- Les éléphants d’Afrique ont des attitudes similaires aux humains. Des chasseurs témoignent de ses comportements inexplicables à leurs yeux.
- En dehors de leur capacité à avoir de la mémoire, dans leur quotidien, il s’observe une communication singulière. Les éléphants utilisent des cris ou ‘’noms’’ spécifiques pour s’adresser à chaque individu de leur entourage.
- Contrairement à d’autres animaux, les éléphants n’imitent pas les appels du destinataire pour s’adresser à lui.
- Chaque éléphant réagit différemment aux appels qui lui sont spécifiquement destinés.
Ce matin d’octobre 2024, Jean-Paul Yetema, un jeune de Tanongou et guide touristique, est venu à notre rencontre à Tanguiéta, une ville située à 591 kilomètres de Cotonou, au nord-ouest du Bénin. Pas de taxi pour se rendre à Tanongou, situé entre Tanguiéta et Batia, la porte principale du Parc national de la Pendjari. Assis derrière sa moto, nous longions à notre droite la chaîne montagneuse de l’Atacora, qui se perd dans le parc, en direction de Tanongou.
Le village est à 32 km de Tanguiéta et 12 km de Batia. Ses habitants sont des Gourmantchés, venus de l’actuel Burkina Faso à la faveur d’une vielle migration. Leurs principales activités sont l’agriculture et la chasse. Avec la conservation de la faune au parc, beaucoup ont dû laisser la chasse et le braconnage. Aujourd’hui, leurs champs s’étendent jusqu’à la Zone d’occupation contrôlée (ZOC) du parc, séparée par des barrières métalliques pour empêcher les éléphants d’y accéder pour les dévaster.
Après une heure de trajet sur une interminable piste latéritique, on voit les premières maisons de Tanongou. Au milieu de l’une de ces habitations d’où s’échappent d’épaisses couches de fumées, nous attendait, Yempabou Djali, un chasseur avec plus de 40 ans d’expériences, reconverti à l’agriculture et occasionnellement guide de chasse lors des safaris au parc pendant les saisons cynégétiques.
Nous étions pressés ce matin-là d’aller lui demander si vraiment les éléphants s’adressent les uns aux autres avec des cris spécifiques à chacun, comme l’on fait savoir des chercheurs dans une étude, publiée le 10 juin 2024, dans la revue Nature Écologie & Évolution.
La seule préoccupation qui nous taraudait l’esprit, était de savoir si les pachydermes échangent à travers des cris spécifiques à chacun, sans s’appuyer sur l’imitation du récepteur comme l’indique cette étude, menée au Parc national d’Amboseli, au Kenya, avec des preuves à l’appui.
Les constatations des chercheurs révèlent que les appels d’un même appelant adressés au même destinataire sont plus similaires que les appels d’un même appelant adressés à deux destinataires différents, ce qui indique que les appelants utilisent des appels différents pour s’adresser à des individus différents.
Les éléphants ont réagi plus fortement à la lecture de l’enregistrement d’un appel, qui leur était initialement adressé par rapport à un appel du même appelant adressé à quelqu’un d’autre, indiquant ainsi qu’ils peuvent déterminer si un appel leur était destiné.
Les appels adressés à un destinataire donné ne ressemblaient plus aux appels du destinataire lui-même qu’aux appels d’autres éléphants, ce qui suggère que les éléphants n’imitent pas les appels du destinataire.
« Nous ne savons pas encore comment les éléphants obtiennent leurs noms. Il est possible qu’ils l’apprennent de leur mère ou d’autres soignants, mais ce n’est qu’une hypothèse. Il semble que les adultes soient plus susceptibles d’appeler les autres par leur nom que les jeunes, ce qui suggère qu’il faut un certain temps aux éléphants pour apprendre à utiliser des noms pour les autres. Mais ils semblent toujours répondre à leurs propres noms en tant que jeunes », dit à Mongabay dans un courriel, Dr Michael A. Pardo, Chercheur au Laboratoire d’ornithologie de Cornell (USA), auteur principal de l’étude.
Il explique que l’utilisation de noms est certainement un point de similitude entre les humains et les éléphants. Les éléphants ont de nombreuses autres capacités, qui indiquent une cognition sophistiquée. Par exemple, ils peuvent reconnaître au moins 100 autres éléphants par le son de leur voix, même s’ils n’interagissent pas très souvent avec eux, et ils peuvent faire la différence entre différents groupes ethniques humains en fonction de l’odeur de leurs vêtements et du son de leur langue, dit-il.
Toutefois, l’utilisation de cris de type nominatif pour s’adresser à d’autres individus n’est pas inédite, précise Pardo. Les dauphins et les perroquets le font aussi, mais elle est rare. De plus, les cris des éléphants sont habituellement bas en fréquence, à tel point qu’ils sont en partie en dessous de la portée de l’audition humaine.
