En 1917, Joel Asaph Allen a examiné une espèce de musaraigne du Bassin du Congo et fait une découverte remarquable : la colonne vertébrale de la musaraigne n’était semblable à aucune de celles connues jusqu’alors. Les vertèbres lombaires imbriquées entre-elles rendaient la colonne vertébrale de cette espèce quatre fois plus forte que celle de n’importe quel autre vertébré sur Terre, proportionnellement à sa taille. Le petit mammifère avait été découvert seulement sept ans auparavant et a alors été renommée la musaraigne héroïne (Scutisorex somereni), d’après le nom que lui avait donné le peuple local Mangbetu, qui connaissait depuis longtemps les capacités incroyables de celle-ci.
« Cette musaraigne a d’abord été repérée quand les explorateurs sont arrivés dans la partie orientale de la République Démocratique du Congo. Les explorateurs ont observé avec étonnement un homme adulte debout sur le dos de la musaraigne héroïne, puis l’animal s’en aller, indemne » explique Bill Stanley, directeur de collections au Field Museum de Chicago.
Désormais, près d’un siècle après qu’Allen a découvert le secret de la colonne de la musaraigne héroïne (et l’origine de ce nom), Stanley et une équipe de scientifiques ont fait une découverte remarquable : une nouvelle espèce de musaraigne héroïne, la deuxième seulement dans le monde. Il est à noter que cette nouvelle espèce, surnommée musaraigne héroïne de Thor (Scutisorex thori), semble être un intermédiaire de l’évolution entre les musaraignes classiques et la musaraigne héroïne originale. Au lieu des dix à onze vertèbres lombaires de la musaraigne héroïne, la musaraigne héroïne de Thor en compte huit (les hommes n’en possèdent que cinq).
Cette nouvelle espèce a été nommée d’après Thorvald « Thor » Holmes, Jr. du Musée des Vertébrés de l’université d’Etat Humboldt, néanmoins les chercheurs s’accordaient à dire que Thor était un nom particulièrement adapté pour une espèce dotée d’une force hors du commun. La nouvelle musaraigne a également été découverte dans le Bassin du Congo, plus précisément dans les forêts proches du fleuve Tshuapa en République Démocratique du Congo. Nous ne savons pas si cette espèce est en danger ou non, mais il semble qu’on puisse la trouver seulement dans une zone très localisée.
L’article décrivant cette nouvelle espèce dans Biology Letters, émet également des hypothèses expliquant pourquoi les musaraignes héroïnes ont développé des colonnes vertébrales si distinctes et incroyablement résistantes. Les scientifiques croient que ces musaraignes utilisent leur colonne vertébrale pour lever des rochers afin d’atteindre des proies qui se cachent dessous, tels que les vers de terre. De même, les musaraignes se servent de leur colonne pour extraire des larves de scarabées cachées entre des feuilles mortes et les troncs des palmiers dans les forêts humides. Bien qu’aucun de ces comportements n’aient été observés par des scientifiques, les populations locales disent que les musaraignes sont très courantes dans les palmeraies.
« L’accès à cette source d’énergie de haute qualité et prévisible a probablement fourni un avantage dans le processus d’évolution, ce qui a permis un développement du torse renforcé » écrivent les scientifiques.
Les musaraignes forment leur propre famille Soricidae et sont apparentées aux taupes. Contrairement aux rongeurs, les dents des musaraignes ne repoussent pas. Plus de 300 espèces de musaraignes ont été répertoriées à ce jour.
Stanley dit que cette nouvelle espèce remarquable démontre que « l’ère des découvertes n’est pas révolue ». Les scientifiques repèrent environ 18000 nouvelles espèces chaque année, cependant les découvertes de mammifères restent relativement rares, avec en moyenne moins de cinquante nouvelles espèces par an, en majorité des rongeurs et des chauves-souris.
La musaraigne héroïne de Thor (Scutisorex thori). Photo de: Bill Stanley/Field Museum.
Représentation artistique du squelette de la musaraigne héroïne de Thor. Photo de : Velizar Simeonovski.
Specimen of the original hero shrew (Scutisorex somereni). Photo by: Peter Spelt/Creative Commons 3.0.
CITATION: William T. Stanley, Lynn W. Robbins, Jean M. Malekani, Sylvestre Gambalemoke Mbalitini, Dudu Akaibe Migurimu, Jean Claude Mukinzi, Jan Hulselmans, Vanya Prevot, Erik Verheyen, Rainer Hutterer, Jeffrey B. Doty, Benjamin P. Monroe, Yoshinori J. Nakazawa, Zachary Braden, Darin Carroll, Julian C. Kerbis Peterhans, John M. Bates and Jacob A. Esselstyn. A new hero emerges: another exceptional mammalian spine and its potential adaptive significance Biol. Lett. October 23, 2013 9 5 20130486; doi:10.1098/rsbl.2013.0486 1744-957X