- Le Kosipo d'Ebogo est un géant de la forêt camerounaise âgée de plus de 1200 ans et qui mesure 85 mètres de haut et 8 mètres de diamètre. Il est considéré comme un spécimen rare et précieux pour les scientifiques et un lieu de grande importance spirituelle pour la communauté locale.
- Depuis plusieurs années, il n'a plus fière allure et les experts estiment que le changement climatique est l'une des principales causes de sa détérioration, même si la communauté locale évoque d'autres raisons et propose des solutions pour le maintenir en vie.
- La disparition de cet arbre pourrait avoir des conséquences graves pour le tourisme, l'écosystème local, les autres arbres qui en dépendent et la biodiversité de la région.
Imaginez un arbre qui a vu passer les siècles, témoin de l’histoire de l’humanité, ayant abrité des générations de familles, d’animaux, de plantes et qui est en train de s’éteindre à cause de la négligence humaine et des effets du changement climatique. C’est le Kosipo d’Ebogo, un géant de la forêt âgé entre 1200 et 1800 ans, selon l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Cet arbre se dresse à plus de 50 kilomètres de Yaoundé, la capitale du Cameroun et enregistre chaque année près de 1000 visiteurs venus du monde entier, selon Aristide Owono Ndzigui, guide touristique et pêcheur dans cette localité du centre du pays. Malheureusement, le Kosipo d’Ebogo, (Entadrophragma candollei), haut de 85 mètres avec 8 mètres de diamètre, risque de ne plus exister si sa situation actuelle perdure sans solutions.
Le Kosipo d’Ebogo, un patrimoine naturel en danger
Les habitants et guides en service au site touristique d’Ebogo sont presqu’unanimes sur un fait : l’arbre n’a plus fière allure depuis un certain temps et les signes de faiblesse sont de plus en plus visibles.
Il a désormais du mal à fleurir, même si son rythme de floraison a toujours été différent de celui des autres arbres, à en croire Aristide Owono Ndzigui. « Cela nous a toujours été difficile à comprendre. Mais, lorsque les autres arbres ont des feuilles, lui il sèche. Et, lorsque les autres arbres sèchent, lui il a des feuilles. Mais, ce n’est plus le cas. Même quand on s’attend à ce qu’il fleurisse, il est toujours sec ou alors, il porte quelques feuilles, mais ce n’est plus vraiment comme avant », dit le guide touristique.

À côté de ce manque de vitalité, des parasites de plusieurs genres et des ravageurs sont visibles sur le tronc de l’arbre, ajoutés aux trous profonds présents sous ses racines.
Namegni Soffack Franck, environnementaliste et ingénieur agronome spécialisé en production végétale explique que le changement climatique pourrait être l’une des principales causes de la détérioration du Kosipo d’Ebogo. « Le changement climatique avec des variations de températures brusques, des durées de sécheresse prolongées et des pluies intenses, favorise l’apparition de nouveaux ravageurs pouvant avoir des conséquences graves pour un arbre âgé comme le Kosipo. Les ravageurs peuvent l’affaiblir en le privant de ses ressources, tandis que le stress climatique peut endommager les tissus internes, le rendant plus vulnérable aux maladies et aux attaques de ravageurs », dit ce responsable suivi-évaluation du Projet de gestion durable des ressources en eaux dans les monts Bamboutos et Bagangte, géré par le Centre pour l’environnement, le partenariat et le développement local (CEPDEL), en partenariat avec Raibforest alliance.
Un autre expert, Russel Njome, forestier et ingénieur des travaux agricoles, en plus de corroborer les propos de Namegni sur les effets du changement climatique sur l’arbre, pense que la vieillesse peut également expliquer cette dégradation. « Même les arbres les plus résistants ont une durée de vie. Avec l’âge, leur système racinaire, leur circulation de sève et leur capacité à se régénérer s’affaiblissent ».

