- Une récente étude révèle que les pratiques non durables et la non maitrise des politiques de durabilité par les petits exploitants de cacao contribuent à la déforestation au Cameroun.
- Au cours de la dernière décennie, la cacao culture à petite échelle a entrainé la perte de 4599 hectares de forêts dans le bassin de production de Ntui, une localité camerounaise située dans la région du Centre.
- Le Cameroun envisage, avec l’Initiative pour les forêts d’Afrique Centrale (CAFI), de doubler sa production cacaoyère, en réduisant la perte des forêts au cours des dix prochaines années.
- Selon l’organisme de certification Rainforest Alliance, la solution réside dans l’adoption des systèmes agroforestiers et à la pratique d’une agriculture intelligente et résiliente face au climat.
Selon les statistiques de l’International Cocoa Organization (ICCO), le Cameroun, avec 270 000 tonnes, a occupé la quatrième place des producteurs mondiaux de cacao au cours de la campagne 2022/2023, derrière la Côte d’Ivoire (2,2 millions de tonnes), le Ghana (654 000 tonnes) et le Nigeria (315 000 tonnes).
Cette performance sur la production cacaoyère au Cameroun contraste pourtant avec les chiffres du Global Forest Watch (GFW), une plateforme de référence pour le suivi des forêts dans le monde, qui révèle que le pays a perdu plus de 2 millions d’hectares de forêts entre 2001 et 2023, soit l’équivalent de 2,8 millions de terrains de football. Cette importante perte s’explique par plusieurs facteurs à savoir : la coupe abusive du bois, l’exploitation minière et surtout l’agriculture.
L’agriculture constitue l’une des premières causes de la perte du couvert forestier au Cameroun. L’extension des surfaces culturales, en vue d’accroitre les rendements agricoles, est l’une des pratiques identifiées comme favorisant la dégradation et la destruction des forêts dans la zone de Ntui, l’un des plus grands bassins de production de cacao au Cameroun, situé à environ 80 kilomètres au nord-est de Yaoundé.
Une étude menée dans cette zone agricole et publiée en avril 2025, dans la revue Forest Policy and Economics, indique qu’au cours des dix dernières années (2010-2020), les producteurs de cacao à petite échelle, ont occasionné la perte de 4599 hectares de forêts (11 364 acres). Cette étude a exploré les perceptions, les pratiques agricoles et leurs impacts sur le terrain, les politiques et les initiatives concernant la déforestation et le cacao.
Les auteurs de l’étude ont découvert que dans la zone de Ntui, la couverture forestière a diminué et s’est dégradée ; remplacée par des mosaïques de petites exploitations cacaoyères.
Les données spatiales, les entretiens et les discussions réalisés entre 2020 et 2024, indiquent que les politiques ont été inefficaces pour stopper la déforestation liée au cacao ; qu’elles ont été modestement efficaces pour accroître la production de cacao et n’ont pas été efficaces du tout pour augmenter les rendements.
L’étude montre aussi que les agriculteurs ne se considèrent pas comme responsables de la dégradation des forêts de la zone, l’imputant à la pauvreté, aux faibles rendements, à l’indisponibilité des terres, à la migration, à la croissance démographique et aux prix élevés de la terre et de la main-d’œuvre.
En sus, durant la période de l’étude, ils n’avaient pas connaissance des initiatives et des politiques de déforestation zéro soutenues par les organismes et partenaires internationaux du Cameroun, engagés dans la promotion d’une agriculture durable et protectrice des forêts.

Politiques de durabilité et déforestation
De nombreuses initiatives et politiques sont mises en œuvre au Cameroun pour promouvoir la culture d’un cacao durable exempt de déforestation. C’est le cas du Règlement de l’Union Européenne sur la déforestation (RDUE), visant à interdire l’importation et la commercialisation dans l’Union européenne, des produits de base issus de la déforestation, au rang desquels figure le cacao, après le 31 décembre 2020.
L’entrée en vigueur de cette mesure a été plusieurs fois reportée en raison des difficultés des partenaires internationaux à se conformer aux exigences de cette politique. Elle devrait être effective à compter du 31 décembre 2025. Des doutes subsistent quant à la capacité des partenaires à se conformer, même si le ministre camerounais du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, a déclaré le 15 juillet 2025, lors d’un Forum dédié à la mise en conformité de la RDUE, que « le Cameroun est le meilleur élève par rapport à cette discipline imposée par l’Union européenne (…), pratiquement 99 % des bassins cacaoyers et café sont couverts par les dispositifs de géolocalisation et de traçabilité ».
Le Professeur Verina Ingram, Chercheuse à l’université de Wageningen aux Pays-Bas, et co-auteur de l’étude sus-évoquée, explique qu’« à l’heure actuelle, ni le Cameroun, ni les États membres de l’UE ne semblent prêts à mettre en œuvre efficacement l’EUDR ».
« Au Cameroun, le système unique d’identification des cacaoculteurs (propriétaires et gestionnaires d’exploitations) et la géocartographie des parcelles de cacao ne sont pas encore pleinement opérationnels (…). De nombreux exploitants ne connaissent pas encore la réglementation, et les cartes d’occupation du sol, comme le montre notre article, ne sont pas suffisamment précises pour distinguer certaines zones agroforestières ombragées, les cacaoyères des forêts et des prairies ».
Pour l’expert forestier camerounais Ghislain Fomou, il est nécessaire de mettre en place des stratégies de vulgarisation des politiques de durabilité et d’adoption des bonnes pratiques pour accompagner les producteurs dans une cacao culture exempt de déforestation. « Il faut renforcer la sensibilisation, et cela passe par des séances dans les villages ; la production des supports de communication, et aussi par des messages à travers les radios communautaires. Ceci permettra d’améliorer le niveau de compréhension des producteurs sur le Règlement de l’Union européenne sur la déforestation », dit le Directeur du programme de gestion des ressources naturelles au sein de l’ONG Service d’appui aux initiatives Locales de développement (SAILD), basée à Yaoundé.

