- Après la 2ème Guerre Mondiale, on établit des protections bien intentionnées afin de protéger les investisseurs internationaux et de réduire le risque financier dans la reconstruction de l’Europe et, plus tard, de protéger les investissements réalisés dans des pays en développement politiquement fragiles.
- Actuellement, plus de 3000 accords et traités de commerce international comprennent un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), un outil à d’abord sensé protéger les acteurs réalisant des investissements étrangers à risque.
- Plus récemment, de nombreux cas ISDS - environ une cinquantaine par an - ont été utilisées par des investisseurs pour remettre en cause la souveraineté nationale afin d’invalider des lois environnementales et d’accéder à des ressources naturelles et marchés.
- La signature de l’ALÉNA en 1992 marque aussi la première inclusion d’une disposition environnementale dans un traité commercial, mais la plupart des cas ALÉNA ISDS se sont rangés du coté des investisseurs plutôt que de celui de l’environnement.
De nombreux traités commerciaux sont actuellement négociés à travers le monde ; la plupart, affirment des critiques, risquant d’enrichir les investisseurs au détriment de l’environnement et, en fin de compte, de la démocratie, en menaçant les droits des pays individuels d’adopter et d’imposer des lois pour protéger leurs citoyens et la nature. Dans cette série en quatre parties, Mongabay explore plus profondément l’histoire du commerce international afin d’expliquer comment nous en sommes arrivés là et ce qui nous attend
Partie 1 est l’histoire des origines, commençant dans une période de récupération économique et de grand espoir à la fin des deux Guerres Mondiales et de la Grande Dépression.
Dans un monde parfait, les traités de commerce internationaux auraient un énorme potentiel de protection de l’environnement. Avec leur portée globale ils pourraient, par exemple, être l’un des rares outils politiques ayant l’autorité de mettre en œuvre les engagements de réduction nationale des émissions crées par les Accords de Paris pour le climat.
Mais dans le turbulent monde législatif des négociations commerciales géopolitiques, le système donnant naissance à de tels traités est souvent avantageusement penché en faveur du profit des entreprises et de la protection des investisseurs, et contre l’environnement et, par extension, la souveraineté nationale – du moins, c’est ce qu’affirment les opposants.
De telles accusations ont récemment été faites contre une invraisemblable soupe à alphabet de traités mondiaux actuellement en négociation, dont le TPP (Partenariat Trans-Pacifique), le PTCI (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) et l’ACS (Accord sur le Commerce des Services).
Mais, malgré tout les défauts du système actuel, il semblerait que de telles protections des investisseurs aient à l’origine été créées avec les meilleures intentions – car le monde a connu une terrible volatilité politique ce dernier siècle. Des montées et crises économiques, assorties à des soulèvements populaires et changements de régime déchirants, ont fait que les investisseurs étrangers se battent pour se protéger sous forme de dispositions d’investissement plus fortes dans les traités commerciaux.
Un résultat capital de ces batailles fut la création du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) en 1966. Approuvé par un grand nombre de nations, et inutilisé pendant des décennies, cet outil est aujourd’hui qualifié de contraire à la transparence et à la démocratie par ses opposants. Il donne aux investisseurs étrangers, disent-ils, les même droits légaux que les citoyens d’une nation, voir plus. Et il sort les arbitrages autour de traités hors du grand jour et de l’œil du public, les plaçant dans les arrière-salles invisibles d’instituions comme le Centre de Résolution de Disputes internationales de la Banque Mondiale à Washington, D.C.
« Quand on explique aux gens le fonctionnement du CIRDI (centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), ils ont du mal à le croire », dit Scott Sinclair, directeur de l’ONG Policy Alternatives Canada. « Ces provisions ont été crées afin de protéger les investisseurs étrangers contre les comportements blessants dans des situations où la justice dans les tribunaux nationaux semblait peu probable », par exemple, quand un gouvernement en renverse violemment un autre, et renonce aux engagements pris dans des traités.
« Mais c’est désormais une alternative utilisée [par les actionnaires afin d’accélérer les procès] y compris dans des endroits où les tribunaux sont bien établis. Encore plus inquiétant, les questions environnementales sont au cœur de la plupart des disputes, et le public n’en est souvent conscient qu’après les faits ».
De nombreux des plus grands cas ISDS de ces dernières années ont concerné des contestations de la part des investisseurs à la souveraineté nationale, dans ‘espoir d’invalider des lois environnementales et d’obtenir l’accès aux ressources naturelles ou marchés d’autres pays. Dans certains cas cela a entrainé le renversement des lois mises en place par les gouvernements pour protéger l’environnement et garantir la sécurité du public en faveur des bénéfices et de la protection des investisseurs.
À ce jour, 696 procédures ont été enregistrées contre 107 pays, et en 2014, des pays à travers le monde avaient versé plus de 440 millions de dollars aux investisseurs pour violation du traité.
