Afin de réduire l’impact humain sur la forêt, la faune et la flore du parc des Virunga, le Bureau régional du WWF pour l’Afrique Centrale encourage la plantation de forêts communautaires à croissance rapide autour du parc par l’intermédiaire du projet Eco Makala depuis 2007. Le nom « Makala », originaire du swahili, désigne le charbon de bois. Le projet implique des petits exploitants agricoles et des organisations locales, afin de fournir une source de carburant alternative pour les communautés aux alentours.

Outre les forêts communautaires, le WWF s’efforce également d’améliorer les foyers culinaires pour que les habitants n’aient pas à récolter tant de bois. En 2009, le projet a présenté des foyers qui ne consomment que la moitié de la quantité de charbon qu’un foyer traditionnel utiliserait.

Paluku Vhosi Jean de Dieu, chef forestier du projet Eco Makala, explique que le projet vise à étendre la superficie des forêts autour du Parc national des Virunga tout en apportant aux communautés une source d’énergie alternative et des matériaux de construction.

« La détérioration de l’environnement menace grandement la biodiversité et l’habitat naturel du parc », a confié Jean de Dieu à Mongabay. « C’est parce que le Makala et le bois énergie sont les seules sources d’énergie accessibles aux communautés du Nord Kivu. »

 

Une nécessité dangereuse et illégale

Le génocide rwandais de 1994 a entraîné un afflux massif de réfugiés et une forte migration vers la capitale du Nord Kivu, Goma. Étant donné que la plupart des habitants de Goma manquent d’électricité, cela a provoqué une forte demande de bois comme combustible. « La totalité du Nord Kivu nécessite d’environ huit millions de tonnes de charbon par an », explique Jean de Dieu. « La ville de Goma à elle seule a besoin d’environ une tonne de charbon ».

Selon Jean de Dieu, la production illégale de charbon était une source de revenus importante pour les groupes armés lors de la guerre civile qui a duré plus de 20 ans. Par conséquent, la forêt a disparu, et avec elle, l’habitat d’animaux sauvages tels que les éléphants, les hippopotames, les gorilles de montagne et les chimpanzés.

Anifa Byanjira*, originaire du village de Rugari, gagne sa vie en produisant du charbon au sein du parc. Avant que l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) (établissement partenaire gouvernemental qui s’occupe de la gestion des zones protégées de la RDC) ne reprenne le flambeau l’an dernier, il devait payer la milice pour pouvoir accéder au parc. Il explique que la milice vendait également du charbon aux commerçants locaux pour 15 dollars par sac de 50 kg.

« C’est très dangereux. Nous partons durant la nuit, et nous revenons durant la nuit. Nous risquons d’être tués ou arrêtés. Pour 20 à 30 sacs, il faut compter deux semaines de campement dans la forêt afin que les femmes aient le temps de tous les transporter durant la nuit », explique Byanjira. « La vente du charbon du parc est très avantageuse, et le charbon de bonne qualité. Comme nous utilisons des arbres indigènes, un sac de 50 kg se vend pour 25 dollars, alors que le charbon produit à partir de souches d’arbres provenant de fermes se vend à 20 dollars le sac », ajouta-t-il. Byanjira a expliqué à Mongabay que le charbon est transporté par les femmes, car elles encourent moins de risques que les hommes si elles sont arrêtées par les autorités du parc. Le risque est davantage réduit lorsque le trajet se fait de nuit.

Selon Byanjira, la milice demandait souvent une compensation de la part des habitants pour les laisser partir indemnes.

« Avant que les soldats du gouvernement ne reprennent le contrôle, nous devions payer tous les mois 25 dollars aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à des fins de protection, afin de s’assurer que nos femmes puissent circuler sans être violées ou tuées. Les hommes devaient payer 5 $ de plus pour avoir accès à l’intérieur de la forêt à chaque fois qu’ils se rendaient au-delà de leur barrière », dit Byanjira.

Les FDLR sont le groupe armé leader étranger opérant en RDC. Il est principalement composé des membres du gouvernement rwandais et de son armée qui ont été renversés en 1994, ainsi que des réfugiés rwandais qui œuvrent à l’est de la RDC.

Selon de Merode, directeur du parc, la vente illégale de charbon opérant au sein de celui-ci s’élève à 35 millions de dollars par an. Il a expliqué à Mongabay que la direction du parc a essayé de restreindre la production de charbon en 2007 et en 2008, mais le prix du charbon a fortement grimpé en l’espace d’une semaine, ce qui a eu des répercussions considérables sur les moyens de subsistance des habitants de Goma.