La certification de durabilité est également l’une des approches prônées dans la culture de cacao au Cameroun et dont les agriculteurs dans le bassin de Ntui ont plus ou moins connaissance.
Des organismes de certification, à l’instar du Rainforest Alliance, accompagne les agriculteurs dans l’adoption des pratiques durables de culture du cacao. Plus de 30 000 producteurs issus des différents bassins de production ont déjà été formés par cet organisme et ont pu obtenir leur certification.
Selon Yannick Mboba, Manager du programme de certification de Rainforest Alliance en Afrique centrale, « la certification Rainforest Alliance impose aux producteurs de cacao le respect de normes strictes sur les plans économique, social et environnemental ». « Elle exige notamment que le cacao soit cultivé selon des systèmes agroforestiers, que des contrats de travail formels soient établis pour les ouvriers agricoles, et interdit strictement le travail des enfants. Toutes les exploitations certifiées doivent être géolocalisées et croisées avec des cartes de risque personnalisées pour repérer les zones sensibles à la déforestation », a-t-il dit dans un courriel à Mongabay.
Améliorer les rendements cacaoyers en protégeant les forêts
Rainforest Alliance recommande par ailleurs que, pour concilier la protection des forêts et améliorer les rendements de production cacaoyère, il est crucial d’adopter les systèmes agroforestiers et une agriculture intelligente et résiliente face aux effets du changement climatique. « Notre programme de certification exige des producteurs qu’ils augmentent la couverture arborée en essences locales dans et autour de leurs parcelles, tout en mettant en œuvre d’autres pratiques qui favorisent la biodiversité, comme l’introduction d’arbres d’ombrage parmi les cacaoyers », ajoute Mboba.

L’adoption des systèmes agroforestiers dans la culture du cacao s’avère être une réponse à l’ambition du gouvernement camerounais de doubler sa production cacaoyère pour la porter à 600 000 tonnes l’an, en réduisant sa perte des forêts au cours des dix prochaines années. Ceci grâce à un accord de financement signé en octobre 2024, avec l’Initiative pour les forêts d’Afrique Centrale (CAFI), un fonds multipartenaires soutenu par l’Union européenne, la Norvège, la France, la Corée du Sud, etc.
Pour y parvenir, le Professeur Ingram préconise une approche prenant soigneusement en compte les compromis coûts-bénéfices pour les différents acteurs de la filière, les communautés et les écosystèmes.
Elle estime que se concentrer uniquement sur l’augmentation de la production et les revenus des cacaoyères (par exemple, la conversion des jachères, la densification, le remplacement des vieux arbres, l’utilisation de variétés à haut rendement, l’amélioration des rendements par des intrants, la gestion des sols et des exploitations et les pratiques de travail, etc.), peut accroître la production, mais pourrait également avoir divers effets indésirables.
Parmi ces effets, elle évoque, entre autres, la diminution de la résilience des exploitations et des producteurs, la baisse des revenus provenant d’autres cultures non cacaoyères et des produits agroforestiers, l’augmentation de la demande de main-d’œuvre et éventuellement du travail des enfants et du travail forcé.
Aussi suggère-t-elle la modification des flux de services écosystémiques agroforestiers du cacao ou encore les impacts climatiques à petite et à plus grande échelle, ainsi que les impacts potentiels sur la biodiversité à l’échelle de la parcelle, de l’exploitation, du paysage et de l’écosystème.
Image de bannière : Des cabosses de cacao peuvent être utilisées pour le compostage (engrais organique) et l’alimentation animale. Image de jbdodane via Flickr (CC BY-NC 2.0).
Citation :
Ingram, V., Janssen, V., Akenji Neh, V., & Pratihast,K. A. (2025). Cocoa driven deforestation in Cameroon: Practices and policy, Forest Policy and Economics, Volume 177, 103533, ISSN 1389-9341, https://doi.org/10.1016/j.forpol.2025.103533
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