- Une enquête de Planeta Futuro/El País révèle l'extraction illégale d'espèces d'arbres menacées, de minéraux précieux et de métaux stratégiques destinés au marché mondial.
- Selon l’enquête,des entreprises appartenant à des Chinois utilisent des permis irréguliers pour exploiter et exporter l'Afrormosia, une espèce menacée du fait de la demande internationale, et met en évidence des irrégularités dans le calcul des quotas d'exportation. L'UE envisage des mesures plus strictes pour les importations en provenance de la RDC.
- Depuis plus d'un an, des concessions protégées par l'armée congolaise extraient illégalement de l'or, des diamants et des métaux rares. Ils rejettent du mercure dans l'eau que les communautés utilisent pour pêcher, se baigner et boire.
- Mongabay s'est associé à El País/Planeta Futuro pour publier cette enquête en français. Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Réseau d’Investigation sur les Forêts Tropicales (RIN) du Pulitzer Center.
BASOKO, RDC (16 mai 2022) – À Yaliwasa, dans le nord de la RDC, des bois précieux vieux de 200 ans pourrissent au cœur de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. Ils ont été abattus à la hâte pour être exportés vers des centres de traitement en Chine, puis redistribués vers des marchés haut de gamme en Asie et sur d’autres continents. Et pourtant, le bois se désagrège et des gros champignons orange poussent sur les grumes.
Certaines grumes ne sont pas marquées, mais toutes appartiennent à Fodeco, une entreprise chinoise sans aucune expérience en exploitation forestière industrielle qui, en 2015, a obtenu une concession d’une superficie équivalente à plus de trois fois la ville de New York. La société est entrée en conflit avec les communautés locales au sujet des compensations et celles-ci ont depuis empêché l’évacuation du bois.
« D’autres entreprises [chinoises] paient des policiers ou des militaires pour protéger leurs intérêts, mais nous ne pouvons pas nous le permettre car nous n’arrivons pas [à évacuer et] à vendre notre bois », explique le gestionnaire de la concession, Liga Guo. Il fait référence à son ancien employeur, Maniema Union, qui a obtenu des concessions illégales par l’intermédiaire d’un général congolais sanctionné par l’Union Européenne (UE) et les États-Unis pour violation des droits de l’homme.
« Je veux juste sortir les grumes, expédier le bois et foutre le camp d’ici. Mais c’est impossible de travailler comme ça. J’ai quitté la Chine pour gagner ma vie, mais ce travail va me tuer », dit-il tout en transportant des dizaines de boîtes de médicaments vermifuges vers le conteneur préfabriqué dans lequel il vit.
Fodeco est titulaire d’un des 18 contrats que plusieurs ministres consécutifs ont accordés, en violation du moratoire sur les nouvelles concessions d’exploitation forestière industrielle en vigueur depuis deux décennies. «Une vente pure et simple de concessions forestières», selon un rapport des inspecteurs des finances congolais. Ce document n’a été publié qu’en avril après des mois de pression de la part des ONG et des médias internationaux.
En aval du fleuve, une filiale de Booming Group, immatriculée à Hong Kong, exploite également des arbres menacés en violation de la législation congolaise, tandis que Xiang Jiang Mining extrait illégalement des minéraux précieux et stratégiques depuis plus d’un an.
Une enquête de Planeta Futuro/EL PAÍS a prouvé que des entreprises appartenant à des Chinois extraient illégalement des ressources naturelles dans les forêts tropicales du nord de la RDC : en travaillant avec des permis d’exploitation forestière de complaisance; en extrayant et en exportant des espèces menacées et des minéraux au mépris de la loi congolaise; et en violant les droits du travail et de l’homme avec la complicité des certains individus au pouvoir —des autorités qui font commerce des forêts congolaises au détriment des communautés, de la biodiversité et des écosystèmes vitaux pour le climat mondial.
Permis d’exploitation forestière sur demande
L’Union européenne (UE), le Royaume-Uni, la Norvège et neuf autres donateurs gardent un œil sur la RDC. Surtout après avoir promis 500 millions de dollars pour la conservation de la forêt tropicale du Congo lors du sommet des Nations unies sur le climat (COP26). La première condition de l’accord était que le gouvernement congolais publie l’audit des concessions forestières que son inspection des finances avait finalisé en mai 2020.
