolais. C’est plus cher. Moi, j’ai le courant chez moi mais je ne l’utilise que pour la TV, le frigo mais pas pour la cuisson. »
En moyenne, un congolais gagne environ 500 USD par an. La facture annuelle d’électricité d’une famille, selon les estimations de Kamala, dépasse donc le PIB per capita. En plus du prix, une autre contrainte empêche les Gomatraciens d’accéder à l’énergie électrique.
« La centrale de Matembé livre environ 10 à 11 MW. La SNEL en livre autour de 5 MW alors que la ville de Goma demande en moyenne 50 MW », décrit Epraim Balole, directeur de Virunga Energies. La centrale de Matembé fournit de l’électricité à Goma mais aussi dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo. « Ce n’est pas assez et notre centrale est déjà saturée », regrette-t-il.
« Le makala à Goma est une énergie à accès libre. Les gens vont dans le parc, coupent le bois, carbonisent et le seul facteur de production qu’ils ont c’est l’effort pour la fabrication. C’est forcément moins cher qu’une énergie manufacturée comme la nôtre », constate Balole avec amertume.
Politique de l’énergie en contexte de l’insécurité
À cause des violences générées par les groupes armés, les civils ont massivement quitté leur domicile. Si certains vivent dans des camps aménagés par des ONG, les places sont rares et la plupart s’amassent dans des sites informels, faits de logements de fortune, sans accès à l’électricité. Aujourd’hui, 2,7 millions de personnes au Nord-Kivu sont des déplacés internes.
« Ils sont dans une situation tellement dégradante », regrette Jean Gabriel Carvalho, chargé d’opérations pour l’International Rescue Committee (IRC). « La situation est critique vis-à-vis des besoins, malheureusement Goma est presque étouffé donc tous les axes qui mènent vers les autres provinces donc sont plus ou moins coupés parce que le M23 occupe toutes ces zones là ».
Alors pour purifier l’eau et cuisiner, les déplacés coupent le bois à leur disposition, les arbres du parc national des Virunga, et ce, malgré le statut protégé de la zone. Rien que dans cette zone, le Global Forest Watch enregistre 15.5 kha de perte de couverture arborée, depuis 2021.
Le directeur du parc, Emmanuel de Mérode, observe avec impuissance la situation : « Évidemment il y a une augmentation massive de la coupe du bois mais la survie de ces populations dépend de leur accès au bois de chauffe. C’est prioritaire. C’est une situation de crise humanitaire ».
Le parc national des Virunga n’est pas le seul menacé. En RDC, le manque d’accès à l’énergie est un problème national et — vu l’importance des forêts congolaises pour la séquestration mondiale de carbone — les conséquences sont mondiales.
Pour y faire face, le pays s’est doté en 2022 d’une politique nationale de l’énergie visant à réduire la fracture énergétique et la consommation de charbon de bois, notamment grâce à des projets REDD+ et au développement de centrales électriques solaires sur le territoire.
Dans le Nord-Kivu, pour intensifier la production d’électricité, une centrale hydroélectrique est actuellement en construction à Rwanguba, à 70km de la ville de Goma et en février dernier, le gouvernement a approuvé l’extraction du gaz contenu dans le lac Kivu. Ce méthane, une fois extrait, devrait permettre la fabrication d’électricité.
Cependant, la situation sécuritaire ralentit les innovations et empêche l’État d’appliquer ses politiques nationales et autour de Goma, la forêt continue de se réduire.
Déforester le parc des Virunga en RDC : une question de survie pour les déplacés
Malgré les initiatives, le bassin du Congo continue de perdre sa forêt primaire
Image de banniere : Récolte de charbon de bois dans un four amélioré dans la province de Tshopo, voisine de Nord-Kivu. Les groupes armés autour des Virunga se servent de la vente de charbon de bois pour financer leurs activités. Image de Axel Fassio/CIFOR-ICRAF via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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