A notre arrivée à Tanougou, nous trouvâmes Djali assis dans la cour mitoyenne à sa concession. Notre accompagnateur assure la traduction au fur et à mesure que Djali déroule tel un magnétoscope son expérience de la chasse aux éléphants. Pour lui, la chasse est son don naturel, même si, avec du recul, il se demande ce qu’il en a gagné malgré ses hauts faits d’armes. Il avait prévu faire un tour rapide au champ ce matin-là quand il a été alerté de notre arrivée.
Djali connait les éléphants et décrit leur mode de vie, il évoque leurs rapports avec leurs petits, la flore et les ressources naturelles du parc comme les sources d’eau, et leur vie en communauté. Pour lui, sur plusieurs points, ils vivent comme des humains et sont très organisés.
Le vieil homme est convaincu qu’ils communiquent entre eux. Mais il ne saurait l’expliquer. « Les éléphants viennent souvent en groupe pour s’abreuver, et repartent ensemble. On devait parcourir plusieurs kilomètres, et faire des jours, voir une semaine avant de les voir. Et il faut se préparer en conséquence. L’éléphant ne va pas me voir, ni le lion, ou le buffle. Ils peuvent voir le bout du fusil », dit-il.
« Pour les observer, il faut rester dans le sens contraire du vent, sinon ils vont vous repérer. Lorsqu’ils constatent qu’il y a un danger, ils se regroupent. Les petits restent avec les femelles et les mâles sortent du troupeau et font du bruit pour avertir qu’ils vous ont vu », dit Djali.
Du côté opposé à la concession de Djali, en direction du parc, nous avons retrouvé sous un manguier, Abou Kondja. Agé de 55 ans, avec lui, les échanges eurent lieu en français, sous une brise, qui fait mouvoir le feuillage, dans cet environnement arboré. A leur passage sur le sentier environnant, des riverains, nous lancent des salutations, dans une atmosphère pleine de convivialité. On pouvait lire l’enthousiasme de Kondja, dans ses yeux qui s’illuminent, revisitant le passé. Il y a 16 ans environ, il faisait la chasse. Il a abandonné cette activité, recruté pour patrouiller, pour lutter contre le braconnage. Aujourd’hui, il s’occupe de l’aménagement des pistes dans le parc.
Pour lui, les éléphants sont comme des humains. « Quand les troupeaux d’éléphants se rencontrent, ils soulèvent leur trompe pour sentir leurs odeurs. Et c’est ainsi qu’ils se dispersent chacun avec les siens », précise-t-il.
Kondja reste convaincu que les éléphants se désignent par des noms. « Quand vous êtes un chasseur et que vous rencontrez un éléphant seul, et les autres sont loin, s’il a senti votre odeur, il alerte les autres. A son deuxième signalement, ces derniers viennent vers lui pour montrer qu’il n’est pas seul », dit-il.
Même son de cloche chez Richard Otchoun, un jeune chasseur à Zaffé, un arrondissement de la commune de Glazoué, dans le département des Collines. Malgré sa jeunesse, Otchoun a déjà à son actif de hauts faits d’armes en matière de chasse aux grands mammifères. Les murs de sa chambre sont tapissés de divers trophées d’animaux. « C’est des phénomènes inexplicables. Les animaux communiquent. Ils se parlent entre eux. Ils ont quelques cris. Par exemple, quand dans un troupeau, un animal t’aperçoit et le reste ne t’a pas aperçu, il y a des signes qu’il fera. Ils ont des signes ou des cris qu’ils émettent pour alerter les autres du danger », dit Otchoun à Mongabay.
« Il y a aussi que, par exemple, quand l’animal va à un endroit et découvre de la nourriture en abondance, il signale aux autres qu’il y a de la nourriture à tel endroit », ajoute-t-il.
« Vraiment, c’est inexplicable. Mais, les animaux communiquent entre eux, même les oiseaux. Les éléphants sont mêmes plus intelligents que les hommes. Leurs comportements diffèrent de ceux des autres animaux », précise Otchoun, qui martèle l’étonnante capacité de communication et d’organisation des animaux dans la brousse.
Les éléphants se comportent comme les humains ?
« Le port de colliers aux éléphants dans les parcs du Bénin a démarré en 2018 et nous a permis de comprendre un peu le comportement des pachydermes. On s’était rendu compte que les éléphants communiquent entre eux par des sons qui ne sont pas perceptibles aux humains. Mais, dans leurs attitudes, c’est visible », dit, Angelo Jean-Marie Amoussou, Journaliste, producteur de films animaliers sur des parcs de la sous-région, dont celui de la Pendjari et du W.
