- Des signes d’amélioration de la pêche qui découlent d’une petite zone de pêche interdite aux Comores dans l’océan Indien pourraient inspirer la mise en place d’autres zones comparables dans l’archipel.
- Un groupe de pêcheurs a mis en place la première zone de pêche interdite à l’intérieur d’une aire marine protégée au large de l’île d’Anjouan en 2021. Le président du groupe a dit à Mongabay que les pêcheurs rencontrent aujourd’hui plus de poissons à proximité des côtes en dehors des limites de la zone.
- Fort de ces résultats, une ONG prévoit d’établir cinq zones de pêche interdite à Anjouan au cours des deux prochaines années, lesquelles couvriront 425 hectares de récifs coralliens.
- Les tentatives précédentes de faire respecter des fermetures temporaires de la pêche destinées à promouvoir la pêche du poulpe pour le marché de l’exportation et à réduire la pression sur les écosystèmes fragiles des récifs coralliens n’avaient pas entraînés les bénéfices attendus.
L’expression malezi mema en comorien peut se traduire par « bien élever ». Un groupe de pêcheurs du même nom sur l’île d’Anjouan aux Comores, essaie de fournir un environnement épanouissant. Dans leur cas, épanouissant pour la vie marine, en créant un petit sanctuaire en mer interdit à la pêche.
Ansoya Ahmed, le président de Malezi Mema a dit à Mongabay, lors d’un appel téléphonique, qu’il s’est inspiré des zones de pêche interdite mises en place dans les îles voisines de Mayotte, un département d’outre-mer français, également revendiqué par les Comores et Madagascar.
Les Comores, une nation archipel au large de la côte Est de l’Afrique, se trouve à l’embouchure du canal du Mozambique. Ses trois îles principales sont d’origine volcanique et bordées de récifs coralliens. Les scientifiques considèrent que les récifs de cette région constituent les habitats marins les plus riches et les plus menacés du monde.

Environ 80 % des côtes d’Anjouan sont cernées de coraux. En 2021, Malezi Mema a mis en place la zone de pêche interdite sur le platier récifal dans le coin sud-ouest de l’île, avec le soutien de près de 60 pêcheurs de trois villages voisins et de l’ONG Dahari.
La zone de pêche interdite est un fragment d’océan de seulement 10 hectares, située à l’intérieur du Parc national Shisiwani, aux abords de la péninsule Sima dans l’ouest d’Anjouan. Le parc établi en 2022, est l’une des quatre aires protégées marines aux Comores aujourd’hui. Toutes ces aires protégées marines autorisent certaines activités humaines, étant donné la dépendance de la population à la pêche. En dehors de ses peuplements urbains, près de 70 % des habitants des Comores, qui comptent une population d’environ 900 000 personnes, mangent du poisson comme source principale de protéines.
Anjouan, avec une population de 350 000 habitants, est l’une des parties les plus peuplées de l’archipel. Dahari, qui y a son siège, est impliqué dans la protection marine dans le pays depuis 10 ans, et gère des programmes qui couvrent environ 370 hectares de récifs coralliens.
Au cours de ces années d’expérience, certaines leçons ont été durement apprises. Dans un document de stratégie publié cette année, l’ONG a indiqué un changement de direction avec l’adoption de zones de pêche interdite dirigées par des pêcheurs, et l’abandon d’interventions comme les fermetures de pêche temporaires ou la création d’institutions de gouvernance de la pêche de toutes pièces.
Fanny « Effy » Vessaz, directrice de stratégie marine pour Dahari, a expliqué à Mongabay, au cours d’un entretien en ligne que par le passé, le groupe avait essayé de reproduire des modèles utilisés dans les régions voisines de Madagascar et de la Tanzanie, centrés sur la pêche du poulpe. Ces modèles impliquent de fermer une zone pour permettre aux populations de poulpes de croître en nombre et en taille des individus. Les poulpes pêchés sont exportés à des prix bien plus élevés que ceux qu’ils auraient sur les marchés locaux.
