Entretien avec Abdrahamane Haidara, Promoteur de Nour agrobusiness, une entreprise agricole basée à Tombouctou au nord du Mali, spécialisée dans l’irrigation goutte à goutte.
La ville de Tombouctou est une zone essentiellement désertique avec une très grande rareté de pluie. Chaque année, les paysans sont contraints d’attendre la montée des eaux du fleuve pour pouvoir démarrer la campagne agricole. Fortement influencé par les aléas climatiques occasionnant la sécheresse et les fortes chaleurs, l’irrigation des champs reste le défi quotidien du paysan malien.
Pour pallier cette difficulté, le jeune cultivateur a opté pour le système de l’irrigation goutte à goutte. Abdrahamane Haidara, Promoteur de l’entreprise Nour agrobusiness fait partie de ces jeunes qui luttent pour l’intégration de cette pratique dans l’agriculture au Mali. Dans cet entretien accordé à Mongabay, il nous livre ses combats pour révolutionner l’agriculture.
Immage de bannière : Ouverture des vannes pour mettre en marche le système d’arrosage avec la méthode goutte à goutte. Image par Albakaye Bollo Cissé pour Mongabay.
Transcription
Attention : Il s’agit de documents créés par une machine ou un humain et légèrement modifiés pour garantir leur exactitude. Elles peuvent contenir des erreurs.Mongabay : Nous sommes au Sahel, et quand on pense au Sahel, on pense difficiles conditions d’accès à l’eau. Quels sont les défis que vous rencontrez dans votre métier de cultivateur ?
Abdrahamane Haidara : On peut appeler certaines choses des difficultés, moi je les appelle des défis. Il est vrai que nous sommes dans le Sahel, c’est difficile, le climat est très difficile. L’accès à l’eau n’est pas facile, c’est un défi aussi, mais je fais partie des optimistes : de ceux qui pensent que les défis, il faut les relever, il ne faut pas abandonner et je crois que c’est possible. C’est-à-dire que si on met des forages, il est possible d’avoir de l’eau. Et si nous avons de l’eau il est possible de stocker et d’en faire une bonne utilisation. Il y a aussi les réalités climatiques qui sont là. C’est-à-dire des vents chauds, c’est très fort, c’est très difficile pour l’humain et également pour la végétation.
Mongabay: Face à ces réalités climatiques, comment irriguez-vous votre champ ?
Abdrahamane Haidara : Ici, nous irriguons notre champ par le moyen de l’irrigation goutte à goutte. Parce que c’est le moyen le plus adapté que nous avons trouvé. Ça nous permet de conserver l’eau et d’en faire la meilleure utilisation possible. La particularité de ce système est que c’est un système qui irrigue avec précision. Ce sont des tuyaux qui sont percés à un certain nombre de centimètres et l’eau vient goutter exactement là où il y a les goutteurs. L’eau est dans le tuyau et l’eau ne goutte que là où il y a les racines. Donc c’est une irrigation qui permet de conserver l’eau. C’est-à-dire que vous ne gaspillez pas l’eau, vous en faites la meilleure utilisation possible. Et quand l’eau goutte, elle peut aller dans le sol et toucher les racines avec une très bonne et une grande profondeur. Donc ça fait partie des particularités de l’irrigation goutte à goutte.
Mongabay : Alors vous avez démarré votre activité en 2022. Grâce à ce système d’irrigation, où en êtes-vous aujourd’hui en termes de niveau de production ?
Abdrahamane Haidara : Nous avons commencé sur un espace de 1600 m². Au fur et à mesure nous nous sommes développés et aujourd’hui, en 2024, nous sommes sur un espace de plus de quatre hectares. Nous avons commencé avec la culture du melon qui est de la famille des cucurbitacées. Le melon, nous avons remarqué, c’est une culture qui marche ici à Tombouctou dans le Sahel pendant toute l’année. On s’était dit que c’était une bonne spéculation pour démarrer le melon et un peu de pastèque. Et au fur et à mesure que nous vendons, nous nous développons.
Nous faisons maintenant l’expérimentation de plusieurs variétés pour voir lesquelles marchent ici et ensuite les développer : deux hectares de pastèque, un espace de 20m/5m de piment, nous avons du concombre et du gombo.
Mongabay : Selon vous, qu’est-ce que le goutte à goutte apporte à la pratique de l’agriculture au Mali ?
Abdrahamane Haidara : Le système d’irrigation goutte à goutte est récent au Mali et très récent à Tombouctou.Si vous voyagez, un tout petit peu vers le Sud vous avez une nouvelle génération d’agriculteurs motivés par le système d’irrigation goutte à goutte et les possibilités que ça offre. Aujourd’hui vous avez des ingénieurs, des biologistes, des historiens, des juristes, vous avez des comptables, des gens qui étudient qui n’attendent pas d’avoir un travail dans un bureau. Ils voient les possibilités qu’offre le système d’irrigation goutte à goutte dans l’agriculture et qui osent se lancer. Quand vous avez une jeunesse intellectuelle capable de se lancer dans l’agriculture, motivée par le système d’irrigation goutte à goutte, vous vous dites inévitablement, connaissant le Mali, qu’il y a un vrai changement qui est là, lié à l’agriculture. Et j’en connais beaucoup, des jeunes qui travaillent dans des ONG ou de grosses entreprises, qui finalement se retrouvent dans l’agriculture. C’est une vraie révolution et cette révolution est motivée à la base surtout par les avantages qu’offre le système goutte à goutte. Il est en train de changer le visage de l’agriculture au Mali.
Mongabay : Est-ce que c’est une innovation qui peut être imitée ailleurs, et pourrait aider d’autres agriculteurs?
Abdrahamane Haidara : Oui, la solution goutte à goutte peut aider tout agriculteur. Parce que nous avons vu des spéculations sur des arbres fruitiers que d’autres irriguent par irrigation goutte à goutte. Vu que nous sommes dans le Sahel et que l’eau se fait rare, et vu qu’il faut des gros moyens pour avoir accès à l’eau sur certaines surfaces, je crois que l’irrigation goutte à goutte est la solution la plus appropriée pour répondre à la pénurie d’eau et répondre aux défis de la conservation de l’eau. C’est très important et je crois qu’il est même urgent de vulgariser cette solution. Parce que le problème, c’est que la solution existe mais il y a des agriculteurs, des paysans qui n’ont même pas l’information, qui ne savent même pas que cette solution existe. Il faut communiquer déjà pour que les cultivateurs aient l’information de l’existence de la solution.
Mongabay : Qu’est-ce qui vous passionne et vous motive aujourd’hui dans ce métier et vous donne envie de continuer ?
Abdrahamane Haidara : Ce qui m’a motivé, c’est le fait qu’ici à Tombouctou, le manque de fruits à un certain nombre de mois est évident. Pour répondre à ce besoin, je me suis lancé dans l’agriculture, afin de relever des défis et pouvoir servir le marché du 1er janvier au 31 décembre. C’est mon objectif.
Il faut reconnaître que le métier d’agriculteur a besoin d’une dimension de passion pour patienter pour faire ce qu’il faut en attendant le développement d’une entreprise. Nous avons des objectifs à long terme et cet objectif, c’est de maximiser le nombre de producteurs, surtout au niveau de la jeunesse. C’est un défi que nous allons essayer de relever. Nous continuons à sensibiliser, nous continuons à parler pour motiver les uns et les autres à venir vers l’agriculture. Pour au moins avoir une autosuffisance alimentaire ici au niveau local à Tombouctou.