Il indique que les éléphants ont une communication très poussée. « Si les éléphants sont menacés à un endroit, vous constatez que dans un périmètre de 5 à 10 kilomètres, ils ont les même comportements. Théoriquement, on se dit qu’il y a un jeu de communication ».
« Quand les éléphants viennent boire, au niveau d’une mare, vous constatez que leurs petits sont bien protégés et ne s’éloignent pas de leur mère. C’est un peu comme le comportement des humains que nous sommes. Il y a une certaine discipline, qui règne au sein de la famille des éléphants. Généralement, les familles sont dirigées par des femelles. Cela veut dire qu’il y a une organisation sociale. Les familles sont matriarcales et c’est la plus vielle qui conduit le groupe », dit Amoussou à Mongabay.
Ce denier traduit également la communication des éléphants par le fait que lorsque l’un d’eux est sur le point de se noyer, tous se mettent ensemble pour le sortir. « S’il n’y a pas de communication, entre eux ce n’est pas possible. Comme ce sont des sons qu’ils émettent en décibels, on n’arrive pas à les percevoir », ajoute-t-il.
Des explications du documentariste, on retient que parfois quand la taille des familles d’éléphants est trop grande, il faut soupçonner qu’il y a du braconnage dans la zone. Ils émettent des sons et préfèrent se mettre plus en groupe que d’être éparpillés quand il y a le danger.
« Quand vous voyez le troupeau, c’est plusieurs familles qui se mettent ensemble. Vous ne verrez jamais les familles se mélanger. Le moment venu pendant la sécheresse comme il n’y a plus à manger, chaque famille s’éclate pour aller chercher à manger. Et vous allez voir, si c’est une famille de dix qui vient, c’est la famille de dix qui va repartir. Pas moins, sauf s’il y a eu des décès ».
Du suivi des éléphants à la Pendjari, il relate que tous les matins, ils migrent vers le Parc national d’Arly au Burkina et le soir reviennent, comme s’ils savent que lorsqu’ils ont traversé la rivière, ils ne sont plus chez eux. « Les autres animaux ne se comportent pas comme cela. Or, chez les éléphants, c’est possible », dit Amoussou.
« Les éléphants ont de la mémoire. Lorsqu’ils arrivent à des endroits, où, peut-être, un éléphant a été tué, ils font des rituels. Il faut avoir de la chance pour les voir », précise-t-il.
« La communication des éléphants, c’est le barrissement pour dire qu’il y a une menace dans le milieu. Il y a une autre communication : ils mettent leur trompe au sol. Ils communiquent entre eux à travers des ondes et par des vibrations sur des kilomètres », dit Dr Aristide Tehou, Ingénieur forestier, chercheur au Laboratoire d’Ecologie Appliquée à la Faculté des sciences agronomiques de l’université d’Abomey-Calavi (Bénin), membre du groupe de spécialistes des éléphants d’Afrique, des félins, des antilopes et de la santé des animaux sauvages de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Dans son laboratoire à Cotonou, un après-midi du lendemain de son retour du terrain, le chercheur nous montre, dans son ordinateur, quelques photos d’éléphants et une communication qu’il préparait sur la réglementation contre le trafic d’ivoires.
« Une caractéristique clé du langage humain est l’utilisation d’étiquettes vocales apprises, qui sont des sons qui font référence à un objet, une idée ou dans le cas d’un nom à un individu. La composante d’apprentissage est essentielle, car elle permet au langage d’être ouvert. De nombreux animaux utilisent des cris spécifiques pour se référer à différents types de nourriture ou de prédateurs, mais ces cris sont généralement innés (non appris), ils ne constituent donc peut-être pas un point de comparaison très utile pour comprendre l’évolution du langage. Mais les noms doivent être appris, car il est impossible de naître en connaissant les noms de toutes les personnes, que vous rencontrerez plus tard dans la vie. Ainsi, le fait de découvrir que les éléphants ont une sorte de noms nous donne un point de comparaison avec les humains pour essayer de comprendre les pressions de sélection, qui ont pu conduire à l’évolution des noms, et finalement du langage plus largement, dans notre propre espèce », conclut Pardo.
Image de bannière : Deux éléphants en pleine manifestation d’attitude d’affection. Image de alex.ch via Flickr (CC BY 2.0).
Citation:
Pardo, A. M., Fristrup K., Lolchuragi, S. O., Poole, H. J., Granli, P., Moss, C., Douglas-Hamilton, I. & Wittemyer, G. (2024). African elephants address one another with individually specific name like calls. Nature Écologie & Évolution, 8 (7). DOI: 10.1038/s41559-024-02420-w.
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