Ces chiffres n’incluent pas les demandes récemment terminées ou en cours. Le passage du temps a vu un rapide relèvement du niveau des rétributions. Seulement l’année dernière, un tribunal du CIRDI a négocié le versement de l’Equateur à Occidental Petroleum un minimum d’un milliard de dollars. (La compagnie a affirmé que ce pays sud-américain avait abusivement résilié son Contrat de Participation pour exploiter un bloc de terre Équatorienne afin de produire du pétrole).
À partir de 2016, le gouvernement américain risque de devoir quinze milliards de dollars à la TransCanada Corporation en compensation pour le rejet du gouvernement fédéral de l’oléoduc Keystone XL.
La Commission Européenne pour le Commerce estime que les investisseurs remportent la procédure une fois sure quatre, tandis que les états gagnent un peu plus d’un tiers, et un autre tiers est réglé en dehors des tribunaux – chaque procédure coutant environ huit millions de dollars en frais légaux. Donc, tout compris, plaider les 696 affaires coute environ 5.6 milliards de dollars américains – et les avocats de droit commercial comptent parmi les grands gagnants.
Les clauses ISDS étant déjà inscrites dans plus de 3000 accords d’investissement en œuvre globalement, et également dans tous les grands traités de commerce international actuellement en négociation – tel que le TTP, TTIP, et TISA – il est aisé de voir pourquoi tant d’ONGs environnementales, de santé publique, pro-démocratie et travaillistes ont sonné l’alarme.
Devrions-nous être préoccupés ? Et comment pouvons nous agir pour nous assurer que les entreprises, nations, l’environnement et les droits civils prospèrent les uns avec les autres ? La meilleure réponse à ces questions nécessite un examen attentif de l’évolution suspecte, obscure, et, selon les critiques, parfois inquiétante, des accords de commerce international, afin de voir comment nous en sommes arrivés à ce moment critique de l’histoire.
De grandes attentes
Le désordre catastrophique de la Première Guerre Mondiale, de la Grande Dépression, et de la Seconde Guerre Mondiale a laissé les marchés internationaux en ruine. Résultat, le long de la première moitié du 20ème siècle, de nombreux pays ont resserré leurs barrières commerciales et augmenté ou mis en place des droits de douane (impôts sur les biens importés). Certains pays ont même dévalué leur monnaie afin de réduire la compétition étrangère.
En 1944, quarante cinq pays alliés se sont réunis dans une petite ville du New Hampshire, Bretton Woods, afin de planifier la reconstruction d’une Europe déchirée par la guerre et de l’économie mondiale. Le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale furent tous les deux proposés lors de cette rencontre, ainsi que l’Organisation internationale du commerce (OIC), un organisme pour réguler le commerce international.
Un an plus tard, la Banque Mondiale (vouluepour financer le développement) et le FMI (voulu pour maintenir l’ordre financier mondial) furent approuvés lorsque 29 des pays de Bretton Woods ratifièrent les articles d’accord – environ 189 nations sont actuellement des membres. L’OIC n’avait pas de soutien suffisant.
Bien que le FMI ait aidé à stabiliser le flux mondial des fonds, il y avait toujours le besoin d’une agence de régulation internationale, semblable à l’OIC rejetée, qui aiderait à gouverner les investissements nécessaires pour renforcer l’économie et à financer les projets de développement de la Banque Mondiale.
En 1948, dix-huit nations européennes ratifièrent l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), réduisant les barrières tel que le droit de douane (cela devint l’Organisation de coopération et de développement économique, ou OCDE, en 1961). En même temps, les 23 nations fondatrices ratifièrent l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC), très soutenu des Etats-Unis.
L’histoire de deux mécanismes de différends
On parle rarement de l’AGETAC en dehors des cercles concernés. Mais, de beaucoup de manières, c’est une étape moderne marquant le début des dispositions de protection des investisseurs dans les accords de commerce international.
Les dispositions d’investissement de l’AGETAC étaient à l’origine limitées et peu claires. Fondamentalement, la protection se concentrai sur garantir que les investisseurs étrangers reçoivent un traitement national ou de nation la plus favorisée – le même traitement que les investisseurs nationaux.
Les différends entrainés par une violation de ces termes devaient être réglés par les partis contacteurs et par le conseil de l’AGETAC. Le président de l’AGETAC décidait lors des premières affaires. Plus tard, des petits panels d’experts choisis par les partis impliqués reçurent la tache de recommander des jugements au conseil.
Mais, alors que les investissements étrangers ultérieurs passèrent de l’Europe convalescente aux pays en développement d’Afrique ou d’ailleurs, le système de règlement de différends de l’AGETAC devint largement plus compliqué. Des traités commerciaux et accords d’investissements bilatéraux et multilatéraux devinrent à la mode dans la seconde moitié du 20ème siècle, liant des économies robustes à d’autres, en faillite ou très jeunes.
« Le commerce mondial a grandit rapidement, et les partis impliqués découvrirent que chaque pays a ses propres lois en ce qui concerne les besoins nationaux », explique Timothy Lemay, secrétaire du CNUDCI et principal agent juridique. « Il fallait une norme légale commune à laquelle tous pourraient souscrire, afin d’éliminer ce genre d’obstacle au commerce ».
