- Danielle Morelle Chimi Tchouankap et ses collègues ont exploré, comment les arboriculteurs de la région des hautes terres de l’ouest du Cameroun perçoivent les changements climatiques et s’y adaptent au quotidien pour garantir leur sécurité alimentaire et économique.
- Le changement climatique est une réalité dans la région des hautes terres de l’ouest du Camerounet est perçu clairement par les arboriculteurs à travers des indicateurs qu’ils ont établis.
- Les arboriculteurs ont développé des stratégies d’adaptation pour faire face aux effets du changement climatique, notamment la modification du calendrier agricole, l’utilisation des semences améliorées, la rotation ou l’association des cultures et l’intensification des arbres fruitiers dans les parcelles agricoles. Ces stratégies s’appliquent aussi dans d’autres régions, notamment au Tchad.
Une étude récente, publiée en 2024, dans la revue Cameroon Journal of Experimental Biology, explore la manière dont les agriculteurs au Cameroun perçoivent les changements et s’adaptent au quotidien pour garantir la sécurité alimentaire.
Les hautes terres de l’Ouest du Cameroun sont considérées comme le grenier du pays. Elles sont exploitées par beaucoup d’agriculteurs, dont des arboriculteurs.
Analysant les données climatiques (temperature et pluviométrie) sur 30 ans (1990-2020) des départements de la Menoua, Haut-Nkam, Bamboutos et Noun, Danielle Morelle Chimi Tchouankap, chercheuse au Département de Foresterie à l’université de Dschang (Cameroun) et ses collègues camerounais, indiquent que « cette zone agroécologique est particulièrement touchée par les changements climatiques, qui se manifestent par une hausse des températures, des fluctuations à travers le nombre de jours de pluie et des variations à travers la quantité de précipitations ».
Les agriculteurs, en majorité dépendant de la pluie, perçoivent très nettement ces changements. « Les changements climatiques sont bien palpables dans la région des hautes terres de l’ouest du Cameroun, et les arboriculteurs le perçoivent très nettement au travers des indicateurs climatiques qu’ils ont eux-mêmes établis, comme la hausse de la température et les variations de la pluie », explique Tchouankap, auteure principale de l’étude.
Ces observations des agriculteurs sont également confirmées par des rapports de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui soulignent des impacts notables sur les cycles de culture et la disponibilité en eau, rendant les arboriculteurs particulièrement vulnérables.
Stratégies d’adaptation au Cameroun : une réponse diversifiée
L’étude indique que face à ces défis, les arboriculteurs de l’ouest du Cameroun ont mis en place des stratégies diversifiées. Parmi ces méthodes, figurent la modification du calendrier agricole, par le retardement de la période de semis de cultures à travers l’utilisation de semences améliorées capables de résister aux conditions climatiques difficiles. Certains font aussi recours à la rotation ou à l’association des cultures.
Contacté au téléphone par Mongabay, James Mouaffo, un agriculteur de la région confirme : « Lorsqu’on cultive, on mélange souvent les légumineuses, par exemple, avec des céréales. Les légumineuses ont la capacité de fixer l’azote atmosphérique, ce qui améliore la fertilité du sol. En pratiquant des cultures mixtes, c’est-à-dire en associant différentes plantes, y compris des fruits de saison, on peut récolter plusieurs produits à des moments différents de l’année ». « Ce mélange des cultures ne se fait pas au hasard. Par exemple, on peut associer le café ou le cacao au taro, ou encore l’igname avec le manioc sur une même parcelle. Lorsque l’igname est cultivée avec le manioc, ce dernier peut servir de tuteur naturel pour les plants d’igname. Cela permet de réduire la nécessité de couper des arbres pour fabriquer des tuteurs, contribuant ainsi à la lutte contre la déforestation », dit Mouaffo.
En ce qui concerne la rotation de cultures, Mouaffo ajoute que s’il cultive une céréale et qu’il voit que le sol est déjà un peu appauvri, il remplace par des légumineuses comme le soja ou le haricot. « Que ce soit dans les hautes terres du Cameroun ou dans la région de l’Adamaoua, ces zones constituent des bassins de production importants pour les tubercules et les racines. Cependant, ces cultures consomment énormément d’éléments minéraux du sol. C’est pourquoi, dans les systèmes de rotation, ces cultures sont souvent placées en tête. La rotation des cultures permet de restaurer la fertilité des sols, évitant ainsi de les laisser en jachère pendant plusieurs années », dit l’agriculteur.
Les arbres fruitiers jouent un rôle central dans ces stratégies d’adaptation. D’après l’étude de Tchouankap, les revenus issus de la culture d’arbres fruitiers compensent le déficit de production des céréales, permettant aux agriculteurs de maintenir leurs revenus et leur sécurité alimentaire. « Les arboriculteurs ont développé plusieurs stratégies, notamment la culture d’arbres fruitiers. Ainsi, certains de ceux qui possédaient auparavant des cacaoyers préfèrent désormais les remplacer par des mandariniers et avocatiers », dit la chercheuse.
