- Les changements climatiques et la hausse des températures sont des menaces majeures pour la production de cacao partout dans le monde. Pour les gros producteurs, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, les conséquences se font déjà sentir.
- Une nouvelle étude met en lumière plusieurs solutions basse technologie peu coûteuses pour aider la pollinisation naturelle, ce qui permettrait de renforcer la résilience climatique des cacaoyers et d’augmenter les récoltes jusqu’à 20 %.
- Ces méthodes consistent notamment à augmenter la quantité de litière au sol pour améliorer la propagation des insectes pollinisateurs, à densifier les plantations de cacaoyers, à planter des arbres d’ombrage indigènes plus grands et à limiter le recours aux produits agrochimiques.
- D’autres travaux soulignent que la conservation des forêts naturelles environnantes peut venir compléter ces pratiques d’agroforesterie, augmentant d’autant plus la productivité des exploitations.
Les changements climatiques présentent un risque reconnu pour la production de cacao. Une nouvelle étude révèle toutefois que la faible pollinisation vient également limiter les rendements des pays producteurs. Les auteurs suggèrent donc de créer activement des conditions permettant aux pollinisateurs naturels de prospérer dans les plantations de cacao. En effet, cela pourrait aider les agriculteurs à se prémunir contre la hausse des températures, à améliorer leur productivité et à renforcer leurs moyens de subsistance. Une découverte qui pourrait donner de l’espoir à une industrie menacée.
Un groupe international de chercheurs a réalisé des essais de pollinisation manuelle sur des cacaoyers dans 26 sites au Brésil, en Indonésie et au Ghana. Parallèlement, ils ont analysé des échantillons de sol, des données sur la température locale et une série d’autres mesures. Ils ont ainsi découvert que dans ces pays et leurs conditions, polliniser les arbres augmentait les rendements de 20 %, suggérant que la productivité des fermes est freinée par le taux de pollinisation naturelle faible.
À noter que les températures plus élevées ont joué un rôle particulièrement important dans la productivité limitée des exploitations étudiées. L’étude relève ainsi que sur un site où les températures étaient jusqu’à 7° Celsius plus élevées que sur le site le plus frais de l’étude, les cacaoyers produisaient entre 20 et 30 % de moins.
« Du point de vue des agriculteurs, cette chute de rendement est considérable », affirme Tonya Lander, biologiste à l’université d’Oxford et auteure principale de l’étude publiée, en février, dans le journal Communications Earth & Environment. La recherche « suggère que les rendements sont susceptibles de baisser, à mesure que les températures augmentent », a-t-elle ajouté.
Cette nouvelle étude s’inscrit dans le contexte d’un rapport récent de Climate Central. D’après celui-ci, le changement climatique survenu au cours de la dernière décennie est à l’origine d’au moins trois semaines par an de températures supérieures à 32°C. Ces hausses surviennent pendant la période de croissance primaire du cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, portant les températures au-delà de la plage « optimale » pour les cacaoyers. Ensemble, ces deux pays africains assurent environ les deux tiers de l’approvisionnement mondial en cacao. Les fortes pluies inattendues de 2023, suivies de la sécheresse de 2024, ont lourdement impacté les récoltes, notamment au Ghana. En conséquence, le prix du cacao est monté en flèche et a battu un nouveau record, l’année dernière.
« Le rapport de Climate Central va dans le sens de nos résultats », commente Tonya Lander. « Le message commun est que les températures augmentent pendant la période de l’année où les cacaoyers sont les plus sensibles, ce qui est susceptible d’entraîner une baisse des rendements ».
Malgré cette sombre perspective, les résultats de la nouvelle étude offrent des solutions encourageantes pour les agriculteurs et les amateurs de chocolat. « Nous suggérons qu’il est possible de mettre en place des [pratiques] de gestion pour augmenter le nombre de pollinisateurs dans les plantations », explique-t-elle. Cela pourrait améliorer la biodiversité, renforcer la résilience climatique et accroître la production de cacao.

Aider les pollinisateurs à jouer leur rôle
« Ces pratiques de gestion comprennent plusieurs méthodes basse technologie peu coûteuses pour aider les minuscules moucherons, qui sont les principaux pollinisateurs du cacao », a expliqué Tonya Lander. Par exemple, une action aussi simple que l’ajout de litière à base de feuilles mortes au sol des fermes peut offrir de meilleures conditions de propagation pour les œufs et les larves d’insectes. Il en va de même pour la densification des plantations de cacaoyers, l’utilisation d’arbres plus grands pour ombrager les cultures et la limitation du recours aux produits agrochimiques.
« Il est probable que [grâce à ces techniques] vous aurez plus de pollinisateurs dans votre plantation, donc plus de pollinisation, donc plus de cabosses », souligne Lander.
Ces méthodes ont également des bénéfices secondaires. En plus de fournir un habitat aux pollinisateurs, une litière plus épaisse est bénéfique à la santé et à la fertilité des sols : elle fait baisser la température, retient l’humidité et augmente leur teneur en matières organiques. « C’est un des conseils que nous donnons : Il suffit de laisser des [feuilles mortes] et elles seront utiles ! ».
