- En République démocratique du Congo, la réserve de chasse de la basse Kando court vers sa disparition.
- L’activité minière industrielle et artisanale est désignée comme l’un des facteurs de cette décroissance.
- Mais d’autres facteurs comme la pêche illégale, la chasse excessive et une faible administration de l’aire protégée tendent à expliquer cette situation.
Sur la rive gauche, du Lualaba, appellation du fleuve Congo, à sa source, niche le village du même nom, sis à 30 minutes du centre-ville de Kolwezi, capitale de la province du Lualaba, un témoin décennal des flux humains et des engins chargés des produits miniers sur la route nationale 39 (RN 39), dans le sud-est de la République démocratique du Congo.
La localité de Lualaba en République démocratique du Congo (RDC) constitue une limite sud-ouest de la réserve de chasse de la basse Kando, une aire protégée délaissée où, depuis 2006, opèrent des sociétés qui extraient cuivre et cobalt. Au pied de la colline qui surplombe Lualaba, un homme s’installe sous une véranda, chapeau poilu décoré d’une étoffe aux taches de léopard sur la tête, amulettes autour du cou, bracelets au bras gauche et canne dans sa main droite. C’est le chef de localité, Chikala Mumba Kabange Denis, installé depuis 2012. « Rien n’est plus comme avant », dans cette région, explique Chikala.
Dans ce village où il est né, il y a 75 ans environ, « il y avait beaucoup d’animaux sauvages, il y avait beaucoup de poissons dans les eaux. Nous avions beaucoup d’animaux aquatiques comme les hippopotames, les crocodiles et d’autres animaux. Mais en vérité, aujourd’hui, on n’a plus autant d’animaux. On ne les voit plus », explique Chikala.
Kando a perdu 77 % de sa superficie
La réserve de chasse de la basse Kando, 17 500 hectares de superficie, soit 162 terrains de football, a été créée en 1957 par l’administration coloniale belge. Elle a été administrée par le Parc National de l’Upemba dont elle était considérée comme son extension, avant de se retrouver dans une autonomie floue. Avant son érection par le ministre de l’environnement comme aire protégée en 2006, « les services compétents de l’Etat se sont mis à y octroyer des concessions aux exploitants miniers », fait observer le défenseur de l’environnement, Chris Bwenda, coordonnateur de l’ONG Premi Congo.
Environ 8 sociétés minières opèrent dans cette zone à la recherche du cobalt et du cuivre, notamment la société publique Gécamines (Générale des Carrières et des Mines), actionnaire dans plusieurs jointes-ventures tout comme Chemical for Africa, CMOC Kisanfu mining, Mutanda Mining et la Société de Deziwa, installées dans la région.
A ce jour, Kando ne consiste plus aujourd’hui qu’en 23 % de sa superficie d’avant l’installation des miniers industriels. Pour couronner le tout, Kando n’a plus de personnel suffisant : une vingtaine, d’après une évaluation de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) datant de 2010, qui indique qu’il en fallait plutôt le double à l’époque. Le verdict de ce rapport est sans appel : Kando est difficilement récupérable comme l’indique son score sur le plan administratif : moins de 4 sur une échelle nationale de 10.
Mongabay n’a malheureusement pas obtenu la réaction ni des responsables nationaux, ni locaux de l’ICCN.
Le lac Kando, le tendon d’Achille de la réserve de Kando
Le lac Kando, qui traverse cette aire protégée pour se jeter dans le fleuve Congo, en est l’écosystème central. Les hippopotames (Hippopotamidae) y remontent pour paître et y passer le clair de leur temps lorsqu’ils s’éloignent des eaux profondes du fleuve. Les hippopotames sont par ailleurs des « acteurs clés de l’écosystème », selon l’expert en Analyse des données spatiales et ancien agent du parc de l’Upemba, Claudel Tshibangu.
Il s’ensuit que toute perturbation du lac aura des effets sur le reste des êtres vivants du parc, selon cet expert. Puisque, quoique les hippopotames soient des herbivores, « leur bien-être est indirectement lié aux écosystèmes aquatiques », explique Tshibangu. Dans ce cas, la diminution des poissons peut indiquer « une pollution accrue ou une dégradation des habitats aquatiques (qualité de l’eau, végétation). Une réduction des zones de refuge pour les hippopotames, qui utilisent les cours d’eau pour se protéger du stress thermique. Ces changements environnementaux peuvent entraîner une baisse de leur population en affectant leur habitat, leur accès à l’eau, et en augmentant leur vulnérabilité face aux chasseurs », explique-t-il.
Les mines, le coup de grâce d’une aire protégée
Or, l’exploitation minière qui démarre dans le courant des années 2000 et qui se consolide dans la décennie suivante, expose Kando aux pollutions. L’évaluation de l’ICCN de 2010, la plus détaillée concernant cette aire protégée à laquelle nous avons eu accès, désigne la pollution comme l’une des 2 principales menaces à l’avenir de Kando. L’autre menace est, selon la même étude, la pêche illicite.
