Le professeur Baboko en plein cours de géographie à l’Institut Supérieur Technique de Développement Rural de Djolu. Photo autorisée d’Ingrid Schulze.
Cet été, La République Démocratique du Congo (RDC) devrait approuver une nouvelle stratégie d’enseignement supérieur que le pays a développé conjointement avec la Banque mondiale et d’autres donateurs internationaux. La forme de cette initiative de réforme éducative sera déterminante pour l’avenir du Congo de plusieurs façons. Cela pourrait mettre enfin les populations du Congo qui souffrent depuis si longtemps sur la voie du 21ème siècle. Cela permettra également de déterminer l’avenir des forêts de la RDC.
La quasi moitié des forêts tropicales restantes du Bassin du Congo se trouvent en RDC—et pourtant le rôle essentiel des experts congolais en sylviculture, science agricole, gestion de la faune et autres sciences rurales dans la protection de cette forêt n’est pas suffisamment reconnu.
Comme l’a souligné un étudiant congolais de cycle supérieur, les recherches dans les domaines de l’agriculture et des forêts sont “inexistantes” en RDC. En raison des années de guerre et de décennies de crise économique et de mauvaise gestion, la majorité des instituts et universités Congolaises manque cruellement de fonds et sont en mauvais état. Le pays est à court d’experts capables d’évaluer le potentiel écologique et économique des forêts du Congo et de leur biote et de fournir une base objective pour définir les priorités en matière de protection et d’utilisation des ressources forestières. Bien que les universités de Kinshasa et de Kisangani offrent des programmes subventionnés par des organismes internationaux afin d’accroitre le nombre de biologistes et autres spécialistes, le nombre de diplômés ne se rapproche aucunement de celui qui est nécessaire. Les scientifiques et les consultants étrangers ne sauraient remplacer des experts congolais.
De plus, il existe un besoin criard de diplômés en science rurale capables de conseiller les fermiers, les communautés et les administrateurs ruraux sur les questions liées à l’exploitation forestière, à l’agriculture durable, à la gestion de la faune, et au développement rural. Le service national de vulgarisation agricole de la RDC, qui devrait faire partie intégrante de ce processus, a été interrompu depuis des décennies. En 1990, le rapport de l’USAID l’a décrit comme étant sous-financé, manquant de moyens pour fournir aux agriculteurs des variétés de cultures éprouvées et des conseils sur les pratiques agricoles et s’attelant plus à imposer des cultures aux agriculteurs et à collecter des impôts qu’à les aider. Il y a peu de preuves que ceci ait considérablement changé depuis la fin de la guerre au Congo en 2003.
L’état de forêts du Congo
Photo Aérienne de la forêt tropicale du Bassin du Congo dans la Province de l’Equateur, RD Congo. Photo autorisée d’Ingrid Schulze.
Les forêts tropicales de la République Démocratique du Congo fournissent des avantages écologiques à toute l’humanité. Environ 40 million de Congolais vivant en zones rurales comptent sur la forêt pour leur subsistance en pratiquant l’agriculture, la pêche, la chasse et en exploitant les ressources forestières pour produire du carburant, fabriquer des matériaux, en tirer des plantes médicinales et générer des revenus. La forêt fournit des services écosystémiques à l’échelle continentale et mondiale. Elle permet notamment la régulation des ressources hydriques de la Rivière Congo et facilite la stabilisation du climat mondial grâce à son immense capacité de stockage de carbone. La RDC possède également la plus grande diversité de plantes et de poissons et autre diversité biologique, y compris la plus forte diversité de mammifères et d’oiseaux d’Afrique.
Malgré ses richesses naturelles spectaculaires, la RDC est l’un des pays les plus pauvres du monde avec un PIB de 300 dollars en 2011. Les niveaux de pauvreté parmi les habitants des forêts tropicales, tels que ceux de la Province de l’Equateur, sont particulièrement élevés. La majorité de ces habitants pratique l’agriculture de subsistance et à un faible accès aux services de santé, au planning familial, aux emplois rémunérés ou à l’éducation au-delà de l’école primaire. La seule forme de richesse que possède la plupart des habitants des zones rurales congolaises est leur capital naturel : leur forêt, leurs terres et leur faune.
Un village dans le Territoire de Djolu, RDC. Photo autorisée d’Ingrid Schulze. |
Malgré cela, les forêts et la faune de la RDC ont subi un stress grandissant au cours des deux dernières décennies à cause de la guerre, de la chasse anarchique de la viande de brousse, de la culture sur brûlis, de l’exploitation des forêts, et des taux élevés de croissance démographique . L’impact sur la faune a été particulièrement terrible avec des conséquences négatives aussi bien les populations que pour les écosystèmes.
