- Une série d'opérations d'infiltration, menées par l'ONG TRAFFIC pendant plusieurs années dans cinq pays d'Afrique centrale, a révélé que les marchés domestiques de l'ivoire s'étaient tournés vers un commerce international « souterrain ».
- Le rapport, publié le 7 septembre 2017, montre que des réseaux criminels, aidés par une corruption de haut niveau, font transiter l'ivoire d'Afrique centrale vers des marchés à l’étranger, en particulier vers la Chine et d'autres régions d'Asie.
- Une étude de 2013 a calculé que le nombre d'éléphants des forêts d'Afrique centrale a chuté de 62 pourcent entre 2002 et 2011.
Le commerce de l’ivoire semble diminuer, selon un nouveau rapport de TRAFFIC (comité de surveillance basé au Royaume-Uni). Mais ce constat est peut-être trompeur, comme l’expliquent les auteurs, puisque la demande s’intensifie au-delà des frontières africaines.
« Les informations positives sur le déclin des marchés de l’ivoire d’Afrique centrale doivent être pesées face aux problèmes qu’il reste à aborder dans cette sous-région. Le risque est que les dynamiques commerciales sous-jacentes puissent être exportées au-delà des marchés locaux » selon Sone Nkoke, chargé de projet faune sauvage de TRAFFIC, et auteur principal du rapport.
Dans une série d’enquêtes de terrain soutenues, pendant plusieurs années, par le Fond mondial pour la nature (WWF) et par les gouvernements américain et français, les chercheurs de TRAFFIC ont suivi la quasi disparition du marché domestique ouvert dans cinq pays d’Afrique centrale. Mais les conversations et interactions avec les commerçants, les fournisseurs et les intermédiaires ont également révélé que le Gabon, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo et la République Démocratique du Congo (RDC) sont les sources fondamentales, ainsi que les points de cheminement, du trafic international de l’ivoire.
Dans la région, les autorités ont confisqué environ 54 tonnes (119.050 livres) d’ivoire en Afrique centrale, ce qui représente le massacre de plus de 5.700 éléphants. Les auteurs estiment qu’environ quatre fois plus d’ivoire est écoulé au-delà des frontières d’Afrique centrale. TRAFFIC a publié ses constatations le 7 septembre.
Une étude menée en 2013 a révélé que le nombre d’éléphants de forêt d’Afrique a chuté de 62 pourcent entre 2002 et 2011. Sur le continent, WWF estime qu’un éléphant est tué toutes les 15 minutes pour son ivoire. Certains experts craignent que cet animal soit menacé d’extinction d’ici une dizaine d’années si le braconnage continue à ce rythme.
Sur les cinq pays au coeur de l’étude de TRAFFIC, seul le Cameroun pratique encore le commerce légal de l’ivoire. Les autres l’ont proscrit. Cette interdiction de la vente de l’ivoire au sein d’un pays est une mesure qui semble avoir établi le fondement d’un moyen de dissuasion, tout du moins pour sa vente libre chez la plupart de ses voisins.
Les auteurs ajoutent : « Les vendeurs et les sculpteurs de la région ont souligné que l’application de la loi et l’augmentation de la répression par les autorités nuisaient au commerce de l’ivoire. ».
Ils expliquent également que la demande locale pour de l’ivoire sculpté a évolué vers une demande internationale « souterraine » de produits en ivoire brut. A tel point que les sculpteurs d’ivoire se sont mis à travailler le bois comme matière première.
Le poids total d’ivoire enregistré par les enquêteurs dans les marchés ouverts en 2014 et 2015 au Cameroun, en RCA, en RDC et au Gabon était de moins d’un kilogramme. En comparaison, ils en avaient trouvé 400 kg en 2007 et plus de 900 kg en 1999.
Les rapports ont révélé que le marché à Kinshasa, en RDC, continuait générallement à fournir entre 400 et 500 kg sur la même période. Cependant, en mai 2017, le gouvernement de la RDC a annoncé qu’il sanctionnerait le marché de l’ivoire de sa capitale.
