- Alors que les scientifiques et le gouvernement chinois intensifient les efforts pour protéger le gibbon de Hainan en danger critique, la technologie joue un rôle important en aidant à mieux suivre et surveiller l’espèce.
- Ces dernières années, la bioacoustique, la technologie infrarouge et l’apprentissage automatique font partie des outils qui ont été utilisés pour faciliter la collecte et l’analyse de données dans l’étude des gibbons de Hainan.
- Selon les estimations, il ne reste que 35 ou 36 individus de l’espèce, limités à la réserve naturelle nationale de Bawangling dans la province de Hainan en Chine.
Emmanuel Dufourq avait une tâche gigantesque à accomplir à la mi-2019. Il devait écouter 6 000 heures de données audio collectées dans la réserve naturelle nationale de Bawangling qui se trouve dans la province de Hainan au sud de la Chine, à des milliers de kilomètres de son lieu d’attache au Cap en Afrique du Sud.
Les données audio ont été collectées en 2016 sur une période de six mois par des chercheurs de la Société zoologique de Londres afin d’étudier et de conserver les gibbons de Hainan (Nomascus hainanus), les primates les plus rares sur Terre et une espèce en danger critique d’extinction. Dufourq a passé les mois suivants à écouter des enregistrements audio et entraîner un algorithme d’apprentissage automatique pour permettre l’identification automatisée des bruits des gibbons.
« C’est comme expliquer le monde à un enfant, vous lui montrez des exemples et vous lui dites : “ça, c’est un chat, et ça, c’est un chien” », Dufourq, chercheur résident à l’Institut africain de Sciences mathématiques, a dit à Mongabay dans un entretien vidéo. « C’est un processus répétitif qui consiste à montrer des informations à un logiciel informatique pour qu’il puisse apprendre à identifier les gibbons tout seul. »
Son travail semble avoir porté ses fruits. Selon une étude publiée en 2021 par son équipe dans la revue Remote Sensing in Ecology and Conservation, l’algorithme a été en mesure d’identifier près de 80 % des segments audio qui contenaient des cris de gibbon. Une étude plus récente publiée en septembre 2022 dans la revue Ecological Informatics, a amélioré le modèle ; désormais, l’algorithme peut reconnaître les résultats faussement positifs (des sons considérés à tort comme des cris de gibbons), car il a reçu des connaissances humaines recueillies grâce à des années de recherche sur le terrain. Par exemple, le dernier algorithme a appris que les gibbons de Hainan ne crient pas la nuit, ce qui a permis au système de réaliser qu’un cri qu’il a détecté pendant les heures de nuit ne provenait probablement pas de l’espèce.
La bioacoustique et l’apprentissage automatique, comme Dufourq les a utilisés, font partie des outils technologiques qui ont été déployés ces dernières années pour surveiller et étudier les gibbons de Hainan, une tâche qui est désormais particulièrement urgente. Très répandue sur l’île de Hainan à une certaine époque, la population de l’espèce a chuté pour atteindre sept ou huit individus dans les années 1970, avec le braconnage et la déforestation effrénés, les principaux facteurs responsables du déclin. Même si leur nombre est estimé à 35 ou 36 individus actuellement, l’espèce reste en position incertaine. Les interventions de conservation menées par le gouvernement chinois se sont accrues ces dernières années, mais augmenter drastiquement la taille de population des gibbons est une tâche difficile.
« Ils sont vraiment au bord de l’extinction », Paul A. Garber, professeur émérite au département d’anthropologie de l’université de l’Illinois, a dit à Mongabay dans un entretien vidéo. « Tous les singes ont des périodes de développement et de reproduction très lentes, et nous parlons donc de temps de génération très long pour ces primates, ce qui veut dire que, dans le meilleur des cas, les populations ne peuvent augmenter que très lentement. »
La technologie joue désormais un nouveau rôle dans le suivi de leur petite population et l’étude de leurs habitats de façon non envahissante. Les outils technologiques sont importants depuis longtemps dans la cartographie des habitats et la distribution de l’espèce, qui servent ensuite à développer des stratégies de conservation. Mais des méthodes telles que la recherche sur le terrain, les drones et les relevés de cris de réponse (au cours desquels les chercheurs diffusent des enregistrements de cris de gibbons pour déclencher une réponse) pose un plus grand risque de déranger l’espèce dans son environnement. C’est pourquoi des outils automatisés et des outils de télédétection sont de plus en plus déployés.
