Des plantations de palmiers à huile dans les tourbières du Kalimantan Central (Indonésie). Photo de Rhett A. Butler 2009
Après un moratoire de 18 mois mis en place suite à des plaintes liées au conflit social entre les communautés locales et les entreprises productrices d’huile de palme, la Banque Mondiale a annoncé l’adoption d’un cadre visant à relancer les prêts accordés au secteur de l’huile de palme. Ce cadre a été développé suite à des mois de consultations des acteurs concernés, c’est-à-dire les acteurs du secteur privé, les ONG, les agriculteurs, les communautés indigènes, les experts du développement et les gouvernements.
“Tout au long des consultations” a commenté Rachel Kyte, vice-présidente des services de conseil en affaires de l’IFC (International Finance Corporation -Société Financière Internationale), « de nombreuses voix dans les secteurs privés, publics et civils ont reconnu le potentiel de la production d’huile de palme dans la réduction de la pauvreté si de bonnes pratiques environnementales et sociales sont respectées. Les acteurs comptent sur la Banque Mondiale pour soutenir un nouveau modèle de financement du secteur qui bénéficie aux pauvres et protège l’environnement. C’est ce que nous nous sommes engagés à faire. »
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Avec la nouvelle politique—qui s’applique à la fois à la Banque Mondiale et à la Société Financière Internationale (IFC)—nous allons donner la priorité aux investissements qui « soutiennent les petits exploitants et propriétaires et promouvoir le partage des bénéfices avec les communautés rurales. »
« Cela se produira sous la forme d’aides visant à renforcer les associations de petits exploitants, en favorisant leur accès au financement et au marché, et en améliorant leurs pratiques en matière d’agronomie et leur productivité, ainsi qu’en encourageant des accords contractuels équitables avec de plus grandes entreprises », selon une déclaration de la Banque Mondiale.
Ce cadre donne aussi la priorité aux initiatives qui déplacent l’expansion des plantations de palmiers à huile des zones forestières et tourbières vers les terres aux sols dégradés. Il vise également à soutenir les efforts d’amélioration de productivité au sein des plantations existantes.
“Même si la Banque Mondiale est un petit acteur dans le secteur de l’huile de palme” a indiqué Inger Andersen, le vice-president pour le développement durable de la Banque Mondiale, « nous pouvons contribuer à renforcer la durabilité du secteur. Le fait que nous nous concentrions à soutenir les petits exploitants et à améliorer leur productivité – particulièrement celle des plantations dégradées – peut aider les communautés rurales à profiter des ressources de l’environnement tout en le préservant. »
Selon la Banque Mondiale, le secteur de l’huile de palme emploie plus de six millions de travailleurs ruraux pauvres dans le monde. Plus des deux tiers de l’huile de palme est utilisée pour la nourriture.
Le moratoire sur les prêts accordés au secteur de l’huile de palme est issu d’une plainte déposée à l’encontre du Groupe Wilmar par le Forest Peoples Programme et d’autres groupes au nom des communautés locales qui indiquaient être victimes du géant de l’huile de palme. Un audit interne a révélé que le financement de l’IFC accordé au groupe Wilmar avait violé les propres procédures de l’IFC, en favorisant des intérêts commerciaux aux dépens de critères environnementaux et sociaux.
Puisque les critères de l’IFC sont influents — les banques du secteur privé les adoptent pour déterminer leurs propres critères de prêts — le moratoire a été fortement contesté. Des groupes anti-régulation au sein du secteur de l’huile de palme ont fait fortement pression sur la Banque Mondiale afin d’exclure les garanties sociales et environnementales de ce nouveau cadre. En même temps, les groupes de défense des droits et les militants écologistes demandaient des protections renforcées.
Mais tout le monde n’est pas satisfait par ce nouveau cadre. Marcus Colchester, directeur de Forest Peoples Programme, qui a déposé la plainte initiale au Groupe de La Banque Mondiale ayant déclenché la suspension des prêts, affirme que la nouvelle politique ne va pas assez loin dans la protection des droits et des ressources des habitants de la forêt.
« Même s’il est clair que la nouvelle politique a pris en compte certains des commentaires présentés par les ONG et les agences gouvernementales pendants les consultations, certaines dispositions restent faibles » a-t’il indiqué à mongabay.com par e-mail. « La politique telle qu’elle a été adoptée découragerait mais permettrait néanmoins l’acquisition des terres appartenant aux peuples indigènes et aux communautés locales sans leur consentement libre, préalable et éclairé. »
« La politique manque également de clarté quant à la façon dont sa mise en place sera contrôlée et évaluée. L’IFC et la Banque Mondiale n’accordent pas non plus de réparations pour les dommages causés par les investissements antérieurs, ce que les peuples indigènes et les communautés locales en Indonésie ont pourtant demandé avec insistance. Ils exigent encore que le Groupe de la Banque Mondiale empêche d’autres investissements dans l’huile de palme jusqu’à ce que les réformes juridiques nationales garantissent les droits fonciers des populations rurales et jusqu’à ce que les abus du passé soient réparés. »
« La politique contient des dispositions plus faibles sur la destruction des tourbières et des forêts que les meilleures pratiques de l’industrie » a-t-il conclu.