La “défaunation” de la forêt est un problème grave à travers toute l’Afrique Centrale. Ainsi ressort-il du rapport 2008 sur l’Etat des Forêts dressé par le Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo (PFBC). La faune de la RDC est particulièrement décimée en partie parce que les soldats et les personnes déplacées à l’intérieur du pays ont vécu des produits de la terre pendant et après la Guerre de Congo, qui s’est officiellement achevée en 2003. De nombreux grands mammifères (à l’instar des éléphants, des grands singes et des léopards) se font rares ou se sont localement éteints dans de nombreuses régions du Congo. La perte d’espèces clés comme les éléphants —”gardiens de la forêt” qui dispersent de grandes semences de feuillus sur de longues distances —peut simplifier la structure forestière de telle façon que cela réduira finalement la capacité de la forêt à fournir des services écosystémiques tels que le stockage de carbone.
En même temps, la perte des protéines de la faune est potentiellement catastrophique pour les populations rurales qui dépendent des forêts du Congo, étant donné qu’elles ont perdu des sources de protéine animale et des nutriments essentiels comme le fer et le zinc. Les efforts pour remplacer ou augmenter la viande de brousse par du poisson d’élevage, du poulet, des espèces indigènes domestiquées, ou par d’autres sources de protéine ont été gravement entravés par, entre autres, un manque de fonds et par l’absence d’un service efficace de vulgarisation agricole. Parmi les autres obstacles empêchant de trouver des alternatives à la viande de brousse figurent les coûts et les problèmes liés à l’élevage du bétail dans un climat de forêt tropicale, la difficulté de domestiquer la faune, et la méconnaissance des, ou l’absence d’accès aux, sources de protéines et autres nutriments d’origine végétale.
Le rôle de l’enseignement supérieur rural dans la protection des forêts du Congo
Un technicien en informatique de l’ISDR-Djolu avec des étudiants. Photo autorisée d’Ingrid Schulze.
Le territoire d’origine d’Albert Lotana Lokasola, un biologiste congolais récemment élu au Parlement de la RDC, illustre ces dilemmes. Elu pour représenter le Territoire de Djolu, une région de forêt tropicale éloignée située dans la Province de l’Equateur, Lokasola déclare:” Le Congo est lancé dans une course pour le développement durable de ses ressources naturelles. La conservation des ressources est comme une stratégie de marathon tandis que manger tous les jours est comme un sprint. Les deux stratégies sont nécessaires. Les gens ont besoin de manger aujourd’hui ; en même temps, ils doivent être capables de gérer leurs ressources naturelles pour les générations futures.”
Le territoire de Djolu est situé dans la forêt tropicale à forte biodiversité de Maringa-Lopori-Wamba (MLW) désigné par le PFBC. S’étendant à travers des parties de Tshuapa, de Mongala et des districts de la province de l’Equateur, 90 pourcents de la région du MLW sont boisés. La région compte trois réserves forestières : la Réserve Scientifique de Luo, la Réserve de Kokolopori Bonobo, et la Réserve de faune de Lomako Yokokala. Un certain nombre d’organisations internationales de conservation travaillent dans la région en collaboration avec les organisations non gouvernementales congolaises locales telles que l’ONG Lokasola et Vie Sauvage.
L’Institut Supérieur Technique de Développement Rural de Djolu: a été crée en 2003 par Vie Sauvage avec le soutien de l’Initiative de Conservation de Bonobo, une petite organisation internationale de conservation, dans le cadre d’un accord de création de la Réserve de Kokolopori Bonobo à 50 miles de là.
L’Institut compte actuellement environ 50 étudiants et offre deux principales filières: L’environnement et le Développement Durable, et les Techniques Rurales. Il compte deux bâtiments en briques de boue, plusieurs instructeurs qui vivent à Djolu et d’autres qui font le trajet à motocyclette venant des universités de Kisangani pour y dispenser des cours pendant les congés universitaires. L’ISDR a une concession de 10 hectares réservée au futur campus et aux expériences agricoles, mais dispose de peu d’outils agricoles. Il n’y a aucun véhicule, service téléphonique, pas d’eau courante ni service postal. L’électricité est fournie par un petit générateur diesel. La bibliothèque est une toute petite pièce faite en briques de boue disposant de quatre ordinateurs portables offerts par des organisations américaines et d’environ 70 livres et documents, principalement des copies de monographies des universités de Kisangani. Il a aussi une connexion Internet à utilisateur unique, disponible uniquement lorsqu’il y a des subventions pour payer les frais d’accès à Internet exorbitants et de l’essence pour alimenter le générateur. Le budget de l’Institut Technique de Djolu est réduit : 22,000$/an, y compris les coûts d’investissement, dont 20% sont dépensés pour le transport des instructeurs des universités de Kisangani qui vivent à 300 miles de là. L’institut ne dispose pas de fonds et, jusqu’à présent, dépend essentiellement des petites subventions de donateurs américains pour survivre, une existence au jour le jour qui n’est pas un modèle viable pour un institut d’enseignement supérieur. Malgré ces difficultés, l’ISDR-Djolu a produit 25 diplômés entre 2007 et 2011. Chacun d’eux a rédigé une thèse sur un aspect du développement rural et presque tous ont trouvé un emploi dans la région dans l’administration régionale, dans les écoles locales, ou à Vie Sauvage ou d’autres ONG. |
Et pourtant la région du MLW compte uniquement un petit institut de sciences rurales mal subventionné : l’Institut Supérieur de Développement Rurale-Djolu (ISDR-Djolu ou Institut Technique de Djolu). L’Institut est la seule école du genre dans le district de Tshuapa, une juridiction qui est plus grande que l’état américain de Virginie et qui compte 1,5 million d’habitants.
