- L’Afrique a décidé d’inscrire l’écocide parmi ses priorités stratégiques pour la biennale 2025-2027, lors de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement, tenue du 14 au 18 juillet 2025, à Nairobi au Kenya.
- L’écocide désigne l’ensemble des crimes environnementaux commis par l’homme avec des conséquences qui affectent son existence propre et la biodiversité en général.
- Patricia Willocq, coordinatrice francophone de « Stop Ecocide International », une ONG pionnière soutenant cette initiative juridique à travers le monde, pense que les États africains ont franchi une étape juridique importante en reconnaissant le crime de l’écocide, même s’il reste beaucoup à faire.
Dans un contexte mondial, marqué par l’accélération de la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité, l’Afrique vient d’opérer un virage historique. Pour la première fois, les ministres africains de l’Environnement, réunis lors de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (AMCEN, sigle en anglais), tenue du 14 au 18 juillet 2025, à Nairobi, au Kenya, ont décidé d’inscrire l’écocide parmi les priorités stratégiques du continent pour la période 2025‑2027.
Cette avancée inédite s’inscrit dans une dynamique mondiale pour faire reconnaître la destruction grave et étendue des écosystèmes comme un crime international, au même titre que les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité.
Patricia Willocq, coordinatrice francophone de « Stop Ecocide International », une ONG pionnière soutenant cette initiative juridique à travers le monde, revient, dans une interview accordée à Mongabay, sur la signification de cette décision, son ancrage juridique et ses implications pour la biodiversité, les communautés locales et les futures générations africaines.
Mongabay : Qu’est-ce que l’écocide ?
Patricia Willocq : L’écocide désigne les atteintes les plus graves à l’environnement, celles qui causent des dommages étendus ou durables aux écosystèmes dont dépendent toutes les formes de vie. Il peut s’agir, par exemple, de la destruction de forêts primaires, de pollutions massives des eaux, ou encore de la dévastation d’habitats naturels irréversibles.
La définition aujourd’hui la plus largement soutenue, proposée en 2021, par un panel d’experts indépendants, parle d’« actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables ».
Cette approche se distingue par son orientation sur les conséquences, plutôt que sur une liste d’actes précis. Cela empêche les contournements juridiques fréquents dans les régulations environnementales, et reconnecte la décision humaine aux résultats concrets sur le terrain.
La reconnaissance de l’écocide comme crime reflète une compréhension juridique croissante selon laquelle la destruction de l’environnement à grande échelle n’est pas seulement une urgence écologique, mais aussi une violation profonde des droits humains. Lorsque les écosystèmes s’effondrent, ce sont les conditions mêmes nécessaires à la vie, à la santé, au logement et à la sécurité alimentaire qui disparaissent. Le droit traditionnel des droits humains peine souvent à appréhender l’ampleur diffuse, durable et systémique de ces préjudices. Le droit de l’écocide comble cette lacune en plaçant la responsabilité sur les décideurs, dont les actions endommagent gravement la nature à grande échelle et, ce faisant, renforce le principe selon lequel le droit à un environnement sain est fondamental pour la dignité et la survie de toutes et tous.
Mongabay : Que traduit la décision des États africains d’inscrire l’écocide parmi les priorités du continent pour la biennale 2025‑2027 ?
Patricia Willocq : Cette décision traduit un tournant historique : pour la première fois, la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement, a élevé l’écocide au rang de priorité stratégique continentale, en mandatant un comité chargé d’explorer sa criminalisation d’ici à 2027. Cela marque l’entrée officielle du concept dans l’agenda politique africain au plus haut niveau.
Cette avancée s’inscrit dans une trajectoire juridique mondiale en plein essor. Il y a quelques jours, deux des plus hautes juridictions internationales — la Cour internationale de Justice (CIJ) et la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) — ont rendu des avis consultatifs historiques. Elles affirment que les États ont une obligation contraignante de prévenir la destruction environnementale à grande échelle et de garantir la justice pour les personnes affectées ; la CIDH a qualifié cette obligation de norme jus cogens, c’est‑à‑dire une norme impérative du droit international de laquelle aucun État ne peut se soustraire ; la CIJ, pour sa part, souligne le devoir urgent des États de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de protéger les écosystèmes vitaux.

