- L'expansion de l'agriculture, pratiquée tant par les résidents que par les nouveaux migrants, représente une sérieuse menace pour l’aire protégée de Menabe Antimena, un vaste écosystème de forêts sèches situé à Madagascar.
- La déforestation, qui continue de sévir dans la région, compromet également les moyens de subsistance des communautés.
- Taniala Regenerative Camp, une association locale d’agroforesterie, s’inspire de modèles forestiers résilients pour favoriser la régénération des sols dégradés en plantant des arbres aux côtés des cultures.
- L’association soutient les communautés locales en les formant aux techniques de l’agroécologie et de l’agroforesterie et leur permet d’augmenter leurs revenus grâce aux systèmes de cultures intercalaires.
L’aire protégée de Menabe Antimena, située dans le centre-ouest de Madagascar, est sévèrement marquée par la déforestation. Les agriculteurs des communautés environnantes ont empiété sur cet écosystème unique de forêts sèches, à la recherche de nouvelles terres fertiles pour y cultiver, notamment du maïs et de l’arachide. Toutefois, au milieu des dommages, une petite parcelle emménagée au sein du village de Lambokely, vient contraster avec le reste du paysage.
Il s’agit du site du projet d’agroforesterie mis en place par l’organisation Taniala « Taniala Regenerative Camp » (« camp de régénération de Taniala ») et dirigé par l’agronome Roland Frédéric Tahina et un groupe de bénévoles. Ensemble, ils cultivent et entretiennent différentes espèces, telles que le baobab, l’Albizia lebbeck ainsi qu’une variété d’espèces indigènes qu’ils ont plantées sur cette petite parcelle à Lambokely.
Les communautés locales du Menabe dépendent de l’agriculture, de la chasse, de la production de charbon de bois et de l’extraction de bois et de produits forestiers non ligneux pour assurer leurs subsistance et sécuriser leurs revenus. Mais les faibles précipitations, la mauvaise qualité des sols et un climat de plus en plus aride compromettent leur sécurité alimentaire. Leur principale pratique agricole, qui consiste à défricher de nouvelles parcelles en les brûlant pour les cultiver ensuite, épuise le sol et accélère la désertification. En outre, cette méthode de plus en plus pratiquée dans les zones forestières par les migrants venus du sud mène à une déforestation alarmante, en particulier dans la zone protégée de Menabe Antimena.
Les forêts sèches du Menabe abritent de nombreuses espèces d’arbres endémiques, notamment le bois de rose, le hazomalany (Hernandia voyronii) et le baobab. L’aire protégée est également un refuge pour les espèces en danger critique d’extinction comme la pyxide ou tortue à queue plate (Pyxis planicauda), le rat sauteur géant (Hypogeomys antimena) et le microcèbe ou lémurien souris de Madame Berthe (Microcebus berthae). Cet écosystème unique risque cependant de disparaître complètement d’ici à 2050, ce qui en fait l’une des aires protégées les plus menacées du pays.
Profondément préoccupé par le sort de la forêt et des communautés locales qu’elle abrite, Roland Frédéric Tahina, qui travaille dans la région depuis plusieurs années, s’est employé à chercher une solution concrète pour restaurer l’harmonie entre l’homme et la nature, par le biais de l’agroforesterie régénératrice adaptée au contexte local. En 2022, avec l’aide de collaborateurs, il a fondé l’association Taniala Regenerative Camp (« Tany » = « terre » et « sol » et « ala » = « forêt »).
« L’objectif de Taniala est de régénérer les sols à différentes échelles », a-t-il expliqué à Mongabay dans un courriel. Pour ce faire, l’association s’inspire des systèmes forestiers, qui sont des écosystèmes résilients aux sols riches capables de préserver la biodiversité et d’offrir un large éventail de ressources.
« Les forêts sont composées de différentes couches constituées de diverses espèces. Nous nous efforçons de recréer cette stratification naturelle en plantant plusieurs espèces sur la même parcelle au moment le plus optimal et à l’endroit le plus approprié, afin qu’elles prospèrent même dans des conditions difficiles. Partant de ce principe, nous aménageons des « jardins forestiers », où nous plantons différentes variétés d’arbres, telles que des arbres fruitiers, forestiers et des arbres à croissance rapide qui enrichissent le sol sur les parcelles de cultures. Par exemple, nous plantons des baobabs, appelés « renala » en malgache et signifiant « mère de la forêt », comme strate supérieure, aux côtés d’arbustes légumineux comme l’Albizia lebbeck, pour la production de biomasse et l’enrichissement du sol, ainsi que d’autres espèces indigènes ».
L’initiative collabore étroitement avec la communauté locale pour faire de ce projet pilote une « vitrine des bonnes pratiques agricoles régénératrices ». Les communautés vivant aux environs de Lambokely s’occupent de la gestion de la pépinière et des cultures maraîchères.