Les riverains interrogés par Mongabay accusent eux aussi les sociétés minières de polluer le lac par des déversements toxiques. « Selon moi, les poissons disparaissent à cause des acides déversés dans le lac. Actuellement, nous souffrons. (…). Nous ne savons plus pêcher : il n’y a plus d’eau sur le lac. Les poissons que nous mangeons sont minuscules, à peu près comme des fretins », se plaint Joseph Kandala, habitant du village Kaindu.
« Les acides minent davantage le lac. Nous en ressentons même les odeurs qui chatouillent le nez », explique pour sa part Kibanda wa Kyembe, qui vit, depuis 30 ans, à Kapaso, localité dont il est le représentant du chef de terre de Lualaba.
Pour sa part, Kandala se souvient aussi avoir vu, il y a 4 à 5 ans, de nombreux poissons morts sur le lac, en aval d’une société minière soupçonnée d’avoir déversé des eaux toxiques.
Si ces allégations ne sont pas étayées par les analyses de laboratoire, un rapport de 3 ONG congolaises de défense des droits humains, dont l’Asadho (Association africaine des droits de l’homme), publié en 2016, avait accusé l’entreprise MUMI (Mutanda Mining) d’avoir déversé des effluents liquides dans le lac Kando. 17 personnes avaient alors développé des éruptions cutanées. Le rapport de ces ONG pointait par ailleurs « des périls environnementaux et sociaux passés sous silence dans les zones impactées par les activités extractives de l’entreprise MUTANDA MINING », à savoir : « Pollution, déforestation et perte de la biodiversité ».
Si Mongabay n’a pas vu un seul des hippopotames ni d’autres espèces sauvages dans la réserve de chasse de la basse Kando au cours de son enquête menée dans 5 villages longeant le lac, les riverains assurent que les hippopotames sont bien là. Ils arrivent jusqu’à certains villages, le cas de Kapaso, le premier des 5 visités mi-novembre 2024, à environ 5 km (3,1 miles) de la localité de Lualaba dont ils dépendent. « Il y en a encore, les hippopotames. Ils ont fui l’étiage en cours sur le lac. Parfois, ils pourchassent des gens. Il est même arrivé qu’un hippopotame ait mangé une personne, il y a quelques années. Nous avons alerté les autorités qui nous ont dit que nous sommes établis dans une aire protégée », explique Kibanda.
Plus de poisson, difficile retour à l’agriculture
Kando était connue pour ses buffles, hippopotames et singes. Seuls les premiers sont encore visibles à ce jour, la chasse excessive et l’espace devenus plus bruyants, ont concouru à leur rareté ou à leur disparition, selon les habitants de la région.
L’abatage des hippopotames expose aux sanctions sévères en RDC depuis plusieurs décennies. Ce n’est pas le cas pour les autres espèces qui subissent une « surchasse ». « Tu peux circuler partout, tu ne trouveras aucun animal, pas même de petits rongeurs. Jadis, nous voyions beaucoup d’animaux partout ici. Les populations d’animaux ont commencé à décliner autour de 1960-1962. On voyait même des éléphants », explique Kibanda.
A 5 km plus bas, sur la rive gauche du Lualaba, le chef Chikala Mumba Kabange Denis dresse le même constat : le fleuve ne donne plus de poissons. Il accuse la surpêche et les déversements acides par les miniers.
« Ces entreprises, venues chez nous pour s’installer près des rivières, font fuir beaucoup de poissons avec les acides et autres produits qu’ils déversent. On n’a plus de poissons comme avant. Les carpes ne sont plus visibles. Nous mangeons désormais les poissons qu’on rejetait jadis. Et même les techniques de pêche posent problème : les filets à mailles prohibées ramassent tout au passage, même les œufs de poissons. Dites-moi, comment les poissons vont se reproduire ? », déplore Chikala.
Au village Rianda, Malama Gheshom, pêcheur depuis 1974, se plaint lui aussi de la perte de poissons. Longtemps, « Kando était le symbole d’espoir, avec ses nombreux et gros poissons. Nous tirions nos ressources de ce lac : payer les études des enfants, faire toute chose. C’était notre entreprise », explique-t-il. Comme les autres, il considère que le point de rupture est l’installation des sociétés minières dans les environs. « L’eau n’est plus bonne, l’environnement s’est dégradé. Nous ne capturons que de tout petits poissons qui devraient être laissés pour grandir », explique-t-il. Mais à propos de l’usage des filets à mailles trop minces, Malama rejette l’accusation.
Sur la rive droite de Kando, Malama montre le niveau du lac au plus bas, avec des endroits desséchés. De tels étiages se répètent depuis cinq à dix ans, expliquent les riverains.
Les anciens villages de pêcheurs doivent ainsi se reconvertir à l’agriculture pour survivre. C’est un lent et pénible processus dans cette région où l’artisanat minier attire davantage des jeunes.
Image de bannière : Hippopotame noir dans une rivière. Image de Joe Were via Unsplash.
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.