- Il y a dix ans, la grue royale (Balearica regulorum), confrontée à la perte d’habitat et à la capture pour le commerce illégal, s’approchait sans bruit de l’extinction locale au Rwanda.
- La Rwanda Wildlife Conservation Association (RWCA), menée par le vétérinaire Olivier Nsengimana, est en première ligne d’une campagne visant à mettre un terme à la détention de grues en tant qu’animaux de compagnie, à réhabiliter de nombreux oiseaux captifs et à les rendre à l’état sauvage.
- L’association engage également des membres de la population pour renforcer la protection des habitats en zones humides des grues contre l’empiétement et les dommages, une stratégie qui s’étend aux pays voisins, grâce à des partenariats avec d’autres ONG.
- Pour ces efforts, Nsengimana a reçu le prix Whitley Gold 2025, ce qui fait de lui la première personne à le recevoir deux fois, après l’avoir reçu pour la première fois en 2018.
Il y a seulement 10 ans, il était devenu rare d’apercevoir une grue royale dans les zones humides au Rwanda. Ces oiseaux, élégants et majestueux, avec leurs plumes dorées en éventail sur la tête, prospéraient autrefois en Afrique de l’Est. Mais, au milieu de la dernière décennie, leur nombre s’était effondré au Rwanda.
« Cela m’a choqué », dit Olivier Nsengimana, un vétérinaire et défenseur de l’environnement rwandais, qui a fondé la Rwanda Wildlife Conservation Association (RWCA). Il dit qu’un recensement de 2017 a dénombré moins de 500 individus dans le pays. « Nous avions plus de grues chez des particuliers que dans la nature ».
Confrontée à la perte d’habitat, à la capture pour la vente illégale comme animaux de compagnie et d’autres menaces, la grue royale (Balearica regulorum), s’approchait sans bruit de l’extinction locale au Rwanda.
Une histoire comparable se déroulait dans les pays voisins, notamment au Burundi et en Ouganda, et ailleurs dans l’aire de répartition des grues, qui s’étend en Afrique orientale et australe. En 2012, les grues ont été évaluées comme étant en danger par l’UICN, l’autorité mondiale de conservation des espèces sauvages.

Pour protéger les grues, il faut protéger les zones humides
À travers l’Afrique, d’immenses surfaces de zones humides sont perdues, souvent asséchées et converties en terres agricoles ou pour céder la place devant l’expansion périurbaine. Près de 50 % de ces paysages écologiquement essentiels ont été perdus au cours des 50 dernières années.
« [Les grues] se nourrissent et se reproduisent en zones humides », explique Nsengimana. « En cinq décennies, nous avons perdu près de 80 % de grues, et cela est dû à la perte d’habitat ».
Le Programme des Nations unies pour l’environnement estime que le Rwanda a perdu approximativement 36 % de ses zones humides entre 1998 et 2016. En Ouganda voisin, où la grue est l’emblème national, 30 % des zones humides ont été perdues entre 1998 et 2008, pour ensuite se stabiliser.
« Si vous suivez l’effondrement des zones humides et que vous regardez ensuite le déclin des populations de grues, ils sont proportionnels », explique Achilles Byaruhanga, directeur général de l’ONG de défense de l’environnement NatureUganda, à Mongabay.
Au-delà de la destruction des zones humides, les grues sont également menacées par le commerce local et international. Ces oiseaux magnifiques sont des animaux de compagnie prisés à la fois en Afrique de l’Est et au Moyen-Orient.

