- Six nouvelles espèces de caméléons pygmées ont été découvertes dans les montagnes de l’Arc oriental en Tanzanie.
- Les forêts de ces montagnes sont soumises à une forte pression anthropologique qui menace la diversité des espèces animales et végétales qui y vivent.
- Une étude récente utilisant l’imagerie satellite a découvert que, dans un seul district, 27 % des forêts d’altitude ont été perdues au profit de petites exploitations de culture et d’élevage entre 2011 et 2017.
- Le gouvernement tanzanien s’efforce actuellement d’augmenter la production agricole dans une région qui s’étend jusqu’aux montagnes de l’Arc oriental, soulevant des inquiétudes quant aux conséquences sur la biodiversité.
Michele Menegon et un groupe de scientifiques locaux et internationaux viennent de décrire six nouvelles espèces de caméléon, de la taille d’un pouce, dans les montagnes de l’Arc oriental, en Tanzanie. Ces montagnes coiffées de forêts forment un archipel intérieur qui s’étend sur 900 kilomètres depuis le nord du lac Tanganyika jusqu’aux collines de Taita dans le sud-est du Kenya. Tout comme les 13 îles qui forment cet autre archipel bien connu des Galapagos, les 13 pics montagneux isolés de l’Arc oriental abritent une incroyable biodiversité.
Cette récente découverte amène à 26 le nombre de Rhampholeons, ou caméléons pygmées, connus à ce jour. Plus de la moitié d’entre eux vivent dans les montagnes de l’Arc oriental dont les pics ressemblent à des îlots biologiques devenus des sites de radiation évolutive pour certaines espèces telles que ces minuscules reptiles, comme ce fut le cas des îles Galapagos pour les pinsons de Darwin. Mais ces forêts sont désormais menacées par des fermiers et des éleveurs qui les déboisent pour cultiver et élever du bétail. Selon les chercheurs, la plupart de ces six nouvelles espèces de caméléons sont déjà menacées d’extinction pour cause de perte d’habitat.
Michele Menegon est chercheur en écologie et sciences de la conservation et a commencé à travailler dans les montagnes de l’Arc oriental il y a 30 ans. Après une journée passée dans la forêt, il en sortait avec plus d’espèces inconnues sur sa liste que d’espèces déjà connues.
La plupart des caméléons pygmées sont endémiques ou spécifiques à un pic montagneux précis.
Ils sont parfois confinés à une petite zone sur une seule montagne, explique Michele Menegon à Mongabay. « Si vous allez sur un côté de la montagne, à une certaine altitude, vous trouvez une espèce. Vous allez sur un autre côté de la montagne, à une altitude différente, et vous trouvez une autre espèce. »
Peu après la publication de cet article, le chercheur a découvert ce qui est probablement encore une nouvelle espèce. C’est arrivé pendant une visite sur les flancs boisés de l’un des pics montagneux, les monts Nguru, près de Morogoro en Tanzanie. Ce caméléon était petit et épineux avec de longues cornes au-dessus des yeux.
« Quand je l’ai vu, je me suis dit celui-ci est différent. Voilà quelque chose de nouveau », dit-il.
La biodiversité va bien au-delà des caméléons : au moins 800 plantes et pas moins de 96 espèces de vertébrés, notamment des oiseaux, des reptiles, des amphibiens et des mammifères, vivent ici et nulle part ailleurs.
« Sur 3 500 kilomètres carrés de forêt à canopée fermée dans les montagnes de l’Arc oriental, on trouve à peu près le même nombre d’espèces d’amphibiens que dans toute la République démocratique du Congo (soit sur 2,3 millions de km2) », ajoute Menegon.
« C’est incroyable. »
La déforestation qui menace ce trésor de diversité biologique trouve son origine dans la demande de terres agricoles. La population de la Tanzanie, qui est passée d’environ 35 millions en 2002 à 63 millions en 2021, a besoin de terres sur lesquelles cultiver des cultures nourricières telles que bananes, manioc et maïs.
Dans les montagnes de l’Arc oriental, la cardamome est également très demandée. Pour la cultiver, les agriculteurs ont besoin d’ombre : Les grands arbres sont laissés en place et le sous-bois est abattu. Mais c’est justement là que les caméléons vivent.
« Nous avons déjà perdu certains caméléons, dans la partie de la forêt qui n’existe plus », affirme Michele Menegon, qui est également co-directeur de la fondation PAMS, une ONG écologiste.
