- D'après une étude récente, les semences modernes issues de l'agriculture industrielle ne sont pas adaptées aux défis du changement climatique.
- En revanche, les semences traditionnelles cultivées par les petits exploitants offrent une solution durable grâce à leur adaptation locale.
- Les chercheurs appellent à une reconnaissance accrue de l'importance des systèmes de semences informels et des petits exploitants agricoles.
Une étude de l’université du Vermont aux Etats Unis, publiée le 11 juin dans le journal Plants People Planet, met en lumière les limitations des semences modernes face aux conditions climatiques extrêmes telles que la chaleur et la sécheresse. Yolanda Chen, auteur principal de l’étude et ses collègues, révèlent, au travers des données collectées sur le terrain, que les pratiques de sélection professionnelle ont perturbé les processus évolutifs naturels, rendant ces semences moins résistantes.
La production de masse de semences à haut rendement, par des entreprises semencières et vendues sur un marché global, a creusé un fossé entre le “système semencier industriel”, largement dominant aujourd’hui et les semences issues des petits exploitants agricoles”. Ce dernier, composé de petits exploitants agricoles, sélectionne ses propres semences pour développer des variétés adaptées aux conditions locales, connues sous le nom de “races locales”.
Ces petits exploitants jouent un rôle crucial en fournissant des services écosystémiques grâce à la biodiversité développée au fil du temps. Ces services incluent l’adaptation des cultures à des stress tels que la sécheresse, la salinité et les parasites, des facteurs de plus en plus critiques avec le réchauffement climatique. Depuis la Seconde guerre mondiale, l’essor de l’agriculture industrielle a radicalement transformé les systèmes de semences, privilégiant les semences à haut rendement adaptées à des conditions idéales, mais souvent au détriment de la diversité génétique et de l’adaptation locale. Les chercheurs soulignent l’importance des systèmes de semences informels pour l’avenir du secteur agricole, en particulier dans un contexte de changement climatique croissant.
La résilience des semences traditionnelles
En revanche, le “système semencier informel” des petits exploitants agricoles, qui sélectionnent et conservent leurs propres semences, continue de développer des variétés adaptées aux conditions locales et résilientes aux aléas climatiques. « Les cultures du système formel de semences ont été sélectionnées pour être muettes », explique Chen dans ladite étude, soulignant que ces plantes ont perdu leur capacité à attirer des défenseurs naturels contre les ravageurs.
Abordant dans la même logique, le Directeur scientifique de l’Institut Togolais de Recherche Agronomique (ITRA), Dr Eyanawa Akata-Atchozou, indique qu’à l’époque, il n’y avait pas vraiment cette question de changement climatique comme cela se pose aujourd’hui. Les activités menées, où les principaux critères étaient plus axés sur la productivité, et donc la production en masse.
« Dans ces conditions, la plupart des variétés, qui sont utilisées, depuis un bon moment, ont été créées beaucoup plus pour répondre à la question de production qu’à la question du changement climatique, qui ne prévalait pas. Mais, au fur et à mesure que le temps avance avec la question du changement climatique, on se rend compte que la saison devient un peu courte. Et, avec les variétés dont le cycle ne répond pas ou des variétés qui ont des caractéristiques, qui présentent des sensibilités face à certains chocs exogènes comme les insectes et les maladies favorisées par les effets du changement climatique. Depuis ces dernières années, je pense que je peux parler des 3 ou 4 dernières décennies, toutes les activités de recherche en matière de création variétale sont orientées exclusivement vers l’adaptation au changement climatique et, en même temps, avec la production », explique-t-il.
Dr Gmakouba Tignakoumi, généticien-sélectionneur des plantes, spécialiste des systèmes semenciers et Enseignant-chercheur à l’université de Kara au Togo, met en avant l’importance des semences de qualité pour le développement de l’agriculture. « Les semences de qualité contribuent à près de 40 % dans la consolidation des rendements et à l’augmentation conséquente de la production. C’est donc fort de ce potentiel, que regorgent les semences de variétés améliorées, que des actions ont été entreprises depuis quelques années en vue de booster la production au niveau national », a dit Tignakoumi lors d’un échange téléphonique.
Malgré cela, l’adoption des semences améliorées reste faible au Togo, avec moins de 3 % des superficies agricoles ensemencées avec des variétés améliorées.
