- Le récent rapport du Forest Declaration Assessment, publié en octobre 2024, énumère le défaut de sécurisation des droits fonciers des peuples autochtones, parmi les facteurs ayant contribué à la perte des forêts en 2023.
- La reconnaissance du statut des peuples autochtones du bassin du Congo diffère d’un pays à l’autre, et leurs droits d’accès à la terre ne sont pas suffisamment garantis pour favoriser leur bien-être et la protection des forêts.
- Stella Tchoukep, Chargée de campagne forêts à Greenpeace Afrique, suggère que les États fassent une cartographie des terres et terroirs, qu’occupent les communautés autochtones, pour délimiter leurs espaces, afin de garantir leur participation effective dans la gouvernance des terres et des forêts.
Le Forest Declaration Assessment, une initiative indépendante de la société civile visant à suivre les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs mondiaux en matière de forêts, a publié, en octobre 2024, son rapport 2023 sur les progrès réalisés dans l’atteinte des objectifs de 2030 pour les forêts.
Ledit rapport révèle que la déforestation dans le monde est en hausse, avec une perte de 6,37 millions d’hectares de forêts en 2023 (l’équivalent de 9,1 millions de terrains de football), et que les efforts visant à protéger les forêts tropicales primaires, qui comptent parmi les plus vierges et les plus riches en carbone de la planète, sont en retard de 38 %, avec une perte de 3,7 millions d’hectares en 2023 (soit environ 5,3 millions de terrains de football).
L’insuffisance des financements en faveur de la protection des forêts, la demande exponentielle des produits de base (huile de palme, sucre, soja, cacao etc.), et le défaut de sécurisation des droits fonciers des peuples autochtones, sont autant de facteurs ayant contribué à la perte des forêts en 2023, selon le rapport.
Pour inverser la courbe et poursuivre la réalisation des objectifs « zéro déforestation » à l’horizon 2030, le rapport recommande de mobiliser plus de financements pour protéger les forêts, de réduire la demande des produits de base liés à la déforestation, et surtout de renforcer les droits fonciers reconnus aux communautés autochtones.
Dans le bassin du Congo, les peuples autochtones des forêts, réputés chasseurs-cueilleurs, vivent pour la plupart le long des routes forestières, dans des campements de fortune. Ils sont expulsés de leurs milieux naturels depuis la période coloniale, et contraints à la sédentarisation au profit des projets d’aménagements des aires protégées ou d’exploitation forestière, puis interdits d’accès à ces espaces, qu’ils sont les seuls à mieux connaitre. Leurs droits fonciers se trouvent ainsi bafoués, en raison des manquements qu’ils subsistent au sein des États du bassin du Congo, pour la reconnaissance d’un statut juridique leur garantissant un accès libre à la terre.
Il existe toujours des disparités, dans les mesures prises, pour garantir les droits de ces derniers à l’échelle de l’Afrique centrale. La République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville ont réalisé des avancées notoires sur la question des droits fonciers des peuples forestiers. Ils disposent d’instruments juridiques nationaux, combinés à la ratification de certains textes internationaux, qui fournissent une meilleure protection des droits de ces peuples. À la différence du Cameroun et du Gabon n’ayant pas encore franchi cette étape cruciale de la reconnaissance légale du statut légitime des peuples autochtones.
À l’est du Cameroun, les peuples autochtones Baka du village Bifolone, situé à la périphérie nord de la Réserve de faune du Dja, sont formés à la pratique de l’agriculture par des ONG locales, mais demeurent confrontés au difficile accès à la terre, en raison des divergences avec les communautés locales Bantou ; celles-ci leur contestant le droit à la terre.
Dans une interview accordée à Mongabay début octobre, le chef de cette communauté, Luc Bemo, confie : « Depuis 2006, on a le problème des terres avec les Bantou de deux villages voisins. L’ONG Tropical forest and rural development (TFRD) nous a soutenus dans notre démarche, pour faire établir le titre foncier de nos terres. On est allé voir le sous-préfet de Messamena (région de l’est), et les choses avancent tout de même ». Les tractations et conciliabules menés, à cet effet, ont abouti à la reconnaissance de 665 hectares de terres et de forêts en faveur de ces communautés Baka, mais la procédure de titrisation en vue de la sécurisation de cet espace n’a pas encore aboutie.
Pour Elisabeth Fouda, Coordonatrice du Réseau actions concertées pygmées (RACOPY), une plateforme d’organisations de défense des intérêts des peuples autochtones au Cameroun, la sécurisation des droits fonciers de ces communautés est prioritairement tributaire de la reconnaissance de leurs chefferies.
Elle explique au téléphone à Mongabay que « les chefferies des peuples autochtones doivent être en priorité reconnues ». « La chefferie traduit la territorialité reconnue, des espaces bien délimités. Même s’il faut procéder à la légalisation des terres, il y a possibilité lorsqu’il y a déjà une chefferie reconnue d’avoir un titre collectif concernant la collectivité », dit-elle. Cette militante des droits de l’homme préconise, dans le cas du Cameroun, la révision de la loi foncière camerounaise et la prise en compte de la problématique de l’autochtonie dans les politiques publiques, pour remédier aux conflits fonciers qui prévalent souvent au sein des communautés.
Stella Tchoukep, Chargée de campagne forêts au sein de l’ONG Greenpeace Afrique, soutient l’idée de la mise en place d’un cadre légal visant à reconnaitre leurs droits fonciers, quoiqu’elle trouve que l’existence de ce cadre n’est pas suffisante compte tenu des abus recensés sur les peuples autochtones au fil des années. « Pour mieux protéger les droits fonciers des peuples autochtones, il faudrait que les États reconnaissent le statut qui est le leur, car on ne peut pas protéger les droits fonciers des personnes, qu’on ne reconnait pas ; qu’ils fassent une cartographie des terres et terroirs qu’ils occupent, pour délimiter leurs espaces ; reconnaissent leurs droits fonciers selon le droit international et le droit régional africain des droits de l’homme ; qu’ils garantissent une participation effective des peuples autochtones dans la gouvernance des terres et des forêts, afin que ces derniers contribuent à la prise de décisions liées à la gestion des ressources, qui se trouvent sur ces espaces », a-t-elle dit à Mongabay par courriel.
Pour le moment, la reconnaissance des droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales demeure beaucoup trop lente face aux aménagements territoriaux continus par les activités infrastructurelles, agricoles et extractives, ainsi que par les projets de conservation et d’atténuation du changement climatique. Même lorsque les pays ont mis en place des processus pour que les communautés puissent revendiquer leur titre foncier, ces processus sont souvent fastidieux et limités.
Image de bannière : Les Bayaka dans la réserve de Dzanga Sangha Ndoki, en République centrafricaine. Image de JMGRACIA100 via Wikimedia (CC BY-SA 4.0).
Feedback : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.