- Les habitants de N’Galwa font face à une diminution préoccupante des poissons dans leurs eaux avec des conséquences sur leur alimentation quotidienne.
- La vente des terrains aux opérateurs économiques est la principale cause de la destruction des mangroves dans le village.
- La disparition des mangroves a un impact négatif sur la reproduction des poissons et provoque la disparition de certaines espèces dans la région.
- Des actions de restauration des mangroves sont mises en place par des organisations telles que l'ONG Sauvons l'Environnement, pour sensibiliser et aider les communautés locales à protéger ces écosystèmes fragiles.
Depuis plus de trois années, les habitants de N’Galwa, village au cœur de la ville d’Adiaké, située dans le sud-est de la Côte d’Ivoire, font face à une diminution préoccupante de poissons dans leurs eaux. Les pêcheurs ainsi que les femmes du village expriment leurs difficultés à se procurer du poisson frais, ce qui affecte leur alimentation quotidienne. Une situation alarmante causée par la disparition des mangroves, mettant en péril l’équilibre écologique de la région et la subsistance des communautés villageoises.
Des opérateurs économiques responsables de la destruction des mangroves
Les villageois sont unanimes à reconnaître que la vente des terrains aux opérateurs économiques est la principale cause de la destruction des mangroves. Ces “Babatchês” (personnes riches en argot ivoirien), comme ils les appellent, « acquièrent des terrains dans le village et détruisent les mangroves pour bénéficier d’une belle vue sur la lagune ».
Michel Baudelaire Cassé, la trentaine révolue, marié et père de trois enfants, a commencé la pêche dès son plus jeune âge dans les eaux du village. Il exprime aujourd’hui sa tristesse face à la disparition progressive des mangroves, autrefois essentielles à l’abondance des poissons. « Les mangroves permettaient aux poissons de venir nombreux faire leurs œufs. Mais à un certain moment, on a constaté qu’il n’y avait plus de mangroves parce que les gens les détruisaient. On n’arrive plus donc à avoir du poisson comme c’était le cas auparavant. Nous ne sommes pas contents de la situation, mais on ne peut rien faire, parce que ceux qui détruisent les mangroves sont des personnes riches qui ont acheté des terrains ici au bord de l’eau. Ils ont de l’argent donc on ne peut rien faire, parce qu’ils ont acheté avec leur argent », dit-il. Il appelle à « une action urgente de la part du ministère des Eaux et forêts, pour mettre en place un décret interdisant la destruction des mangroves sur les terrains acquis ». Pour lui, « cette mesure sensibiliserait les gens sur l’importance de la préservation de ces écosystèmes fragiles pour les générations futures ».

Jacques Houra, natif du village et opérateur économique, ne dément pas la situation « Ce n’ai pas seulement à N’galwa que les mangroves s’envolent », dit-il. Selon lui, la situation est un peu partout sur les baies de la lagune de la région. « Avec l’arrivée des nouveaux opérateurs économiques, qui se jettent sur tous les terrains, qui sont pieds dans l’eau, ils achètent des terrains et éprouvent tout de suite, la nécessité, à cause de la vue qu’ils veulent avoir de la lagune, de détruire les mangroves. C’est vrai que ça nous fait mal, mais qu’est-ce que nous populations pouvons faire ? », s’interroge-t-il. Il explique qu’ « avec la destruction des mangroves, les poissons n’ont plus d’endroit où faire les alevins. C’est dans les mangroves que les poissons font les pontes et les alevins restent dans les mangroves jusqu’à ce qu’ils grandissent avant de partir en eau profonde. S’il n’y a pas de mangrove, il y a plus d’endroits où se réfugier pour les poissons. Nous avions des poissons comme le mulet qu’on ne trouve plus. Avant, vous pouviez regarder dans la lagune les mulets en train de sauter et on les pêchait sans difficulté. Mais aujourd’hui, vous ne verrez plus aucun mulet dans nos eaux. Les carpes sont en train de disparaître, les mâchoirons, par moment, on en trouve ; les poissons capitaines venaient aussi par moment, mais maintenant il n’y a pratiquement plus de poissons. Il ne nous reste plus que les harengs comme poissons. Là encore, avant quand on pêchait avec les petits filets, on pouvait en un coup de filet prendre 1000 ou 800 poissons facilement. Mais aujourd’hui, à peine on peut en avoir 25. Je ne suis pas en train d’exagérer. Il y a 6 ou 7 ans en arrière, on pouvait pêcher facilement, mais aujourd’hui, c’est très difficile ».
La présidente des femmes du village de N’galwa Moke Gnanda, abonde dans le même sens « Quand les gens nous voient, ils se disent que nous sommes des lagunaires, donc nous mangeons bien et surtout du bon poisson. Mais c’est faux, on ne mange pas bien. Il n’y a plus rien dans l’eau. Les personnes qui paient les terres détruisent les mangroves pourtant, c’est grâce aux mangroves qu’on gagne du poisson pour se nourrir. Quand nous étions tout petits, avec seulement un hameçon lancé dans la lagune, on ressortait de gros mâchoirons. Aujourd’hui, peu importe le nombre de fois qu’on lance, aucun poisson ne sort », dit Moke.

