- Des organisations paysannes réunies au sein de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), appellent les gouvernements africains à mettre en œuvre des mécanismes visant à certifier les semences traditionnelles face au diktat des semences industrielles.
- Elles soutiennent que les semences paysannes font partie du patrimoine phytogénétique de l’Afrique, et qu’elles jouent un rôle déterminant dans la préservation des systèmes alimentaires en Afrique.
- Les paysans africains sont en outre encouragés à promouvoir la diversité des gènes pour permettre aux semences traditionnelles de faire face aux changements climatiques.
- Pour Samuel Nanga Nanga, chercheur à l'Institut international d'agriculture tropicale (IITA) du Cameroun, l’adaptabilité des semences aux changements climatiques ne saurait être clairement établie sans l’amélioration des gènes.
YAOUNDÉ, Cameroun – Les paysans africains sont engagés dans un infatigable combat pour la reconnaissance par les États des semences traditionnelles produites à partir des pratiques agro-écologiques qui limitent le recours aux intrants externes (engrais chimiques et pesticides), pour tenter de contrer le diktat des semences hybrides soutenues par l’agriculture industrielle. C’est le principal objectif visé par la campagne « Ma Semence Ma Vie », lancée le 26 avril 2024 par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), le plus grand réseau africain des organisations paysannes, à l’occasion de la journée internationale des semences.
Dans une déclaration rendue publique à cet effet, l’alliance appelle les décideurs politiques africains à donner la priorité aux systèmes semenciers paysans dans leurs politiques agricoles, et surtout à adopter et à appliquer des lois qui protègent les droits des agriculteurs à conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences. Elle appelle également les gouvernements à allouer des fonds à la recherche agro-écologique et aux services de vulgarisation qui soutiennent les pratiques agricoles durables, la conservation de la biodiversité et la résilience climatique. Elle appelle enfin à promouvoir la diversité et la résilience des semences par le biais de banques de semences et d’échanges, etc.
Dans le cadre de ce plaidoyer, l’AFSA « [produit] de plus en plus d’évidences (preuves) aux décideurs politiques et autres techniciens que les semences paysannes répondent parfaitement à plusieurs préoccupations liées à la sécurité et à la souveraineté alimentaires, confie Famara Diédhiou, Chargé de Programme Afrique de l’Ouest à l’AFSA, dans un échange par courriel avec Mongabay. « Pour leur faciliter la tâche, nous proposons des outils de gouvernance et de gestion de la qualité des semences paysannes », renchérit-il. En termes d’outils de gouvernance, l’alliance a précisément élaboré en 2022 un cadre réglementaire pour des lois favorables aux systèmes semenciers paysans. Cette directive vise à appuyer les gouvernements dans la mise en application du présent cadre en vue de la reconnaissance et la promotion des systèmes semenciers paysans et des droits des communautés paysannes sur les semences.
Faible adoption des systèmes semenciers traditionnels
Pour autant, nombre de pays africains n’ont pas encore intégré les semences traditionnelles dans leurs politiques de développement agricole et accordent une place exclusive aux semences améliorées dans leurs systèmes alimentaires. C’est le cas du Cameroun, où il existe une loi semencière datant de 2001, qui ne prend pas en compte la promotion des variétés paysannes. Les actions envisagées par le gouvernement camerounais sur cette question, notamment le projet de révision de cette loi, sont essentiellement inscrites dans les projections. Au demeurant, il a élaboré une politique semencière nationale, dans laquelle il « s’engage à mettre en place des mécanismes participatifs de préservation, de sécurisation et de conservation des semences traditionnelles ainsi qu’un soutien approprié aux producteurs », a confié un cadre de la Direction du développement agricole du ministère de l’Agriculture et du Développement rural à Mongabay, qui a préféré garder l’anonymat.
Au plan local, les organisations paysannes rivalisent d’initiatives visant à forcer la main au gouvernement pour la légalisation des semences traditionnelles. L’une des actions phares est la tenue annuelle depuis 2021, d’une foire des semences paysannes à l’initiative du Réseau des acteurs pour le développement durable (RADD). Cette organisation paysanne camerounaise a mis sur pied un système intégré de conservation et de partage des semences traditionnelles au sein des communautés à travers la création des « cases vivantes des semences paysannes », des sortes de banques de semences, « situées sur un terroir avec des membres d’une communauté qui œuvrent pour la préservation des semences paysannes sur ce terroir, en cherchant à restaurer le patrimoine semencier à travers la foire », explique Marie Crescence Ngobo, la Secrétaire exécutive du RADD.
Au Burkina Faso par contre, les actions de la société civile, parmi lesquelles l’organisation des foires aux semences paysannes, la construction des banques de gènes et de semences, ont permis d’obtenir quelques résultats probants au bénéfice des paysans. En 2019, le parlement a adopté une loi sur les ressources phyto-génétiques qui autorise la commercialisation des semences paysannes. Une structure dénommée Commission nationale de gestion des ressources phyto-génétiques (CONAGREP) a vu le jour la même année, et est chargée de la gestion des ressources phyto-génétiques. Le pays a également adopté une Stratégie nationale de développement de l’Agroécologie sur la période 2023-2027.