Le document a finalement vu le jour en avril 2021, et la ministre de l’Environnement s’est engagée à suspendre jusqu’à nouvel ordre les entreprises que le document accusait d’infractions et de non-paiement des taxes. L’ordre de suspension a été publié, mais Fodeco n’était pas sur la liste.
En janvier 2020, des rapports internes auxquels cette enquête eu accès mettaient déjà en garde contre les infractions commises par Fodeco : présentation de fausses déclarations trimestrielles d’exploitation forestière, destruction de plants avec des machines lourdes et absence de plan de gestion obligatoire.
Cette enquête a également permis d’obtenir une déclaration datant de décembre 2020 dans laquelle la société admet avoir traité avec les autorités pour minorer le paiement de certaines taxes, et le non-paiement des taxes sur les revenus et la pollution.
Fodeco a aussi demandé un permis d’exploitation annuel avec des inventaires d’arbres « imaginaires », qui a toutefois été approuvé par la ministre de l’Environnement de l’époque, Amy Ambatobe Nyongole.
« En RDC, vous pouvez acheter n’importe quel document, n’importe quelle preuve de légalité; les administrations sont des machines à légaliser », explique un expert international, qui parle sous couvert d’anonymat car il participe à une mission de soutien des autorités congolaises en matière de gouvernance forestière.
Les documents obtenus par cette enquête montrent que Fodeco a obtenu des permis d’exploitation forestière l’autorisant à extraire 2 885 pieds d’afrormosia (‘Pericopsis elata’) entre 2018 et 2019. Le nord de la RDC abrite les plus grandes populations au monde de cette espèce de bois dur menacée, un arbre pouvant atteindre une hauteur de 15 étages et qui met entre 120 et 200 ans pour atteindre le diamètre d’abattage.
La demande internationale a déjà entraîné l’extinction de cet arbre dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, et ses exportations sont désormais réglementées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) grâce à un système de quotas et de certificats d’exportation.
Fodeco a été autorisée à récolter ce bois, surnommé le‘teck africain’ sur la base d’un inventaire fictif. Comme l’espèce figurait sur le papier, mais pas dans pas dans l’aire de coupe correspondante, l’entreprise est allée chercher le bois là où il se trouvait : au-delà des limites autorisées et sans tenir compte des communautés qui dépendent de la forêt pour leur survie.
Cette enquête a révélé que l’entreprise avait également acheté de l’afrormosia à des exploitants artisanaux sans permis, et que la police judiciaire en a déclaré la saisie de 500 pièces.
Samuel Ekomba (ce n’est pas son vrai nom) est l’un des exploitants informels qui ont collecté le bois précieux pour l’entreprise. Ekomba a payé 20 dollars par arbre aux propriétaires ancestraux de la forêt, et a vendu le produit scié à Fodeco à un prix inférieur de 30% au prix local de 245 dollars par mètre cube. En Europe, ce bois apprécié pour sa couleur jaune-brun et son incroyable résistance est utilisé pour fabriquer des accessoires et des meubles haut de gamme. Son prix se situe entre 1.100 et 2.000 euros par mètre cube.
« Cela fait dix ans que j’exploite le bois sans permis », déclare Ekomba. « J’espérais que la Fodeco me donnerait l’argent pour me mettre en ordre et pouvoir travailler pour eux légalement, mais j’en suis toujours au point de départ ».
Une partie du bois qu’il a vendu à Fodeco se trouve toujours dans les locaux de l’entreprise, noircissant au fil du temps dans un conteneur maritime qui n’a jamais atteint la mer.
Une terre riche, des gens pauvres
« Ces gens [de Fodeco] sont venus ici sans expérience et sans traducteur, ils peuvent donc difficilement communiquer avec qui que ce soit », explique un employé congolais ayant des années d’expérience dans le secteur du bois industriel, qui demande à rester anonyme par crainte de représailles. « Nous nous demandons comment ils ont obtenu la permission de lancer cette activité », ajoute-t-il en montrant des piles de rondins pourris provenant d’arbres centenaires.
Cet homme a perdu un doigt alors qu’il travaillait dans la forêt, mais n’a jamais reçu d’indemnisation ni de soins médicaux autres que les premiers secours. La loi congolaise oblige les entreprises à embaucher leurs travailleurs au bout de trois mois, mais trois ans plus tard, cet homme et ses collègues, qui ont quitté leurs familles à Kinshasa pour rejoindre Fodeco, sont encore employés comme journaliers à trois dollars par jour.
