- Une étude menée au Libéria révèle que la participation au secteur forestier réduit l'insécurité alimentaire des ménages ruraux de 84 %, soit environ 2,7 mois par an.
- Les produits forestiers non ligneux ont un impact plus important sur la sécurité alimentaire que les produits ligneux, assure une réduction de l'insécurité alimentaire de 80 % contre 66 %.
- L'étude met en lumière des disparités importantes, notamment que les ménages dirigés par des femmes sont 42 % moins susceptibles de participer au secteur forestier que ceux dirigés par des hommes.
- Les chercheurs et experts soulignent la nécessité d'une gestion durable des forêts et d'un équilibre entre l'exploitation des ressources forestières et le développement d'autres activités économiques comme l'agriculture.
Une récente étude met en lumière le rôle essentiel que jouent les forêts dans la vie quotidienne des populations rurales du Libéria. Publiée dans la revue Food Security en juillet 2024, cette étude menée par Festus O. Amadu, Professeur associé spécialisé en politique climatique à la Florida Gulf Coast University, et Daniel C. Miller, Professeur agrégé de politique environnementale à la Keough School of Global affaire à University of Notre Dame (États-Unis), révèle que la participation au secteur forestier réduit significativement l’insécurité alimentaire des ménages vivant à proximité des forêts.
Le Libéria, pays le plus boisé d’Afrique de l’Ouest avec 69 % de sa superficie couverte de forêts, offre un terrain d’étude idéal pour explorer les liens entre les ressources forestières et la sécurité alimentaire. Les chercheurs ont analysé les données de 1408 ménages vivant à moins de 2,5 km des forêts, recueillies lors d’une enquête nationale en 2019.
Ils ont constaté un impact considérable de la participation au secteur forestier sur la sécurité alimentaire. D’après les résultats de leur étude, les ménages impliqués dans des activités forestières, telles que la collecte et la transformation de produits ligneux (matériaux dérivés du bois, comme le bois de construction et les meubles) et non ligneux (ressources forestières autres que le bois, comme les fruits, les champignons et les plantes médicinales), ont vu leur période d’insécurité alimentaire réduite de 84 %, soit environ 2,7 mois par an. Ce résultat souligne l’importance cruciale des forêts comme filet de sécurité pour les populations rurales vulnérables.
Mieux, les produits forestiers non ligneux (PFNL) se sont avérés particulièrement bénéfiques, avec une réduction de l’insécurité alimentaire de 80 %, contre 66 % pour le bois et les produits ligneux. Cette différence notable suggère que la promotion des PFNL pourrait être une stratégie efficace pour améliorer la sécurité alimentaire tout en préservant les ressources forestières.
Interrogé par courriel par Mongabay, Festus O. Amadu souligne l’importance de ces résultats pour l’orientation des politiques. « Le gouvernement du Libéria et ses partenaires de développement devraient donner la priorité aux politiques et programmes qui peuvent maximiser et pérenniser les revenus des produits forestiers non ligneux (PFNL) pour améliorer durablement la sécurité alimentaire dans les zones rurales du Liberia », dit-il.
Assurer une gestion durable des forêts
Les résultats de l’étude mettent en lumière la nécessité d’une approche plus nuancée de la gestion forestière. Daniel C. Miller, également contacté par Mongabay, explique : « Les forêts ne sont pas seulement des réservoirs de carbone ou de bois. Les forêts tropicales sont parmi les écosystèmes les plus riches en biodiversité sur Terre et elles fournissent une large gamme de biens et services qui bénéficient aux populations. Ces biens incluent les PFNL. La politique et la gestion forestières doivent donc prendre en compte cette large gamme de valeurs et inciter à la conservation et à l’utilisation durable ».
Cependant, l’étude ne manque pas de pointer du doigt des disparités importantes. Les ménages dirigés par des femmes sont 42 % moins susceptibles de participer au secteur forestier que ceux dirigés par des hommes. Cette inégalité soulève des questions sur l’accès aux ressources forestières et la nécessité de politiques plus inclusives. Amadu offre une explication possible à ce phénomène : « l’accès aux ressources comme la terre, la main-d’œuvre et le capital peut être différent entre les ménages dirigés par des hommes et ceux dirigés par des femmes, ce qui pourrait expliquer la différence significative de participation au secteur forestier entre ces deux types de ménages ».
