- Nassim Oulmane, Directeur de la Division de la technologie, du changement climatique et de la gestion des ressources naturelles de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA) souligne l'importance de valoriser les connaissances endogènes des populations locales en mettant en place des centres d'innovation pour les aider à développer leurs projets en lien avec la nature.
- Pour obtenir des financements, selon Nassim Oulmane, il serait nécessaire de regrouper plusieurs petits projets locaux en un réseau régional, ce qui permettrait de démontrer un impact climatique global plus significatif.
- Pour l’interviewé, un écosystème local devrait inclure des acteurs financiers, des autorités locales et des infrastructures adaptées, pour soutenir concrètement les projets sur le terrain, tout en incluant l'éducation et le renforcement des capacités.
- Selon Nassim Oulmane, les acteurs locaux devraient être impliqués dès le début du processus, car ils possèdent le savoir et sont les mieux placés pour mettre en œuvre les solutions.
La COP 29, qui se tient actuellement du 11 au 22 novembre 2024 à Bakou, en Azerbaïdjan, place la question du financement climatique au cœur des débats. Un des objectifs majeurs sera de définir un nouveau but de financement climatique, succédant à l’engagement précédent de 100 milliards de dollars par an. Les discussions visent à établir des attentes claires sur la quantité et la qualité de l’aide financière nécessaire pour répondre aux défis climatiques mondiaux. Les pays membres de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques vont également penser à une augmentation des ambitions nationales. Ils devront revoir et rehausser leurs Contributions Nationales Déterminées (NDC) en vue de la date limite de 2025.
Dr Youba Sokona, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), estime que ces stratégies s’appuient sur des expériences réussies de gestion climatique en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, adaptées au contexte africain. Par exemple, Dr Sokona plaide pour la valorisation des connaissances endogènes et l’intégration des réseaux régionaux, des stratégies inspirées de la coopération climatique en Amérique du Sud, afin d’accroître la capacité des pays africains à s’adapter aux défis environnementaux spécifiques du continent.
Dans un entretien, Mongabay a demandé à Nassim Oulmane, Directeur de la Division de la technologie, du changement climatique et de la gestion des ressources naturelles de la CEA de décrypter les enjeux et les stratégies du continent
Mongabay : Est-ce qu’on va mettre en œuvre les applications bleues par exemple, ou les applications verticales ?
Nassim Oulmane : Alors, les populations locales, elles ont un savoir, qu’il faut valoriser par des centres d’innovation, en mettant en place au niveau le plus localisé possible des infrastructures de cette nature-là, qui vont permettre à ces populations de se doter de mécanismes supplémentaires ou d’éléments supplémentaires par rapport à leurs savoirs endogènes, qu’ils ont développés depuis la nuit des temps, par rapport à ces questions-là, dans leur relation avec la nature. Donc encore une fois, et ça, ça nous permet, avec ces centres-là, de construire des projets qu’on appelle, alors je vais utiliser un anglicisme, manquables, et donc de répondre, si vous voulez, à certaines attentes d’acteurs financiers pour pouvoir financer ces projets-là. Nous avons une initiative que nous appelons “l’initiative de la grande muraille bleue”, qui est un peu inspirée de la “Grande Muraille Verte”, mais qui vise la partie océanique.
Et un des principes est de construire un cadre régional, qui permet justement de mettre en réseau ce qui se fait déjà sur le terrain à un niveau local. Donc, en mettant en réseau ce qui se fait par des acteurs locaux et en leur fournissant un cadre régional, ça leur permet, tout d’un coup, de pouvoir accéder à cette finance-là, de la philanthropie. Parce que ce que nous disent les philanthropes, ou ceux qui travaillent dans ces organisations, c’est que les projets qu’on reçoit sont trop petits. Et nous, on veut des projets qui ont un impact climatique.
C’est très difficile de prouver que vous avez un impact climatique lorsque vous avez un projet de petite taille. Par contre, lorsque vous avez un réseau avec une multitude de projets de petite taille, qui sont agglomérés si vous voulez, mais chacun travaille de manière plus ou moins individuelle, mais ils sont connectés et en réseau, là on arrive à démontrer que ça a un impact climatique parce que ça devient une initiative qui se tient dans un cadre régional.
