- Les bonobos ont la réputation d’être les hippies du monde des grands singes, en raison de leur penchant pour « faire l’amour, pas la guerre ».
- Cependant, une nouvelle étude révèle que les bonobos, espèce endémique de la République démocratique du Congo, ne sont peut-être pas aussi pacifiques que nous l’imaginions.
- Les chercheurs ont observé des agressions plus fréquentes chez les bonobos que chez les chimpanzés et des taux d’accouplement plus élevés chez les bonobos mâles agressifs.
- L’étude propose une analyse plus nuancée de ces grands singes en danger d’extinction, mais elle souligne également la nécessité de les protéger de la chasse et de la perte d’habitat.
L’anthropologue Maud Mouginot se souvient d’une rencontre matinale avec des bonobos, au cœur des forêts de la République démocratique du Congo (RDC) en 2019. C’est cet épisode qui l’a amenée à reconsidérer leur image de « singes hippies pacifiques ».
Il fait encore nuit noire dans la réserve naturelle de bonobos de Kokolopori, située au centre du pays, quand, accompagnée de ses collègues, l’anthropologue se met sur les traces de l’une des trois populations de bonobos résidant au sein de la forêt. Soudain, le calme de la forêt est rompu par des cris : un bonobo en furie se lance à la poursuite de l’un de ses congénères.
« La scène était vraiment violente », se souvient-elle. « Il y en avait un vraiment malheureux, qui criait, qui pleurait, qui était terrifié et l’autre qui se jetait sauvagement [sur lui] ».
Les bonobos (Pan paniscus), espèce de singe menacée endémique de la RDC, ont la réputation d’être beaucoup plus pacifiques que leurs cousins, les chimpanzés (Pan troglodytes). Toutefois, une nouvelle étude publiée par Maud Mouginot et ses collègues dans la revue Current Biology vient ajouter quelques nuances à ce mythe. L’étude révèle que l’agressivité des bonobos existe bel et bien, mais qu’ils la canalisent différemment.
Après des milliers d’heures d’observation de trois groupes de bonobos à Kokolopori et de deux communautés de chimpanzés dans le parc national de Gombe en Tanzanie, les chercheurs ont pu établir une comparaison de l’agressivité des mâles entre les deux espèces.
Les chercheurs ont noté que les agressions, bien que non mortelles, comme les coups de pied, les morsures, les poursuites, etc. étaient presque trois fois plus fréquentes chez les bonobos que chez les chimpanzés. En outre, ils ont constaté que les bonobos agressifs s’accouplaient plus facilement.
Ces résultats remettent donc en question une théorie de longue date, connue sous le nom d’hypothèse de l’autodomestication, laquelle, s’appliquait, pensait-on, aussi bien aux humains qu’aux bonobos. L’hypothèse suggère que les individus plus amicaux et plus coopératifs auraient plus de chances de survivre et de transmettre leurs gènes.
« [L’étude] ne vient pas vraiment étayer l’hypothèse de l’autodomestication, et je pense que c’est important, car cela signifie que l’agression pourrait être influencée par d’autres facteurs », a déclaré Maud Mouginot, anthropologue à l’université américaine de Boston qui a travaillé dans le passé à l’Institut d’études avancées de Toulouse (IAST), en France.
L’étude nous apprend également que, contrairement aux chimpanzés qui forment des coalitions pour attaquer leurs rivaux, les bonobos mâles privilégient des stratégies de survie individualistes. Ceci pourrait être lié à leur tendance à suivre à la trace des groupes de femelles à travers la forêt.
Une étude précédente, dirigée par Martin Surbeck, l’un des coauteurs de l’étude avait mis en évidence une tendance chez le bonobo mâle à nouer davantage de liens avec les femelles, une stratégie sociale comparable aux relations d’amitié chez les humains.
« Les bonobos sont une espèce beaucoup plus complexe que nous n’imaginions pas, et ils ont recours à de nombreuses stratégies qui ne sont pas mises en œuvre par les chimpanzés », a déclaré Maud Mouginot.
