- La biodiversité est l’une des victimes collatérales de la guerre qui a cours à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), opposant l’armée loyaliste aux rebelles du M23.
- Le 18 mars 2025, un hippopotame amphibie, espèce menacée de disparition, a été tué par l’un des belligérants.
- La survie de la faune sauvage dans les aires protégées préoccupe très sérieusement la société civile environnementale du Sud-Kivu.
- Le Parc national de Kahuzi-Biega a suspendu ses activités en raison du contexte très tendu, et l’on redoute une extinction des espèces emblématiques de ce parc, à l’instar des gorilles des plaines occidentales.
Le 18 mars 2025, un hippopotame amphibie a été abattu dans la plaine de la Ruzizi à Luvungi, à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), limitrophe avec le Rwanda et le Burundi. L’espèce, identifiée comme vulnérable sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et vivant dans la rivière Ruzizi, aurait été tuée par des bénévoles des Forces armées de la RDC (FARDC), appelés localement Wazalendo. Ceux-ci assistent l’armée loyaliste dans le combat pour le contrôle des territoires de l’Est du pays contre les rebelles du M23.
Dans cette bataille pour le contrôle des ressources minérales de la région, la biodiversité, qui en est une victime collatérale, paie également payer un lourd tribut de cette guerre. Les aires protégées sont prises d’assaut par les belligérants, les ressources sont pillées et les animaux tués. L’insécurité prédomine, les populations apeurées désertent progressivement la région pour se réfugier dans les pays voisins; les gouvernants locaux se murent dans le silence par craintes de représailles.
Dans ce contexte empreint d’hostilité, Josué Aruna, leader de la société civile et défenseur de l’environnement dans le Sud-Kivu, a accepté de s’entretenir avec Mongabay sur l’avenir de la biodiversité dans la région.
Ce membre du Groupe de spécialistes de l’UICN pour les hippopotames, membre du Mouvement international pour l’écocide et Directeur exécutif national de l’ONG Congo basin conservation society (CBCS), fait un état des lieux de la situation des hippopotames de la rivière Ruzizi et des menaces auxquelles ils sont confrontés. Il parle à l’occasion des actions entreprises depuis des années pour assurer leur protection.
Aruna évoque aussi la situation très critique du Parc national de Kahuzi-Biega au Sud-Kivu, en proie à un pillage systématique de ses ressources, et des menaces qui pèsent sur les gorilles des plaines occidentales présents dans cette aire protégée, menacés de disparition. Ce parc serait d’ailleurs le théâtre, depuis quelques jours, d’affrontements entre les FARDC et le M23. L’administration du parc a plus ou moins corroboré cette information, en répondant à Mongabay en ces termes : « En raison de la situation sécuritaire actuelle au Sud-Kivu, il n’y a pas d’activités au parc pour le moment. Le parc ne souhaite pas, non plus, se prononcer sur la situation actuelle et encourage à privilégier la sécurité de tous », a dit Breuil Munganga, responsable de la Communication du parc, à Mongabay, au téléphone. Il va sans dire que l’avenir des gorilles, ainsi que des autres mammifères emblématiques de ce parc, est plus que jamais compromis par le conflit en cours.

Mongabay : Pourriez-vous nous faire l’état des lieux de la situation des hippopotames de la rivière Ruzizi, en cette période marquée par le conflit opposant les rebelles du M23 aux Forces armées de la République Démocratique du Congo, à l’Est de votre pays ?
Josué Aruna : Au niveau de la société civile, il y a des alertes que nous lançons. Ce sont nos points focaux, qui sont sur le terrain et qui sont basés à Luvungi (Sud-Kivu), précisément dans la plaine de la Ruzizi, qui nous font souvent état de la situation de l’abattage des hippopotames. Cet état de chose dure depuis longtemps. Auparavant, cette situation était liée au mécontentement des militaires impayés, qui coalisaient avec les communautés locales de la plaine de la Ruzizi, pour tuer afin de commercialiser leur viande et vendre leurs canines, qui ont presque la même valeur que l’ivoire de l’éléphant. Comme c’est une zone chaude de la biodiversité, au niveau du Rift Albertin, qui est la limite entre la RDC, le Rwanda et le Burundi, où on trouve des espèces emblématiques d’hippopotames amphibie, qui sont parmi les hippopotames géants localisés dans cette zone de l’Afrique. Du côté du Burundi, il y a la Réserve de la Ruzizi, qui est un site d’importance internationale de la Convention Ramsar sur les zones humides, où les hippopotames quittent pour se retrouver en RDC, où il n’y a pas de réserve de ce côté. Quand ils sont en RDC, ils sont dans les champs des communautés, où il n’existe pas de mécanismes de protection.
