- Vingt-deux sacs remplis de viandes boucanées des 1 102 tortues radiées endémiques du Sud de Madagascar, ont été découverts dans un village de cette parie de l’île, le 5 août dernier.
- Les victimes du massacre sont parmi les espèces gravement menacées dans le monde.
- Le braconnage et le trafic continuent de faire parler d’eux, malgré les luttes acharnées pour la conservation des tortues radiées
- Des sanctions pénales sévères sont souhaitées pour tenter d’enrayer ces fléaux, alors que le changement climatique et des vicissitudes dans les relations internationales constituent aussi une menace sérieuse sur ces animaux.
ANTANANARIVO, Madagascar — Le 5 août dernier, vingt-deux sacs contenant des viandes boucanées provenant de 1 102 tortues radiées (Astrochelys radiata) ont été découverts à Ambonaivo, dans commune rurale de Behazomanga, district de Tsihombe, région Androy, dans l’extrême-sud de Madagascar. Une dizaine d’adultes du reptile aussi ont pu être arrachés des mains des braconniers, dont un seul, un mineur, a été arrêté.
Sur Facebook, le ministère de l’Environnement et du développement durable agite la « tolérance zéro » à l’endroit des auteurs du massacre qui a suscité des émois à l’annonce de la nouvelle. Joint au téléphone, Magnampisoa, directeur régional de Turtle Survival Alliance (TSA) à Androy, dit qu’il ne s’agit pas d’une simple affaire régionale, mais plutôt d’une préoccupation nationale voire internationale.
Les principaux suspects viennent du village d’Agnavoha, dans la commune rurale de Fotadrevo, district d’Ampanihy, région Atsimo Andrefana. « Ils ont marché durant cinq jours, en traversant les territoires de trois différents districts, pour ramasser des tortues dans notre circonscription », a dit à Mongabay, au téléphone, Justin Gérard Rafalimanana, chef de cantonnement de l’environnement et des forêts de Tsihombe.
Mardi 5 août, la présence de cinq inconnus en train de collecter en toute tranquillité des tortues sauvages dans une forêt d’Ambonaivo a déclenché l’alerte au niveau local. Après vérification, les faits sont avérés. Mais les délinquants ont pu disparaître dans la nature en cours de route vers le poste de gendarmerie pour y subir un interrogatoire.
Le lendemain, Rafalimanana et un cadre local de TSA, appelé Manankasina, se sont rendus dans le secteur d’Ambonaivo, où ils sont tombés sur un campement des braconniers à 17 kilomètres du lieu de l’infraction signalée la veille. A la vue des deux hommes, les braconniers se sont enfuis.

Leur poursuite s’est soldée par l’arrestation du plus jeune du groupe, un orphelin de mère de 15 ans. En même temps, vingt-deux sacs de viandes de tortues ont été trouvés sur le site. « Le jeune garçon a révélé le nombre de tortues desquelles les viandes boucanées ont été obtenues », a dit Magnampisoa. L’aveu de l’adolescent appréhendé a permis de faire avancer l’investigation.
Les braconniers venant de Fotadrevo séjournent plutôt dans une forêt privée d’Alaleo dans le secteur de Tsiridiba, dans la commune rurale d’Ikopoky, district de Beloha, voisin d’Ampanihy et de Tsihombe. « Les braconniers y campent et abattent les tortues pour les cuire sur place », a affirmé Magnampisoa. Ils ont brûlé toutes les carapaces sur place. Les tortues qui ont été réintroduites dans la nature sont sûrement parmi les victimes.
L’adolescent a cité les noms des braconniers en cavale, dont celui d’un récidiviste. « Celui-là a été, en septembre dernier, pris en flagrant délit avec quatre charrettes de viandes de tortues cuites à Marolinta [localité limitrophe à l’ouest du district de Beloha, Ndlr]. Une telle quantité venait de plus d’un millier de tortues également », a souligné Magnampisoa. Une peine légère a été donc infligée au braconnier invétéré en dépit de la gravité de son acte.
Le propriétaire du domaine forestier d’Alaleo aussi a violé la convention coutumière connue sous le nom de dina. « Il s’est rendu complice lui-même, car il était au courant de la présence de braconniers dans sa forêt sans jamais les dénoncer », a souligné Magnampisoa. Les us et coutumes locaux veulent que l’incriminé immole un zébu en guise d’excuse publique et paye une amende fixée selon le droit coutumier.