Dans la région reculée de Yawinawina, d’anciens employés locaux de Fodeco se dirigent vers une clairière dans la forêt, montrant les huttes de branchages peu solides où ils devaient dormir pendant les opérations d’exploitation forestière. Pourtant, le Code Forestier de la RDC impose d’équiper ces camps de logements adéquats, d’eau potable et d’installations sanitaires.
« Une demi-tasse de riz par jour, dormir à même le sol, sans moustiquaires, sans contrat, sans dispensaire ? Sommes-nous des bêtes ? » se lamente Joseph Atuku. « Nous avions de grands espoirs que ce serait bon pour nous, bon pour la communauté ».
La société opère sur le territoire de Basoko, une zone marécageuse où se trouvent cinq concessions d’exploitation forestière industrielle, l’une des plus grandes plantations d’huile de palme de la région et une société minière qui fonctionne 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
Les ressources naturelles attirent des investisseurs de Chine, d’Europe, d’Afrique du Sud et des États-Unis, et des réseaux d’investissement enregistrés dans des juridictions secrètes telles que le Liechtenstein, l’île Maurice, les Iles Caïmans et le Delaware. Mais cet afflux de fonds n’impacte pas le niveau de vie des communautés de la région, où un enfant sur trois souffre de malnutrition chronique.
Sur les rives du fleuve, des enfants aux cheveux orange, symptôme d’une grave carence en protéines, se baignent à leur insu dans des champs de diamants, à l’ombre d’arbres aux bois précieux coûtant des milliers de dollars sur les marchés internationaux.
Jean Francis Ilinga Mokonzi est un chef traditionnel avec une coiffe en léopard, un collier de 40 défenses, chaque pièce représentant un village, et un diplôme de droit : « Notre forêt ancestrale est pillée avec la complicité de nos propres autorités. [Le gouvernement] parle beaucoup du changement climatique, mais l’administration forestière est corrompue jusqu’à l’os ».
Commerce international des espèces menacées
De l’autre côté de la rivière, la société chinoise Booming Green contrôle plus d’un million d’hectares de forêt tropicale. Le géant de l’exploitation forestière, qui travaille également au Liberia, a obtenu cinq concessions en 2017, violant ainsi le moratoire sur les nouvelles opérations d’exploitation forestière industrielle. Les inspecteurs congolais l’accuse également de devoir 2,5 millions de dollars au trésor public en frais d’acquisition et en taxes.
Pourtant, leurs numéros de concession ne figurent pas non plus dans l’ordre de suspension émis par le ministère de l’environnement.
Cette enquête à eu accès à un permis d’exploitation forestière de Booming Green. Le document montre qu’en janvier 2021, le ministre de l’environnement sortant, Claude Nyamugabo, a autorisé l’entreprise à abattre 91.455 mètres cubes d’afrormosia, soit près du double du quota d’exportation CITES approuvé pour l’ensemble du pays en 2020. Ce volume représente, également, 93 % du quota d’exportation CITES pour 2021, un chiffre qui ne fut publié que vers le fin de l’année.
Une grande partie de la production est exportée l’année qui suit l’exploitation. Cela signifie qu’à l’heure actuelle, le gros des exportations congolaises d’afrormosia est entre les mains d’une entreprise qui brise un moratoire datant de deux décennies.
Ce permis annuel autorise la coupe d’un million de mètres cubes par saison, bien que la RDC n’ait jamais officiellement exporté plus de 400.000 mètres cubes. De plus, il cite le moabi (Baillonella toxisperma) qui n’existe pas dans la zone, et il n’y a aucune correspondance entre le nombre d’arbres et les volumes de bois qu’il autorise à extraire, même pour l’espèce menacée mukulungu (Autranella congolensis).
« Ce genre de permis se vend à prix d’or », explique l’expert international qui travaille sur l’amélioration de la gouvernance forestière en RDC. « Les concessionnaires pourraient les utiliser pour blanchir du bois acheté n’importe où dans le pays, pour faire passer une espèce pour une autre, et pour exporter frauduleusement des arbres menacés ».