Il importe de rappeler que 43 pays africains ont ratifié le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA) de l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), l’accord international le plus important pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Mais sa mise en œuvre par les États africains demeure relativement faible dans un contexte de quasi-monopole des semences améliorées où les industriels dictent leur loi selon le Professeur Irina Vekcha, spécialiste de génétique et de sélection végétale à l’École nationale supérieure d’Agriculture (ENSA) du Sénégal. Ce dernier dénonce « l’écrasante pression en faveur des semences améliorées du lobby semencier, directe et déguisée, sur les gouvernements, les législateurs et les acteurs de la recherche, du développement, de la formation et de l’information, sans parler de la corruption, la grande arme de Monsanto et de Bill Gates ». « La fondation Gates finance beaucoup de programmes qui font la promotion des variétés améliorées, y compris hybrides et OGM (Organismes génétiquement modifiés), allant jusqu’aux OGM de la nouvelle génération basée sur la récente technologie mal connue et mal testée appelée l’édition du génome », précise Vekcha.
Du point de vue du Dr Samuel Nanga Nanga, Ingénieur agronome et chercheur à l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) du Cameroun, la réticence des gouvernements africains à l’adoption des systèmes semenciers paysans pourrait se justifier par le rendement marginal dont est tributaire la variété paysanne sous un prisme purement économique. « C’est à travers la semence paysanne qu’on améliore un certain nombre d’éléments pour obtenir la variété améliorée. On doit la protéger parce qu’elle fait partie de notre patrimoine phyto-génétique. Cependant, d’un point de vue économique, les rendements avec les semences paysannes sont très faibles à la production, et ne peuvent pas suffire pour pouvoir garantir la sécurité alimentaire », explique-t-il.
Les semences traditionnelles à l’épreuve des variations climatiques
Les systèmes semenciers paysans en Afrique jouent un rôle déterminant dans la préservation des systèmes alimentaires selon les défenseurs de l’agro-écologie. Ils assurent que ces variétés traditionnelles jouissent d’une meilleure adaptabilité aux variations climatiques, grâce à la promotion de la diversité des gènes et aux échanges de semences.
D’après l’activiste agro-écologiste Ali de Goamma Tapsoba, Président de « Terre à vie », une association agro-écologique au Burkina Faso, « les paysans font la domestication des plantes sauvages et la sélection des variétés adaptées aux conditions pédoclimatiques particulières de chaque localité et répondant aux exigences du goût et besoins de fourrage. Il faut noter que les variétés améliorées sont homogènes, donc incapables de s’adapter aux changements climatiques. Par contre, les semences paysannes possèdent une grande variabilité au sein d’une variété. Et cette variabilité assure une adaptation aux changements climatiques », soutient-il dans un échange téléphonique avec Mongabay.
Dans la zone sahélo-sahélienne, l’une des résultantes de ces changements climatiques est la sécheresse qui représente une menace réelle pour le développement de l’agriculture. D’après le Prof. Vekcha, le principal type de sécheresse dans cette zone appelée par la science sécheresse de premier type, est caractérisée par le raccourcissement de la durée de l’hivernage qui provoque également la diminution de la quantité de pluies. Mais l’universitaire indique que les variétés paysannes présentent une importante capacité d’adaptation aux changements climatiques, grâce à leur hétérogénéité et grâce au travail de sélection des paysans.
Il explique que « les paysans misent sur la grande variabilité génétique de leurs variétés, garant de l’adaptation aux différents facteurs du milieu, notamment à la sécheresse. Contrairement aux variétés paysannes, les variétés améliorées sont homogènes, créées pour un milieu artificiel comprenant les engrais et pesticides chimiques, la culture irriguée et le machinisme lourd ; elles sont incapables de s’adapter aux changements climatiques, à la différence des semences paysannes sont produites en agro-écologie. Ces pratiques favorisent l’adaptation à la sécheresse. L’utilisation de la fertilisation organique : compost, fumier, assure une bonne composition et structure du sol, riche en humus, améliorant ainsi la capacité de rétention en eau des sols ».
Mais pour Samuel Nanga Nanga, la résilience des variétés traditionnelles aux changements climatiques ne saurait être clairement établie sans l’amélioration des gènes. « Dans la variété améliorée, on recherche parfois l’adaptabilité aux changements climatiques, la résistance aux maladies ravageuses, le rendement voire la conservation. Ce qui est intéressant avec les semences améliorées, c’est qu’on a toutes les caractéristiques : on peut identifier facilement les variétés génitrices ; on peut faire la description de la variété améliorée. Alors qu’avec les variétés locales, on n’en sait pas grand-chose. On ne peut pas faire des prévisions exactes sur le rendement ; la pureté de la variété n’est pas conservée s’il y a pollinisation, or ce que nous recherchons dans la variété, c’est la pureté ».
Quand l’agriculture diversifiée affecte positivement la biodiversité en Afrique
Image de bannière : Un étalage de céréales au marché Rose-Croix, situé au quartier Banikanni de Parakou au Nord du Bénin. Image de Bovary A. Assogba