« Dans la mesure où nous mettons l’accent sur l’apport de solutions alternatives, nous avons dû être indulgents en ce qui concerne l’accès à la forêt des populations locales et accepter qu’un certain degré de destruction soit inévitable », a commenté de Merode.

 

Nouvelles solutions alternatives

Rosalina Mwanajuma*, veuve et mère de six enfants, vivant dans le village de Kimoke dans la région de Sake, à environ 25 km de Goma, soutient financièrement à elle seule sa famille. Auparavant, elle subvenait à ses besoins en portant du charbon qu’elle allait chercher au Parc national des Virunga au milieu de la nuit. Toutefois, elle explique que le projet Eco Makala lui offre désormais accès à une source alternative de revenus afin qu’elle n’ait plus besoin de transporter du charbon hors du parc.

Par le biais de diverses associations, le WWF fournit aux planteurs d’arbres tels que Mwanajuma une liste recommandant les espèces à planter. Les planteurs d’arbres peuvent être des individuels, mais aussi des groupes communautaires locaux ; les individuels doivent posséder entre 5 et 1 000 hectares de terrain, tandis que ceux qui possèdent moins de superficies (1 à 5 hectares) peuvent devenir membres d’un groupe.

Les arbres plantés incluent des variétés d’eucalyptus (Eucalyptus saligna et Eucalyptus maidenii), des acacias noirs (Acacia mearnsii), une variété d’acajou (Cedrela serrulata), des chênes soyeux (Grevillea robusta), des tulipiers du Nil (Markhamia lutea), et des Cassias du Siam (Senna siamea). Les planteurs d’arbres choisissent les variétés à planter selon le type du sol de leurs terrains et les besoins en bois. Ces besoins sont variés et vont de la construction de matériaux comme des bâtons et des poutres, au charbon et à l’agroforesterie .

Mwanajuma possède désormais une plantation composée d’environ 1 600 arbres, disposés sur un terrain d’un hectare. Son intention était de disposer d’un approvisionnement régulier en feu de bois, en charbon, en poutres de construction, ainsi qu’en réserves de bois destinées à la vente sur le marché lucratif de Sake.

« Les poutres de construction sont particulièrement sollicitées en raison de la guerre dans la région. À chaque fois que les maisons sont détruites, les habitants doivent les reconstruire », a expliqué Mwanajuma à Mongabay. « Nous vendons une poutre pour 1 $ ou 2 $ à la ferme, et un morceau de bois de trois mètres à 2,50 $ au marché hebdomadaire de Sake. Le marché attire les acheteurs de Goma et de Bukavu. »

Mwanajuma a d’ores et déjà récolté et carbonisé environ 120 arbres de son terrain. « J’ai obtenu 40 sacs de 50 kg de charbon grâce à ces arbres, que j’ai vendus à 25 $ l’unité. C’est un réel soulagement de ne plus devoir acheter du charbon, et de ne plus avoir à risquer ma vie en transportant des sacs de charbon hors de la forêt », nous confie-t-elle.

Selon Jean de Dieu, plus de 10 000 hectares d’arbres ont été plantés autour du parc depuis 2007, le but étant d’arriver jusqu’à 47 000 arbres plantés en 2022.

Console’e Kavira, chef du projet des foyers culinaires améliorés du WWF, dit que la ville de Goma est sujette à un influx de réfugiés après le conflit en 2008 dans les territoires de Masisi et Rutshuru.

The Improved stoves known locally as Jiko Nyeusi (black stoves). Photo by Sophie Mbugua
Les foyers culinaires améliorés, localement appelés « Jiko Nyeusi » (foyers noirs). Photo par Sophie Mbugua

« Le prix du charbon pouvait monter jusqu’à 35 $ », a expliqué Kavira à Mongabay. « Une famille utilisait jusqu’à 4 sacs de 50 kg par mois ! Nous devions trouver une solution alternative afin de réduire cette consommation, tout en créant des emplois pour les nombreux réfugiés et les nombreuses veuves. »

Kavira et son équipe ont présenté le nouveau Jiko Nguvu Nyeusi (ou « foyer noir performant » en shawhili) qui consomme moins de charbon et qui produit moins de déchets que les poêles traditionnels.

Ce poêle se vend entre 5 et 15 dollars selon sa taille. Il est devenu un symbole de statut parmi les femmes de la région, dont la majorité était autrefois des réfugiées.

Les clients d’Eco Makala vont des écoles et des ONG aux vendeurs originaires de Kinshasa et d’autres régions du Congo. La motivation qui a animé ce partenariat est de partager le coût de la production et d’augmenter les quantités produites.

La production des poêles est actuellement contrôlée par le Réseau des Producteurs des Foyers.