À noter toutefois que si l’équipe de recherche a utilisé la pollinisation manuelle pour suivre précisément les données de l’étude, elle ne préconise pas cette pratique dans les exploitations de cacao. En effet, la généralisation de cette méthode ne ferait qu’exacerber le recours au travail des enfants, un problème déjà bien présent dans les exploitations de cacao des principaux pays producteurs comme la Côte d’Ivoire et le Ghana. La pollinisation manuelle est aussi moins efficace et plus coûteuse que la mise en place d’ajustements mineurs visant à augmenter le nombre de pollinisateurs, explique Lander. « Il est fort probable que certaines des actions de gestion suggérées [dans l’étude] aient des retombées positives sur la biodiversité ».
Un résultat surprenant est ressorti de l’étude : bien que le cacaoyer soit originaire d’Amérique latine, les pollinisateurs naturels sont visiblement plus actifs au Ghana. « Je m’attendais à ce que le Brésil ait le taux de pollinisation naturel le plus élevé », confie Lander. Ce n’était toutefois pas le cas : malgré la finesse du calcul, l’équipe est parvenue à estimer que le taux de pollinisation naturelle était de 11,1 % en Indonésie, de 12,2 % au Brésil et de 27,1 % au Ghana. « Il semblerait qu’au Ghana, les pollinisateurs sont plus abondants et plus efficaces », conclut-elle.

Préserver les forêts pour stimuler la production de cacao
Les recommandations de Lander et son équipe « offrent un excellent modèle de meilleures pratiques pour promouvoir une industrie du cacao plus profitable et durable », affirment Gustavo Júnior Araújo et Tereza Cristina Giannini, deux chercheurs du Vale Institute of Technology, au Brésil, indépendants de l’étude.
Une productivité accrue dans le futur requiert également de s’écarter de la monoculture, qui est désormais la méthode dominante au Ghana et en Côte d’Ivoire. En effet, cette approche limite la pollinisation et est plus vulnérable aux changements climatiques. D’après Araújo et Giannini, la transition de l’agroforesterie à la monoculture a déjà commencé au Brésil, ce qui pourrait entraîner les mêmes problèmes qu’en Afrique de l’Ouest.
Récemment, leurs propres travaux sur les plantations de cacao brésiliennes, basés sur des données provenant des biomes de l’Amazonie et de la forêt atlantique, ont permis d’esquisser une recommandation supplémentaire : conserver les forêts proches des plantations afin de stimuler les rendements.
« Notre propre recherche a montré que les cacaoyers tendent à être plus productifs lorsqu’ils sont plantés dans des zones où la forêt est plus abondante », ont-ils écrit dans un courriel adressé à Mongabay. « Ces environnements, en plus d’abriter des pollinisateurs, permettent la prolifération d’autres organismes bénéfiques qui contribuent au cycle des nutriments et à la lutte contre les ravageurs, mettant en évidence l’importance de la conservation des forêts pour la production de cacao ».
Bien que la monoculture permette des rendements élevés, elle repose sur le recours aux produits agrochimiques et à la pollinisation manuelle, ce qui est à la fois coûteux et problématique, affirment-ils. Dans l’ensemble, la mise en œuvre de principes d’agroforesterie basse technologie peu coûteux a un effet positif sur la biodiversité. Associée à la conservation du couvert forestier dans les zones de culture du cacaoyer, elle favorise aussi la rétention de l’eau et la régulation du climat.
« La conservation des forêts est un allié majeur de la production de cacao, car les municipalités qui protègent ou restaurent des forêts observent une meilleure rentabilité de leurs récoltes », écrivent-ils. « Cela renforce l’idée que l’agriculture et la conservation peuvent et doivent coexister ».
L’industrie du cacao repose sur le travail d’environ 5,5 millions de petits exploitants agricoles. Ce sont eux et leurs familles qui ont le plus à perdre, alors que le changement climatique ravage leurs cultures. Lander espère que les résultats obtenus par son équipe contribueront à préserver leur bien-être et leurs moyens de subsistance « en augmentant la quantité et la stabilité des récoltes de cacao grâce à une agriculture diversifiée, centrée sur la biodiversité et résistante au climat, qui améliore l’habitat ».
Image de bannière : Des producteurs de cacao en Côte d’Ivoire. Le cacao est cultivé en Afrique, en Amérique et en Asie pour répondre à la gourmandise sans fin du reste du monde. On estime que 70 % du cacao vient d’Afrique de l’Ouest, où il est lié à la déforestation et à des préoccupations sociales telles que le travail des enfants. Image de la Fondation Roi Baudouin — Afrique depuis Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).
Références :
Lander, T. A., Atta-Boateng, A., Toledo-Hernández, M., Wood, A., Malhi, Y., Solé, M., … Wanger, T. C. (2025). Global chocolate supply is limited by low pollination and high temperatures. Communications Earth & Environment, 6(1). doi:10.1038/s43247-025-02072-z
Araújo, G. J., Martello, F., Sabino, W. O., Andrade, T. O., Costa, L., Teixeira, J. S., … Carvalheiro, L. G. (2022). Tropical forests and cocoa production: Synergies and threats in the chocolate market. SSRN Electronic Journal. doi:10.2139/ssrn.4089132
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 24 février, 2025.