Sally Coxe, présidente et directrice générale de l’organisation internationale à but non lucratif Bonobo Conservation Initiative (qui n’a pas participé à l’étude de Maud Mouginot), a déclaré que tout ce que nous pouvons apprendre sur l’espèce contribue à la protéger.
« Cette étude est fascinante et ces études comparatives entre les bonobos et les chimpanzés sont cruciales, et il est essentiel que nous les poursuivions », a-t-elle indiqué. Elle a toutefois ajouté qu’il fallait rester vigilants et veiller à ne pas mal interpréter l’étude. Selon elle, les bonobos mâles ne doivent pas être considérés comme généralement plus agressifs que leurs cousins du même sexe.
« Les agressions chez les bonobos sont très différentes de celles observées chez les chimpanzés. Les chimpanzés ont tendance à s’allier pour former des coalitions avant de se lancer à l’attaque d’autres groupes de congénères, jusqu’à ce que mort s’ensuive », a déclaré Sally Coxe, qui travaille dans le domaine de la protection des bonobos depuis 30 ans et qui a visité la réserve de Kokolopori à de nombreuses reprises. Contrairement aux autres singes, les bonobos n’ont pas la réputation de s’entretuer.
Malgré l’intérêt et la valeur des nouvelles données sur le comportement des bonobos, Maud Mouginot met en garde sur le risque de s’éloigner de l’objectif global, à savoir la survie de ces singes menacés d’extinction.
Les bonobos, qui occupaient autrefois une vaste aire de répartition de plus de 500 000 kilomètres (193 000 miles carrés), se retrouvent aujourd’hui confinés sur des parcelles de forêts fragmentées dans l’ouest et le centre de la RDC. La chasse a tiré leur effectif vers le bas : le nombre moyen estimé de bonobos à l’état sauvage a été réduit à 15 000, bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres fiables en raison de la densité et de l’éloignement de leurs refuges forestiers.
La chasse aux bonobos pour le commerce local de viande de brousse séchée a entraîné un impact disproportionné sur leur nombre ; les femelles en âge de se reproduire n’ont en moyenne qu’un seul enfant tous les cinq ans, soulignent les spécialistes de la conservation.
La perte d’habitat, due à l’agriculture itinérante, au défrichement de parcelles de forêts, à la mise en culture jusqu’à diminution des rendements, puis au défrichement de nouvelles parcelles, entraîne également leur effectif à la baisse. À chaque nouvelle visite de zones comme la réserve de Kokolopori, Maud Mouginot s’aperçoit que de plus en plus de forêts ont été détruites pour faire place à des champs agricoles.
« Nous avons tendance à nous intéresser essentiellement aux études comportementales sur l’animal et à oublier que l’espèce pourrait disparaître un jour », a déclaré Maud Mouginot. « Et cela pourrait se produire plus tôt qu’on ne le pense ».
Sally Coxe, qui, par le biais de son organisation, soutient les initiatives de conservation communautaire dans l’ensemble de l’aire de répartition actuelle des bonobos, estime que l’espèce peut encore être sauvée de l’extinction, à condition, toutefois, de promouvoir la participation des communautés locales qui s’engagent à appliquer des méthodes de gestion traditionnelles, telles que l’interdiction de chasser les bonobos.
« Je suis convaincue que le modèle de base de protection des bonobos, qui consiste à laisser les populations locales protéger l’espèce au sein de leur propre forêt, offre plus de chances de réussite », a-t-elle souligné.
Image de bannière : Des bonobos dans la réserve naturelle de bonobos de Kokolopori, site du projet de recherche sur les bonobos de Kokolopori, par Maud Mouginot.
Citation:
Mouginot, M., Wilson, M. L., Desai, N., & Surbeck, M. (2024). Differences in expression of male aggression between wild bonobos and chimpanzees. Current Biology, 34, 1-6. doi:10.1016/j.cub.2024.02.071
Cet article a été publié pour la première fois en anglais ici.