En 1955, la Chambre de commerce internationale (CCI), esquissa un document afin de régler ces problèmes, qui fut formalisé et adopté par de nombreux membres de l’ONU en 1958 lors de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, aussi connue comme Convention de New York. Deux accords précédents, les traités de Genève (aussi connus sous le nom de Protocole de Genève) en 1923 et la Convention de Genève, avaient déjà approché le problème de exécution des sentences arbitrales, mais sans se montrer efficaces.
Bien qu’ils marquent un pas dans la bonne direction, les termes mis en place à la Convention de New York n’étaient toujours pas assez robustes pour prendre en main le marché mondial évoluant rapidement, alors les leaders du commerce retournèrent à la planche à dessin. En 1966, on instaura enfin deux systèmes suffisamment puissants pour prendre en main les conflits entre investisseurs, créant la base de l’ISDS. La Banque Mondiale proposa un nouveau traité renforçant les précédentes dispositions de l’AGETAC : la Convention internationale pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, créant des directives d’arbitrage et de conciliation pour le règlement de conflits et fondant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements à Washington D.C., afin d’entendre les affaires.
Quand le CIRDI apparut pour la première fois sur la scène mondiale, 20 pays ratifièrent le traité ; aujourd’hui, il en concerne 153. Et le système de règlement des conflits du CIRDI, accepté nationalement et sensé guider la résolution de différends entre états et entre états et nationaux étrangers (investisseurs ou entreprises), s’applique à la majorité de plus de 3000 traités et accords internationaux d’investissement et de libre-échange.
Les affaires du CIRDI ne sont pas jugées publiquement, mais par un panel de trois médiateurs sélectionnés parmi la réserve permanente du CIRDI, et les affaires sont traitées soit à Washington, soit dans un tribunal international. En 1978, le CIRDI ajouta des normes d’arbitrage et de conciliation « Instrument additionnel », à utiliser dans les différends hors portée du CIRDI, par exemple entre les états membres et les états non-membres.
Cependant en Europe et également en 1966, l’Assemblée Générale de l’ONU choisit une approche plus libérale au règlement de différends relatif aux investissements en adoptant la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), une institution juridique afin d’établir les bases et d’aider à guider les différends d’investissement. Contrairement au CIRDI, la CNUDCI ne préside pas au règlement de différends, mais créer les directives d’arbitrage à utiliser ad hoc par des partis consentants dans des tribunaux internationaux ou domestiques tel que la Cour permanente d’arbitrage de la Hague. La CNUDCI sélectionne 29 pays de l’ONU comme états membres (60 états membres depuis 2002), en essayant de représenter diverses régions, cultures, et niveaux de développement économique.
« Dès le début, le principe de la CNUDCI était de servir de modèle d’arbitrage, en s’appuyant sur les termes de la Convention de New York », expliquait Lehmay. « Les partis concernés par ce traité peuvent employer la méthode de règlement de différends qu’ils souhaitent, mais, à ce jour, la CNUDCI reste la plus utilisée au monde ».
À cette époque, l’ISDS devait sembler être une grande étape en avant pour l’économie d’investissement mondiale, protégeant les investisseurs étrangers de grands dangers financiers et encourageant le développement économique dans des parties financièrement à risque du monde. Mais, selon les experts, l’ISDS et particulièrement le CIRDI ont établi les bases pour grand nombre des problèmes d’aujourd’hui.
Un tour de vis
L’ISDS a été créé afin d’adresser de vraies menaces, principalement la nationalisation et l’appropriation des actifs d’entreprise et d’investisseurs, comme on le voit souvent dans des périodes d’instabilité économique, de déstabilisation politique, de rebellions populaires, et de guerre, a dit Melinda Lewis, la Directrice de Campagnes Internationales de l’ONG Public Citizen, à Mongabay.
« Les processus du CIRDI fonctionnaient pour sortir les différends des pays individuels et les amener aux tribunaux internationaux externes », ce qui semblait à l’époque être une approche logique, expliquait Todd Weiler, un expert de l’arbitrage des traités d’investissement.
Mais, en fin de compte, les conséquences de contourner les tribunaux nationaux étaient bien plus sévères qu’un simple changement de paysage.
Les experts interviewés par Mongabay ont à plusieurs reprises renforcé la même idée : l’ISDS et le CIRDI ont été mis en place avec des intérêts exclusivement commerciaux en tête. Et les tribunaux commerciaux et d’investissement gèrent traditionnellement les conflits de façon très différente des autres tribunaux, en priorisant les bénéfices et intérêts économiques avant tout. Vu l’étendue des questions auxquelles peuvent toucher les différents entre investisseurs – allant des ressources naturelles aux normes de travail – les experts affirment qu’il est évident qu’il y a un conflit d’intérêt fondamental dans le système, aux ramifications inquiétantes.