Un effort communautaire pour la restauration des mangroves
En septembre 2021, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), en collaboration avec le ministère ivoirien des ressources animales et halieutiques, avaient déjà mené conjointement une mission de restauration et de gestion durable des écosystèmes d’environ 350 hectares de sites de mangroves accessibles dans le département de Sassandra, ville située au sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, l’ONG « Sauvons l’Environnement » va dans le même sens dans le village N’galwa, à travers un projet de restauration des mangroves, avec les femmes du village. Adou Amma, membre de l’ONG explique : « Récemment, nous avons mené une activité à Ngalwa, à l’occasion de la journée mondiale de la femme, pour aider et attirer l’attention des uns et des autres sur la gravité de la situation. Parce qu’aujourd’hui, les villageois souffrent. Les mangroves représentent un habitat pour plusieurs espèces animales et si nous ne cherchons pas à les protéger, les populations qui y vivent seront vraiment confrontées à d’énormes problèmes. Que ce soit des problèmes d’alimentation, que ce soit des problèmes de santé, ou même de développement socio-économique. Nous avons mis en place une loi qui s’appelle « Agir maintenant pour la protection de l’environnement ». À travers cette activité, nous avons mis en place 5 000 plants de palétuviers avec les femmes du village pour restaurer les mangroves de cette localité. Nous avons aussi créé une activité génératrice de revenus pour les femmes et installé des fermes piscicoles dans le village pour elles, afin de leur permettre de s’auto-suffire, et régler le problème de la sécurité alimentaire », dit-elle. Elle souligne que « un tiers des alevins produits, seront déversés dans la lagune pour servir de zone de réserve pour la localité». Amma ajoute que, « la population locale vend malheureusement ses espaces pour se faire un peu d’argent, parce qu’elle ne sait pas. Elle se dit que les mangroves ne servent à rien où que ce sont des choses sans importance dont il faut s’en débarrasser. Alors qu’en réalité, les mangroves jouent un rôle prépondérant dans la protection de l’environnement : ce sont de véritables capteurs de CO2 », précise-t-elle.
« Des solutions de conservation de la baie lagunaire de N’galwa avaient déjà été proposées par mon défunt père, James Houra, ainsi que quelques notables du village. Ils avaient sollicité le service de pêche de la ville afin de transformer la baie en réserve naturelle, pour protéger les poissons de la pêche excessive et limiter seulement la pêche aux besoins des habitants pour leur alimentation ou pour générer des revenus pour le village. Aujourd’hui, avec tout ce qu’il y a eu comme destruction de mangroves, cette baie n’existe que de nom, parce qu’il n’y a pas de poisson », dit Jacques d’un air désolé. Et d’ajouter qu’ “au niveau du village, les femmes ont reçu un don de deux cages piscicoles et on pense qu’avec ça, d’ici deux ou 3 ans, on pourra attendre les 15 – 20 cages de sorte à pouvoir nous autosuffire en poisson ».
De son côté, Moke et les femmes du village, ont décidé de prendre la situation à bras le corps en aidant à la restauration des mangroves. « Avec l’ONG Sauvons l’Environnement, nous avons fait des pépinières de mangroves, qu’on va planter lorsqu’elles arriveront à maturité, afin de restaurer nos mangroves, parce qu’on souffre », dit-elle, avant de montrer tristement du doigt la lagune si vaste à vue d’œil, mais qui semble ne plus répondre aux besoins alimentaires du village. « Regardez toute cette étendue d’eau, mais il n’y a rien là-dedans. Aujourd’hui, nous sommes réduits à consommer du poisson surgelé, ce qui n’est pas bon pour notre santé. Nous interpellons les autorités concernées, il ne faut pas qu’ils soient spectateurs de la destruction des mangroves et constatent plus tard les dégâts. Même les crabes sont difficiles à pêcher aujourd’hui dans l’eau », s’indigne-t-elle.

Assis sur sa pirogue, Michel scrute l’horizon, se remémorant avec tristesse l’époque où les mangroves entouraient abondamment la baie et où la pêche était florissante. « Avant, j’étais un grand pêcheur fier de ce que je ramenais comme poisson et de l’argent que je gagnais. Par exemple, quand je montais sur la pirogue vers 22 heures jusqu’à 6 heures du matin, je revenais avec au moins deux cents à trois cents poissons. Aujourd’hui, on arrive plus à avoir ce nombre. La pêche n’est plus comme avant. Quand on va pêcher, on ne revient qu’avec 20 poissons, souvent 10 poissons. Les personnes de la ville croient qu’en étant au village ici, on mange du bon poisson frais, mais ce n’est plus le cas, et ça nous rend triste, parce que c’était une activité qui nous permettait de prendre soin de nous et de notre famille. Aujourd’hui, c’est difficile », dit-il, la voix enrouée.
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Image de bannière : Les mangroves qui servent de refuge aux poissons pour pondre leurs œufs sont en voie de destruction. Image par Ron via Wikimedia Commons CC 2.0 Generic.