Mongabay : Qu’est-ce qu’on doit entendre par écosystème local ?
Nassim Oulmane : Alors, l’écosystème local, c’est un écosystème qui arrive à fonctionner dans cet environnement déterminé.
Donc là, ce que je veux dire par écosystème local, c’est-à-dire que tous les acteurs d’une zone géographique donnée, bien localisée dans un endroit, puissent, dans cet endroit, avoir accès à des acteurs de financement, à des acteurs d’assurance, à des autorités locales qui vont être à leur écoute d’abord et mettre à leur disposition, mobiliser à un niveau beaucoup plus élevé, régional voire national, les moyens les réponses à leurs aux besoins. Donc, c’est ça cet écosystème local, c’est que ce sont toutes les dimensions qui permettent à un projet ou à une action de se réaliser concrètement sur le terrain. Et c’est très important d’avoir ces réponses-là à ce niveau-là.
L’éducation fait partie aussi de ces écosystèmes-là, donc avoir une approche qui vise aussi bien l’éducation des enfants, mais également le renforcement des capacités des adultes par rapport à ces questions-là, pour qu’ils puissent justement, s’inscrire vraiment dans un changement de paradigme et qu’ils puissent aussi avoir accès à ce savoir-là pour pouvoir mener à bien leur projet.
Mongabay : Les populations locales ont des projets bancables, mais n’ont pas assez de financements venant des banques. Alors quelles sont les solutions ?
Nassim Oulmane : Alors, la solution consiste justement à accompagner les pays africains dans leur intégration des questions climatiques, dans leur stratégie de développement, entre autres, en développant leurs capacités à, par exemple, mieux prendre en compte les données liées au climat, donc à la fois générer beaucoup plus de données de services liées à ces données climatiques, pour avoir vraiment une planification qui permette d’intégrer cet aspect-là.
Donc, justement, il s’agit d’accompagner les négociateurs africains sur les négociations climatiques, lors des différentes COP. Et là aussi, il s’agit de fournir des cadres analytiques et également des études, qui contribuent à l’argumentaire africain et à façonner le message africain pour ces négociations, pour ces COP, particulièrement sur les COP climatiques, afin que la singularité du continent soit mieux écoutée et, de ce fait, qu’on puisse mieux mobiliser les moyens nécessaires pour répondre aux défis, auxquels sont confrontés les pays.
Mongabay : Quelles sont vos recommandations pour pouvoir aider les pays africains à mettre sur pied des mécanismes pour pouvoir régénérer les terres et aussi les océans ?
Nassim Oulmane : Toujours renforcer la coopération et le fait d’aller aux négociations des différentes COP, qu’elles soient climatiques, biodiversité ou désertification, de manière unie. Vraiment prendre le temps de s’organiser pour échanger, pour définir un message, pour façonner un message commun et uni. Parce que c’est un principe fondamental des négociations, on obtient beaucoup plus sur ce sur quoi on est uni. Donc, surtout ne pas aller de manière désunie, ça c’est le premier. Deuxième élément très important, une fois qu’on a mobilisé des financements par exemple, on pourra apporter une réponse efficace que si les acteurs locaux sont impliqués au tout début de n’importe quel processus, de n’importe quelle réponse qu’on veut développer. Donc, là encore, c’est eux qui ont le savoir, c’est eux qui mettront en œuvre également les solutions. Donc, il est très important d’avoir ces acteurs-là impliqués à tous les niveaux, mais notamment vraiment très en amont de la définition des processus et des réponses, qu’on veut mettre en place. Et, donc, le côté local est très important, et doter tous ces acteurs-là, ou les entourer d’écosystèmes locaux qui leur permettent de transformer leurs solutions ou leurs idées, ne serait-ce parfois par innovation, en solutions réelles, en projets réels sur le terrain qui a un impact.
Image de bannière : Nassim Oulmane, Directeur de la Division de la technologie, du changement climatique et de la gestion des ressources naturelles de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA). Image de de Thomas-Diego Badia pour Mongabay.
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