Entre-temps, les expéditions de bois de Booming Green ont continué à quitter le port de Matadi pour des destinations telles que Jinjiang en Chine, un centre mondial de transformation du bois.
Ni Booming Green ni Fodeco n’ont répondu aux demandes de commentaires par courriel.
« Un motif d’inquiétude » pour les pays de l’UE
La manière dont la RDC calcule ses quotas d’exportation d’espèces protégées soulève également des questions. Le dernier quota disponible pour l’afrormosia, par exemple, est basé sur une étude financée par l’UE via la CITES et réalisée par des universités congolaises avec la coordination du gouvernement. L’ouvrage a été publié début 2022, avec presque un an de retard et quelques surprises.
Le premier objectif de la recherche était d’éclaircir quel volume d’afrormosia doit entrer dans une scierie congolaise pour générer un volume de produits tels que des planches et du placage. La fixation de ce chiffre, appelé taux de conversion, est une question très sensible car plus il est élevé, plus les entreprises peuvent abattre d’arbres.
Cependant, le taux que le pays a fini par soumettre cette année n’est pas basé sur une étude scientifique indépendante, comme cela était prévu à l’origine, mais sur deux années de données fournies par un pair de sociétés d’exploitation forestière.
Le deuxième objectif était de vérifier la traçabilité du bois de la forêt à la frontière. Cependant, selon des sources proches du dossier consultées par l’auteur de cette enquête, l’organe de gestion de la CITES en RDC a entravé l’accès des enquêteurs aux permis d’exportation à plusieurs reprises. Ils se sont également vu refuser l’accès au port maritime de Matadi pour vérifier les données douanières.
L’organe de gestion de la CITES à Kinshasa n’a pas répondu aux demandes de commentaires envoyées par courriel.
El País/Planeta Futuro a fait part de ces irrégularités à la Belgique, principal importateur d’afrormosia congolais dans l’UE, et lui a demandé sa position : « Le taux de conversion élevé et l’audit du ministère des Finances de la RDC sont effectivement préoccupants », a déclaré le Service Public Fédéral belge en charge de l’environnement.
« Nous allons suggérer [au Groupe d’Examen Scientifique de l’UE] une consultation formelle avec la RDC, en demandant plus d’informations sur son système de gestion, l’audit, l’étude et le taux [de conversion] », ont-ils ajouté. « L’audit soulève un débat plus large sur les problèmes de gestion de la RDC et devra être discuté au niveau de l’UE, et il est possible que des mesures plus strictes soient adoptées ».
Marchés mondiaux exposés au bois illégal
Pour réduire le risque d’importation de bois illégal, les partenaires commerciaux de la RDC pourraient non seulement confirmer l’authenticité des permis d’exportation CITES, mais aussi vérifier la cohérence des permis d’exploitation correspondants.
Malgré cela, les marchés soumis à des réglementations strictes, tels que l’UE et les États-Unis, courent le risque d’importer du bois obtenu en violation des lois congolaises ou des principes d’exploitation forestière durable, mais qui est en règle selon la RDC.
« Sauf en cas d’alerte, nous devons accepter les documents émis par le pays d’origine », déclare l’expert Alfonso San Miguel, conseiller en matière de flore auprès de l’autorité espagnole de la CITES. Le comité scientifique européen qui cherche à protéger le marché commun contre les importations douteuses à le dernier mot.
Toutefois, le risque est multiplié lorsque l’Europe n’achète pas directement le bois, mais importe des produits finis en provenance d’Asie. La Chine et le Vietnam ont été les principaux importateurs d’afrormosia congolais au cours des quatre dernières années, selon les chiffres déclarés pour la RDC, tandis que la Belgique reste le principal port d’entrée du bois en Europe, suivie par le Portugal, l’Italie et l’Espagne. Les États-Unis en ont exporté une petite quantité en 2018.
Dans la base de données de la CITES sur le commerce international, les volumes déclarés par les pays exportateurs et importateurs correspondent rarement, ce qui rend encore plus difficile le suivi du bois congolais de la forêt au consommateur final. Mais sous les arbres et dans la rivière se cachent des richesses encore plus difficiles à tracer.
Exploitation illégale de l’or et des diamants
Le monde des entreprises chinoises dans le nord de la RDC est petit. Le directeur des opérations de Fodeco, par exemple, est venu de Maniema Union pour remplacer un gérant qui venait d’être embauché par Xian Jiang Mining. Cette société minière, qui a commencé ses activités en janvier 2021, contrôle sur deux concessions dans le territoire de Basoko et une troisième à Banalia, un total de plus de 5.000 hectares.