Les fondateurs et le corps professoral de l’Institut Technique de Djolu sont bien conscients que l’expertise locale en matière de sciences rurales est cruciale pour la conservation de la faune et de la forêt dans la région, mais jusqu’à présent les moyens de l’école ont été extrêmement limités. Par exemple, une vulgarisation agricole efficace doit constituer une part fondamentale de toute stratégie de conservation dans le paysage du MLW. La sous-alimentation est intense dans la région, et comme l’a déclaré Rachel Kyte,vice-présidente de la Banque mondiale pour le développement durable, à Durban en Afrique du Sud lors de la conférence sur le climat tenu au mois de décembre, « les Forêts ne peuvent pas être sauvegardées si les gens ont faim.”
Par ailleurs, les consultants et les organisations étrangères ne sauraient remplacer les experts locaux. Lokasola compare le processus de développement durable des zones rurales du Congo à une guerre qui doit être gagnée, et “comme toute guerre, l’on ne peut pas gagner en utilisant uniquement des mercenaires. Même si les mercenaires sont plus qualifiés et sont bien payés, ils leur manquent une compréhension intuitive de l’environnement local et de l’engagement qui transforment des individus en héros locaux.” Seuls des experts compétents et dévoués qui comprennent les problèmes et les inquiétudes locaux et qui sont présents tout au long de l’année sont susceptibles de changer des attitudes et pratiques ancrées et d’établir la confiance avec les communautés locales en leur montrant qu’ils sont là pour aider et non pour exploiter les gens. Albert Lokasola est un exemple de la différence qu’un individu engagé peut faire.
Il existe des modèles réussis d’enseignement supérieur rural dans les régions sous-développées. Le système américain de land grant colleges par exemple a été établi en 1862 pour instaurer l’enseignement supérieur dans les zones rurales des Etats-Unis. L’objectif était d’inculquer des compétences professionnelles pratiques en ” agriculture et en mécanique” à toutes les classes sociales à travers le pays. Crées au départ au milieu de la Guerre de Sécession, ces land grant colleges sont devenus des établissements publics au succès extraordinaire qui ont contribué à la construction de l’avenir des Etats-Unis.
Bien que l’expertise locale dans les sciences rurales soit essentielle pour une conservation réussie en RDC, la coopération et les subventions internationales de l’enseignement supérieur rural sont tout aussi cruciales. En effet, le budget national du Congo est réduit : 7 milliards de dollars en 2012, deux fois moins que le budget annuel de l’Université de Harvard. Compte tenu du long passé de la RDC en matière d’exploitation et de contribution de ses vastes forêts au climat et la biodiversité du monde, les contributions internationales au financement de l’enseignement supérieur au Congo ne sont pas, pour paraphraser Nelson Mandela, ” une question de charité, mais de justice.”
L’enseignement supérieur rural financé par des donateurs internationaux doit faire partie de la prochaine stratégie d’enseignement supérieur du Congo. Autrement, il est difficile d’imaginer comment la RDC pourra sauvegarder ses forêts pour les générations futures.
Pour plus d’informations sur l’Institut Technique de Djolu, voir http://vimeo.com/35818865.
Le Professeur Kadange s’adressant aux étudiants de Djolu. Photo autorisée d’Ingrid Schulze.
Projet d’agroforesterie. Photo autorisée d’Ingrid Schulze.
Des étudiants de Djolu attendant le début de leur cours d’agriculture durable. Photo autorisée d’Ingrid Schulze.
Un village dans la Réserve de Kokolopori Bonobo. L’abri à droite abrite un tambour parleur, encore utilisé pour les communications à longue distance. Photo autorisée d’Ingrid Schulze.