- Au Cameroun, l’abandon des sites miniers, la majorité du temps par des sociétés étrangères, donne lieu à des trous béants devenus des lacs artificiels qui dégradent l’environnement et mettent les populations riveraines en péril.
- En fin janvier, un gamin de 13 ans a perdu la vie par noyade dans un lac crée dans la localité d’Akak I près de Yaoundé, par la société de carrière Transatlantique Cameroun Sarl, filiale du consortium chinois Cameroon Meilan Construction Conglomerate (CMCC).
- En 2021, l’ONG camerounaise Forêts et Développement Rural (FODER) a recensé plus de 700 trous miniers sur les sites miniers camerounais, dont 139 transformés en lacs artificiels, ayant coûté la vie à plus de 200 personnes.
- La législation camerounaise oblige pourtant les sociétés minières à refermer les trous miniers après exploitation. Mais cette mesure est foulée au pied, en raison de manquements liés à l’applicabilité de la loi.
YAOUNDÉ, Cameroun – Un chantier minier tombé en ruine se trouve au cœur de la localité d’Akak I, à la périphérie de Yaoundé la capitale camerounaise. Le site de cette carrière jadis exploitée par la société Transatlantique Cameroun Sarl, filiale du consortium chinois Cameroon Meilan Construction Conglomerate (CMCC) n’est plus actif. Il a été vidé de son potentiel minier, après exploitation des moellons par cette société aux fins de commercialisation. Il n’en reste qu’un trou gigantesque comme relique, confondu dans un relief fortement dégradé, et pouvant couvrir une superficie de près de quatre hectares.
À l’intérieur de ce trou, un lac artificiel s’y est formé, et met en péril la vie des communautés riveraines. En fin janvier dernier, un jeune garçon, Fabrice, 13 ans, y a perdu la vie par noyade, alors qu’il s’y était rendu pour une partie de natation avec ses compagnons. Ce drame, le premier survenu sur ce site depuis le départ de la société en 2021, plonge les riverains dans l’anxiété. Pour autant, des maisons en construction continuent de germer aux abords du site, malgré le danger qu’il représente pour ces communautés depuis deux ans déjà.
À l’image du jeune Fabrice, plusieurs victimes par noyade ont été recensées dans des lacs artificiels résultant de l’exploitation minière au cours des dernières années au Cameroun. Selon un recensement effectué par l’organisation non-gouvernementale FODER (Forêts et développement rural) entre 2015 et 2022, 205 décès ont été enregistrés dans les sites miniers des régions de l’Est et de l’Adamaoua, dont 12 cas de noyades dans des lacs artificiels. Les 193 autres décès sont généralement dus aux éboulements et glissements de terrain causés par des trous béants abandonnés.
La plupart du temps, ces trous sont abandonnés après une exploitation artisanale semi-mécanisée par des sociétés minières étrangères à l’aide de pelles excavatrices. On y retrouve des entreprises indiennes, grecques, camerounaises, et surtout chinoises dans leur majorité.
En septembre 2021, cette ONG a dénombré 703 trous sur les sites miniers, dont 139 lacs artificiels sur une superficie de 93,66 hectares, et dans lesquels ces sociétés déversent souvent des huiles usées et des hydrocarbures résultant de leurs activités, et qui participent à la dégradation de l’écosystème.
« Dans cette série de décès enregistrés dans les sites abandonnés par les sociétés minières, le plus emblématique pour nous, est celui du jeune Samba. En 2017, le jeune homme âgé de 12 ans rentrait des champs, puis il a glissé dans un trou abandonné par la société Metallicon S.A. et en est mort. Les ayant-droits de la famille sont venus nous voir pour un appui judiciaire et juridique. On a intenté deux procès, l’un à Bertoua et l’autre à Batouri. Celui de Batouri, nous l’avons gagné, mais malheureusement, au moment de faire appliquer la décision de justice, on n’a pas pu mettre la main sur l’entreprise », raconte Justin Landry Chekoua, cadre de l’organisation FODER.
Dans un rapport publié en 2022 sur la mine artisanale semi-mécanisée au Cameroun, l’organisation camerounaise Centre pour l’Environnement et le Développement (CED), révèle que cette activité contribue à la destruction du couvert forestier (précisément dans le cadre de l’exploitation aurifère), à la dégradation des terres sur des centaines d’hectares sans les restaurer.
