- Une étude internationale révèle que 81 % de l'exposition aux inondations dans les Petits États Insulaires en Développement provient des eaux intérieures, remettant en question les priorités d'adaptation centrées sur la montée des eaux océaniques.
- Près de 20 % de la population de ces territoires, soit 8,5 millions de personnes, sont actuellement exposées aux inondations centennales, un chiffre qui devrait augmenter même sous le scénario climatique le plus favorable.
- Les experts restent divisés sur l'applicabilité de ces modèles globaux aux réalités locales, certains questionnant la généralisation de résultats dans des territoires aussi divers que les îles du Pacifique et des Caraïbes.
- L'étude démontre que les indices de vulnérabilité actuellement utilisés pour orienter les financements climatiques échouent à identifier correctement les petits États insulaires les plus exposés aux risques d'inondation.
Les Petits États Insulaires en Développement (PEID) font face à une menace d’inondation bien plus complexe que ne le suggèrent les images d’îles englouties par la montée des océans.
Une étude, publiée à la fin de l’année dernière, dans la revue Environmental Research Letters bouleverse notre compréhension des risques en révélant que les inondations intérieures, non océaniques, représentent 81 % de l’exposition totale aux inondations dans ces territoires.
Menée par Leanne Archer de l’université de Bristol (Royaume-Uni), en collaboration avec des collègues britanniques, cette recherche utilise un modèle hydrodynamique global à haute résolution (~30 mètres), pour évaluer l’exposition de la population aux inondations côtières et intérieures dans les 57 PEID identifiés par l’Organisation des Nations unies (ONU).
Ces territoires, répartis dans le Pacifique, les Caraïbes et l’océan Atlantique, incluent notamment les Seychelles, Maurice et les Comores pour l’Afrique.
Les résultats, qui couvrent à la fois la situation actuelle et trois scénarios climatiques futurs, dessinent un paysage de risques plus nuancé et géographiquement spécifique que les évaluations précédentes.
Des risques sous-estimés et mal localisés
L’ampleur de l’exposition actuelle surprend. Selon l’étude, 19,5 % de la population des PEID, soit environ 8,5 millions de personnes, sont exposées aux inondations centennales. Ce chiffre dépasse largement les estimations antérieures qui se concentraient uniquement sur les inondations côtières. Dans 45 PEID sur 57, plus de 10 % de la population est exposée, et dans six territoires, ce taux dépasse 40 %.
« Nous avons été quelque peu surpris, car le discours dominant dans la littérature sur les PEID s’est concentré sur les inondations côtières et l’élévation du niveau de la mer », explique Leanne Archer, contactée par courriel par Mongabay. « Cependant, dans les PEID les plus exposés, les inondations côtières dominent encore en raison de la forte densité de population côtière, ce qui signifie qu’elles restent un facteur important d’inondation dans les PEID ».
Cette distinction révèle une réalité complexe : bien que les inondations intérieures dominent statistiquement à l’échelle globale, les mécanismes varient considérablement selon les territoires. Les inondations intérieures sont « souvent causées par les pluies extrêmes des cyclones tropicaux et les petites rivières à réponse rapide qui réagissent rapidement à ces précipitations », précise la chercheuse.

Un avenir d’exposition croissante malgré l’atténuation
Les projections climatiques ne laissent guère de place à l’optimisme. Même sous le scénario d’émissions le plus favorable (SSP1-2.6, compatible avec l’objectif de 2°C), l’exposition aux inondations passerait à 21 % de la population (+650 000 personnes).
Sous le scénario intermédiaire (SSP2-4.5, trajectoire actuelle probable), elle atteindrait 22 % (+1 025 000 personnes), et sous le scénario d’émissions élevées (SSP5-8.5, scénario pessimiste), 23 % (+1 500 000 personnes).
Un élément particulièrement significatif émerge de cette analyse : les PEID les plus exposés aujourd’hui le demeureront quel que soit le scénario climatique futur. « Ce résultat démontre que les approches d’adaptation « sans regret » devraient être privilégiées, en particulier dans ces lieux les plus à risque », souligne Archer.
Cette stabilité dans le classement des risques suggère que les investissements d’adaptation dans ces zones seraient robustes face à l’incertitude climatique.
Les mécanismes de financement climatique en question
L’étude met en lumière une défaillance majeure des outils actuels d’évaluation des risques. Les six indices de vulnérabilité analysés, couramment utilisés pour orienter les financements climatiques, échouent à identifier correctement les PEID les plus exposés aux inondations. Seul l’Indice de Vulnérabilité Économique et Environnementale présente un lien faible mais statistiquement significatif (r = 0,33, p < 0,05) avec les projections de risque.
« Actuellement, lorsqu’ils estiment les aléas tels que les inondations, ces indices de vulnérabilité utilisent soit des indicateurs indirects d’exposition aux aléas (par exemple, le pourcentage de la population dans la Zone Côtière de Faible Élévation), soit des données à résolution grossière qui ratent complètement la plupart des petites îles », explique Archer. Cette inadéquation pose des questions importantes sur l’efficacité de l’allocation des fonds d’adaptation.
