- Les autorités du Parc National des Virunga ont annoncé la découverte d'un jeune gorille appelé Fazili, dans un piège posé par les braconniers, le 11 mars 2025.
- La fermeture de postes de patrouilles des écogardes du Parc National des Virunga dans les zones sous occupation de M23 empêchent les patrouilles régulières et le monitoring mettant ainsi en péril la sécurité des espèces sauvages depuis avril 2024 dénonce un activiste d’un centre de recherche sur l’environnement basé à Goma.
- 110 pisteurs communautaires sont à l'œuvre pour garantir la survie des espèces sauvages pendant cette période de crise sécuritaire.
- Depuis la résurgence de la guerre en novembre 2021, le Parc national des Virunga a perdu 50% de ses espèces sauvages, selon l’ICCN.
La crise sécuritaire dans l’Est de la République démocratique du Congo s’intensifie, marquée par des affrontements croissants entre les Forces armées de la République démocratique du Congo, soutenues par les milices locales dites Wazalendo, et la coalition M23-AFC. Cette instabilité fragilise la protection de la faune du Parc National des Virunga, où de vastes portions sont occupées par cette coalition soutenue par le Rwanda, selon l’ONU, favorisant le braconnage et le commerce illégal.
Dans ce climat d’insécurité, certains habitants, souvent en connivence avec des hommes armés, selon le rapport de 2023 du centre d’éducation pour la protection de l’environnement et le développement durable (CEPED), exploitent la situation pour mener des activités illégales détruisant l’habitat naturel. Le 11 mars 2025, les autorités du parc ont annoncé la découverte d’un jeune gorille piégé par des braconniers.
« Grâce à l’intervention rapide de notre équipe de surveillance et de vétérinaires, Fazili (le jeune gorille) a reçu des soins d’urgence, incluant le retrait du piège et le traitement de ses blessures », ont déclaré les responsables du Parc National des Virunga sur le compte X (ancien Twitter).

Depuis avril 2024, d’après un activiste œuvrant au sein du CREDHO, un centre de recherche spécialisé dans les questions environnementales et les droits de l’homme au Nord-Kivu, les écogardes ont été contraints de quitter la position stratégique de Rwindi à territoire de Rutshuru, en plein Parc National des Virunga au carrefour entre Kiwanja-Kanyabayonga sur la route nationale numéro deux reliant les territoires de Rutshuru et Lubero, ainsi que les postes de patrouille de Vitshumbi et Nyamusengera dans le secteur d’un lac, en raison des menaces du M23. Selon le CREDHO, ils ont également abandonné d’autres postes de patrouille, notamment à Mabenga, Kabasha, Katanda et Ndekodéplore, bien que la station de Rumangabo reste opérationnelle sous la surveillance du M23.
« La plupart des combats se déroulaient dans le Parc National des Virunga, et plusieurs écosystèmes ont périclité. Les écogardes étaient chassés par le M23 à leurs postes de patrouilles dans les zones sous occupation. Les animaux aussi n’aiment pas entendre les crépitements des balles. Certains gorilles de la réserve Sarambwe ont migré vers l’Ouganda, et à Bukima, les espèces sauvages manquent de suivi », précise la même source.
Lors d’une interview accordée à la presse, lundi 31 mars 2025, en ville de Beni, chef-lieu provisoire de la province du Nord-Kivu, Méthode Uhoze, chargé des relations extérieures au sein du Parc National des Virunga, a indiqué que, depuis la résurgence de la guerre du M23, les écogardes n’arrivent plus à contrôler toutes les zones en raison de l’activisme des groupes armés. Ces zones sont devenues des bastions de l’exploitation illégale des ressources naturelles.
« Aucune espèce n’a disparu dans le parc. Il y a eu une diminution du nombre d’animaux, mais cela ne signifie pas que toutes les espèces ont été tuées. Certains animaux se déplacent pour des raisons de sécurité. Une famille de gorilles (Gorilla beringei) de la RDC s’est réfugiée au Rwanda… Le braconnage existe dans toutes les zones, ce qui contribue également à la diminution des animaux », a-t-il déclaré.

Ce représentant du Parc National des Virunga a également déploré les meurtres des gardes forestiers depuis la création de ce parc en raison de l’insécurité persistante.
« Nous avons perdu près de 200 gardes forestiers tués par des groupes armés. Le personnel de l’ICCN est un civil armé pour sa mission de conservation, il est donc neutre. Le parc a perdu 13% de sa superficie suite à la crise politique, les groupes armés et les intérêts politiques », a-t-il ajouté.
Des efforts de conservation peinent à réduire les menaces
En dépit de ce contexte, les écogardes du Parc National des Virunga ont fait preuve de résilience. En 2024, les autorités de ce parc ont annoncé sur leurs plateformes numériques comme X la surveillance de 8 461 kilomètres du parc où ils ont retiré 46 pièges des forêts, compte tenu des abandons de certaines positions à cause de représailles des rebelles.
« Ces efforts de surveillance, combinés à l’utilisation d’avions et de drones, ont permis de couvrir plus de 180 000 kilomètres, avec plus de 25 000 kilomètres de patrouilles », a annoncé le Parc National des Virunga sur X, le 1er mars 2025.
La fermeture de ces postes de patrouilles par les écogardes compromet le suivi des populations animales et leur prise en charge médicale. « Les écogardes n’arrivent plus à patrouiller dans toutes les zones du parc. Les braconniers continuent de chasser pour des organes précieux comme l’ivoire et la viande », déplore un habitant du territoire de Nyiragongo joint au téléphone par Mongabay.