L’apprentissage automatique, et plus largement l’intelligence artificielle, ont également facilité l’identification des gibbons de Hainan à partir d’images prises avec des pièges photographiques à infrarouge. Auparavant, la brume dans la forêt combinée à la couleur du pelage noir et jaune des gibbons de Hainan entraînait souvent une mauvaise détection sur les photos, les scientifiques passaient donc à côté d’images sur lesquelles des gibbons étaient visibles et avaient des difficultés à repérer l’espèce. Une étude publiée en 2022 dans la revue Global Ecology and Conservation a expliqué comment la vision par ordinateur, un sous-domaine de l’intelligence artificielle, aide à désembuer les images et à les filtrer pour augmenter la précision de détection de gibbons de Hainan.
De la même façon, dans le travail de Dufourq, la bioacoustique forme la base d’une collaboration entre l’UICN, l’organisation mondiale de conservation de la nature, et le géant technologique chinois Huawei pour étudier et protéger les gibbons de Hainan. Dans un communiqué de presse, Huawei a déclaré que la combinaison de la surveillance acoustique et de l’intelligence artificielle a permis d’atteindre une précision de reconnaissance de 89,2 %. L’équipe travaille désormais à mettre en place un cadre pour développer un système qui « établira une reconnaissance vocale unique pour chaque gibbon ».
Dufourq travaille également à améliorer son propre algorithme pour permettre une surveillance et une analyse en temps réel.
« Aujourd’hui, le principe de nombreuses études acoustiques est que quelqu’un va sur le terrain et fait des relevés sur une période de six mois ou un an », explique-t-il. « Mais le traitement a lieu plus tard, et cela veut dire que les données sont déjà des données historiques. Alors l’avenir, c’est de faire une surveillance en temps réel. »
D’après les spécialistes, tous les outils à l’étude doivent être développés et déployés pour protéger l’espèce. Depuis des années, Garber a travaillé avec une équipe de chercheurs en Chine pour étudier les gibbons de Hainan. Ses collègues utilisent des outils comme des caméras à infrarouge et des tests ADN pour suivre les gibbons et mieux comprendre leur habitat et leur comportement. Même s’il a dit qu’il est convaincu que rien ne remplace la présence sur le terrain et l’observation des animaux, dans le cas des gibbons de Hainan, toutefois, la technologie est la meilleure alternative possible. En plus de permettre aux scientifiques de simplifier les processus fastidieux de collecte de données et d’analyser des quantités considérables de données, Garber a expliqué que la technologie joue également un rôle dans la sensibilisation à l’importance de la conservation.
« Elle est essentielle, car même si nous n’obtenons pas beaucoup d’informations nouvelles importantes en utilisant certaines technologies, les utiliser met d’une certaine façon en lumière la recherche et lui donne plus de visibilité », selon lui. « L’impact est plus important que si vous vous contentez de marcher dans la forêt avec un carnet. »
Image de bannière : Un couple de gibbons de Hainan, une espèce en danger critique d’extinction qui ne se trouve que sur l’île de Hainan en Chine. Image de Laurent Rivasseau via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Abhishyant Kidangoor est rédacteur pour Mongabay. Retrouvez-le sur Twitter @AbhishyantPK.
Citations:
Dufourq, E., Durbach, I., Hansford, J. P., Hoepfner, A., Ma, H., Bryant, J. V., … Turvey, S. T. (2020). Automated detection of Hainan gibbon calls for passive acoustic monitoring. Remote Sensing in Ecology and Conservation, 7(3), 475-487. doi:10.1002/rse2.201
Dufourq, E., Batist, C., Foquet, R., & Durbach, I. (2022). Passive acoustic monitoring of animal populations with transfer learning. Ecological Informatics, 70, 101688. doi:10.1016/j.ecoinf.2022.101688
Wang, X., Wen, S., Niu, N., Wang, G., Long, W., Zou, Y., & Huang, M. (2022). Automatic detection for the world’s rarest primates based on a tropical rainforest environment. Global Ecology and Conservation, 38, e02250. doi:10.1016/j.gecco.2022.e02250
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/03/to-save-hainan-gibbons-earths-rarest-primate-experts-roll-out-the-big-tech/