- Au-delà des supplices des pêcheurs marins artisans le long du Golfe de Guinée, une évaluation des stocks de poissons réalisée en septembre 2024 sous l’égide de l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) révèle une baisse inquiétante des réserves.
- D’autres études pointent du doigt le réchauffement des océans, qui a provoqué la migration des petits poissons pélagiques hors du golfe, ainsi que la surpêche par les pirogues artisanales et les chalutiers industriels, sans oublier la pêche illicite.
- Ces facteurs accélèrent le déclin des stocks et l’effondrement de la biodiversité.
Au Port de pêche de Cotonou, les retours bredouilles des pêcheurs ne surprennent plus. Sur le quai, presque tout le monde a envie de raconter l’une de ses mésaventures. Marc Codjo Atindégla, propriétaire d’une barque, décide de nous montrer la réalité. « Quelle que soit l’espèce, il est devenu rare de rentrer avec une pêche abondante. Voici la barque de mon frère qui arrive. Vous aurez l’occasion de tout filmer et de comprendre ce que nous vivons », confie-t-il.
Ladite embarcation n’a pas encore accosté, mais le regard de Marc trahit son angoisse. Dans sa tête, des calculs et des incertitudes. Autour de lui, de jeunes pêcheurs hochent la tête, comme pour se montrer solidaires à ses déclarations, durant l’interview. « On brûle du carburant pour rien », dit l’un d’eux.
Franck da Costa, président de la Fédération des pêcheurs marins artisans du Bénin, confirme ces difficultés : « Ça se ressent au quotidien. Certains s’endettent jusqu’à 1,5 millions de francs CFA (soit environ 2 500 USD) par an rien que pour le carburant. On travaille pour les vendeurs d’essence », dit-il.
Ainsi, malgré de lourds investissements, les pêcheurs rentrent souvent les cales vides, ce qui compromet gravement leurs moyens de subsistance et la sécurité alimentaire. La situation est similaire sur toute la côte ouest-africaine. Au Ghana, les débarquements de petits pélagiques, selon The Salata Institute, ont baissé de moitié entre 1993 et 2019.

Le niveau du stock de poissons devient si bas qu’il entraîne une réduction significative des captures. « L’épuisement des stocks de poissons se produit lorsque le niveau d’un stock de poissons devient si bas qu’il entraîne une réduction significative des captures. La diminution des prises et des débarquements dans le secteur de la pêche au Ghana constitue une preuve tangible de l’épuisement des stocks pour les pêcheurs locaux », explique Dr Evans Kwasi Arizi, spécialiste en évaluation des stocks à l’université de Cape Coast (Ghana).
Un déclin généralisé dans le Golfe de Guinée
Le rapport 2024 du groupe de travail de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et du Comité des pêches pour l’Atlantique Centre-Est FAO/COPACE sur les ressources démersales dresse un constat sans appel. Quinze stocks étaient surexploités en 2023, dont les fritures à écailles (Brachydeuterus auritus), les dorades roses (Dentex spp.) et les otolithes ou bars (Pseudotolithus spp.), dans l’espace formé par la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin. La capture totale pour ces espèces est passée à 33 842 tonnes en 2023 contre 37 859 tonnes en 2022, soit une baisse de 11 %.
Certaines régions ont enregistré des baisses bien plus sévères. C’est le cas au Congo, où la capture de rouget à grosse tête a été estimée à 100 tonnes, seulement en 2023 contre 1 274 tonnes en 2022, soit une baisse de 18 %. Au Ghana, les seiches sont en chute libre de 44 % en un an.

Professeur Zacharie Sohou, océanographe biologique ayant présidé le comité de scientifiques dans le cadre de cette évaluation reste préoccupé. « Avec ces tendances, une réduction globale de l’effort de pêche est nécessaire pour éviter l’effondrement des écosystèmes », explique le directeur de l’Institut de recherches halieutiques et océanologiques du Bénin (IRHOB). Il ajoute que « l’exploitation excessive des juvéniles empêche le renouvellement des stocks, faute de recrutement ; ce qui dégrade la biodiversité ».
Adieux les espèces prisées
Friture à écailles, dorade rose, otolithes, et seiches. Ces poissons démersaux à forte valeur commerciale sont bien connus des pêcheurs marins artisans et des autres acteurs de la pêche maritime. Quand on leur demande les espèces qu’ils ont du mal à revoir fréquemment, ils n’hésitent pas à les citer. « Vous prenez les bars qui sont très prisés par les consommateurs, ils sont devenus rares », dit Franck da Costa. C’est aussi le cas des sardinelles et des anchois.
Marc Codjo Atindégla a une idée de la cause profonde de ces disparitions : la surpêche et la pêche illégale. « On sait que les acteurs sont de plus en plus nombreux dans le secteur, mais si l’État ne met pas fin à l’usage des chaluts-bœufs, ces engins utilisés par des pêcheurs continentaux pour raser l’océan, nos enfants n’auront plus de poissons demain. Ils raclent tout, jusqu’aux alevins qui viennent de naître », dit-il.
Mais il n’y a pas que cela comme menace venant de la pêche artisanale. De Cotonou en direction de Lomé, il n’est point rare de croiser des spectacles de pêche à la senne. L’engin doté d’une grosse poche de filets à mailles fines est déployé en mer à partir du rivage pendant plusieurs heures. Puis, sur fond de chants, le filet est tiré par une foule de pêcheurs.
C’est un engin dévastateur, selon Professeur Sohou. « La pêche à la senne de plage contribue beaucoup à la dégradation des ressources et à la perte de la biodiversité, compte tenu de ce qu’elle s’exerce, dans la zone côtière qui constitue une frayère où sont ramassés beaucoup de juvéniles », dit le scientifique.