Toutefois, l’application de ces modèles s’est avérée bien plus difficile aux Comores. Tout d’abord, Madagascar et la Tanzanie ont des marchés du poulpe plus développés qui permettent aux pêcheurs de vendre leur prise à des fins d’exportation. Au contraire, aux Comores, la pêche du poulpe est principalement destinée à la consommation propre, a dit Vessaz.
« Vous n’avez pas les bénéfices économiques qui ont été obtenus à Madagascar et en Tanzanie », a-t-elle dit. « Comme il n’y avait aucun bénéfice financier, il était plus difficile de contrôler à quel moment les zones de pêche [de poulpe] étaient réouvertes ».
La pêche est un moyen de survie pour la plupart des foyers, il est donc crucial d’assurer des bénéfices financiers pour que les habitants continuent à soutenir les fermetures. Non seulement ces bénéfices ne se sont pas matérialisés, mais Dahari n’a pas non plus constaté d’améliorations suffisantes de la santé des récifs pour justifier les fermetures, indique le document de stratégie de l’ONG.
Alors que la fermeture complète d’une zone à la pêche peut sembler encore moins acceptable, la clé pour y arriver est de choisir judicieusement le site, a expliqué Ahmed.
En désignant la zone de pêche interdite, notamment en choisissant le site, Dahari et Malezi Mema ont pris en compte à la fois des facteurs écologiques et sociaux. Ils ont tenu des consultations, et Dahari a organisé des visites dans des pays voisins pour des pêcheurs comoriens, notamment à Madagascar et en Tanzanie, pour que ceux-ci puissent apprendre des expériences locales en gestion de la pêche.

Les pêcheurs comoriens ont décidé d’éviter les secteurs près des côtes et ont défini la zone de pêche interdite plus au large. Le site est dans un secteur du récif avec des coraux, du sable et des amas rocheux qui peuvent servir de refuge aux poissons sans perturber les moyens de subsistance de nombreuses personnes.
L’un des problèmes rencontrés lors des fermetures de pêche que Dahari avait essayé de mettre en place était que les fermetures concernées des récifs près de la côte. Lors de la réouverture de la pêche, des centaines de pêcheurs venaient de partout, ce qui était source de tension entre les membres qui avaient aidé à organiser la fermeture et les personnes venant de loin qui n’étaient pas impliquées dans la gestion du secteur.
Parmi les pêcheurs d’Anjouan, la majorité des hommes utilisent des bateaux motorisés ou non motorisés. Étant donné que les récifs des Comores se situent près de la côte et dans des eaux peu profondes, les femmes pratiquent la « pêche à pied » dans ces zones, s’aventurant dans l’eau à marée basse pour attraper des poissons des récifs, des crustacés et des poulpes à la main ou avec des crochets, des lances ou des bâtons.
Pourtant, il n’a pas été facile de convaincre les pêcheurs des trois villages au début, a dit Ahmed. Malezi Mema s’est appuyé sur les anciens des villages, qui pouvaient se souvenir de pêches plus abondantes, décrire le déclin des fortunes de pêche dans la communauté et convaincre les habitants qu’ils pourraient tirer un bénéfice de la protection.
En mer, des bouées délimitent la zone de pêche interdite. Le long de la côte, les ONG ont installé des panneaux représentant les limites de la réserve et énumérant les interdictions et les sanctions. Les pêcheurs de l’association effectuent des patrouilles financées par Dahari avec le soutien des forces de l’ordre locales. La gendarmerie, une branche de la police, et les responsables du Parc national Shisiwani aident également à mettre en œuvre l’interdiction de la pêche.
« Nous effectuons des patrouilles sur la côte, nous effectuons des patrouilles en mer pour essayer de surveiller le secteur, car il y a toujours des braconniers qui se faufilent pour détruire ces zones », a dit à Mongabay, Alame Mohamed, un animateur de communauté au Parc national Shisiwani. « Si nous attrapons des gens qui enfreignent les règles de la zone, ils encourent des poursuites judiciaires et des amendes ».