« Avec l’ISDS, les investisseurs obtiennent [pour la première fois] la faculté de directement poursuivre en justice les états», dit Lehmay. « Et, comme dans la plupart des arbitrages commerciaux, les processus et la finalité sont généralement privés, et sont discrètement réglés. Avec l’ISDS, les compagnies peuvent attaquer les normes et lois gouvernementales, ainsi que les intérêts publics ».
Les compagnies – soutenues par des fonds presque illimités et par les meilleurs avocats de droit commercial – profitent de cette influence de façon de plus en plus fréquente et véhémente.
Et, bien que la majorité des procédures soient entamées contre des nations en développement, ceux-ci ne sont pas les seuls à risque. Ces quelques dernières années, l’Allemagne et le Canada ont dû payer de grandes sommes de liquide en dommages aux investisseurs privés de pays voisins, et dans certains cas, ont même du affaiblir leur politique environnementale. La démarche de TransCanada concernant l’oléoduc Keystone XL, pour une valeur de 15 milliards de dollars et dont l’issue sera déterminée au printemps, pourrait avoir un résultat semblable.
« Quand on prend en compte l’impact [sur le bien commun], on penserait qu’il [y aurait] une façon pour le public d’intervenir dans de tels procédés », dit Martin Wagner, avocat principal et directeur du programme international de Earthjustice. « Mais le système a été établi sans provision ou attente que la société civile ait le moindre rôle dans le règlement de différends, », laissant le public sans aucun outil participatif à part la protestation publique.
Cependant, le potentiel légaliste de l’ISDS a été pour la plupart inexploré pendant des décennies, et le mécanisme de règlement des différends rarement invoqué.
Alors qu’est ce qui a entrainé la transformation du système en ce que de nombreux experts appellent « une politique d’assurance d’entreprise » ? Et pourquoi a-t-on permit à l’ISDS de grandir jusqu’au point où nous en sommes actuellement – où des corporations peuvent poursuivre des pays souverains pour des milliers de millions de dollars, et même renverser des lois environnementales nationales ?
La réponse simplifiée ? L’ALENA.
Les trois amigos
Comme nous l’avons noté, les inquiétudes économiques que le CIRDI a été créé pour adresser étaient très réelles. Le monde a à peine attendu la fin de la Seconde Guerre Mondiale avant de s’engager à nouveau dans un conflit majeur ayant un impact sur les marchés mondiaux. La soi-disant Guerre Froide s’est réchauffée, et a déchiré l’Asie du Sud-Est et le Moyen Orient, tandis que des batailles pour l’indépendance coloniale et la souveraineté avaient lieu en Afrique et ailleurs.
À la fin des années 1980, les marchés ont commencé à se stabiliser et l’investissement international a décollé. Carla A. Hills, la Représentante du Commerce des États-Unis de 1989 jusqu’en 1993, a expliqué qu’à l’époque, les Etats-Unis étaient prêts à passer un accord commercial avec n’importe qui.
« Nous voulions ouvrir le commerce dans tout l’hémisphère », dit Hills. En hiver 1990, le ministre du commerce du Mexique approcha Hills avec l’idée de passer un accord commercial. Alors elle approcha le président George H. W. Bush, du parti républicain, et reçu l’autorisation par voie rapide d’avancer l’accord sans vote du Congrès.
« Vers cette période, j’ai reçu un appel de John Crosbie, le représentant du commerce du Canada, pour me dire, « “Carla, tu ne vas pas nous exclure ! ” », rit Hill. « Je n’y croyais pas. L’accord de libre-échange Canada-États Unis il y a seulement quelques années avait failli couler l’administration Canadienne. ».
Et ainsi commencèrent les négociations pour un partenariat commercial complexe liant les États Unis, le Mexique, et le Canada – l’Accord de libre échange nord-américain, ou ALENA.
Puis survint un grand obstacle : l’élection présidentielle de Novembre 1992. Le candidat démocrate Bill Clinton avait timidement fait campagne contre l’ALENA, qui n’incluait pas les préoccupations de ses constituants sur le travail ou sur l’environnement. Une fois au pouvoir, il décida de satisfaire ces supporters en rattachant des amendements à l’accord, remplissant ainsi les vides sur le travail et l’environnement du traité par deux accords parallèles, un pour adresser indépendamment chaque question.
De manière assez ironique, cette hybridation, ou, comme le disent des experts, cette pensée après-coup, a peu fait pour mitiger les conséquences sur l’environnement de l’ALENA et, de beaucoup de façons, ont même augmenté les dommages réalisés.
L’accord parallèle environnemental de l’ALENA a créé l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACE). Celui-ci dicta la création de la Commission de coopération environnementale, ou CCE, un groupe dirigé équitablement par chacune des trois nations afin de superviser les impacts du commerce sur l’environnement et de recevoir les plaintes de citoyens concernant les pays ne respectant pas leurs lois environnementales.
