- Au Sénégal, les femmes, et plus particulièrement les femmes âgées, jouent un rôle important dans l'APAC (Aire du Patrimoine Autochtone et Communautaire) de Kawawana, en Casamance.
- Elles établissent les règles de la récolte des huîtres et ont un rôle de médiation dans les conflits qui surviennent avec les étrangers à la région qui enfreignent les règles de Kawawana.
- Elles pratiquent également d'anciennes traditions animistes pour protéger l'environnement et agissent en tant que docteurs spirituels pour ceux qui enfreignent les règles.
- Depuis 2010, Kawawana a fait d'énormes progrès dans la repopulation de la rivière locale en poisson, dans la réduction de la salinité de ses eaux, et dans la fin de la déforestation, principalement en revenant à des pratiques traditionnelles de pêche et d'exploitation forestière.
Senegal: After reviving fish and forests, Jola villages tackle new threats (en anglais)
Assister au retour à l’état sauvage : entretien avec un surveillant d’une rivière rurale sénégalaise
MANGAGOULACK, Sénégal — Les femmes contrôlent un élément clé de l’APAC de Kawawana, un groupe de protection du patrimoine autochtone de Casamance, au Sénégal: l’établissement et l’application des règles de la culture ostréicole. Les femmes les plus âgées, qui sont très respectées pour leur connaissance des traditions locales et de l’environnement, ont d’autres responsabilités. Elles protègent l’environnement de par une autorité dont elles sont supposées être les seules dépositaires, selon une ancienne tradition animiste. Elles ont également un rôle essentiel dans la médiation des conflits qui surviennent avec les étrangers au village.
Les femmes ont contribué au succès de l’APAC de Kawawana, qui regroupe huit villages diolas sur une surface de 97 kilomètres carrés de la circonscription rurale de Mangagoulak. (Le terme d’APAC désigne des terres ancestrales préservées par leur population traditionnelle et des groupes locaux.) Après avoir été officialisé en 2010, le groupe a fait d’énormes progrès dans la réintroduction de poissons dans la rivière locale, en réduisant la salinité excessive de ses eaux, et dans la fin de la déforestation. Ces résultats ont été obtenus principalement par le retour à des pratiques de pêche et d’exploitation forestière traditionnelles.
Les 12 000 habitants de Mangagoulak sont largement dépendants du fleuve Casamance pour leur subsistance. Les rôles des hommes et des femmes sont rigoureusement départagés, aucune femme ne figurant parmi les pêcheurs, aucun homme chez les poissonniers, et très peu d’hommes chez les ostréiculteurs. Mais hommes et femmes participent de manière égale à nourrir leur famille, dans le commerce et dans la culture du riz et des légumes.
Mariama Diema siège à un comité de dix sages appartenant aux huit villages qui forment l’APAC de Mangagoulak et Kawawana. Il est admis que les sages possèdent des pouvoirs sur le monde des esprits, une croyance respectée qui fait partie de la vie quotidienne des Diolas au Sénégal, bien que la plupart soient aussi chrétiens ou musulmans.
La principale responsabilité de Mariama dans les activités de protection de la nature est de placer des fétiches de bois et de tissus aux couleurs vives dans les zones où la pêche est interdite, et plus particulièrement dans le bolong Mitij, un chenal qui sert de refuge aux poissons pour se reproduire. Ces talismans ont un effet dissuasif sur ceux qui viennent braconner avec des filets monofilament interdits dans les mangroves de Casamance. Les pêcheurs de la ville voisine de Ziguinchor, ou parfois même venus du nord du Sénégal, craignent d’attirer la colère des mauvais esprits, réputés pour infliger maladie ou malchance sur eux et leurs familles.
Mariama Dieme raconte recevoir fréquemment la visite de personnes disant avoir besoin d’aide pour exorciser les démons, certains d’entre eux après avoir enfreint les règles environnementales imposées par Kawawana, comme la pêche ou la coupe de bois en dehors de certaines zones délimitées.
« Ces personnes n’iront pas à l’hôpital car ces maladies sont mystiques et invisibles, et nous sommes les seuls à pouvoir les soigner, » explique-t-elle.
Elle utilise de l’eau sacrée et frappe sur une calebasse évidée pour traiter les patients, puis les met en garde contre de nouvelles infractions.
« C’est notre manière de vivre et c’est notre culture. Nous l’avons hérité de nos ancêtres et de nos parents, » explique Mariama.
Les prières de cette grand-mère, « pour que le poisson vienne, que les huîtres grossissent et que le riz soit bon pour la récolte, » comme elle le dit, sont également supposées avoir un pouvoir particulier dans la communauté.
Mariama joue le rôle de médiateur quand les patrouilles de surveillance de Kawawana trouvent des étrangers au village qui pêchent illégalement dans ses eaux.