Notre organisation a commencé à travailler depuis 2020 pour sensibiliser, et travailler sur les mécanismes de transformation des conflits homme-hippopotame, mais aussi pourréduire les menaces liées au braconnage des espèces par les communautés riveraines. Ce qui a amené à installer des points d’observation des hippopotames pour promouvoir le tourisme communautaire, qui a commencé à fonctionner. Mais la situation actuelle, liée à la guerre, renforce les menaces liées aux hippopotames. Aujourd’hui, ce sont les Wazalendo (bénévoles de l’armée congolaise), qui, par manque de ration alimentaire, refusent de mourir de faim, alors qu’ils ont des espèces à leur portée, qu’ils peuvent abattre pour leurs besoins de subsistance lors de leurs opérations. En réalité, il est inquiétant de voir que ces citoyens congolais qui devraient, à leur niveau, préserver cette biodiversité, et notamment ces espèces totalement protégées, promouvoir les lois du pays en matière de conservation de la biodiversité, soient les mêmes qui abattent les espèces rares, utiles à l’économie locale, à travers le Programme de tourisme communautaire : lequel était en cours de mise en œuvre dans la zone, une zone charnière entre les trois pays, où les visiteurs devraient commencer à venir, et cela aurait créé des emplois pour la jeunesse. Les effets de la guerre, que nous observons, risquent de compromettre l’avenir de la rivière Ruzizi et du Lac Tanganyika, mais aussi l’avenir des générations futures.
Comme ces Wazalendo ne sont pas payés, ils n’ont pas de ration alimentaire, ils tuent donc ces hippopotames pour gagner de l’argent, afin de continuer la mobilisation des ressources, qui leur permettent de faire la guerre. En temps de guerre, notre rôle, en tant que société civile environnementale, est de sensibiliser tous les acteurs impliqués dans le conflit armé, de savoir que notre avenir dépend de l’existence de ces écosystèmes. Si nous nous retournons contre la nature, nous compromettons notre avenir commun. Nous avons intérêt à protéger la nature, car c’est la seule base de l’économie, des valeurs culturelles, mais aussi des enjeux globaux en matière de changement climatique et de conservation de la biodiversité. Nous en appelons à une conscience collective de tous les belligérants, car la protection de la nature n’est pas négociable. Tuer des hippopotames est un crime environnemental, ce que nous appelons crime d’écocide, et les auteurs doivent être poursuivis, même après la guerre. Nous demandons aux autorités congolaises, d’instruire les éléments qui sont sous leur obédience, de ne plus détruire la biodiversité, car cela constitue le soubassement de notre avenir commun.
Mongabay : Combien d’hippopotames ont pu être tués à l’Est de la RDC depuis le début du conflit. En avez-vous fait une évaluation ?
Josué Aruna : C’est difficile pour nous de faire une évaluation du nombre d’hippopotames tués, étant donné que le monitoring, qui était assuré par nos points focaux sur le terrain, ne se fait plus. Certains ont fui et sont désormais réfugiés dans des camps au Burundi et au Rwanda. Mais, des statistiques, avant la guerre, faisaient état de trois hippopotames tués en moyenne tous les mois, selon les rapports qui nous parvenaient. Et cela était causé par les soldats de l’armée loyaliste et les groupes d’autodéfense qui travaillent à leurs côtés. Nous avons également peur de voir le site touristique, qu’on avait déjà érigé dans la plaine de la Ruzizi, et qui abritait des troupeaux de 30 à 40 hippopotames par jour, se vider, car il n’est pas exclu qu’ils aillent là-bas, pour les abattre dans cette aire de repos, qu’on avait transformée en lieu d’écotourisme.

Mongabay : Quelle était la plus-value de ce site écotouristique pour les communautés locales dans la plaine de la Ruzizi ?