L’idée était que les citoyens et pays aux idées environnementales plus progressistes, comme les Etats Unis, agiraient en chiens de garde – en dénonçant leurs voisins pour leurs déficiences ou contradictions environnementales. Une fois la plainte déposée, le secrétariat du CCE déciderait d’investiguer ou non ses détails, et si un problème était trouvé, créerait un dossier factuelle.
« Les gens étaient excités, surtout au Mexique, car le pays n’avait pas une disposition pour que les citoyens puissent attaquer le gouvernement ou les pollueurs. Ceci semblait être un mécanisme libre et ouvert pour le faire », explique Chris Wold, Professeur de Loi à l’école Lewis and Clark Law School et directeur de son projet de droit environnemental international.
Mais, disent les experts, le système était sérieusement problématique des le début, et avec le temps, ses défauts n’ont fait qu’empirer et devenir plus évidents.
« L’accord parallèle de l’ALENA est largement reconnu come étant la première instance où des traités de commerce ont formellement inclus des dispositions environnementales, ajoutées comme amendement dans les derniers moments de la négociation afin d’apaiser les grandes inquiétudes que les gens avaient déjà », dit Carroll Muffett, président et directeur exécutif de Centre pour le droit international d’investissement (CIEL).
Résultat, le langage de l’accord parallèle était vague et le mécanisme de mise en place très faible.
Peu en savent plus sur cette faiblesse que Gustavo Alanís Ortega, du Centre Mexicain pour la Loi Environnementale (CEMDA). Il a servi deux termes sur le Comité Consultatif Public Conjoint du CCE, et en 2015, en était le président.
« À cette époque, il y avait beaucoup de discussion et de débats sur le manque de normes environnementales et de lois applicables au Mexique, ainsi que l’idée que nos voisins pourraient nous influencer en bien », dit Alanís Ortega. « Aussi, augmenter notre commerce, investissement, et développement – le Mexique avait besoin de tout cela – était important ».
« D’une certaines façon, je pense que les normes environnementales de l’ALENA étaient très élevées ; c’était un bon pas en avant », dit Alanís Ortega. Mais des conflits d’intérêt innés affaiblirent l’autorité du CCE et truquèrent le jeu, explique-t-il, surtout parce que les pays accusés lors d’un différend recevaient un vote afin de déterminer si une enquête était justifiée ou non, et, en fin de compte, si le dossier du secrétariat du CCE serait accepté.
« Le processus est monté afin que, même si le secrétariat reçoit un feu vert pour enquêter sur la plainte et elle est acceptée, le résultat final n’est qu’un rapport factuel sans aucun pouvoir légal [contractuel] », dit-il.
En plus de cela, le CCE a toujours été insuffisamment financé. « Depuis notre début, notre budget est resté le même, 3 million de dollars américains par gouvernement », dit Alanís Ortega. « Et ce total de 9 million de dollars américains n’a pas la même valeur aujourd’hui, [elle est réduite] à cause de l’inflation ».
Malgré ces contraintes, le CCE a eu un impact au début. « La plupart de nos premières soumissions ont terminé en dossiers factuels. Au début, nous avons senti que le système avait tendance à marcher », dit Randy Christensen,un avocat d’Ecojustice depuis 1997. « Mais les pays ont réagi à l’usage réel du système d’une façon qui a changé la direction afin d’essentiellement tuer toute autorité ».
« Considérez le fait que, à ce jour, aucune des soumissions [de plaintes] présentées contre les Etats Unis ont vraiment avancé », dit Alanís Ortega. « Je pense que rien que cela indique un grand manque de confiance dans le système, bien qu’aux États Unis on puisse se rabattre sur des méthodes nationales [lois fédérales et d’états] ».
Melinda St. Louis de Public Citizen argue que, puisque les accords parallèles ont été ajoutés après-coup, il y a peu qu’on puisse faire pour donner à la commission une présence puissante ou influentielle. Elle dit que des modifcations légères ont eu lieu, mais elles étaient insignifiantes et la commission n’a jamais vraiment eu d’armes.
« Le cœur du modèle n’était pas voulu pour protéger les normes de travail ou l’environnement, mais plutôt d’assurer que les groupes seraient apaisées sans réellement impacter les marges de profit des investisseurs », dit-elle.
Muffett du CIEL a noté que, après deux décennies à utiliser le système de soumissions citoyennes, le CCE n’a toujours pas obtenu de résultats. « Bien que cela prenne une quantité massive de ressources et de fonds afin de présenter des revendications et d’enregistrer des soumissions, aucune n’a jamais résulté en un changement significatif, » dit-il. « L’accord parallèle environnemental, comme les chapitres environnementaux qui l’ont suivi, n’étaient créés que pour être des outils politiques, comme le bouchon de radiateur d’une voiture. C’est joli, mais ca ne vous aidera pas à conduire, tourner, ou vous arrêter ».
Chapitre 11 de l’ALENA et le problème du thon
Bien qu’il soit clair que le CCE avait des problèmes irréparables dès le début, même si on le changeait dramatiquement, une autre partie de l’ALENA sert d’ultime joker aux investisseurs.