Ces décisions renforcent les bases d’une responsabilité environnementale globale, à laquelle la décision africaine vient s’aligner puissamment. Elles font écho à d’autres dynamiques régionales et internationales. En effet, l’Union européenne a adopté en 2024, une directive sur la criminalité environnementale qui impose aux États membres d’intégrer des infractions « comparables à l’écocide » dans leur droit national d’ici à 2026 ; plusieurs pays d’Amérique latine (Argentine, Brésil, Pérou, République dominicaine) avancent des propositions ambitieuses de lois sur l’écocide ; dans le Pacifique, la République de Vanuatu, la République des Fidji et l’État indépendant de Samoa ont officiellement proposé un amendement au Statut de Rome, visant à inclure l’écocide comme nouveau crime international fondamental.
En inscrivant l’écocide dans ses priorités, l’Afrique se positionne, non seulement comme un acteur clé du débat mondial, mais elle envoie aussi un message fort : la protection des écosystèmes et des communautés n’est plus une option morale, c’est un impératif juridique et une condition pour un avenir vivable.
Mongabay : Quelles sont les étapes du processus ayant abouti à cette décision ?
Patricia Willocq : Le processus africain s’inscrit dans une dynamique plus large : en 2019, le Vanuatu et les Maldives ont relancé la question de l’écocide dans des déclarations devant l’Assemblée des États parties de la Cour pénale internationale ; 2021 : publication de la définition par le Panel d’experts indépendants réuni par la Stop Ecocide Foundation International, qui est devenue une référence mondiale ; 2022- 2024 : Multiplication des ateliers, plaidoyers et rencontres régionales, notamment en Afrique centrale et Australe, pour sensibiliser les gouvernements et les parlementaires ; 2025 : Sous l’impulsion de la République démocratique du Congo (RDC), l’AMCEN adopte à Nairobi, une résolution historique inscrivant l’écocide parmi les priorités continentales pour la période 2025‑2027.
Le leadership de la RDC s’est construit, étape par étape. En Octobre 2024, lors de la COP16 sur la biodiversité tenue en Colombie, la ministre Eve Bazaiba, exprime publiquement le soutien de la RDC à l’amendement du Statut de Rome ; en décembre 2024, l’Ambassadeur Christian Ndongala et le Professeur Taylor Lubanga portent ce message lors d’un événement officiel parallèle à l’Assemblée des États Parties de la CPI ; en mars 2025, la RDC co‑organise avec le Vanuatu, une réception diplomatique à Bruxelles pour les États membres de l’OEACP (signification en français : Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), mobilisant un soutien élargi. La République du Congo et le Burundi ont également apporté leur soutien politique à cette cause, renforçant la dynamique continentale ; en juin 2025, une table ronde sur la protection des océans, co‑organisée en marge de la Conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, du 9 au 13 juin 2025, renforce les alliances avec d’autres États côtiers et insulaires.
Ces jalons diplomatiques ont préparé le terrain pour la décision de Nairobi, qui marque la première reconnaissance formelle de l’écocide comme priorité stratégique continentale dans un forum onusien africain. Cette avancée ouvre désormais la voie à un débat coordonné pour explorer les options législatives nationales et régionales, en s’appuyant sur les cadres africains existant comme la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention de Bamako, l’Agenda 2063 de l’Union africaine, ou encore le Protocole de la SADC (Communauté de Développement d’Afrique Australe) relatif à la gestion environnementale durable.
Mongabay : Pourquoi la RDC est‑elle en première ligne de ce plaidoyer ?
Patricia Willocq : La RDC s’impose naturellement comme un leader dans ce plaidoyer, en raison de l’importance mondiale de ses écosystèmes et de ses ressources naturelles. Comme l’a rappelé Ève Bazaiba Masudi, Vice‑Première Ministre, ministre de l’Environnement et du Développement durable, dans son discours à l’AMCEN, la RDC abrite 62 % du couvert forestier du bassin du Congo — devenu le premier poumon de la planète — ainsi que 52 % des réserves d’eau douce d’Afrique, d’immenses tourbières, des mangroves et une biodiversité classée parmi les plus riches du monde. Ces écosystèmes rendent des services écosystémiques vitaux à l’Afrique et à l’humanité entière, en régulant le climat et en assurant les pluies dans toute la région Est-Africaine.
Ève Bazaiba Masudi a également fait le lien entre paix, environnement et développement durable, rappelant que la protection des ressources naturelles ne peut réussir sans une paix durable dans la région des Grands Lacs.