Pour l’environnementaliste Émile Temgoua, enseignant à l’Université de Dschang, « il y a une très, très forte perte de la biodiversité. Vous pouvez calculer tout ce qu’il y a comme espaces ouverts, vous verrez que tout ce qu’il y avait comme savane, forêt, animaux sauvages…, n’ont plus de place. On a perdu tous ces espaces et espèces », déplore-t-il.
D’ailleurs, l’association CED a révélé qu’à cause du déversement de produits toxiques dans la nature par les sociétés chinoises, dans les fleuves et rivières dans la région de l’Est, trois hippopotames en sont morts entre 2020 et 2021.
Législation nationale en sursis et laxisme des autorités
En effet, de nombreuses sociétés minières opèrent dans la région de l’Est dans un climat favorisé par le laxisme des élites administratives locales, et en toute impunité, alors que la législation nationale en matière minière est encore sujette à des tergiversations. Ceci est aussi une réalité en République Démocratique du Congo (RDC) où le gouvernement s’illustre avec désinvolture dans la régulation du secteur minier.
Le Cameroun a adopté en 2016 un nouveau Code minier, lequel précise en son article 136 que « la restauration, la réhabilitation et la fermeture des sites miniers et des carrières incombent à chaque opérateur ». Et pourtant, cette disposition n’est pas respectée, car l’entrée en vigueur de cette loi reste conditionnée par un décret d’application dont l’exclusivité de la signature incombe au président camerounais Paul Biya, mais qui depuis six ans demeure dans l’expectative.
Par conséquent, l’activité minière au Cameroun est encore encadrée par l’ancien Code minier adopté en 2001, et une kyrielle de décrets, dont le dernier a été signé le 4 juillet 2014.
L’application du code minier camerounais demeure une question lancinante à laquelle même les autorités du ministère des mines camerounais, sollicitées par Mongabay, ne trouvent pas de réponse satisfaisante, arguant qu’ « il reste une série textes particuliers à signer qui relèvent du pouvoir de la plus haute autorité du pays, et pas du ministère ».
Au demeurant, le ministère des Mines camerounais a pris la pleine mesure du danger que représente la semi-mécanisation artisanale de l’or, et a entrepris de suspendre, à compter du 31 mars 2023, la délivrance des autorisations d’exploitation artisanale aux sociétés étrangères, afin qu’ils deviennent un privilège exclusif des artisans miniers tel que prévu par les dispositions du code minier en sursis. Ceci en vue d’une meilleure régulation de cette branche du secteur minier, majoritairement responsable des hécatombes dans l’extractivisme au Cameroun.
En 2022, pour freiner cette brise funeste dans la région de l’Est, le préfet Yakouba Djadaï a décidé de suspendre toutes les entreprises dans la localité de Kambelé III, à cause des morts en cascade enregistrés sur ce site et des effets dévastateurs de leurs activités sur la biodiversité. Au total neuf sociétés ont été frappées par cette décision, dont six appartenant aux ressortissants chinois. À la suite de cette décision, le chef administratif du département de Kadey a entrepris une opération de reboisement de ce site après fermeture des trous.
Dans la région, la prolifération des trous miniers a également amené un collectif des jeunes de la cité minière de Bétaré Oya, à initier en 2022 une campagne de fermeture des trous abandonnés, avec pour ambition de restaurer à terme plus de 700 trous pour tenter de stopper la saignée.
Dans la localité d’Akak I, Rodrigue Afane, la quarantaine révolue qui habite aux encablures de la mine abandonnée avec sa famille, craint toujours pour la sécurité de ses enfants : « Ce trou représente un vrai danger pour nous qui habitons aux alentours. À tout moment, un enfant peut se retrouver là-bas et finir comme ce jeune garçon [mort par noyade] », exprime-t-il, très anxieux.
Image mise en avant : Un trou minier transformé en lac artificiel après exploitation semi-mécanisée par une société minière. Image © Yannick Kenné.
En savoir plus avec le podcast de Mongabay (en anglais) : Entretien avec Anuradha Mittal, directrice générale de l’Oakland Institute, et Christian-Geraud Neema Byamungu, chercheur congolais, sur l’impact de l’extraction des ressources sur les droits humains et l’environnement en République démocratique du Congo.
COMMENTAIRES : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’auteur de cet article. Si vous souhaitez poster un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.