Connue comme le Chapitre 11 – créé pour protéger les investisseurs américains fragilisés par le risque de corruption et de déstabilisation au Mexique – la disposition est à la place devenue un outil lucratif pour les compagnies et avocats en droit commercial. Peu de choses ont ramené de plus grosses sommes que les investissements touchant aux ressources naturelles.
« Les choses ont vraiment déraillé avec les dispositions d’investissement du Chapitre 11, qui étaient déjà notoires à l’époque », dit Wagner.
Le chapitre 11 était une boite de Pandore qui, une fois ouverte, a lâché tout le pouvoir de l’ISDS. Les avocats d’entreprise ont rapidement appris à profiter du système, en bâtissant toute une nouvelle industrie afin de tirer le maximum de profit des pays souverains – et ainsi, augmenter largement leur influence. Actuellement, le chiffre annuel moyen d’affaires ISDS est autour de 50, un peu plus élevé que la moyenne par an de 1990.
Une des premières affaires conséquentes de règlement de différends – bien que techniquement une affaire de gouvernement à gouvernement – fut l’affaire thon-dauphin. très controversée. La loi de protection des mammifères marins aux Etats Unis a posé des normes strictes pour toutes les flottes nationales et étrangères dans l’océan du Nord-Est Pacifique, qui ont banni l’usage de filets de pêche à la senne – une technique souvent utilisée pour attraper de grandes quantités de thon jaune, mais qui attrape et tue souvent d’autres animaux marins tel que les dauphins.
Les pays exportateurs devaient prouver que leurs thons avaient été attrapés sans filets de senne. Comme le Mexique ne conservait pas de traces sur le sujet, le pays n’a pas répondu aux normes américaines et leurs exports ont été bannis. En 1991, le Mexique a demandé une résolution du différend selon les dispositions de l’AGETAC afin de mettre fin à l’embargo américain.
« L’impact de cette affaire était énorme », dit Wold. « Le panel a décidé que les Etats Unis avaient effectivement violé les dispositions d’investissement, car ils ne peuvent pas distinguer les produits selon la façon dont ils ont été produits, mais plutôt selon certains caractéristiques physiques et attributs ».
Le panel a aussi déclaré qu’un pays ne pouvait pas imposer sa politique domestique à un autre via des sanctions commerciales, ce qui va directement contre l’AGETAC en ce qui concerne le droit des nations à agir en dehors des termes commerciaux afin de protéger les ressources naturelles exhaustives.
Pire encore, plusieurs soi-disant « pays intermédiaires » de partout dans le monde – dont la France, le Royaume-Uni, le Japon, le Costa Rica, le Canada et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est -, inquiets que l’embargo s’étende à leurs propres exports, se sont précipités pour soutenir le Mexique, renforçant sa plainte et victoire finale contre les Etats Unis.
Wold dit qu’avec quelques autres dans la communauté environnementale, il a vu l’affaire thon-dauphin comme une alarme. Bien que les Etats Unis et le Mexique aient réglé le différend en dehors des tribunaux, l’impact de la décision finale a eu une forte influence.
« L’idée générale de l’analyse a été pleinement acceptée par la communauté d’investisseurs, et utilisée lors de plusieurs différends ISDS…depuis », dit-il.
Le paradis perdu
En 1994, quand l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) se forma et remplaça l’AGETAC, un nouvel organisme fut crée pour gérer les différends entre instituteursl’Organe de règlement des différends. Son but était d’aider les acteurs des conflits à naviguer ceux-ci de façon similaire à la CNUDCI, en proposant des services de négociation et de consultation ainsi que d’autres options de résolution, tel qu’un panel à trois experts afin de créer des rapports.
« La formation de l’ALENA et de l’OMC ont eu lieu vers la même période, marquant le moment où les accords commerciaux se sont métamorphosés et ont commencé à s’immiscer dans des problèmes éloignés de ce que l’on appellerait généralement le commerce », dit St. Louis. « On pense normalement aux traités commerciaux comme réduisant les obstacles au commerce tel que les droits de douane. Mais dans ce cas, la politique nationale et la régulation [environnementale et de travail] ont commencé à être considérés comme des obstacles au commerce, et les choses ont empiré depuis ».
De plus en plus, les différends de commerce international ont fait des lois environnementales nationales non pas un droit souverain, mais des injustes restrictions provenant du libre.
Le premier différend de l’OMC est survenu en 1996. L’Union Européenne, afin de protéger ses citoyens de supposés risques sanitaires, a, depuis 1980, banni la viande importée ou intérieure provenant d’animaux élevés aux hormones synthétiques et naturelles. En 1996, ces régulations furent mises à jour, y ajoutant six hormones supplémentaires, trois naturelles et trois synthétiques. Les producteurs parmi les états membres de l’UE ont cependant obtenu le droit d’utiliser les trois hormones naturelles, et les autres selon les ordres des vétérinaires.