Les implications de cette recherche sont considérables pour la gestion forestière et les politiques de lutte contre la pauvreté au Libéria. Elle suggère que la préservation des forêts et l’encouragement d’une participation durable au secteur forestier pourraient être des stratégies efficaces pour améliorer la sécurité alimentaire des populations rurales.
Toutefois, les auteurs soulignent la nécessité de recherches supplémentaires sur la durabilité environnementale à long terme de ces pratiques. Daniel C. Miller insiste sur l’importance d’une approche adaptée : « une telle politique et gestion doivent être adaptées aux conditions locales et tenir compte de la façon dont différents groupes d’utilisateurs (par exemple, les femmes par rapport aux hommes, les jeunes par rapport aux personnes âgées) pourraient utiliser différentes ressources ».
Concernant les recommandations concrètes aux décideurs politiques libériens, Amadu est catégorique : « le gouvernement et les décideurs au Libéria devraient assurer une gestion durable des forêts dans le pays pour améliorer les revenus des ménages tirés des forêts, ce qui peut encourager la décision des ménages d’entreprendre des activités forestières, et garantir davantage que les forêts contribuent de manière significative à la sécurité alimentaire des ménages au Libéria ».
Les forêts comme ressources vitales pour le bien-être des communautés
Cet avis est partagé par Vincent Beligné, consultant forestier et en agroforesterie auprès de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ, l’agence de coopération internationale allemande pour le développement), interrogé sur LinkedIn par Mongabay. Il déclare : « il est pour moi très clair que le secteur forestier contribue fortement aux moyens de subsistance (“livelihoods”) des populations rurales au Libéria. Cela doit être accompagné d’une prise de conscience sur la nécessité de développer les mesures relatives à la gestion durable des forêts alors que l’exploitation des ressources se fait actuellement sur un mode “minier” pour une utilisation immédiate sans se soucier de leur renouvellement ».
Beligné attire également l’attention sur un aspect non abordé dans l’étude : « au moment où le front pionnier de la cacaoculture venu de Côte d’Ivoire est en train de contribuer à une réduction progressive et rapide du couvert forestier, il conviendrait de rechercher un équilibre entre les différentes sources de “livelihoods” afin de ne pas oublier l’importance de ce couvert forestier pour la bonne santé et la durabilité des activités agricoles qui se développent ». Il note que « cela n’est malheureusement pas évoqué dans l’article de Amadu et Miller ».
Ces observations mettent en lumière la complexité des enjeux liés à la gestion forestière au Liberia et soulignent la nécessité d’une approche globale prenant en compte non seulement la sécurité alimentaire, mais aussi la durabilité à long terme des ressources forestières et leur interaction avec d’autres secteurs économiques.
L’étude souligne l’importance de considérer les forêts non seulement comme des réservoirs de biodiversité, mais aussi comme des ressources vitales pour le bien-être des communautés locales.
« Le Libéria est le pays le plus boisé d’Afrique de l’Ouest, donc nos résultats peuvent avoir une pertinence particulière pour la région en tant qu’exemple. Si les forêts ont un impact aussi positif sur la sécurité alimentaire dans ce contexte très boisé, elles pourraient aussi avoir un impact similaire dans d’autres pays, et il serait important que les chercheurs et les décideurs cherchent à en savoir plus sur la contribution des forêts à la sécurité alimentaire dans les pays voisins », dit Daniel C. Miller.
Alors que le monde continue de lutter contre la faim et la pauvreté, l’exemple du Libéria nous rappelle que les solutions peuvent parfois se trouver dans les ressources naturelles qui nous entourent. La clé réside dans notre capacité à utiliser ces ressources de manière durable, équitable et réfléchie, en équilibrant les besoins immédiats des populations avec la nécessité de préserver ces écosystèmes précieux pour les générations futures.
Image de bannière: Jeunes vendeuses de fagots de bois en République Démocratique du Congo (RDC). Image de NZUNGU François Claude via wikimedia
Citation:
Amadu, O. F., & Miller C. D. (2024). Food security effects of forest sector participation in rural Liberia. Food Security. DOI : https://doi.org/10.1007/s12571-024-01468-7.
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