Face à la recrudescence des hostilités, les autorités du parc ont mis en place un réseau de 110 pisteurs communautaires (les membres de la communauté vivant autour du secteur de gorilles impliqués dans la protection) pour garantir la survie des espèces sauvages. Cependant, la menace sur les gorilles de montagne persiste, exposant cette population animale à un risque accru de pièges, de braconnage et de maladies transmises par l’homme.
« Sans les patrouilles régulières des rangers, la menace pour les gorilles de montagne a considérablement augmenté », s’inquiète le Parc National des Virunga dans une communication sur son site web.
Toutefois, une augmentation du nombre de gorilles de montagne a été observée durant la même année, grâce à l’intervention de pisteurs communautaires en collaboration avec les autorités du Parc. « En 2024, 10 naissances de gorilles ont été comptabilisées, portant la population à plus de 1 000 individus, contre un peu plus de 350 dans les années 1980 », peut-on lire sur le site officiel du Parc National des Virunga.
Complicité entre civils et hommes armés
Le rapport de monitoring de l’organisation environnementale CEPED publié en 2023 indique que les écosystèmes environnants le poste de patrouille de Mabenga ont disparu. Des pièges records ont été retrouvés à Kanyabingo, Rukubura, Kigoma et Kanyabusinini, mettant en péril toutes les espèces animales, y compris les éléphants et les gorilles.
« Pour se faire accepter, les rebelles avec leurs complices distribuent un hectare à 30 dollars. Des braconniers viennent dans les notabilités de Sarambwe, Ngarubungo, Bunyangaro. Ce braconnage cible toutes les espèces animales ; les gorilles et les éléphants sont également en danger », précise ce rapport.
Dans plusieurs zones contrôlées par le M23, des habitants sont accusés de faciliter le braconnage, souvent sous la protection d’hommes armés, parfois en tenue civile. Dans le groupement de Binza à la limite du Parc national des Virunga, au Nord-est à cheval de l’Ouganda séparée par la rivière Ishasha, par exemple, des cas de braconnage ont été signalés, exacerbés par le trafic de viande sauvage et la destruction des clôtures en fils électriques érigées à la limite du parc pour servir de barrière des animaux sauvages.
« Nous avons observé de nombreuses femmes et jeunes filles vendre de la viande d’espèces sauvages, souvent avec la complicité des braconniers venus du parc. Ils passent parfois porte-à-porte en vendant la viande des espèces sauvages », témoigne un habitant du groupement de Binza sous couvert d’anonymat.
En août 2024, lors de la quatorzième édition des réseaux pour l’environnement et la sécurité dans les aires protégées de la RDC, le directeur des parcs, domaines et réserves de l’ICCN, a tiré la sonnette d’alarme sur la perte de 50 % des espèces dans le Parc National des Virunga depuis la résurgence de la rébellion du M23.
« Certaines personnes profitent de cette situation pour tirer illicitement bénéfice de ressources du parc. Il y a ceux qui sont allés plus loin pour la vente de terres de ce patrimoine notamment à Nzulo située dans la partie ouest de la ville de Goma. Nous sommes dans une situation de faiblesse de faire agir la loi comme il se doit. Nous développons l’aspect communicationnel », s’inquiète Méthode Uhoze.
De son côté, Maître Léonard Birere, avocat au barreau du Nord-Kivu, rappelle que les conventions internationales, telles que la convention de La Haye de 1907 et la convention de Genève de 1949, incluent des dispositions pour protéger les ressources naturelles pendant les conflits armés. Il recommande le respect de la loi 14/003 relative à la conservation de la nature, qui vise à protéger les écosystèmes fragiles du pays.
« L’article 42 de la loi sur la conservation de la nature reconnaît le statut de non-belligérance au personnel affecté à la surveillance des aires protégées. Quant à l’article 44, toute aire protégée bénéficie, en temps de paix comme en période de conflit, d’une protection particulière contre tout acte susceptible de violer son intégrité », précise-t-il dans un courriel à Mongabay.

Selon une étude sur l’impasse des parcs nationaux à l’Est de la RDC, la convoitise des ressources naturelles de la RDC est la cause principale de cette crise. Les auteurs proposent l’actualisation des lois pour les adapter aux réalités actuelles.
« Les autorités congolaises doivent faire preuve de créativité, d’inventivité et d’innovation afin d’élaborer une politique environnementale réaliste, capable de répondre objectivement à la valorisation, à la transmission et à la promotion de nos ressources. Il apparaît clairement que ces parcs ne nous appartiennent plus entièrement, puisqu’ils sont désormais gérés de manière collégiale dans le cadre de gestion participative entre l’État congolais et les États usurpateurs », conclut cette recherche.
De plus, le rapport mondial sur la criminalité liée aux espèces sauvages de 2024 souligne que le trafic d’espèces sauvages devient de plus en plus complexe, alimenté par diverses motivations, notamment la consommation alimentaire, les médicaments, les bijoux et les animaux de compagnie.
« Entre 2015 et 2021, environ 4 000 espèces sauvages ont été concernées par le trafic illégal », conclut ce rapport.
Image de bannière : Vue partielle d’une chaîne de montagnes au Parc national de Virunga au Nord-Kivu en RDC. Image de la MONUSCO/Abel Kavanagh via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).