« Les communautés locales sont formées en agroécologie et en agroforesterie ; nous mettons à leur disposition des sols plus fertiles et leur permettons d’augmenter leurs revenus grâce aux cultures intercalaires sur les parcelles agroforestières. En outre, les membres de la communauté sont fortement encouragés à participer à la plantation d’arbres ».
Toutefois, l’agronome admet que les communautés locales se montrent parfois réticentes à planter des arbres sur leurs terres privées, craignant que l’administration forestière ne vienne un jour les revendiquer.
Les tensions entre les populations locales et les agents forestiers chargés de la conservation ont également été observées par d’autres personnes travaillant dans la région.
« Les communautés mettent le feu à la forêt, non seulement pour pratiquer la culture sur brûlis, mais aussi pour dégager leur champ de vision et les routes afin d’échapper plus facilement aux patrouilles. Il est primordial que les générations soient impliquées dans les mesures visant à la réconciliation et à la restauration de la confiance », a souligné Solofo Ndrina Razanamahenina, Directeur national de Chances for nature, une organisation non gouvernementale (ONG). Son ONG, qui n’est pas liée à l’initiative de Taniala, est à la tête d’un programme d’éducation à l’environnement destiné aux enfants de la région du Menabe.
« Nous leur apprenons à observer et à respecter les espèces sauvages à leur juste valeur. Notre objectif est d’éliminer le besoin de patrouilles et de défrichage au cours de la prochaine décennie. Pour ce faire, nous nous efforçons de développer chez ces jeunes un sentiment d’amour et de protection à l’égard de la nature ».
Roland Frédéric Tahina a indiqué que l’objectif à long terme de l’organisation est de mettre en place d’autres camps de régénération, afin de promouvoir la régénération des sols, la création de forêts et les méthodes de l’agroforesterie dans la région et à travers le pays. Il compare les camps de régénération à de « minuscules laboratoires » sur le terrain, capables de s’adapter aux changements saisonniers et aux réalités locales, précisant que leurs efforts sont pour le moment axés sur la recherche pratique et appliquée.
« Actuellement, nous analysons et appliquons les connaissances et les résultats de recherches de nos collègues travaillant sur la régénération des sols et l’agriculture régénératrice au Brésil, en Australie, au Kenya, en Ouganda et en Nouvelle-Calédonie. Nous prévoyons de mener nous aussi des recherches scientifiques rigoureuses à l’avenir, lorsque nous aurons les ressources à notre disposition ».
Taniala est le premier camp d’agroforesterie régénératrice de son genre à Madagascar. « La passion est le moteur de notre projet, qui est actuellement principalement autofinancé et nous sommes tous bénévoles, à l’exception de notre responsable de terrain, dont le salaire est pris en charge par l’organisation NATIR à l’île Maurice », a fait observer Roland Frédéric Tahina à Mongabay.
« Nous visons également à nouer des partenariats avec des entreprises privées ou des associations qui seraient intéressées par la création de jardins forestiers, la restauration des terres par l’agroforesterie et l’emploi des communautés locales ».
En 2023, l’initiative Taniala Regenerative Camp a remporté le prix Lush Spring de Gardienne de la restauration dans le cadre du programme Dryland Restoration Steward (Gardien de restauration des terres arides) financé par le Global Landscapes Forum. Ces financements initiaux ont permis à l’organisation de déployer son modèle de jardin forestier sur 3 hectares (7,4 acres) et de créer une pépinière composée de 10 000 plantes. L’organisation a également développé sa présence sur diverses plateformes, telles que Re-Alliance, sur lesquelles les utilisateurs peuvent partager et échanger des informations sur l’agroforesterie régénératrice, la résilience de la conception et la permaculture.
Si le jardin forestier est encore récent, le modèle met néanmoins en lumière un système prometteur à la fois régénérateur et résilient. Le projet Taniala vise, non seulement à fournir d’autres approches de production alimentaire durable grâce à l’agriculture régénératrice, mais aussi à « créer des impacts durables et communautaires » en encourageant les communautés à adopter des méthodes de régénération des terres plutôt que de perpétuer le cycle de la dégradation.
« Les principes de l’agroforesterie régénératrice sont faciles à expliquer, car ils créent un système qui repose sur celui de la forêt naturelle, que les communautés connaissent bien », explique l’agronome. « Si les communautés bénéficient du soutien et des ressources nécessaires, elles pourront aisément adopter ces principes ».
Il est essentiel de travailler au déploiement de ces efforts, car, comme le souligne Roland Frédéric Tahina, « c’est maintenant que nous devons agir, avant la manifestation des chocs et des stress écologiques et climatiques qui menacent déjà la région. Les populations voisines, qui sont conscientes des progrès réalisés sur notre site pilote, ont également exprimé leur intérêt pour l’application des méthodes de Taniala à leurs plantations ».
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Image de bannière : Photo de groupe après une formation pratique en agroforesterie sur le maraîchage et l’entretien des jardins forestiers au camp de régénération de Taniala. Image de Roland Frédéric Tahina pour Mongabay.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 3 octobre, 2024.