Cette année, le Canada et les États Unis enregistrèrent des plaintes auprès de l’OMC, en appelant les régulations une situation de traitement injuste. Le panel de l’OMC s’est rassemblé afin de gérer les deux différends, et résolut que l’UE avait violé des aspects de l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, récemment signé par des états membres lors de la naissance de l’OMC. Le panel conclut aussi que l’UE n’avait pas établi de régulations en s’appuyant sur l’évaluation de risques.
L’UE fit appel à la décision et le différend continua jusqu’en 2011.
À partir de 1999 et tout au long de la durée du différend, l’UE et le Canada pouvaient imposer des droits de douane énormes sur les biens provenant de l’UE, mais après la signature du Mémorandum sur les hormones dans la viande à Bruxelles en 2009, on décida de les diminuer en échange pour l’importation hors-taxes de grandes quantités de viande américaine – sans les hormones interdites.
Wagner dit que ces affaires ont rendu la communauté environnementale consciente de la menace posée par les traités commerciaux, maintenant que les avocats en droit de commerce ont élargi le système de règlement de différends de manière à ce que les protections environnementales soient perçues comme des restrictions sur le commerce.
« À ce moment, nous avons décidé que c’était un problème de plus en plus grand, ayant le potentiel d’impacter bien plus que le commerce et la coopération », dit Wagner. « Ces décisions et affaires ont vraiment le potentiel d’influencer des personnes et la politique [environnementale], partout dans le monde ».
L’exclusion des tortues et la course vers le fond
Le prochain différend remettant en question les normes environnementales et la souveraineté nationale de manière conséquente survint en 1998, quand l’Inde, le Pakistan, la Malaisie et la Thaïlande présentèrent une affaire de différend contre les États Unis pour avoir banni l’import de crevettes et de produits dérivés. Comme lors du différend thon-dauphin, les strictes lois environnementales américaines étaient à l’origine du différend.
Depuis 1973, le Endangered Species Act (Loi sur les espèces menacées) interdit la « prise » (capture, meurtre, ou harcèlement) de chacune des cinq espèces de tortues de mer présentes dans les eaux américaines. Ceci mena à l’interdiction des fruits de mer pêchés sans dispositif d’exclusion des tortues.
Wold dit que les environnementalistes ont œuvré pendant des années à implémenter les règlements sur les dispositifs d’exclusion des tortues, et la mise en place du règlement a réduit les taux de mortalité accidentelle des tortues à presque zéro.
Mais les pêcheurs américains sentaient que le coût d’équiper leurs vaisseaux avec des dispositifs de protection des tortues donnait un avantage aux pêcheurs étrangers, qui n’avaient pas l’obligation d’avoir les dispositifs. Alors le Département d’Etat américain invoqua la Section 609 de la loi américaine 101-102, interdisant l’import de produits crustacés pêchés ou élevés sans dispositifs d’exclusion de tortues.
« Encore une fois, la décision de l’affaire thon-dauphin est apparue, et le panel de l’OMC décida que les États Unis avaient discriminé contre les produits à cause de leur méthode de production », dit Wold. L’organe d’appel régla que les Etats Unis étaient coupables de discrimination arbitraire et injuste.
Mais tout n’était pas perdu, ajoute Wagner. Selon lui, parce que Earthjustice et d’autres ONGs avaient soutenu la position du gouvernement américain, ils acceptèrent d’attacher des notes civiles aux soumissions de l’OMC sous forme d’ amicus curiae. En fin de compte, l’organe d’appel ignora ces notes, mais c’était un petit succès – une affaire où les voix civiles étaient écoutée lors d’un différend d’investissement, ouvrant les processus de l’OMC à de possibles futures interventions d’ONGs.
« J’aimerais pouvoir dire que l’impact a été plus fort que ce qu’il était, mais cette inclusion d’une ONG n’a été possible que quelque fois, ici et là, dans les affaires survenues depuis, et cela donne aux médiateurs une idée des conséquences de leurs jugements dans la vie réelle », dit Wagner.
L’organe d’appel de l’OMC qui avait géré ce cas a également noté que les nations ont le droit d’agir afin de protéger les espèces menacées, écrivant « Nous n’avons pas décidé que la protection et conservation de l’environnement ne sont pas importants pour les Membres de l’OMC. Bien sur, ils le sont. Nous n’avons pas décidé que les nations souveraines membres de l’OMC ne peuvent pas adopter de mesures efficaces afin de protéger les espèces menacées, tel que les tortues de mer. Bien sur, ils peuvent et doivent le faire ».
Le cœur du problème, conclurent-ils, était la discrimination dont avait fait preuve les Etats Unis, principalement leur échec à négocier avec les fermiers d’aquaculture étrangers ou à obtenir un compromis avant d’imposer des sanctions.
Wold affirme que, d’une étrange façon, les tortues de mer ont bénéficié de cette situation. Suite au différend, les Etats Unis et les pays d’Asie du Sud-Est ont créé des lois commerciales unilatérales afin de protéger les mammifères marins. Et des 14 pays menacés d’embargo, tous sauf la Guyane française ont participé à des programmes de formation aux dispositifs d’exclusion des tortues, et accepté d’inclure cet équipement dans leurs bateaux de pêche.