Les forces de sécurité régionales ont été mobilisées autour de l’affaire depuis son éclatement. Les réunions et les descentes sur le terrain, ponctuées d’auditions se sont multipliées, notamment depuis le 12 août dernier. Des arrestations sont prévues au cours des prochains jours ou semaines.
Faralahy Célestin Razafindramasy, député de Madagascar élu à Benenitra, un autre district voisin d’Ampanihy dans la région d’Atsimo Andrefana, et président de la Commission environnement et développement durable à l’Assemblée nationale, insiste sur l’application stricte de la tolérance zéro. « Il faut des sanctions exemplaires. Le sursis ne doit être en aucune façon accordé à ce genre d’infraction », a-t-il dit au téléphone.
Le politicien et magistrat de carrière a quand même rappelé la nécessité de renforcer davantage l’éducation environnementale et les campagnes de sensibilisation sur l’importance de la conservation des espèces gravement menacées comme les tortues radiées.
Zones d’incertitude suite à la fermeture de USAID
Ce reptile vit uniquement dans les régions du Sud malgache, où il est un tabou ancestral pour le groupe ethnique vivant sur son aire de distribution. « Ces animaux sont comme nos enfants. Nous les protégeons », a affirmé Magnampisoa. Des éléments d’autres groupes ethniques dont les traditions ignorent une telle prohibition en profitent pour faire incursion sur le territoire des tortues au profit du braconnage et de la contrebande.
Deux types de délinquants existent, selon les précisions de Magnampisoa : les braconniers et les trafiquants. Les premiers sont intéressés par les tortues adultes pour la consommation et la vente locales. « Certains font de la chasse aux tortues leur travail. Sur les marchés à Ampanihy, un morceau de viande cuite est proposée à 4 000 ariary (moins d’un dollar) contre 20 000 ariary (moins de 5 USD) pour un spécimen vivant », a dit Rafalimanana.
Les second, quant à eux, prennent clandestinement les sub-adultes et les juvéniles dans leur habitat naturel, pour alimenter des réseaux bien établis jusqu’à l’étranger. « Les tortues sont parmi les espèces qui fournissent de l’argent facile pour certains résidents locaux qui sont ainsi tentés de les prendre dans leur milieu, mortes ou vivantes, au profit du trafic international. C’est toute une chaîne et il convient de traquer les commanditaires jusqu’au bout de la chaîne », a dit Razafindramasy. Une tortue radiée se négocierait autour de 2 500 euros (ou 2 600 USD) sur le marché d’Asie du Sud-Est.

Magnampisoa dit avoir eu l’occasion d’expliquer au président du Tribunal de première instance d’Ambovombe (la capitale régionale d’Androy, Ndlr) la différence entre le braconnage et le trafic, ainsi que les enjeux qui se cachent derrière ces crimes, afin d’aider la justice à prononcer des peines adéquates. « Des fois, la TSA et ses collaborateurs, comme les volontaires villageois et les forces de l’ordre se sentent fatigués, voire non en sécurité face à la conséquence des peines légères infligées aux délinquants. Ceux-ci récidivent dès l’expiration de leur peine et se retournent contre nous », a-t-il souligné.
Pour la survie des tortues endémiques du Sud de l’île, la TSA gère depuis 2017, le Lavavolo Tortoise Center à proximité du village d’Itampolo, sur le littoral sud-ouest, dans le district d’Ampanihy. Il est secondé par un centre de conservation à Tsihombe. Le changement climatique a sérieusement perturbé le fonctionnement de ces structures cette année en accentuant les menaces pesant sur ces animaux terrestres.
Le vide laissé par la cessation des activités de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), fermée par le président Donald Trump, crée aussi des zones d’incertitude. Le projet de lutte contre la corruption et le trafic d’espèces sauvages (CCWT), lancé en 2022, et financé à hauteur de 10 millions USD par l’USAID, a permis de démasquer et de démanteler des réseaux de trafiquants. Somme toute, la population des tortues radiées de Madagascar est en déclin constant à un rythme alarmant.
Image de bannière : Le mineur arrêté parmi le bande des groupe des braconniers en cavale au milieu des tortues sauvagement rôties. Image de Magnampisoa fournie par Rivonala Razafison.
Citation : Rapport de diagnostic des risques de corruption et des perceptions des populations locales affectant la conservation des tortues radiées — Régions Androy et Atsimo Andrefana — Projet Lutte contre la corruption et le trafic d’espèces sauvages. Rapport de la Conservation des tortues radiées 2023 (disponible sur www.transparency.mg).
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