Il ajoute que le gouvernement tanzanien s’efforce depuis plus de dix ans d’enrayer les pertes de biodiversité en faisant évoluer le statut de plusieurs zones de forêts d’altitude des montagnes de l’Arc oriental de réserve forestière à réserve naturelle. Sur le papier, cela devrait leur accorder une meilleure protection. En réalité, les ressources sont insuffisantes pour patrouiller dans ces zones et faire respecter la loi.
« Les fermiers entrent dans la forêt et déboisent de plus en plus », affirme Menegon. « Personne ne sait vraiment comment en contrôler l’accès. »
Une étude utilisant l’imagerie satellite a permis de découvrir que rien que dans le district de Mvomero, plus de 20 000 hectares (soit 27 % des forêts d’altitude) ont été perdus ou dégradés entre 2001 et 2017. Le district inclut les monts Nguru qui abritent deux des nouvelles espèces de caméléons répertoriées et la dernière espèce à cornes non répertoriée découverte par Michele Menegon il y a quelques semaines.
Le principal auteur de l’étude sur la perte de couverture forestière, Eliakim Hamunyela, de l’Université de Namibie, a déclaré à Mongabay qu’un manque de financement a empêché son équipe de suivre les tendances de déforestation au-delà de 2017. Il affirme que malgré l’existence de réserves forestières, l’accaparement des terres par les fermiers représente « une lacune dans les mécanismes existants pour protéger les forêts de cette région. »
Son étude a démontré qu’au moins 12 % des perturbations affligeant les forêts du district de Mvomero, y compris la déforestation, se produisaient dans des zones classées comme réserves forestières. L’arrivée d’éleveurs dans la région a pu contribuer aux perturbations, ajoute-t-il.
Les monts Nguru sont composés de deux zones principales. Selon la World Database on Protected Areas qui répertorie et classe les aires protégées dans le monde, la partie nord appartient à la réserve forestière de Kanga depuis 1954 et la majorité de la plus grande portion au sud est officiellement la réserve naturelle forestière de Mkingu depuis 2019. Les données de la plateforme de surveillance des forêts Global Forest Watch montrent que la déforestation s’est intensifiée dans les deux réserves depuis le début des années 2000, particulièrement à Mkingu où la perte de couvert forestier a été quasiment multipliée par sept entre 2017 et 2020. Mkingu et Kanga ont connu des ralentissements similaires du déboisement en 2021, mais les données préliminaires pour 2022 et 2023 laissent penser que la déforestation est repartie à la hausse.
Les éleveurs, notamment les Barabaig, les Maasai, les Mbulu et les Sukuma, ont émigré des régions plus arides vers Mvomero à la recherche d’eau et de pâturages. L’étude de terrain menée par l’équipe d’Eliakim Hamunyela a constaté que le bétail se nourrissait des jeunes plants et des pousses, empêchant ainsi la terre laissée en friche par les fermiers de régénérer de nouveaux arbres.
L’équipe a également pu remarquer que la perte de forêt due à l’agriculture à Mvomero pourrait avoir un lien, au moins en partie, avec le corridor de développement agricole du sud tanzanien (SAGCOT : Southern Agricultural Growth Corridor of Tanzania), une initiative commune entre des investisseurs et le gouvernement tanzanien lancée il y a plus de dix ans pour promouvoir les productions alimentaires dans la région et créant un lien entre les petits exploitants et les marchés.
« Le développement de l’agriculture commerciale a probablement déclenché une expansion des terres cultivées aux dépens de la forêt pour répondre à la demande croissante de produits agricoles », suggère l’étude.
Geoffrey Kirenga, président de SAGCOT Center Limited, a déclaré à Mongabay qu’il serait injuste de suggérer que l’initiative encourageait la perte de biodiversité. Il explique que son organisation cherchait à promouvoir le contraire, en organisant par exemple des réunions annuelles avec ses partenaires dans la région sur la prévention des feux de brousse et de la culture sur brûlis, plus particulièrement dans les régions montagneuses. Il affirme que le SAGCOT croyait à la sauvegarde de l’environnement pour une transformation durable des systèmes alimentaires.
« Nous nous soucions de notre environnement, de la terre, de l’eau et de la biodiversité qui en dépendent », dit-il dans un mail à Mongabay. « Les espèces témoins telles que papillons, oiseaux, caméléons et même mammifères sont des organismes vitaux pour le suivi de la santé de l’environnement et elle doivent être protégées à tout prix. »
Ce qui est certain, c’est que dans un pays comme la Tanzanie, qui possède des joyaux de la nature comme le parc national de Serengeti, le cratère du Ngorongoro et le mont Kilimandjaro, les forêts riches en biodiversité des montagnes de l’Arc oriental et les menaces qui pèsent sur elles sont trop facilement ignorées.