Culinaires Ameliores (REPROFCA), a trade association consisting of 20 groups comprised of more than 300 people. Association president Adeline Kahindo Tsonga says the group produces about 3,000 improved stoves a month. Each member earns $0.45 per stove and a $5 monthly membership allowance. The team also grants loans to its members.

« Le nouveau foyer Jiko Nyeusi possède un revêtement en céramique en plus de celui en métal », explique Tsonga. « En comparaison avec le foyer traditionnel qui possède seulement un revêtement en métal, celui-ci consomme moins de charbon. Il a permis de réduire la consommation de charbon par ménage de 4 à 2 sacs par mois. »

Kavira, chef du projet des foyers améliorés, explique que la demande en baisse pour le charbon à Goma a entraîné une diminution importante de la vitesse à laquelle le charbon est consommé ; ce qui, au bout du compte, a aidé à réduire la déforestation.

« L’idée, c’était que les réfugiés puissent réduire de moitié les quantités de bois utilisées. L’utilisation des foyers améliorés a contribué à la réduction de la demande de charbon à Goma et a amélioré les moyens de subsistance socio-économiques », explique Kavira.

Kavira ajoute que les prix du charbon ont diminué, passant de 35 $ à 30 $ pour le charbon originaire du Parc national des Virunga, et à 25 $ le sac pour le charbon alternatif produit par les plantations individuelles. Les personnes affiliées au projet estiment qu’avec une source alternative de charbon moins chère et facilement accessible, les habitants seront moins tentés de se rendre à Virunga et de le produire illégalement. De plus, face à la diminution du prix du charbon illégal diminue, il deviendra moins lucratif pour les producteurs de le produire dans le parc. D’ici 2022, le projet prévoit de planter 20 000 hectares d’arbres autour du Parc national des Virunga qui permettraient de pourvoir aux besoins en charbon de la population de Goma.

Des données indiquent que la consommation de charbon produit illégalement a diminué depuis le lancement du projet en 2007. Un rapport datant de 2015 sur le bois énergie au Nord Kivu par la branche internationale de l’Office National des Forêts en France (ONFI) démontre que la quantité de charbon originaire de Virunga a diminué, passant de 80 % en 2008 à 56 % en 2015. Kavira affirme que depuis 2007, le projet Eco Makala a replanté plus de 15 millions d’arbres autour du parc en travaillant avec plus de 7 600 planteurs à petite échelle et 600 agriculteurs qui ont replanté environ 910 hectares de terrains agroforestiers. Plus de 58 000 foyers améliorés ont été vendus depuis 2009. Ils gagnent en popularité dans d’autres régions de la RDC telles que le Sud Kivu.

Toutefois, même si la pression entourant le charbon s’atténue à Virunga, des données satellites de l’Université du Maryland indiquent que la déforestation s’accroît dans le Parc national des Virunga dans son ensemble, ainsi que dans sa région au sud de Goma. De 2001 jusqu’en 2014, le parc a perdu plus de 23 200 hectares (90 milles carrés) de sa superficie d’arbres, ce qui revient à 1 600 arbres hectares perdus par an au cours de cette période. Cependant, en 2014, le parc a perdu près de 4 000 hectares, le plus grand nombre enregistré durant cette période d’étude.

Data from the University of Maryland visualized on Global Forest Watch show Virunga National Park lost more than 5 percent of its tree cover between 2001 and 2014. The portion of the park near Goma has been particularly affected, losing 8.5 percent of its tree cover during the same period. Despite reported gains in charcoal reform from Eco-Makala, data indicate deforestation may again be on the rise in the park, more than doubling between 2012 and 2013.
Les données de l’Université du Maryland affichées sur Global Forest Watch indiquent que le Parc national des Virunga (délimité en vert) a été relativement épargné de la destruction qu’ont subie les forêts aux alentours. Toutefois, le parc a tout de même perdu plus de 5 % de son couvert arboré entre 2001 et 2014. La partie de parc en bordure de Goma (en médaillon) a été particulièrement touchée, ayant perdu 8,5 % de son couvert arboré au cours de cette même période. Malgré les progrès engendrés par la réforme du charbon d’Eco Makala, les données indiquent qu’il se pourrait bien que la déforestation soit en recrudescence au sein du parc, la perte du couvert arboré ayant plus que doublé entre 2012 et 2013.

Selon Thierry Lusenge, responsable du Sustainable Energy Program (programme sur l’énergie durable) du WWF, le taux de déforestation pourrait toujours être haut pour d’autres raisons.

« Même si la consommation de charbon originaire de Virunga a diminué de 80 à 56 %, le rapport n’a pas pris en considération d’autres facteurs de la déforestation, tels que les activités agricoles incontrôlées, l’exploitation minière et le bois d’origine illégale », a expliqué Lusenge à Mongabay.