Josué Aruna : Les retombées de cette activité étaient vraiment prometteuses. La communauté locale avait déjà créé un compte d’épargne dans une coopérative locale, et les visiteurs commençaient à venir. Les chercheurs commençaient à venir pour s’intéresser aux activités du site, et tout le monde venait payer quelque chose pour le visiter, et cet argent était reversé dans la caisse d’épargne communautaire. À ce jour, même la caisse d’épargne a été pillée, et il n’en reste plus rien, alors qu’on était déjà bien lancé dans un circuit touristique, et qu’on envisageait déjà des partenariats avec des entreprises au Rwanda, au Burundi et en Ouganda, pour promouvoir ce site. Il existe un village des peuples autochtones près du site, où les habitants réalisent beaucoup d’objets d’art relevant de leur culture, que nous avions intégré dans notre circuit comme l’une des étapes pour les touristes, ce qui aurait aussi boosté l’économie locale.
Mongabay : Pourrait-on avoir une idée de la population des hippopotames présents dans la région. Un inventaire récent a-t-il été fait à ce propos ?
Josué Aruna : Un inventaire partiel effectué, en 2020, avait estimé, à 145, le nombre hippopotames dans la région. Au cours des trois dernières années, il y a des reproductions, mais nous craignons que le nombre soit réduit avec la situation actuelle.
Mongabay : Que font les autorités du Sud-Kivu pour accompagner la société civile pour ce qui est de la protection de la biodiversité dans la région ?
Josué Aruna : Nous travaillons toujours en collaboration avec les autorités du pays, parce que notre rôle, en tant qu’organisations de la société civile, est soutenir les ambitions en matière de conservation de la biodiversité, afin d’aider à répondre aux engagements internationaux, notamment le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal sur la protection de la biodiversité.

Mongabay : Est-ce qu’il existe des actions concrètes émanant de cette collaboration ?
Josué Aruna : Évidemment ! Il y a l’aménagement de deux sites d’observation des hippopotames comme à Kamanyola et Katogota ; il y a eu des activités de restauration des zones de repos des hippopotames au niveau du Lac Tanganyika et à la Rivière Ruzizi, à base d’espèces comestibles pour créer du pâturage pour ces hippopotames. Il y a eu des activités d’appui aux moyens de subsistance pour les communautés, car leurs champs ont été ravagés par des hippopotames. Ceci, parce que les populations cultivaient jusqu’au lit de la rivière. On a procédé à une distribution du bétail (chèvres) pour réduire leur dépendance aux activités, qui amènent les risques de destruction des habitats des espèces ; on a soutenu les pêcheurs au lac Tanganyika avec des équipements pour la pêche ; on y a également soutenu des activités agroécologiques en distribuant des semences dans les zones où les hippopotames n’arrivaient pas ; on a aussi soutenu les activités des associations villageoises d’épargne de crédit, où on a remis des fonds de roulement à des femmes pour leur permettre de constituer des capitaux pour le petit commerce, étant donné que c’est une zone transfrontalière.
Mongabay : En dehors des hippopotames, quelles sont les autres espèces menacées au niveau de la région, et dont il faut craindre pour leur survie dans le contexte de guerre actuel ? Comment agissez-vous également pour leur protection ?
Josué Aruna : Notre travail se limite au niveau du plaidoyer et la lutte contre le braconnage et la destruction des habitats des gorilles des plaines de l’ouest, dans le Parc national de Kahuzi-Biega. Avant la rébellion, le parc était confronté aux problèmes de déforestation, la coupure du bois pour le charbon. Nous avons mené un plaidoyer auprès des autorités compétentes et au niveau de la province. Ce qui a amené le gouvernement provincial à signer un arrêté interdisant la coupure de bois et la commercialisation des produits issus du Parc national de Kahuzi-Biega, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Actuellement, avec la situation de guerre dans la région, les exploitants illégaux outrepassent l’arrêté du gouvernement provincial, et recommencent à couper le bois dans ce parc et à piller ses ressources. C’est un parc qui risque de disparaitre, parce qu’il a connu des menaces depuis lors, notamment l’exploitation de l’or à l’intérieur du parc et la destruction de l’habitat des gorilles.
Image de bannière : Josué Aruna, militant écologiste de la société civile environnementale du Sud-Kivu à l’Est de la RDC. Image de l’ONG Congo basin conservation society (CBCS), avec l’aimable autorisation de Josué Aruna.