« Bien que les acteurs contestateurs aient argumenté que les tortues de mer sont une ressource exhaustive de même façon que, par exemple, les minéraux, le panel a été clair », dit Wold. « Il a essentiellement dit qu’il avait retenu la leçon – nous pouvons et avons déjà conduit multiples espèces à l’extinction – bien au delà du point de non retour. Et contrairement aux minéraux, une fois disparue, une espèce ne peut pas se renouveler. Il n’y a pas de processus de restauration, peu importe les milliers d’années qui passent ».
Mais, malgré cette petite victoire, Wold, comme presque tous ceux interviewés pour cet article, dit qu’une fois l’ALENA mis en place, la communauté environnementale était déjà très inquiète. Les précédents anti-environnement et pro-investisseurs donnés par de précédentes affaires sont dur à ignorer, et les dispositions qui les ont permis n’on fait qu’intensifier.
La Belle au Bois Dormant
Bien que ces affaires de l’AGETAC et de l’OMC aient alerté les environnementalistes des menaces potentielles, elles ont surtout aiguisé l’appétit d’avocats en droit de commerce quand ils ont vu l’avantage potentiel donné par les dispositions d’investissement dans les accords commerciaux.
De plus en plus, les traités commerciaux ont été vus comme une façon de contourner les lois nationales, d’attaquer les protections environnementales, ou comme des politiques d’assurance garantissant un bénéfice sur les investissements internationaux, que ceux-ci aient du succès ou non.
La plupart des plus de 3000 traités et accords commerciaux du monde étaient déjà signés quand l’ISDS fut réellement mis en œuvre, explique Weiler. Mais l’ISDS était là, prêt à être utilisé, tandis que le monde entrait dans une période de mondialisation économique rapide vers la fin du 20ème siècle – une époque où les investisseurs commençaient tout juste à voir les bénéfices massifs à obtenir de l’exploration et exploitation des ressources naturelles internationales – surtout dans les pays en développement, dont les gouvernements accueillaient ces investissements.
Mais l’ISDS ne devint réellement populaire qu’après les différends de l’ALENA. « Les 25 premières années de son existence, le CIRDI n’a jugé que quatre affaires », explique Weiler. « Ce n’est pas parce qu’un mécanisme existe que les gens l’utilisent. J’aime voir l’ISDS comme une Belle aux bois dormant, dont les avocats se sont réveillés après 20 ans de sieste »
Quand les premiers grands différends autour du Chapitre 11 de l’ALENA apparurent en Europe, il y eut une onde de choc, dit Nathalie Bernasconi-Osterwalder, directrice du Programme de droit et politique économique à l’Institut International pour le Développement Durable. Par le passé, les dispositions d’investissement commercial étaient vues comme des manières de protéger les investisseurs de pays développés des pertes dans les pays en développement. Mais soudain, le processus d’investissement s’est ouvert à d’autres possibilités.
«Pendant longtemps, beaucoup des dispositions dans les accords commerciaux et d’investissement étaient inactives, alors les premières grandes affaires de l’ALENA étaient une surprise complète, car on y voyait des pays développés tel que le Canada et les Etats Unis se faire poursuivre », dit Bernasconi-Osterwalder. Après 2000, note-elle, de plus en plus d’affaires furent jugées. « Les cabinets d’avocats et investisseurs connaissaient désormais le processus et commencèrent à extraire des dispositions ambiguës rarement utilisées, voir inconnues, des traités ».
Indépendamment des supposées protections environnementales instaurées par les accords parallèles de l’ALENA, il se trouve que les opposants du traité avaient majoritairement raison. Selon les experts, une fois que les boites et cabinets avaient goûté aux généreuses sommes que l’on pouvait obtenir des investissements échoués, les affaires de différends commencèrent à être vues comme des sources d’argent facile. Et l’allure de la récompense était si forte qu’il devint économique de contester les normes environnementales, même des pays les plus riches.
La Belle au bois dormant était bien éveillée, avec un grand nombre de nouveaux super pouvoirs, sans compter une légion de nouveaux alliés et adhérents. Les mécanismes de règlement de différends si minutieusement créés après la Seconde Guerre Mondiale étaient devenus une machine juridique capable de faire basculer des lois environnementales et miner le monde naturel pour obtenir des bénéfices sans frontières. Avec environ 3000 traités et accords commerciaux incluant des dispositions ISDS, il y avait un nombre pratiquement infini de nouvelle façons et directions pour conduire cette machine dans le 21ème siècle.
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Dans la deuxième partie de cette série, nous parlerons de la tempête de différends d’investissement entrainée par l’ALENA, en nous concentrant sur les cas ayant le plus d’influence sur l’environnement. Ces différends s’étendent a travers l’Amérique du Nord, du Sud, et Centrale, et dressent même les voisins européens les uns contre les autres.