- La Banque mondiale a annoncé, début juin 2025, un crédit de 250 millions USD à destination de la RDC, pour la première phase du projet hydroélectrique Inga 3.
- Ce vaste projet énergétique attend depuis les années 1990, faute de financement.
- Certains spécialistes comme Emmanuel Musuyu craignent un lourd impact environnemental et humain d’un tel projet.
La Banque mondiale, déboursera au moins 1 milliard USD pour la première phrase du projet hydroélectrique congolais Inga 3. Ce projet énergétique, qu’elle qualifie de durable, démarrera par « la mise en place d’investissements en faveur des populations locales, des infrastructures et de l’emploi », indique son communiqué, du 3 juin 2025. Selon la même source, au moins 1,2 million de personnes établies à proximité du site Inga 3, dans la province du Kongo Central, dans le sud-ouest de la République démocratique du Congo (RDC), seront concernées par ce financement.
Le projet énergétique lui-même devrait durer au moins une décennie pour une production de 2 à 11 gigawatts d’électricité, censé contribuer à l’essor économique national de la RDC, selon la Banque mondiale. D’ici à 2030, date à laquelle le projet, en attente depuis 1990, devrait prendre fin, le pays devrait élever son taux d’accès à l’électricité de 21 % (des chiffres publics évoqués sont parfois plus bas) à 60 %. D’après l’Agence pour le développement et la promotion du Projet Grand Inga (ADPI-RDC), le service public chargé de la gestion du projet Inga 3, « ce financement permettra le lancement des premiers décaissements destinés à la mise en place d’infrastructures communautaires prioritaires dans les cinq territoires de la province du Kongo Central, autour du site d’Inga ».
Mais ce vaste projet suscite des inquiétudes sur son impact environnemental, notamment sur les populations, qui risquent d’être déplacées et dépossédées de leurs terres, ainsi que les risques de dégradation des zones inondables. C’est ce que pense Emmanuel Musuyu, Secrétaire exécutif de CORAP, une plateforme de 50 organisations de la société civile de la RDC engagées dans le monitoring des réformes et des actions que les autorités mettent en place, basée à Kinshasa. Musuyu assure à Mongabay que la Banque mondiale aurait dû commencer par effectuer une étude d’impact environnemental comme l’exigent les lois environnementales congolaises, notamment le Code forestier. Il redoute que la mise en œuvre des projets de développement avant cette exigence légale, ne puisse annihiler toute possibilité pour la population de refuser la poursuite du projet Inga 3, après l’étude d’impact environnemental à venir.
Voici l’entretien dans lequel il explique, qu’avec tous les moyens d’un tel projet (plus de 14 milliards USD selon lui), la RDC gagnerait à développer des solutions solaires et des minicentrales hydroélectriques à faibles impacts.

Mongabay : Comment accueillez-vous l’annonce de financement de la Banque mondiale pour le projet Inga 3 ?
Emmanuel Musuyu : De façon générale, l’annonce du financement du projet de développement Inga 3, est une bonne chose. Mais globalement, il y a beaucoup de problèmes. Comment lancer un projet de développement local sans connaître réellement à quoi ressemble ce projet de barrage ? Il se fait que pour la première phase, la Banque mondiale a annoncé un financement de pratiquement 1 milliard USD pour préparer le projet Inga.
À ce niveau, ce n’est pas déjà le financement de la construction des infrastructures pour le barrage Inga 3, mais ce sont plutôt des travaux de préparation de l’arrivée de ce grand barrage. La Banque mondiale veut privilégier l’aspect de développement communautaire avant que les études ne soient présentées.
Cela signifie simplement une corruption morale, parce bâtir des infrastructures pour la population avant les études et les travaux proprement dits, fera que les communautés n’auront pas le courage de refuser le projet en phase d’implantation. On va violer d’une manière ou d’une autre le consentement libre, informé et préalable. Cette exigence veut que les communautés locales soient informées dans les détails de tout ce qui va se passer autour du projet avant de donner leur avis. C’est ce qu’on reproche le plus à cet accord de financement sans études d’impact environnemental.
Mongabay : Vous insistez sur la communauté et l’impact environnemental du projet. Comment se présente la région concernée par le projet Inga 3, en termes des risques et conditions de vie ?
Emmanuel Musuyu : Il s’agit notamment des territoires de Chiela et de Songololo, qui sont concernés par ce projet. Mais, ces cinq territoires, ne seront pas impactés de la même façon. Certains ne connaîtront pas les inondations. Il y a pratiquement 62 villages qui seront inondés, qui seront complètement sous l’eau.
L’étude d’impact environnemental doit établir une liste complète des populations concernées pour éviter les placements massifs des communautés locales. Puisque le projet présente plusieurs autres risques notamment sur les petites forêts de la zone. Au-delà de ça, c’est aussi un risque sur les activités économiques. Cette communauté sera obligée de se déplacer, et va perdre pratiquement ses terres et l’ensemble de son identité. Et donc, c’est toute une génération qui pourra être sacrifiée sur le plan social, sur le plan économique.
Mongabay : Au niveau mondial, les grands barrages avaient semblé être en recul, mais avec Inga 3, on assiste au retour de la course. Qu’est-ce qui explique qu’on revienne à de si grands ouvrages ?