« Nous aidons à résoudre les conflits entre les patrouilles et ceux qui commettent des infractions, » dit-elle, ajoutant que les discussions peuvent s’envenimer. Avec le soutien de l’agence de la pêche sénégalaise, l’association de Kawawana peut infliger aux braconniers des amendes allant jusqu’à 535 dollars, saisir leurs filets et vendre leur prise.
Le travail des femmes pour Kawawana vient s’ajouter à leur rôle traditionnel qui consiste à prendre soin de la famille et à la nourrir. Mariama soutient ses petits-enfants au village et ses enfants qui vivent à Dakar, sans emploi. « ils veulent travailler pour le gouvernement ou comme professeurs, pas comme pêcheurs, » soupire-t-elle.
Les règles appliquées à Kawawana ont permis au poisson et aux huîtres de revenir après des années de surpêche, et de ramener les prises à un niveau similaire à ce qu’elles étaient dans les souvenirs des femmes les plus âgées. Les habitants de Mangagoulack vivent généralement mieux et sont mieux nourris qu’il y a une douzaine d’années, avant les débuts de Kawawana.
Mais de nouveaux défis ont surgi et la plus grande partie du fardeau repose sur les femmes. Avec des enfants et parfois même plusieurs générations à soutenir, les femmes sont en difficulté pendant la saison des pluies, quand les huîtres sont laissées en repos conformément aux règles de Kawawana, et qu’il y a moins de poisson à vendre.
« Je vis ici. Qu’allez-vous faire pour gagner de l’argent ? Si vous ne vendez pas le poisson, vous devez le pêcher. C’est le poisson ou les huîtres, » raconte Souadou Sambou, marchande de poisson de 44 ans. « Les difficultés sont réelles pendant la saison des pluies. Le poisson se fait rare, » ajoute-t-elle.
Souadou vend son poisson à Bignona, à environ 35 kilomètres de là, et elle fait face au manque de transport frigorifique et au constant besoin de glace qui en découle. Après avoir payé le transport et la glace, il lui reste 18 à 27 dollars de bénéfice à chaque fois qu’elle se rend au marché.
L’après-midi, elle va travailler dans les champs de riz avec les autres femmes du village, pour maintenir les digues qui permettent de limiter la salinité de l’eau qui, si elle était trop élevée, mettrait leur récolte en danger.
Les ostréiculteurs ont joué un rôle clé dans la création de l’association de Kawawana et dans l’établissement des règles pour une culture durable des coquillages. Il s’agit généralement de femmes entre 60 et 70 ans qui élèvent souvent leurs petits-enfants après que leurs propres enfants aient rejoint l’exode rural qui frappe ces populations.
Dienaba Diedhiou, mère de dix enfants et grand-mère septuagénaire, dit espérer prendre sa retraite dans deux ans.
« [Autrefois], nous échangions nos huîtres contre du riz ou du millet. Les gens sélectionnaient [les huîtres], ils ne récoltaient pas tout. Aujourd’hui, c’est un commerce, les gens le font pour l’argent, » dit-elle. « Autrefois, il fallait être une femme d’un certain âge pour le faire. Maintenant il y a des équipes qui vont les récolter pendant que d’autres les grillent. Avant, la même personne devait faire les deux, avec deux jours de récolte et trois jours pour les griller et les vendre. »
Dienaba et d’autres ont commencé à faire payer des amendes aux équipes qui récoltent les huîtres avant maturité, elles forment aussi les femmes plus jeunes afin qu’elles ne causent pas la mort des coquillages à la saison prochaine.
« On travaille avec les muscles. Nous n’avons pas de gants et les huîtres vous coupent les mains, » explique-t-elle. « Avec le changement climatique, tout est plus dur. L’argent que je gagne sert à payer la nourriture, les frais d’école des enfants, et les soins de santé pour la famille. »
Aissatou Sambou, présidente de l’association des ostréiculteurs de Kawawana, avec ses petits-enfants. Photo Jennifer O’Mahony pour Mongabay.
« C’est une question de survie pour la population locale, », raconte Aissatou Sambou, présidente de l’association des ostréiculteurs de Kawawana, à laquelle appartiennent tous les exploitants de Mangagoulack. « Quand vous allez à la rivière pour ramasser des huîtres, vous les préparez et vous les vendez et vous subvenez aux besoins de votre famille. »
Kawawana a été créée sur le principe que la protection de l’environnement permet de mieux gagner sa vie, et cela s’est vérifié de nombreuses manières. Parfois, cependant, il est difficile de trouver l’équilibre entre les deux, reconnaît Aissatou. Kawawana a interdit l’abattage des arbres dans ses villages, les femmes ne peuvent donc plus construire de nouveaux canoës pour se déplacer sur les différents bras de la rivière.
« Si le vôtre est endommagé, vous ne pouvez plus atteindre les huîtres, » dit-elle. « Cela a ramené les gens vers la pauvreté. »
Jennifer O’Mahony est une journaliste indépendante qui travaille en Afrique de l’Ouest. Son compte Twitter est @jaomahony.