Mais ce rôle de « pays-solution » s’accompagne de défis majeurs : la RDC subit depuis des décennies les effets cumulatifs des conflits armés, de la mauvaise exploitation des ressources minières et de la destruction d’écosystèmes pourtant essentiels à la stabilité mondiale. Ces atteintes ne touchent pas seulement des individus, mais des communautés entières et menacent la survie même de la biodiversité mondiale.
C’est dans ce contexte que la RDC a défendu la reconnaissance de l’écocide comme crime international et a soumis, à l’AMCEN, une motion visant à inscrire ce sujet à l’agenda continental. Ce leadership traduit une vision : protéger la nature, c’est se protéger soi-même et protéger l’humanité. La RDC appelle donc à une mobilisation collective, à la synergie entre États africains et au renforcement du financement climatique pour offrir des alternatives durables aux populations qui vivent de la forêt et dans la forêt.
Mongabay : Quelles initiatives émergent en Afrique autour de l’écocide ?
Patricia Willocq : La reconnaissance de l’écocide aura avant tout un effet dissuasif : les hauts responsables décisionnels devront anticiper les conséquences graves de leurs actes avant d’autoriser des projets potentiellement destructeurs. À terme, cela favorisera une meilleure protection des forêts, rivières, zones humides et habitats critiques, renforçant ainsi la résilience des écosystèmes face au changement climatique et aux crises de la biodiversité.
Comme l’a souligné Arlette Soudant‑Nonault, ministre de l’Environnement, du Développement durable de la République du Congo, dans son discours à l’AMCEN, cette reconnaissance prend une dimension particulière pour l’Afrique. Le continent, riche en minéraux critiques, indispensables à la transition énergétique mondiale (cobalt, lithium, nickel, terres rares), subit paradoxalement les effets destructeurs de leur exploitation illégale ou mal régulée : déforestation accélérée, contamination des eaux et des sols, tensions sociales et marginalisation des communautés locales.
En criminalisant l’écocide, les États africains pourraient : dissuader les pratiques minières abusives et encourager des méthodes d’exploitation respectueuses de l’environnement ; renforcer la gouvernance et la transparence dans les filières extractives, notamment par la certification environnementale et le suivi numérique ; protéger les droits des communautés et des femmes particulièrement vulnérables vivant à proximité des zones minières, et restaurer les sites dégradés ; promouvoir une souveraineté écologique en transformant localement les minerais pour créer des chaînes de valeur africaines et éviter l’exportation brute des ressources.
Cette approche, qui lie protection de la biodiversité, justice sociale et souveraineté économique, positionne l’Afrique comme un acteur stratégique de la transition énergétique mondiale, capable de peser dans les négociations internationales tout en défendant ses écosystèmes et ses populations.

Mongabay : Quels bénéfices pour les communautés locales et les peuples autochtones ?
Patricia Willocq : Les communautés locales et les peuples autochtones, gardiens traditionnels de la biodiversité, entretiennent un lien profond et durable avec la terre. Souvent premières victimes des destructions — pollution, déforestation, expulsions — leur reconnaissance juridique est essentielle.
La reconnaissance de l’écocide comme crime est avant tout une mesure pratique et logique visant à protéger les écosystèmes vitaux des atteintes les plus graves. Il s’agit d’une étape juridique fondamentale qui a fait défaut jusqu’à présent, même si elle reste insuffisante seule. En effet, le fait que la majeure partie du monde n’ait pas qualifié ces atteintes comme criminelles, révèle une grande lacune juridique, mais surtout un profond problème culturel : une mentalité de séparation où l’homme, particulièrement dans les sociétés occidentales, se croit supérieur à la nature, considérée comme une « autre », une ressource à disposition. Ce paradigme, à la source du système économique mondial, a permis pendant des siècles, une exploitation non régulée, où les dommages environnementaux étaient acceptés comme des externalités inévitables du progrès.
Dans ce contexte, ce vide juridique n’est pas surprenant, mais il offre aussi une opportunité majeure : la loi sur l’écocide agit comme un levier puissant capable de redéfinir ce qu’une société considère comme acceptable. Elle répond à un besoin profond de responsabilité qui commence seulement à être compris. La loi sur l’écocide ne naît pas d’une urgence soudaine, mais de la prise de conscience d’une équation causale fondamentale que cette loi explicite clairement : lorsque nous portons atteinte gravement au monde vivant, les conséquences sont lourdes et directes. Cette réalité n’est pas une opinion mais un fait scientifique et expérientiel, compris depuis toujours par les cultures autochtones, ce qui explique le fort soutien qu’elles portent à cette législation.