Le nouveau cadre de la Banque Mondiale/IFC est disponible à l’adresse suivante : www.ifc.org/palmoilstrategy.
Réponse de la filière agroalimentaire mondiale de l’IFC
En travail de fond, nous avons mené les consultations de façon extensive (neuf sessions en face à face dans le monde entier ainsi que les consultations par voie électronique) au cours de l’année passée avec un groupe très diversifié d’acteurs, et nous avons pris en compte leurs différents points de vue. La grande majorité des acteurs veut que la Banque Mondiale soit impliquée puisque – comme le montrent les comptes-rendus écrits de la consultation – ces acteurs croient que nous pouvons contribuer de façon positive à répondre aux défis sociaux et environnementaux de par notre engagement. Notre nouvelle approche a été ouvertement soutenue par de nombreux acteurs, y compris quelques unes des ONG de conservation les plus respectées, des entreprises progressistes productrices d’huile de palme, des ONG sociales et des gouvernements qui ont besoin de notre soutien pour développer l’huile de palme durable. Il est possible de mettre en place l’huile de palme durable et qu’elle bénéficie aux populations pauvres et à l’environnement. Notre stratégie n’est pas uniquement centrée sur l’Indonésie. Il vise à appliquer à toutes les régions productrices d’huile de palme. Pour répondre aux questions soulevées par Marcus. A propos du consentement libre, préalable et éclairé. La stratégie adoptée montre clairement que l’IFC exigera que les clients respectent la certification de la RSPO ou une certification équivalente, et la certification RSPO contient le consentement libre, préalable et éclairé au sein des ses exigences. Au niveau institutionnel, l’IFC a recommandé que l’adoption du consentement libre, préalable et éclairé soit incluse dans le processus de révision des Critères de Performance qui devrait s’achever d’ici 1 à 2 mois. S’il est adopté, le consentement libre, préalable et éclairé sera appliqué à tous les projets de l’IFC dans tous les secteurs, y compris celui de l’huile de palme. La décision finale sur ce point est sujette à l’approbation du Bureau. A propos du contrôle. Cette stratégie inclut un cadre de contrôle et d’évaluation qui fournit une liste détaillée des paramètres qui seront mesurés pour évaluer ses résultats et impacts (par exemple le nombre de petits exploitants qui adoptent des pratiques de production durable, l’accroissement du rendement par hectare, le nombre de clients certifiés, les mesures de performances socio-économiques pertinentes qui justifient la certification, etc.). En outre, le cadre indique les apports et activités, les résultats et revenus attendus, et la façon dont l’information sera révélée. Les grandes lignes et les objectifs seront établis en relation avec les interventions individuelles. A propos des tourbières et des forêts. Cette stratégie indique qu’en évaluant chaque projet potentiel, l’IFC prendra en compte les services rendus par l’écosystème, la fonctionnalité de l’habitat naturel, le stock de carbone et la valeur en matière de biodiversité associée au terrain en question. L’IFC peut décider de ne pas poursuivre un projet en raison de son impact potentiellement négatif sur un habitat naturel fragile. Par exemple, l’IFC ne soutiendrait aucun projet lié à l’huile de palme qui transformerait des tourbières contenant des stocks élevés de carbone en raison des services qu’elle rendent à l’écosystème, ou des stocks élevés de carbone et/ou éléments de grande valeur pour la biodiversité. Des considérations similaires seraient appliquées à la forêt tropicale primaire fortement concentrée en carbone. Nous pensons que notre nouvelle approche de détermination et d’évaluation des risques à la fois au niveau du pays et du projet, que nos critères de performance, et que l’exigence que nos clients respectent les conditions établies à la RSPO ou celles d’une certification équivalente, apporteront les protections adéquates correspondant aux préoccupations environnementales et sociales majeures soulevées lors du processus de consultation. Lorsque le respect de ces exigences n’est pas réalisable, (par exemple en raison des limitations liées à la régulation ou à la politique), l’IFC n’investira pas. A propos de la résolution du conflit. Ce document souligne les politiques actuelles du Groupe de la Banque Mondiale applicables aux projets financés du Groupe de la Banque Mondiale qui fournissent des mécanismes pour travailler avec les parties affectées et les acteurs pertinents afin de régler les conflits ou d’aider à remédier aux faiblesses existant à différents niveaux du projet telles que :
De plus, il existe de nombreux mécanismes de recours au sein de l’institution: le bureau du conseil en matière de conformité/ de l’Ombudsman (CAO) pour l’IFC et le Panel d’Inspection pour la Banque Mondiale. La plainte déposée par le Forest Peoples Programme au bureau du CAO, le processus de médiation qui s’en est suivi afin de résoudre les conflits entre Wilmar et les communautés locales, ainsi que le processus consultatif et la nouvelle stratégie sont des exemples clairs qui montrent que ces mécanismes de recours fonctionnent et témoignent de l’engagement de l’institution à apprendre et à s’améliorer. |