Un conflit foncier source de la détérioration du Kosipo d’Ebogo
Sur le terrain, populations, autorités traditionnelles et guides touristiques donnent une autre explication à cette détérioration que connaît le Kosipo d’Ebogo depuis un moment.
En effet, lorsque vous arrivez au pied de cet arbre, vous êtes tout de suite frappés par les tatouages qu’il porte sur son tronc. Les visiteurs, selon les guides, ont pris l’habitude d’y écrire leurs noms et autres inscriptions en guise de souvenirs à l’aide d’outils tranchants, créant ainsi des incisions profondes sur son tronc et ses racines.
À l’origine de ce laisser-aller, un conflit foncier qui retire désormais à Ebogo l’exclusivité de cet arbre sur le plan touristique. En fait, les guides et habitants de cette localité ne sont plus les seuls à avoir la mainmise sur l’arbre, ce qui ouvre la voie à toute sorte de pratiques sur celui-ci. « Ça fait un bon bout de temps que le côté de la Mefou et Akono (département frontalier du Nyong et du So’o, où se trouve le village Ebogo qui réclame l’arbre, ndlr), est en train de vouloir lui aussi tirer profit de l’arbre. Ils disent qu’il est placé sur leurs terres et les habitants de ce côté ont commencé à amener aussi les touristes là-bas. Mais, nous avons l’impression qu’ils ne connaissent pas vraiment la valeur de cet arbre. Ils lui enlèvent ses écorces et laissent les touristes faire n’importe quoi là-bas. Or, à l’époque où nous étions les seuls à amener les touristes au pied de l’arbre, on empêchait les gens de faire certaines choses. Aujourd’hui, il est partagé entre nous et les gens de la Mefou et Akono. Ils lui font des choses dont ils ne se rendent même pas compte de la gravité. Quand nous on amène les gens là-bas, on leur dit de ne pas blesser l’arbre, de ne pas faire certaines choses », confie sa Majesté Théodore Owono Ze, premier notable et chef de 3ème degré par intérim du village Ebogo.
Aristide Owono Ndzigui, de son côté, dénonce surtout le manque de formation des guides touristiques issus de la Mefou et Akono. « Vous avez vu quand je vous ai amené sous l’arbre, je vous ai donné certaines interdictions. C’est parce qu’ici, nous sommes des guides formés. Les guides touristiques d’Ebogo ont reçu plusieurs formations tant des organismes nationaux qu’internationaux. Il y a des européens qui viennent régulièrement ici nous former sur les notions de tourisme. Ils nous disent, par exemple, que lorsque nous avons affaire à un touriste, il faut, non seulement satisfaire celui-ci, mais également protéger le site qu’on fait visiter. Ça fait que je ne peux, par exemple, pas permettre que vous écriviez votre nom sur l’arbre, car il vit. Et, le fait d’utiliser des objets tranchants sur lui, le blesse, il a mal et ça peut contribuer à sa perte, même les écogardes qui viennent souvent ici nous le disent », dit ce natif d’Ebogo.
« Malheureusement, les guides de la Mefou et Akono n’ont pas reçu ces formations-là. Ce sont juste des villageois qui, attirés par l’argent, prennent les touristes et les conduisent à l’arbre. Ils n’ont même pas le courage de leur dire de ne pas faire ci ou ça. Mais on ne peut pas leur interdire d’y aller, car l’arbre serait sur leurs terres, disent-ils », ajoute-t-il.

Des solutions pour sauver le Kosipo d’Ebogo
Le Kosipo d’Ebogo est considéré comme l’un des plus grands arbres d’Afrique et les scientifiques l’ont identifié comme un spécimen rare et précieux de l’espèce Entandrophragma candollei.
Pour atteindre ses racines, il faut pratiquer une randonnée en pirogue de 4 kilomètres sur le Nyong, l’un des plus grands et dangereux fleuves du pays.
Des touristes, comme ce Chinois, Jian, que nous avons rencontré sur le site lors de notre visite, disent y avoir passé des moments inoubliables à cause de la tranquillité et du paysage exceptionnel qu’offre cette forêt. Pour la communauté locale, il est surtout un lieu de grande importance spirituelle qu’elle ne souhaite pas voir disparaître.
Ainsi, des solutions sont envisagées, afin de le maintenir en vie le plus longtemps possible. « Il faut déjà commencer par résoudre ce conflit foncier qui nous oppose aux gens de la Mefou et Akono. Il est quand même bizarre que depuis des siècles, nous avons toujours pris soin de cet arbre, mais aujourd’hui, il est discuté par les gens de l’autre coté (Mefou et Akono, Ndlr), parce qu’ils ont vu qu’on a beaucoup de touristes et qu’on se fait beaucoup d’argent », dit sa Majesté Owono Ze. « Ça fait qu’on pourra recommencer à bien contrôler les personnes qui visitent cet arbre et mieux le protéger », a-t-il indiqué.
De son côté, Erick Amougou, un autre guide en service au site touristique d’Ebogo, pense qu’il est surtout question de sensibiliser les populations et de former les guides de la Mefou et Akono, leurs voisins. « Il faut qu’on forme les guides de l’autre côté, que l’arbre leur appartienne ou pas. Moi, je ne suis pas contre le fait qu’ils y amènent les touristes, car tout le monde a droit au bonheur ; en plus, ce sont nos frères, c’est le Nyong qui nous avait séparé. Mais, il faut qu’on les forme et qu’ils soient capables de dire aux touristes ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire ».
Sa Majesté Owono Ze, quant à lui, croit en la force des ancêtres. « Ce sont les ancêtres qui nous ont donné cet arbre. Je ne pense pas qu’ils vont quand même le laisser mourir aussi facilement ».
Tout compte fait, le Kosipo d’Ebogo n’est pas seulement un arbre précieux, c’est également un élément clé de l’écosystème local. Sa disparition pourrait avoir des conséquences pour l’industrie du tourisme et pour la biodiversité. Car, sa présence permet notamment la production d’oxygène par photosynthèse, le stockage du carbone, ainsi que la protection du sol à travers ses racines qui aident à prévenir l’érosion.
Cet arbre en vie offre également un habitat à de nombreuses espèces d’animaux comme les oiseaux, les insectes et les mammifères qui y trouvent refuge, nourriture et abri.
Image de bannière : Le Kosipo d’Ebogo victimes des affres du changement climatique qui menace sa survie. Image de Lionel Balla pour Mongabay.
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