Sans hors-bord, rejoindre les concessions de Basoko depuis la capitale provinciale est compliqué. Il faut naviguer des jours entiers sur le fleuve Congo dans des canoës fabriqués à partir de troncs d’arbres évidés ; pagayer à contre-courant ; réparer des motos tout-terrain sur des pistes boueuses au milieu de la jungle ; et les porter sur ses épaules à travers les marais tropicaux, en pataugeant dans l’eau jusqu’à la taille. La destination est un village riverain où l’on peut entendre le ronronnement des dragues jour et nuit.
Cette enquête a révélé que Xian Jiang Mining extrait illégalement de l’or, des diamants et des métaux rares du lit de la rivière depuis plus d’un an avec un document qui n’autorise que la prospection, promettant faussement aux communautés qu’ils construiront des écoles et des cliniques pour elles lorsqu’ils commenceront à vendre les marchandises. Leurs cinq dragues étaient gardées par la police, mais la société a finalement engagé des militaires pour chasser les habitants opposés à l’opération.
Les entreprises disposant d’un permis de prospection ne sont autorisées qu’à effectuer des enquêtes pour identifier les zones riches en minéraux ; tout ce qu’elles extraient appartient à l’État congolais et ne peut donc pas être vendu ; et des inspecteurs de la division provinciale des mines doivent être présents sur chaque drague pour contrôler et prélever des échantillons. Au lieu de cela, Xian Jiang Mining a extrait et vendu les matériaux précieux sans surveillance, tandis que les administrations ont fermé les yeux.
L’auteur de cette enquête a eu accès à des données non publiées du registre minier montrant que Xian Jian Mining peut rechercher de l’or et des diamants, ainsi que du niobium, du tantale, de l’oxyde d’étain et du wolfram, également connu sous le nom de tungstène. Les métaux rares sont utilisés pour produire des aciers alliés à haute résistance pour les oléoducs et gazoducs, les détecteurs de fumée, les composants de missiles et de centrales nucléaires, ainsi que les implants chirurgicaux, entre autres.
Collusion avec les autorités
En 2020, le ministre provincial des mines et le gouverneur adjoint ont mené des missions financées par Xian Jiang Mining pour faire pression sur les autorités et les communautés locales afin qu’elles soutiennent les investissements chinois. Les concessions minières couvrent des tronçons de la rivière Aruwimi et de la forêt tropicale environnante, y compris des villages.
Mais en recevant 1.700 dollars et des emplois de la part de l’entreprise, même les leaders de la jeunesse qui bloquaient la première drague depuis des mois ont admis qu’ils avaient cédé à la fin de 2020. « Kinshasa était avec eux ; la province était avec eux ; même les militaires étaient avec eux », a déclaré l’ancien chef de l’opposition Charles Kolo (nom fictif). « Que pouvions-nous faire ? »
En 2021, même l’assemblée provinciale a exhorté les habitants à « sensibiliser » les derniers bastions de résistance afin que les mineurs puissent commencer à travailler sur leur deuxième concession de la région, selon des documents obtenus au cours de cette enquête.
Lors de leurs visites, le chef de la Division des Mines et les représentants du gouvernement provincial ont assuré les communautés que la société était en règle ; ils ont insisté sur le fait que les études de prospection n’affecteraient pas la qualité de l’eau ou les moyens de subsistance locaux et ont déclaré qu’une sorte d’accord serait trouvé entre les investisseurs étrangers et les personnes qui pratiquent l’exploitation minière artisanale dans la même zone depuis des années. La plupart des gens les croyaient.
« Nous utilisions la rivière Aruwimi pour tous nos besoins, mais maintenant elle est tellement boueuse que nous devons aller dans la forêt pour trouver de l’eau de boisson », explique Jean Christophe Njanjale, chef du secteur Bangelema-Mongandjo. Les pêcheurs ont également été contraints de se déplacer en aval. Les canoës restent coincés dans les bancs de sable créés par les dragues, les filets sont déchirés par les hors-bords, et le bruit constant fait fuir les poissons. Sur le rivage, des blocs entiers de terre ferme se sont effondrés.