Par ailleurs, la reconnaissance juridique de l’écocide incarne un changement de paradigme culturel majeur, valorisant les savoirs traditionnels des peuples autochtones et leur relation holistique à la nature, longtemps marginalisés par les cadres juridiques dominants. Plus qu’une mesure répressive, cette reconnaissance a un rôle symbolique puissant, marquant un tournant historique comparable aux grandes avancées sociales comme l’abolition de l’esclavage, le suffrage universel ou la fin de l’apartheid. Elle affirme clairement que les droits, savoirs, territoires et pratiques des peuples autochtones doivent être respectés, protégés et intégrés dans les décisions qui impactent leurs vies.
Comme le souligne Prosper Dodiko, ministre de l’Environnement, de l’agriculture et de l’élevage du Burundi et Président du Conseil des ministres de la COMIFAC (Commission des Forêts d’Afrique centrale) : « La valorisation des ressources minières doit s’accompagner d’un engagement ferme pour la protection des droits des communautés locales et autochtones, garantes de la biodiversité ».
Cette reconnaissance juridique est une étape clé vers une justice environnementale, sociale et culturelle, qui empêche que ces communautés soient victimes invisibles d’un système destructeur.
Mongabay : Des militants écologistes dans le bassin du Congo sont pourchassés et leurs vies sont menacées en raison de leur engagement pour la lutte contre les crimes environnementaux. Comment votre organisation collabore-t-elle avec ces défenseurs qui sont des véhicules importants de vos messages sur le continent ?
Patricia Willocq : Dans des régions comme le bassin du Congo, les défenseurs de l’environnement font face à l’intimidation, aux arrestations, à la violence et même à des assassinats. Ces militants de première ligne, qui protègent la nature et les communautés, sont souvent criminalisés.
Diverses organisations de la société civile travaillent à amplifier la voix des défenseurs dans les forums diplomatiques régionaux et mondiaux, renforçant ainsi leur visibilité et leur protection grâce à des efforts de plaidoyer coordonnés. Les réseaux internationaux se concentrent de plus en plus sur la création d’espaces sûrs, pour que ces militants puissent dialoguer avec les décideurs politiques.
Toute reconnaissance de l’écocide devrait inclure explicitement des dispositions relatives à la protection des défenseurs, en veillant à ce qu’ils soient reconnus comme des acteurs essentiels et protégés contre la répression et la criminalisation. Cette approche reconnaît que la protection de l’environnement ne peut réussir sans protéger celles et ceux qui risquent leur vie pour défendre les écosystèmes et les communautés.
Mongabay : Quel est votre mot de fin ?
Patricia Willocq : L’Afrique et les États insulaires comme la République de Vanuatu convergent dans un même objectif : faire de la protection de la nature un droit fondamental et universel, afin de préserver la planète et garantir un avenir viable pour tous.
Le Vanuatu, récemment mis en lumière par sa victoire dans la demande d’avis consultatif auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ), subit de plein fouet une crise qu’il a très peu contribué à provoquer. À l’instar de l’Afrique, il porte un message clair : la justice environnementale doit être universelle, protéger tous les peuples et territoires afin de construire un avenir durable.
Avec la décision historique de l’AMCEN, l’Afrique a une occasion unique de marquer l’histoire et d’imposer une transformation juridique mondiale qui reconnaît la protection de la nature au même titre que les droits humains fondamentaux. Cette évolution témoigne d’une prise de conscience profonde : sans la sauvegarde des écosystèmes, il n’y aura ni sécurité alimentaire, ni stabilité climatique, ni avenir viable pour les communautés du continent.
Pour moi, cette avancée porte un message fort : l’Afrique n’est plus simplement la victime des crises environnementales mondiales ; elle en devient la solution. En inscrivant la criminalisation de l’écocide au cœur de son agenda, le continent montre qu’il peut inspirer le monde entier et rappeler que la justice environnementale commence ici, sur ses terres et pour ses peuples.
Image de bannière : Patricia Willocq, coordinatrice francophone de « Stop Ecocide International ». Image de Stop Ecocide International, publiée avec l’aimable autorisation de Patricia Willocq.
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