L’association rwandaise ouvre la voie
Lorsqu’il a fondé la RWCA en 2015, Nsengimana a entrepris de sauver les grues en priorité. L’association est en première ligne des efforts qui ont libéré de nombreuses grues royales de la captivité chez des particuliers et les ont réintroduites dans leurs habitats naturels.
Avec l’aide du gouvernement, elle a lancé une campagne de sensibilisation nationale pour informer le public de la situation critique des grues. Mais plutôt que de traiter en criminels les propriétaires de ces oiseaux, la campagne a offert l’amnistie.
« Nous leur avons dit, “Nous aimons les grues. Nous savons que vous les aimez. Donnons-leur une deuxième chance” », dit Nsengimana à Mongabay. « Ils ont accepté ».
Des habitants de tout le pays ont commencé à appeler l’équipe de Nsengimana et les ont invités chez eux pour rendre les oiseaux. Les grues en bonne santé avec des plumes intactes ont été envoyées dans une zone de réhabilitation clôturée dans le Parc national de l’Akagera, où elles ont reçu des aliments complémentaires et, où elles ont eu le temps de retrouver leur plumage et de réapprendre à voler.
Une fois prêtes, elles ont été relâchées dans la nature. Les autres, celles qui étaient trop blessées pour survivre seules, ont été déplacées dans un refuge en zone humide spécialement restauré, aujourd’hui appelé village d’Umusambi dans la capitale, Kigali.
Ces efforts ont contribué à une augmentation importante de la population de grues au Rwanda. « En 2017, nous avons commencé à compter les grues au Rwanda, et lors du premier recensement, nous en avons compté 487. L’année dernière, nous avons compté 1 293 grues », a dit Nsengimana, à Mongabay au téléphone depuis son domicile à Kigali.
Il indique qu’ils se concentrent désormais sur la formation de défenseurs de l’environnement dans les communautés. Plus de 270 personnes travaillent aujourd’hui avec la RWCA, dont 90 % viennent de communautés locales. Ils organisent des activités dans les communautés comme des campagnes scolaires, ils utilisent des courses de vélo et des matchs de foot pour sensibiliser, et ils soutiennent des initiatives menées par des femmes pour réduire la dépendance aux zones humides.

Grues sans frontières
Nsengimana dit que la RWCA a vite réalisé que les grues ne reconnaissent pas les frontières. Des radio-émetteurs placés sur des grues au Rwanda ont révélé des mouvements transfrontaliers réguliers en Ouganda, au Burundi et en Tanzanie.
« Elles s’en vont et reviennent. Certaines restent ici », dit Nsengimana. « Ça nous a montré que nous ne pouvons pas y arriver seuls ».
La RWCA a donc commencé à former des alliances avec des groupes de défense de l’environnement dans toute l’Afrique de l’Est. En Tanzanie et en Ouganda, des champions communautaires de la conservation (des habitants formés et équipés de smartphones et d’applications), ont été recrutés pour surveiller les grues, signaler les observations et protéger les sites de nidification. Et cela s’étendra bientôt au Burundi.
Byaruhanga, dont l’ONG fait partie de cette alliance, dit que l’implication des communautés est essentielle. « La meilleure approche est de travailler avec les habitants : les former, les sensibiliser et leur donner les moyens d’être les protecteurs de l’espèce ».
De l’espoir pour l’avenir
Byaruhanga cite plusieurs bénéfices de la protection des grues et de leurs habitats en zones humides. En Ouganda, par exemple, l’observation des oiseaux est la deuxième activité touristique la plus importante après la randonnée pour observer les gorilles.
« Nous faisons la promotion des oiseaux et de l’observation des oiseaux comme une activité importante. Nous gagnons de l’argent grâce à cela, nous devons protéger les oiseaux », dit-il.
Les initiatives régionales en cours redonnent espoir à Nsengimana. « Dans les 10 prochaines années, j’espère des avancées positives : voir que les grues ne déclinent plus, mais augmentent, grâce à ces efforts au niveau régional. Au Rwanda, nous avons réussi et je pense que cela peut arriver dans toute la région ».
Il ajoute, « Je suis heureux, c’est un privilège de travailler au Rwanda. Je n’aurais pas pu le faire seul. C’est à mettre au crédit de tous les Rwandais ».
Pour ses efforts, Nsengimana a reçu le prix Whitley Gold 2025 du fonds Whitley pour la nature, une organisation caritative britannique. Le prix, qui vient avec 100 000 livres (118 000 euros) de financement pour des projets, est décerné à une personne qui a apporté une contribution exceptionnelle à la conservation. C’est la deuxième fois que Nsengimana reçoit le prix fréquemment appelé les « oscars verts » ; il a été lauréat en 2018, également pour son travail sur la grue royale.
Image de bannière : Olivier Nsengimana, fondateur de la Rwanda Wildlife Conservation Association. Image fournie par James Rooney/National Geographic Society.
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Cet article a été publié initialement ici en anglais le 30 avril, 2025.