- Graine de vie, une ONG belge installée en 2009 à Madagascar, s’estime le numéro un en reboisement dans le pays.
- Lassée des feux de brousse à répétition et d’un manque présumé d’implication du gouvernement, l’ONG a annoncé en janvier 2023 qu’elle va réduire ses activités d’un tiers.
- L’annonce est survenue après la perte catastrophique à cause d’un feu de brousse de milliers de jeunes arbres fraîchement plantés.
- Des scientifiques estiment toutefois que le feu a toujours fait partie de l’écologie de l’île et qu’il ne serait pas l’unique responsable de la déforestation.
ANTANANARIVO, Madagascar — Après 14 ans de présence à Madagascar, Graine de vie, une ONG belge de reboisement, a eu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Au mois d’octobre 2022, 50 000 jeunes arbres fraîchement plantés en février de la même année dans la réserve spéciale d’Ambohitantely sont partis en fumée. Excédée par ce que son chef décrit comme un manque d’implication des autorités malgaches, l’ONG a annoncé lors d’une conférence de presse le 10 janvier 2023 à Antananarivo qu’elle va réduire de près d’un tiers ses activités sur l’île.
« Ça a été une succession d’éléments déclencheurs, je suis désolé mais à Madagascar ça ne marche plus », dit le président de Graine de vie, Frédéric Debouche, lors d’une interview avec Mongabay.
À Madagascar, les feux de brousse sont un drame national qui ne cesse de croître selon la perception populaire, surtout depuis l’essor des efforts de lutte contre le changement climatique. Dans le cadre de ces efforts, toujours plus d’ONG et d’entreprises de reboisement voient le jour dans le pays. Graine de vie, qui est arrivée sur l’île en 2009, fait partie de ces organismes désirant « reverdir » la Grande-île en plantant des arbres.
Jusqu’à la récente réduction d’activités, Graine de vie plantait en moyenne 10 millions d’arbres par an dans 19 régions et s’estime être le numéro 1 en reboisement à Madagascar. À travers 322 pépinières, elle intervient également dans la reforestation de 10 aires protégées et le reboisement des zones villageoises les entourant. L’ONG plante des essences autochtones dans un objectif de restauration écologique dans les aires protégées, tandis qu’elle plante les arbres exotiques en zones villageoises pour utilisation locale comme le charbon de bois ou les matériaux de construction.
En janvier de cette année, l’ONG a publié une vidéo montrant l’étendue des dégâts du feu sur leur site de reboisement dans la réserve spéciale d’Ambohitantely, située dans les hautes-terres centrales de l’île (à 140 kilomètres au nord-ouest d’Antananarivo). L’événement subi par Graine de vie est survenu au moment des pics de la saison des feux de brousse dans le pays en octobre 2022. Les alertes incendies ont été anormalement élevées au cours de l’année 2022 avec un record de 1706 alertes incendies (données satellitaires) à travers l’île lors de la semaine du 10 octobre.
À part Ambohitantely, des incendies sont survenus dans quatre autres aires protégées où l’ONG intervient en seulement un week-end. Les feux seraient parvenus au-delà des pare-feu naturels qu’elle a plantés.
Accusation de « greenwashing étatique »
Suite aux feux de brousse et à la perte à répétition des forêts, Debouche dénonce un manque d’implication des autorités malgaches qu’il dit découler d’un défaut de compétence et de motivation en faveur de l’environnement. Lors des incendies, il explique qu’en général les responsables des feux de brousse censés écoper d’une peine de prison de cinq ans sont vite innocentés et relâchés.
D’après le président de l’ONG, les brigades anti-feux de l’État manquent également de moyens. Or, les populations locales n’ont pas le droit d’intervenir quand un feu se déclenche dans les parcs sans autorisation spéciale. Entre le temps de dépôt de la demande d’autorisation et son approbation, des milliers d’hectares de forêts ont le temps de brûler.
Faisant référence aux opérations de reboisement que le gouvernement a lancées et qui ont été largement médiatisées, Debouche parle de « greenwashing étatique ». D’après le président de l’ONG, depuis 14 ans, la situation à Madagascar n’évolue pas au niveau environnemental. De plus, il dit que son ONG n’a jamais obtenu de réponses en demandant des partenariats avec le gouvernement malgache. « Je ne comprends pas, au Togo ou au Bénin les ministères de l’environnement nous accueillent à bras ouverts », dit-il.
Les défauts présumés de gouvernance environnementale ont été des éléments déclencheurs pour l’ONG qui a annoncé en janvier qu’elle réduira son nombre de pépinières de 322 à 208. Toutefois, cette réduction n’impactera pas leurs activités dans les aires protégées, selon le responsable.
Après la déclaration de réduction d’activités, l’ONG a été contactée par le Ministère de l’environnement et du développement durable (MEDD) selon Debouche, mais ce dernier n’a signalé aucune mesure de solution.
Le MEDD n’a pas donné suite à plusieurs demandes d’audience de Mongabay.
Les données de Global Forest Watch montrent que de 2001 à 2021, Madagascar a perdu 269 000 hectares (664 713 acres) de couverture forestière en raison d’incendies (en brun) et 4.09 millions ha (9.8 millions d’acres) en raison de tous les autres facteurs de perte (en rose). Image de Global Forest Watch.