Emmanuel Musuyu : Déjà, je parle de solutions dépassées dans la mesure où dans plusieurs pays aujourd’hui, sur le plan de la compétitivité entre les énergies renouvelables, notamment les énergies solaires et les grands barrages, ce sont forcément les énergies solaires qui semblent être plus accessibles et abordables. Ces grandes infrastructures prennent en plus plusieurs années. Et, en plus du fait qu’elles mettent beaucoup d’années pour leur développement, elles prennent beaucoup de ressources. Le cas de Grand Inga : vous allez vous rendre compte qu’on sera certainement entre 14 à 20 milliards USD s’il faut inclure aussi les lignes de transmission.
Or, avec ce coût, on peut développer des projets, dans le cas du solaire ou d’autres technologies, à des bons coûts. Cela profiterait davantage aux communautés en termes d’accès à cette énergie, et à développer des activités économiques avec tous les effets positifs que cela pourra ramener. A Kinshasa, par exemple, les communautés africaines ont besoin d’électricité pour développer leurs activités économiques. De petites sociétés peuvent aussi se développer dans ce secteur pour le bien du pays. L’électricité solaire ou de petites centrales ont un impact sur la fiscalité du secteur de l’électricité, où on a trouvé qu’une entreprise en une année paie jusqu’à 83 taxes, impôts et redevances à tous les niveaux : local, provincial, national.
Le problème ici, c’est que l’État doit arriver justement à mettre en place des politiques incitatives qui facilitent le développement de ces énergies solaires d’une part, mais aussi, d’autre part, qui facilitent l’accès des communautés à des prix abordables. On prend l’exemple du Kenya, de la Tanzanie récemment, sans compter des pays du Maghreb comme le Maroc et autres, qui aujourd’hui ont même des industries qui tournent grâce aux énergies solaires. Alors, c’est même des énergies solaires.

Mongabay : Vous parlez de la Banque mondiale plutôt que du gouvernement congolais. Est-ce un projet de la Banque mondiale ou du gouvernement congolais ?
Emmanuel Musuyu : Beaucoup de candidats se sont succédé pour arracher ce marché : des Canadiens, des Africains notamment à travers la Banque africaine de développement (BAD), les Australiens, la Chine et la Banque mondiale qui revient. Le gouvernement congolais semble ne pas exercer de leadership dans le développement de ce projet. Il dépend des financements étrangers, ce qui limite son influence. Il me semble qu’il n’y a pas de vraie vision, de vraie politique congolaise sur le projet Inga. On tâtonne, on hésite et surtout on semble trop attendre une solution extérieure, et cela nous inquiète.
Mongabay : Que veut signifier ce retour de la Banque mondiale qui avait autrefois quitté le projet. Est-ce pour barrer la route à la Chine qui essaie d’affirmer son leadership dans le domaine de la transition énergétique ? Je demande si finalement, c’est de la géopolitique énergétique qui se joue cette fois en RDC, où la Chine contrôle déjà 70 % du cobalt congolais, nécessaire dans les technologies de la transition énergétique ?
Emmanuel Musuyu : Je vois les choses comme ça. La Banque mondiale avait quitté une première fois le projet Inga en dénonçant le manque de transparence et de vision claire, surtout, les risques de corruption. J’ai été au siège de la Banque mondiale récemment, où j’ai posé la même question à un des responsables sur les raisons du retour de la même banque dans un pays, où elle avait dénoncé les risques de corruption. On m’a dit que ce retour est justifié par le fait qu’aujourd’hui le gouvernement congolais assure que les activités se feront dans la transparence.
Ce qui qui nous inquiète aujourd’hui, c’est l’idée que le projet tel que présenté à ce jour, ne puisse pas profiter à la RDC, mais aux étrangers qui s’imposent dans divers secteurs.
Mongabay : Récemment, des ONG nationales et internationales se sont dressées contre le projet d’exploitation du pétrole. Au sujet de l’hydroélectricité Inga, vous dénoncez des dangers et vous exprimez clairement votre opposition. Que répondez-vous à ces Congolais, y compris des membres du gouvernement, qui estiment que vous êtes utilisés pour bloquer le développement du Congo ?
Emmanuel Musuyu : J’entends souvent cette critique. Ma réponse est simple : nous ne sommes pas manipulés par des étrangers. Nous ne sommes pas contre le développement de notre pays. Notre position est justifiée par une analyse attentive de divers facteurs qui conduisent à la situation actuelle. Il n’est pas normal, comme je l’ai dit au début, que la Banque mondiale qui décide de financer ce projet commence par des projets dits de développement en faveur des populations censées être déplacées des lieux inondables sans avoir mené les études d’impact environnemental, comme l’exigent les lois environnementales de notre pays. Exiger cela, n’est pas être contre la RDC.
En plus, nous voulons que les projets développés au Congo puissent profiter aux Congolais. Or, dans le cas présent, la RDC va sûrement s’endetter encore plus et ce sont les générations futures qui paieront. L’argent qu’apporte la Banque mondiale n’est pas un acte de philanthropie. Il faudra rembourser cet argent, même si, c’est sans intérêt. En plus, nous ne connaissons pas encore les termes des contrats : qu’est-ce que la Banque mondiale va-t-elle en tirer et qu’est-ce que le gouvernement promet en échange de ces financements colossaux ? Nous voulons que les Congolais soient au courant de tout ce processus et cela doit être fait en toute transparence.
Image de bannière : Emmanuel Musuyu, Secrétaire exécutif de CORAP, une plateforme de 50 organisations de la société civile en RDC. Photo fournie par Emmanuel Musuyu avec son aimable autorisation.
La Banque mondiale finance un projet hydroélectrique controversé en RDC, malgré les inquiétudes
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