La chercheuse recommande d’utiliser des modèles d’inondation pour montrer plus précisément comment les inondations impactent les communautés, en complément de l’incorporation des impacts climatiques projetés, pour mieux aligner le financement avec l’augmentation future des risques.
L’héritage colonial façonne encore les vulnérabilités
L’analyse révèle une corrélation faible entre les zones à risque d’inondation et l’exposition humaine, pointant vers des facteurs historiques et socio-économiques déterminants. « De nombreux articles ont suggéré que les facteurs socio-économiques coloniaux et post-coloniaux ont conduit à des établissements densément peuplés le long du littoral dans les PEID », note Archer.
Cette situation s’explique par l’histoire : « La nature extractive des pratiques coloniales signifiait que beaucoup de PEID sont historiquement devenus dominés par des économies de type plantation. Ce modèle économique favorisait les populations vivant sur des terres arables plates et concentrées autour d’un port ».
Les facteurs post-coloniaux maintiennent aujourd’hui ces schémas, l’économie touristique dominant dans de nombreux PEID et générant des densités de population élevées le long du littoral.
Des généralisations contestées par l’expertise de terrain
Cette approche globalisante suscite cependant des critiques de la part d’experts ayant une longue expérience de terrain. Le Professeur Patrick Nunn de l’université du Sunshine Coast (Australie), qui travaille dans le Pacifique depuis des décennies, conteste certaines conclusions de l’étude.
« Il est presque dénué de sens de généraliser sur les PEID, parce qu’ils représentent un groupe si divers », souligne Nunn, joint par courriel par Mongabay.
Il identifie une distinction majeure entre les PEID du Pacifique, « peuplés plus récemment, majoritairement ruraux et dont les populations vivent principalement de l’agriculture et de la pêche », et ceux des Caraïbes, peuplés depuis 3 500 ans et moins axés sur la subsistance.
Concernant le résultat phare de l’étude, Nunn se montre particulièrement sceptique : « Dans les groupes d’îles du Pacifique occidental où je travaille depuis des décennies, les inondations intérieures ne représentent rien qui ressemble à 81 % de l’exposition totale aux inondations ».
Il considère que de telles généralisations sont « vraiment inutiles et potentiellement déroutantes » et ne les recommanderait pas pour l’élaboration de politiques dans le Pacifique occidental, notamment.

Adaptation : entre besoins globaux et réalités locales
Face à ces enjeux, les recommandations d’adaptation divergent selon les perspectives. Archer préconise une approche différenciée : « L’implication de ce résultat pour les stratégies d’adaptation est qu’elles doivent être adaptées aux facteurs d’inondation locaux dans chaque PEID — par exemple, les défenses côtières peuvent être inefficaces là où les inondations fluviales ou de surface constituent le principal problème pour les populations locales ».
Elle recommande aux urbanistes d’utiliser « des données quantitatives sur les aléas d’inondation qui tiennent compte du changement climatique pour guider le développement », tout en privilégiant « les stratégies de planification qui réduisent activement l’exposition, comme la conservation des mangroves et des récifs coralliens ».
Nunn adopte une perspective plus pragmatique, centrée sur l’adaptation autonome des communautés. « Beaucoup de gouvernements des Pays Insulaires du Pacifique n’ont pas la capacité (surtout les fonds) d’appliquer des stratégies d’adaptation, donc une grande partie de ma recherche a porté sur comment aider les communautés (rurales) à s’aider elles-mêmes, c’est-à-dire l’adaptation autonome — je pense que c’est l’avenir inévitable », explique-t-il.
Vers une priorisation de l’adaptation
Malgré les débats méthodologiques, un consensus émerge sur les priorités. Archer souligne que « bien que l’atténuation soit essentielle pour les objectifs climatiques mondiaux, les PEID contribuent à moins de 1 % des émissions mondiales. Par conséquent, l’adaptation devrait être une priorité absolue pour renforcer la résilience face à l’augmentation des risques d’inondation futurs, qui sont projetés pour augmenter quel que soit le scénario d’émissions ».
Cette étude, première du genre à fournir des estimations complètes des risques d’inondation dans tous les PEID, ouvre un débat nécessaire entre modélisation globale et expertise locale.
Elle révèle l’urgence de repenser les approches d’évaluation des risques et d’allocation des financements climatiques pour ces territoires en première ligne du changement climatique.
L’enjeu dépasse les questions techniques : il s’agit de construire des stratégies d’adaptation qui s’enracinent dans les réalités locales, tout en bénéficiant des avancées de la science climatique globale.
Image de bannière : Les victimes d’inondations. Image de deruneinholbare via Flickr (CC BY-NC 2.0).
Citation :
Archer, L., Neal, J., Bates, P., Lord, N., Hawker, L., Collings, T., Quinn, N. and Sear, D. (2024). Population exposure to flooding in Small Island Developing States under climate change. Environmental Research Letters, 19, 124020. DOI: https://doi.org/10.1088/1748-9326/ad78eb
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