Urgence régionale
L’effondrement des écosystèmes marins pose un problème de survie pour les communautés de pêches dans le Golfe de Guinée. Depuis plusieurs années, The Salata Institute for Climate and Sustainability de l’Université Harvard et des universités locales mènent des enquêtes pour comprendre cette situation difficile, de même que les options envisageables.
Les résultats des travaux par ces équipes de recherche en attente de publication et dont nous avons pris connaissance sans pouvoir les citer, pour le moment, ressassent le désespoir des pêcheurs. Contacté par courriel par Mongabay, Professeur Robert Paarlberg, associé au programme de science de la durabilité à Harvard Kennedy School et qui participe aux travaux, déplore une mauvaise gestion des pêches.
« Il y a trop de pirogues artisanales en mer aujourd’hui, dotées de capacités accrues (moteurs hors-bord) qui utilisent des méthodes illégales (filets à mailles fines, pêche à la lumière pour attirer les poissons en surface, et même la dynamite) ». Les chalutiers industriels aggravent, dit-il, le problème en utilisant des filets dans la zone côtière réservée aux pirogues, en ciblant des poissons pour lesquels ils n’ont pas de licence, et en capturant des juvéniles qui n’ont pas eu le temps de se reproduire.
Ces pratiques de pêche seraient donc, selon des chercheurs, une menace pour la durabilité, même sans le réchauffement des océans. Elles deviennent encore plus préoccupantes lorsque le réchauffement s’y ajoute.

Que faire ?
Aller vers un repos biologique régional concerté dans les pays membres du Comité des Pêches pour le Centre-Ouest du Golfe de Guinée (CPCO). Certains pays comme le Bénin et le Ghana l’ont déjà expérimenté à travers l’interdiction de la pêche durant une période de reproduction de nombreuses espèces. « Le repos permet aux poissons de se reproduire en sécurité et aux petits poissons de grandir. Il faut laisser les poissons se reproduire au moins une fois avant de les capturer. Cette mesure, nous militons pour qu’elle soit élargie à tous les pays membres du CPCO. Le Togo va rentrer dans la dynamique », dit Hermann Gangbazo, Chef service aménagement et gestion des pêcheries à la Direction de la production halieutique au Bénin.
Ces fermetures saisonnières sont plutôt jugées trop courtes par les scientifiques comme Prof. Robert Paarlberg, pour qui il faut un ensemble de mesures cohérentes. « Jusqu’à présent, les interdictions saisonnières, dans des pays comme le Ghana, ont été trop courtes, en particulier pour les pirogues, et elles n’ont pas été assorties de mesures plus strictes contre la pêche illégale par les pirogues et les chalutiers. Par conséquent, lorsque les interdictions sont levées, les pêcheurs compensent les pertes de revenus en augmentant l’utilisation de méthodes illégales. Les gouvernements pourraient réduire la surpêche par les pirogues en suspendant l’octroi de nouvelles licences et en supprimant les subventions sur le carburant, mais les pêcheurs s’organiseraient contre de telles mesures ».
Entre autres solutions salvatrices, figurent la régulation de la taille des mailles des filets pour éviter la capture de juvéniles, le respect des quotas de pêche et la surveillance rigoureuse des aires marines protégées (AMP). Aucune mesure ne devrait être de trop pour redonner confiance aux pêcheurs du Golfe de Guinée, eux qui craignent de ne pouvoir transmettre ce bel héritage à leurs enfants, parce qu’eux, à cette allure d’épuisement des stocks et d’effondrements de la biodiversité, feraient déjà face à un désert bleu, plutôt qu’à un océan.
Image de bannière : Des barques au repos au port de pêche de Cotonou, au Bénin, le 15 mars 2025. Leurs propriétaires, des pêcheurs marins, signalent une baisse régulière de leurs prises ces dernières années. Image de Fulbert Adjimehossou pour Mongabay.
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