« Dans un autre pays, un endroit comme celui-ci bénéficierait d’une immense notoriété », assure Michele Menegon, le spécialiste des caméléons. « Je pense que les montagnes de l’Arc oriental dans leur ensemble devraient bénéficier d’un statut plus important. »
Pour y parvenir, Menegon et ses co-auteurs ont nommé certaines des nouvelles espèces de caméléons en hommage à certaines célébrités.
Le caméléon pygmée Princeeai (Rhampholeon princeeai), par exemple, a été baptisé en l’honneur du rappeur et poète américain Prince Ea, en hommage à ses efforts pour mettre en lumière les menaces subies par l’environnement dans le monde entier, notamment la déforestation. Le caméléon pygmée Wayne (Rhampholeon waynelotteri) a été ainsi nommé en hommage à Wayne Lotter, écologiste sud-africain et co-fondateur de la fondation PAMS qui a lutté contre le braconnage en Tanzanie et qui a été assassiné à Dar es Salaam en 2017.
Tim Davenport, le point de contact principal en Afrique de l’Est pour le programme des zones clés de biodiversité (Key Biodiversity Areas Program), est d’accord sur le fait qu’il y a beaucoup à faire pour promouvoir les montagnes de l’Arc oriental pour le tourisme et l’écologie.
S’étant récemment retiré du poste de directeur du programme de la Wildlife Conservation Society en Tanzanie, l’un des projets qu’il soutient est le tourisme écologique dans les montagnes de l’Arc oriental et sur les hautes-terres du sud. C’est dans les hautes-terres du sud que lui et son équipe de la WCS ont obtenu que le mont Rungwe, un volcan éteint dont les forêts sempervirentes étaient menacées par le déboisement et l’industrie du charbon de bois, soit classé au statut de réserve naturelle.
Treize années d’efforts de conservation par les populations locales sur la montagne et dans la réserve forestière de Livingstone du parc national de Kitulo ont permis à la population de l’une des espèces de singes menacées emblématiques de la région, le kipunji (Rungwecebus kipunji), d’augmenter de 65 %.
« Il faut les ressources et les parties prenantes adaptées pour sauvegarder certaines de ces forêts et de ces montagnes isolées, des projets spécifiques orientés vers une meilleure protection, une application de la loi plus stricte, plus de soutien pour les populations et plus d’investissement scientifique », explique-t-il.
Tout comme l’effort de protection des kipunji a permis d’orienter et de faire un suivi de la restauration d’habitat autour du mont Rungwe, les caméléons pygmées et d’autres espèces charismatiques vivant dans les montagnes de l’Arc oriental pourraient être à l’origine d’un effort similaire.
« Les caméléons seront utiles, en tant qu’espèce phare, mais ils ne seront pas suffisants », remarque Michele Menegon, ajoutant que la fondation PAMS a aujourd’hui lancé un projet avec 180 fermiers pour replanter 300 000 arbres d’essences locales sur les flancs ouest des montagnes Nguru.
« C’est une opportunité fantastique de restaurer et de récupérer une partie du couvert forestier qui a été perdu au cours des dernières années et des derniers siècles », conclut-il. « Je vois ça comme un signe d’espoir. »
Image de bannière : la plupart des caméléons pygmées sont endémiques ou spécifiques à un pic montagneux précis. Crédit photo Michele Menegon.
Citations:
Menegon, M., Lyakurwa, J. V., Loader, S. P., & Tolley, K. A. (2022). Cryptic diversity in pygmy chameleons (Chamaeleonidae: Rhampholeon) of the eastern arc mountains of Tanzania, with description of six new species. Acta Herpetologica, 17(2), 85-113. doi:10.36253/a_h-12978
Hamunyela, E., Brandt, P., Shirima, D., Do, H. T., Herold, M., & Roman-Cuesta, R. M. (2020). Space-time detection of deforestation, forest degradation and regeneration in montane forests of eastern Tanzania. International Journal of Applied Earth Observation and Geoinformation, 88, 102063. doi:10.1016/j.jag.2020.102063
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/03/six-newly-described-chameleon-species-reflect-tanzanias-eastern-arc-mountains-fragility-and-richness/