Mais Mohamed dit qu’il consacre une plus grande partie de son temps à sensibiliser les communautés. Nous essayons de les convaincre que les mesures que nous avons prises pour conserver ces zones l’ont été pour le bien-être des côtes, pour le bien-être de la mer, et aussi pour le bien-être de notre héritage », a-t-il dit.
« La tâche n’est pas facile, mais nous essayons, parce qu’avec les problèmes dans notre pays, comme la pauvreté, beaucoup de gens pensent que la pêche leur permettra d’avoir quelque chose à manger », a dit Mohamed. « L’objectif est aussi d’éviter de punir les communautés ».
Vessaz et Ahmed disent tous deux qu’ils reconnaissent que les communautés de pêcheurs font des sacrifices. Environ 40 % des habitants du pays souffrent de privations fondamentales, et les gens dépendent fortement de la pêche pour se nourrir. Une grande partie des plus jeunes ne consomme pas suffisamment de légumes et de fruits.
Dahari et les pêcheurs surveillent attentivement, non seulement le secteur de la zone de pêche interdite et ses environs, mais aussi les poissons qui s’y trouvent et l’accueil de la zone de pêche interdite par le public. Dahari gère un programme d’observation des prises et organise des enquêtes pour recueillir les perceptions des membres de la communauté sur l’efficacité de la mesure. Vessaz a dit qu’une évaluation complète de la zone de pêche interdite est en cours. Mais, elle a averti qu’une période de quatre ans n’est peut-être pas suffisante pour observer des améliorations.
Toutefois, Ahmed a indiqué qu’il y a des signes que leurs efforts portent leurs fruits. Selon lui, à quelques mètres seulement de la zone de pêche interdite, les pêcheurs de Malezi Mema trouvent des espèces de poissons et des tortues de mer qu’ils n’avaient pas vue depuis des années.

Par ailleurs, alors que la diminution des prises avait poussé les pêcheurs à s’éloigner au large. Ahmed a dit qu’ils rencontrent aujourd’hui des bancs de poissons plus près de la côte, et qu’ils ne sont donc plus obligés de s’aventurer dans les eaux profondes.
En passant moins de temps en mer, ils peuvent faire des économies de carburant, a-t-il dit, et s’il y a un problème avec le bateau, ils peuvent revenir et ils sont donc plus en sécurité, a-t-il ajouté.
Les améliorations ont éveillé l’attention d’autres communautés. Des habitants de deux villes côtières du sud-ouest d’Anjouan ont indiqué qu’ils souhaitaient établir leurs propres réserves, et des consultations sont en cours pour de nouvelles zones de pêche interdite à proximité.
Il est envisagé de tripler la taille de la zone de pêche interdite actuelle gérée par Malezi Mema jusqu’à 30 hectares, a dit Vessaz.
Mais Dahari voit encore plus grand. En 2025 et 2026, l’ONG a pour objectif de soutenir l’établissement d’au moins cinq zones de pêche interdite à Anjouan (y compris la zone existante), ce qui pourrait impliquer environ 20 000 habitants et couvrir 425 hectares de récifs, soit environ un dixième de la surface totale de récifs d’Anjouan. Et à compter de 2027, l’ONG vise à étendre l’approche au pays entier.
Les Comores doivent protéger 30 % de leur océan d’ici à 2030, ce qui mettrait 5 millions d’hectares de paysages marins sous protection dans les cinq prochaines années.
Toutefois, Vessaz a indiqué qu’elle ne considère pas les zones de pêche interdite comme des substituts aux aires marines protégées, mais plutôt comme des compléments à ces aires.
« La zone de pêche interdite est plutôt un outil qui peut être utilisé à l’intérieur ou à l’extérieur des aires marines protégées », a dit Vessaz. « Les zones de pêche interdite, peu importe la taille qu’elles atteignent, ne remplaceront pas les aires marines protégées ».

Binti Mhadjou a contribué au reportage depuis les Comores.
Image de bannière : Une pêcheuse à pied sur le platier récifal d’Anjouan à marée basse. Image fournie par Dahari.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 6 août, 2025.