Chacune des cinq dragues de la société extrait jusqu’à 75 tonnes de sable du lit de la rivière toutes les 24 heures et utilise illégalement du mercure pour séparer l’or, jetant dans la rivière les déchets contenant ce métal neurotoxique. En aval, les pêcheurs continuent de boire l’eau, les enfants s’y baignent et les femmes l’utilisent pour faire la vaisselle.
La société achète du mercure à cinq dollars par centimètre cube au même comptoir où elle vend de l’or à Kisangani, un important centre de commerce de minéraux fréquenté par des hommes d’affaires chinois, russes et belges bien connectés.
En tant que chauffeur et assistant du patron de Xiang Jiang Mining à Kisangani, le Congolais Joseph Dako (nom fictif) avait un accès privilégié au modus operandi de l’entreprise.
« Je me rendais en ville à moto sur un chemin de terre infernal, transportant des petits colis contenant des diamants, qui étaient vendus à l’étranger », raconte-t-il. « D’autres transportaient de l’or deux fois par semaine sur le bateau qui va acheter du carburant et de la nourriture. Les bons jours, nous déposions 100.000 dollars à la banque rien qu’avec les ventes d’or ».
D’après leur taille et leur puissance, il est clair que les dragues sont destinées à l’exploitation minière, et non à l’exploration, et qu’elles coûtent bien plus que les 9.500 € de capital social que la société déclare dans ses statuts, consultés par ce journaliste. Alors pourquoi les autorités provinciales ont-elles autorisé, et défendu, son déploiement ?
Les investisseurs chinois contrôlent environ 70 % du secteur minier de la RDC, selon la Chambre Congolaise des Mines. La RDC possède d’importants gisements d’or et fut le troisième plus grand producteur de diamants industriels en 2019, contribuant à environ 21 % de la production mondiale. Elle possède également l’une des populations les plus pauvres du monde et est confrontée à des défis significatifs dans la gestion de ses ressources naturelles.
S’exprimant près du site d’assemblage de la drague à Kisangani, le chef de la division minière de l’époque, Michel Liete, a déclaré qu’il n’avait pas eu l’occasion de voir les machines ou de parler aux représentants de la société au sujet des allégations d’exploitation illégale. Et ce, malgré le fait que des employés chinois vivaient de l’autre côté de la route et qu’il s’était lui-même rendu à Basoko en 2020 pour mettre fin à l’opposition locale à la première drague.
« Je n’ai pas eu besoin de jeter un coup d’œil à la drague [à Basoko]. Je me fie à la parole de l’entreprise », dit-il. « Et de toute façon, pourquoi tant d’intérêt pour les Chinois? »
« Des conséquences très graves »
Cette enquête a eu accès à des correspondances officielles du vice-premier ministre de la RDC chargé de l’Environnement, Eve Bazaïba, et de la ministre nationale des Mines, Antoinette N’Samba.
Le 3 septembre 2021, N’Samba a ordonné la suspension temporaire de Xian Jiang Mining. Toutefois, le 13 décembre, Mme Bazaïba a prévenu qu’ils continuaient à « exploiter illégalement des matières premières, avec des conséquences très graves » et l’a exhortée à prendre toutes les mesures nécessaires pour révoquer le permis.
Les ministères mentionnés n’ont pas répondu à nos demandes de commentaires envoyées par e-mail. Xian Jiang Mining n’a pas non plus répondu à nos sollicitations via des applications de messagerie.
Aujourd’hui, Xian Jiang Mining continue de forer le sol ; Fodeco continue d’essayer d’évacuer son bois ; et Booming Green continue de détenir plus d’un million d’hectares de forêt tropicale. Des navires sortent toujours des entrailles de la forêt tropicale congolaise, transportant des minéraux et du bois précieux de l’Afrique au reste du monde.
Cet article a été publié à l’origine en espagnol dans El País/Planeta Futuro.
Image de la bannière: Une grume pourrisse à la base de Fodeco à Basoko, au nord-est de la RDC. La compagnie forestière des chinois ne trouve pas rentable d’expédier les grumes vers le port maritime de Matadi, à quelque 2.000 kilomètres de là, à moins qu’elle ne parvienne à en extraire une quantité suffisante. Crédit: Gloria Pallares.
Révision du texte en français: David Breger.