Cette intensification de la culture fruitière répond à plusieurs objectifs : elle permet d’assurer l’autoconsommation des familles, de générer des revenus par la commercialisation, et de diversifier les sources de revenus pour mieux résister aux pertes liées aux cultures sensibles au climat. Par ailleurs, les arbres fruitiers créent un microclimat plus favorable dans les parcelles agricoles, surtout en saison sèche.
James Mouaffo, bien conscient des effets du changement climatique, souligne que tous les agriculteurs doivent adapter leurs pratiques aux réalités agricoles du moment. « Je pense que tous les agriculteurs doivent prendre conscience des enjeux auxquels nous faisons face. Il s’agit d’un véritable défi, et nous devons chercher à le relever en adoptant une agriculture durable. Cela passe par la recherche d’alternatives et par l’abandon progressif de l’utilisation d’intrants chimiques. Nous devons plutôt nous orienter vers des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, c’est-à-dire vers une agriculture durable. Cela inclut, par exemple, l’utilisation d’intrants organiques ou biologiques tels que l’iso-biome, le fumier ou encore les fientes d’animaux », dit Mouaffo.
Comparativement aux arboriculteurs de l’ouest du Cameroun, les producteurs de l’Est, en plus d’opter pour la modification du calendrier agricole, choisissent également de migrer vers les bas-fonds, de pratiquer la jachère ou d’abandonner leurs activités agricoles. « Pour 82 à 100 % des ménages, selon le secteur d’activité, aucune mesure d’adaptation appropriée au changement climatique n’a été appliquée en fonction des activités. Les mesures d’adaptation utilisées, par moins de 0 à 20 % des répondants, incluent principalement l’abandon ou le changement d’activité », écrivent des chercheurs dans une étude, publiée en 2023 dans la revue ScienceDirect, consultée par Mongabay.
Des stratégies qui s’observent aussi ailleurs
Les effets des changements climatiques sont également observables au Tchad, pays voisin du Cameroun, où des agriculteurs adoptent des stratégies d’adaptation similaires.
Manemon Mapouki, technicien agronome à l’Agence nationale de développement local du Tchad et formateur en création d’entreprise agropastorale, explique à Mongabay que bien que l’association de l’arboriculture ne soit répandue sur l’ensemble du territoire tchadien, les agriculteurs y appliquent aussi des techniques comme la rotation des cultures pour préserver la fertilité des sols et le recours à des semences adaptées à chaque zone agroécologique.
« Comme les saisons deviennent, de plus en plus courtes, nous recommandons l’utilisation de semences améliorées. Il est essentiel de choisir collectivement, au sein d’une même localité, quels types d’intrants agricoles seront utilisés pour les cultures. En effet, le choix des intrants et la manière dont ils sont utilisés ont un impact, non seulement sur les voisins, mais aussi sur la production des autres agriculteurs », dit-il en ce qui concerne les intrants qui semblent très prisés.
Kladoumadji Mbarbé, un agriculteur de 45 ans originaire de Koumra dans le sud du Tchad, constate la réduction de la saison des pluies, de sept mois à cinq. « Une année, il peut beaucoup pleuvoir et l’année suivante, c’est tout le contraire. Cela perturbe vraiment nos activités agricoles, mais nous nous y adaptons à travers ces mêmes stratégies », confie-t-il, au téléphone à Mongabay. Pour s’adapter à ces nouvelles conditions, il utilise des semences de cycle court et pratique l’association et la rotation des cultures pour renforcer la fertilité des sols.
Face à la baisse de rentabilité des cultures céréalières, de nombreux agriculteurs tchadiens se tournent désormais vers des cultures de rente comme le sésame. « Le maraîchage s’est aussi beaucoup développé. Après la récolte des céréales, nous cultivons des légumes comme la tomate et l’aubergine pour diversifier nos sources de revenus », dit Kladoumadji.
L’étude de Tchouankap et ses collègues met en lumière l’ingéniosité des arboriculteurs face aux défis climatiques. En diversifiant leurs cultures et en adaptant leurs méthodes agricoles aux réalités du moment, ils préservent, non seulement leur sécurité alimentaire, mais contribuent également à un modèle de résilience qui pourrait inspirer d’autres régions.
Dans un contexte de changements climatiques croissants, il serait essentiel, selon l’étude, de soutenir et de documenter ces adaptations locales pour renforcer la résilience des communautés rurales à travers toute l’Afrique.
Image de bannière : Un étalage de produits agricoles au marché dans le village de Minwoho, Lekié, région du Centre, Cameroun. Image de Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)
Citations:
Tchouankap, M. D., Tientcheu Avana, A. M-L. & Efole, E. T. (2024). Perceptions paysannes et stratégies d’adaptation aux changements climatiques des arboriculteurs de la Région des hautes terres de l’Ouest Cameroun, Cameroon Journal of Experimental Biology, Vol. 18, N°01, 14-22. DOI: https://dx.doi.org/10.4314/cajeb.V18i1.3
Ngoukwa, G., Chimi, D. C. & al. (2023). Perceptions et stratégies d’adaptation des habitants de la forêt aux variations climatiques dans la forêt tropicale du Cameroun oriental: Le cas des habitants de la forêt communale de Belabo-Diang, ScienceDirect, Volume 9, Issue 4, e15544, 1-14. https://doi.org/10.1016/j.heliyon.2023.e15544
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