Le feu : un outil à double tranchant
Traditionnellement à Madagascar, les agriculteurs se servent du feu pour diverses raisons, incluant la fertilisation pour l’agriculture sur-brûlis, pour entretenir les pâturages, ou pour éliminer les fourrées inflammables et contrôler les éventuels feux sauvages.
De plus, le feu aurait historiquement fait partie de l’écologie de Madagascar. Notamment, une étude publiée en mai 2022 démontre une similitude à 88% des régimes de feu de l’île avec d’autres régions abritant plus ou moins les mêmes biomes, telles que l’Australie et l’Afrique centrale. Plus particulièrement, « les hauts-plateaux et l’ouest de l’île ont une fréquence de feu similaire à ces autres régions du monde », souligne Christian Kull lors d’un appel vidéo avec Mongabay. Kull, un des co-auteurs de l’étude, est chercheur à l’Institut de géographie et de durabilité à l’Université de Lausanne et a passé plus de 10 ans à étudier l’écologie des feux de brousse à Madagascar.
D’un autre côté, des chercheurs ont démontré que les paysages des hautes-terres malgaches — où se situent de nombreux grands projets de reboisement — n’ont pas été entièrement recouverts de forêts contrairement à la croyance populaire. Des archives photographiques des années 1800 montrent les hauts plateaux malgaches couverts de savanes et de prairies, avec des petites forêts éparses incrustées dans les vallons. Les groupes d’herbacés primitifs peuplant ces biomes se seraient adaptés à un régime de feux plus ou moins régulier en devenant pyrophytes, selon une étude publiée en 2020.
« L’on pourrait exclure les feux des hautes-terres centrales, mais cela changerait beaucoup les paysages », ajoute Kull. Ce que le chercheur avance, c’est que le reboisement est approprié uniquement sur les zones où il y avait originellement des forêts et non l’inverse. De son côté, Graine de vie restaure les zones antérieurement déboisées de la forêt d’Ambohitantely, l’une des forêts incrustées entre les collines des hautes-terres malgaches. En revanche, les zones villageoises qu’elle reboise sont soit des zones anciennement déboisées, soit des prairies, soit des terres appartenant aux paysans.
Mais le feu peut être à double tranchant et devenir incontrôlable comme le témoigne la perte des 50 000 jeunes arbres de Graine de vie. D’après la recherche de Kull, la lutte contre les feux de brousse à Madagascar n’aurait débuté qu’au début de l’ère coloniale, en 1896. L’on aurait ensuite essayé d’arrêter les feux de brousse à Madagascar depuis 120 ans mais en vain.
Malgré les efforts de lutte contre les feux de brousse et les efforts de reboisement, « mes recherches datent d’il y a 20 ans, mais à chaque fois que je reviens les choses n’ont pas tellement changé », dit Kull. Ce qui indique que non seulement certains efforts de reboisement ne sont peut-être pas appropriés, mais les efforts de contrôle des feux de brousse ne sont pas non plus assez efficaces.
D’après un webinaire que le scientifique a organisé en décembre 2022 à Madagascar, ce manque de contrôle par rapport aux feux de brousse découlerait d’une relation devenue conflictuelle entre les communautés locales et ceux qui veulent lutter contre les feux de brousse. Les agriculteurs sont notamment incriminés peut-être à tort d’utiliser un outil (le feu) qu’ils utilisent depuis des générations, ce qui les pousserait à l’utiliser illicitement et donc ne pas le contrôler suffisamment.
Toutefois et contrairement à la perception populaire, Kull explique que le taux élevé de déforestation sur l’île ne peut s’expliquer uniquement par la propagation des feux de brousse. Les incendies ont contribué notamment à une perte de couverture forestière à Madagascar, qui se chiffre à 269 000 hectares (664 713 acres) entre 2000 et 2021, selon Global Forest Watch. En comparaison, les pertes en raison de tous les autres facteurs sont de 4 millions d’hectares (9.8 millions d’acres) pour la même période, donc la perte due au feu ne représente que 6% du total. C’est l’agriculture itinérante qui a entraîné la plupart de ces pertes, selon la plate-forme.
Pour Debouche de Graine de vie, « la question n’est pas pourquoi quelques-uns brûlent les forêts. La vraie question c’est pourquoi l’État laisse faire et ne prend aucune mesure pour protéger les parcs nationaux».
Image de bannière : Le site de reboisement de Graine de vie à Ambohintantely, avant l’incendie d’octobre 2022. Image © Graine de vie.
Citations :
Phelps, L. N., Andela, N., Gravey, M., Davis, D. S., Kull, C. A., Douglass, K., & Lehmann, C. E. (2022). Madagascar’s fire regimes challenge global assumptions about landscape degradation. Global Change Biology, 28(23), 6944-6960. doi:10.1111/gcb.16206
Solofondranohatra, C. L., Vorontsova, M. S., Hempson, G. P., Hackel, J., Cable, S., Vololoniaina, J., & Lehmann, C. E. (2020). Fire and grazing determined grasslands of central Madagascar represent ancient assemblages. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 287(1927), 20200598. doi:10.1098/rspb.2020.0598
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