L’étude a décelé plusieurs itinéraires sur lesquels transite fréquemment l’ivoire, depuis les éléphants tués dans les régions de savannes et de forêts jusqu’aux mains des acheteurs internationaux. Et bien que des intermédiaires locaux soient impliqués dans ce commerce, les acheteurs internationaux sont souvent originaires de Chine, mais aussi du Vietnam et de la Malaisie.
La Chine, marché le plus important, s’est engagée à mettre un terme au commerce légal de l’ivoire avant la fin de l’année 2017.
La hausse du commerce international de l’ivoire brut, ajoutée aux gains importants amassés par les principaux acteurs de son acheminement vers des pays comme la Chine où la demande est élevée, a mené à une crise chez les éléphants d’Afrique.
« De véritables efforts concertés sont nécessaires pour remédier au grave déclin des populations d’éléphants dans toute l’Afrique centrale : ce n’est plus seulement un problème de faune sauvage, mais une catastrophe écologique, fortement dictée par des organisations criminelles ultra-organisées. » a déclaré Sone Nkoke. « Les criminels impliqués dans le commerce international de l’ivoire exploitent régulièrement la faiblesse de la gouvernance de l’État ainsi que la collusion, la confusion et la corruption des autorités. »
Cette corruption semble avoir favorisé le commerce de l’ivoire dans certains cas, selon TRAFFIC. Les enquêteurs ont rapporté que des hauts fonctionnaires et des forces armées de la RDC sont impliqués dans la livraison de l’ivoire.
Un commerçant a confié aux chercheurs de TRAFFIC que des responsables gouvernementaux et des gardiens de la paix de l’ONU (soldats étrangers envoyés pour apaiser des conflits) ont « le privilège de se déplacer fréquemment dans le pays, » ce qui leur permet de transporter de l’ivoire d’éléphants chassés illégalement jusqu’aux acheteurs à Kinshasa et au-delà.
De la même manière, le service d’un fonctionnaire des douanes de Kinshasa a découvert que des gardiens de la paix de l’ONU, originaires de pays d’Afrique et d’Asie, tentaient de faire sortir clandestinement de l’ivoire de la RDC.
Même sans cette corruption, l’application inefficace des lois de protection de la faune et de l’élimination du commerce de l’ivoire freine les résultats. Les chercheurs ont constaté que des réserves d’ivoire confisquées en RDC sont parfois stockées dans des bureaux gouvernementaux non sécurisés, donc facilement accessibles aux trafiquants.
Les auteurs du rapport ont établi une liste d’actions recommandées. La majorité d’entre elles sont centrées sur l’amélioration du respect et de l’harmonisation des lois par le biais des engagements pris auprès des dispositifs régionaux et internationaux tels que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) et la Stratégie de l’Union Africaine sur la lutte contre l’Exploitation Illégale et le Commerce Illicite de la Faune et de la Flore Sauvages en Afrique.
« Il est clair que les pays de l’Afrique centrale sont confrontés à d’importants problèmes de gouvernance et d’application de la loi pour lutter contre le braconnage des éléphants et le trafic d’ivoire, » selon Paulinus Ngeh, Directeur du bureau régional TRAFFIC en Afrique Centrale. « Ils ont besoin, de toute urgence, d’intensifier leurs efforts pour mettre en œuvre une série d’engagements qu’ils ont pris au sein des plusieurs forums internationaux au cours des dix dernières années. »
CITATION
Maisels, F., Strindberg, S., Blake, S., Wittemyer, G., Hart, J., Williamson, E. A., … & Bakabana, P. C. (2013). Devastating decline of forest elephants in Central Africa. PloS one, 8(3), e59469.
Image de la bannière : éléphant de forêt (Loxodonta cyclotis) par Thomas Breuer, CC BY 2.5, via Wikimedia Commons
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