Le cas du Togo
Au Togo, le secteur semencier reflète cette dichotomie entre semences modernes et traditionnelles. Le système officiel est dominé par des semences importées, principalement sélectionnées pour leur rendement sous des conditions contrôlées. Cependant, de nombreux petits exploitants togolais continuent de cultiver des variétés locales, adaptées à la diversité des microclimats du pays, du plateau central aux zones côtières.
Ces semences traditionnelles, souvent ignorées par l’agriculture industrielle, représentent une richesse génétique et une solution potentielle pour l’adaptation au changement climatique, selon Yannick Abodah, agronome et technicien en agroécologie à Secaar (Service Chrétien d’Appui à l’Animation Rurale). « Les variétés paysannes ou traditionnelles désignent des variétés, que les paysans sélectionnent et continuent à faire évoluer dans leurs champs et qui s’adaptent aux conditions climatiques au fil du temps. Ces variétés présentent une grande diversité et variabilité génétique, ce pourquoi on les appelle “variétés population” », explique-t-il. « Jusqu’au XXe siècle, les variétés population constituaient la majorité des variétés cultivées, aussi nommées variétés paysannes, variétés locales, variétés anciennes, variétés de pays, variétés traditionnelles… et sont à l’origine de toutes les variétés modernes. Elles possèdent une diversité génétique leur permettant d’exprimer des variations de morphologie ou de comportement selon l’environnement (sol, terroir, climat…) et de s’adapter aux conditions dans lesquelles elles sont mises en culture (par exemple, sans produits chimiques ni engrais minéraux). Elles sont donc en constante évolution », dit le chercheur.
L’importance de la diversité génétique
Abodah poursuit : « Par exemple, quand on prend un lot de maïs, la semence doit être de la même taille et de la même couleur. On peut distinguer ce maïs d’une autre variété et s’assurer que cette variété sera la même dans la prochaine génération. Le critère DHS (Distinction, Homogénéité, Stabilité) est l’un des critères pour inscrire une variété au catalogue national ou régional des variétés certifiées ».
Le secteur semencier togolais régi par le Règlement semencier de la CEDEAO/UEMOA/CILSS en 2008, portant harmonisation des règles régissant le contrôle de la qualité, la certification et la commercialisation des semences végétales et plants. Ce règlement n’est pas applicable aux semences paysannes, qui posent un problème d’instabilité des gènes.
Dr Eyanawa Akata-Atchozou, spécialiste en biotechnologie végétale et microbienne et amélioration des plantes, confie que les semences traditionnelles offrent des “services écosystémiques évolutifs” essentiels grâce à la diversité génétique, qui permet aux plantes de s’adapter aux environnements locaux et de résister aux conditions extrêmes. « Les variétés traditionnelles possèdent des caractéristiques, qui aideront les variétés plus commerciales à s’adapter aux conditions locales », explique Chen.
Cette diversité est cruciale dans un contexte, où les conditions climatiques deviennent de plus en plus imprévisibles et extrêmes.
Les auteurs de l’étude de l’université du Vermont aux USA appellent à une reconnaissance accrue de l’importance des systèmes de semences informels et des petits exploitants agricoles. Ils soulignent la nécessité de politiques, qui soutiennent les petits exploitants en valorisant leur contribution à la durabilité agricole mondiale. Alors que les systèmes agricoles modernes sont de plus en plus mis à l’épreuve par le changement climatique, la solution pourrait résider dans les pratiques ancestrales de sélection et de conservation des semences par les petits exploitants agricoles.
Image de bannière : Au Togo, comme dans la plupart des pays africains, le secteur semencier est partagé entre semences modernes et traditionnelles. Image de Yannick Abodah, du Secaar, le 16 décembre 2023, lors de la foire des semences paysannes au Togo.
Citation :
Mastretta-Yanes, A., Tobin, D., Bellon,M. R., E. von Wettberg, Cibrián-Jaramillo, A., Wegier, A.,Monroy-Sais, A. S., Gálvez-Reyes, N., Ruiz-Arocho, J., & Chen,Y. H. (2024). Human management of ongoing evolutionaryprocesses in agroecosystems. Plants, People, Planet, 1–17. https://doi.org/10.1002/ppp3.10521.