 

Limiter le réchauffement climatique en préservant les forêts de Virunga

La RDC possède approximativement 145 millions d’hectares de forêts, ce qui représente deux tiers de la zone forestière du bassin du Congo. Cette zone est la deuxième plus grande forêt tropicale au monde, après la forêt amazonienne.

Les forêts tropicales telles que celles du Parc national des Virunga éliminent et séquestrent le dioxyde de carbone, réduisant la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, limitant ainsi le réchauffement climatique.

En décembre dernier, lors de la 21e Conférence des parties (COP21), les gouvernements mondiaux ont émis l’Accord de Paris qui a reconnu le rôle vital que jouaient les forêts tropicales dans la limitation à 2 degrés Celsius du réchauffement climatique (en se basant sur les températures de l’ère préindustrielle) , pour ainsi parer aux pires conséquences du changement climatique.

Toutefois, avec la perte des forêts, la capacité de celles-ci à séquestrer le dioxyde de carbone est compromise. Des recherches indiquent que la déforestation est responsable de 15 à 20 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Les scientifiques affirment qu’il s’agit là d’une des causes majeures du changement climatique. C’est pour cela que lors de la COP21, la lutte contre la déforestation a été fortement soulignée.

Community members harvest timber near Sake, which holds a weekly timber market that attracts customers from all over the DRC. Photo by Sophie Mbugua
Les habitants récoltent du bois près de Sake, qui organise un marché hebdomadaire du bois, attirant des acheteurs venant de toute la RDC. Photo par Sophie Mbugua

Les efforts du projet Eco Makala dans la diminution de la déforestation au Parc national des Virunga sont en accord avec le cinquième article de l’Accord de Paris sur climat, encourageant les parties à mettre en œuvre et appuyer des activités relatives à la réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts.

« L’idée consistait à faciliter la capture et la séquestration du dioxyde de carbone et d’éviter la déforestation à Virunga. En contrepartie, cela améliorerait les moyens de subsistance des habitants, puisant dans le fonds du carbone pour maintenir les activités de reboisement », dit Lusenge.

Le programme Réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts (REDD+) est un autre élément majeur qui participe à l’effort global pour limiter les changements climatiques. En tant que mécanisme de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le programme REDD+ encourage les pays en développement à promouvoir la conservation des forêts et leur gestion durable, et à réduire les émissions originaires des territoires forestiers. Il encourage également l’investissement dans des solutions à faibles émissions de carbone, tout en créant une valeur financière pour le carbone séquestré dans les forêts.

Le projet Eco Makala a démarré en tant que projet pilote de REDD+ d’une valeur de 2,8 millions de dollars, financé par la Norvège, le Canada et le Royaume-Uni par l’intermédiaire du Fonds forestier du bassin du Congo, en partenariat avec le gouvernement de la RDC et la Banque africaine de développement. Il vise à séquestrer environ 460 000 tonnes de dioxyde de carbone entre 2016 et 2020 grâce à l’établissement de plantations d’arbres. Le projet estime également que 544 000 tonnes d’émissions de dioxyde de carbone ont été évitées de 2009 à 2016 grâce à l’utilisation de foyers à bois plus efficaces.

« Nous travaillons en étroite collaboration avec les communautés locales, du fait qu’elles remplissent un rôle vital dans la protection de l’écosystème. Chaque petit exploitant agricole engagé pour une durée de 10 ans par Eco Makala reçoit 100 $ », explique Lusenge. « Les associations locales reçoivent 150 $ ainsi que des jeunes plants à chaque saison de plantation afin d’assurer qu’ils s’occupent des forêts. »

Il reste toutefois encore beaucoup à faire. Le chef forestier Jean de Dieu confie que malgré le progrès d’Eco Makala dans la production et la vente légales et durables d’un charbon de haute qualité pour les communautés externes à Virunga, cela ne suffit pas encore à répondre à la demande en charbon de la région. Outre leur objectif de planter 47 000 hectares d’arbres d’ici 2022, le groupe s’intéresse à d’autres solutions capables de réduire immédiatement le danger qui pèse sur les forêts.

« Nous œuvrons à améliorer le procédé de carbonisation, à obtenir des finances convenables et à mettre fin aux taxes illégales qui pèsent sur ce commerce », explique Jean de Dieu. « Nous espérons créer une source d’énergie alternative, par exemple le biogaz, et diversifier les activités afin d’inclure l’apiculture et la production de fruits, qui permettront de générer des revenus communautaires grâce aux plantations de micro-forêts. »

 

Sophie Mbugua est membre de la International Women’s Media Foundation (IWMF), grâce à qui cet article a pu voir le jour.

*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des sources.

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