- Un décret du gouvernement du Monténégro signé en 2019 expose ses projets de conversion des alpages de Sinjajevina, situés dans le Nord du pays, en terrain d’entrainement militaire.
- Or ces pâturages représentent le gagne-pain des éleveurs locaux depuis des siècles et, selon les scientifiques, leurs pratiques de la gestion durable des pâturages assurent le maintien de la biodiversité dans la région. Aujourd’hui, les militants craignent que les projets de militarisation de la zone n’entrainent une perte des moyens de subsistance de la communauté locale, de la biodiversité et des services écosystémiques vitaux offerts par le massif.
- Une nouvelle coalition gouverne désormais le Monténégro ; cette dernière a promis de réexaminer le projet de militarisation à Sinjajevina.
- Mais la politique du pays et l’évolution de sa position au sein de l’Europe incitent les militants à se mobiliser pour réclamer la désignation officielle d’un parc qui protégerait à la fois les éleveurs locaux et le massif.
La famille de Mileva « Gara » Jovanović fait paître ses bovins sur les hauts plateaux de Sinjajevina depuis plus de 140 ans. Les alpages de Sinjajevina-Durmitor sont les plus grands de la péninsule balkanique du côté européen. Le lait, le fromage et la viande provenant du bétail de ces pâturages lui permettent non seulement de nourrir sa famille, mais ils lui assurent aussi une source de revenus permanente ; c’est grâce à eux, qu’elle a pu inscrire cinq de ses six enfants à l’université.
« Ces pâturages nous font vivre », déclare Gara, une porte-parole élue pour représenter les huit groupes tribaux qui se partagent l’alpage.
Mais selon Gara, cet alpage – « la Montagne », comme elle l’appelle – est sérieusement menacé, et avec lui, c’est tout le mode de vie des tribus qui se trouve en danger. Il y a deux ans, l’armée monténégrine a décidé de mettre en œuvre ses projets et de convertir ces pâturages en terrain d’entrainement militaire avec manœuvres et exercices d’artillerie.
Issue d’une famille d’éleveurs, Gara n’est pas étrangère aux nombreuses difficultés de la vie. Mais elle nous confie que lorsqu’elle a entendu parler des projets militaires pour la première fois, elle en a pleuré. « Cela va détruire la Montagne ; c’est juste impossible d’avoir le polygone militaire et le bétail au même endroit », a-t-elle expliqué à Mongabay.
Les anthropologues indiquent que les populations pastorales font paître leurs animaux dans les prairies de Sinjajevina depuis près de 3 000 ans. Aujourd’hui, Gara craint que la militarisation du terrain ne vienne perturber à jamais l’équilibre naturel maintenu avec le plus grand soin par 250 familles locales.
Les tribus font toutes partie du même groupe ethnique et se concertent régulièrement sur la gestion des pâturages. Grâce à leurs efforts de conservation, le massif se tapisse d’herbes vertes à chaque printemps pour nourrir leurs bovins, leurs moutons et leurs chevaux, en même temps que la fonte des neiges approvisionne le pays en eau et supporte sa population. C’est cette symbiose, ce partenariat de longue durée entre l’homme et la nature qui est le fruit de cette biodiversité exceptionnelle.
« La conservation du massif de Sinjajevina a été rendue possible grâce au maintien d’une diversité dans la gestion des pâturages et dans les pratiques agricoles, et ça, c’est extrêmement important », rapporte Pablo Dominguez, anthropologue environnemental au CNRS de Toulouse.
La bataille pour l’avenir de Sinjajevina – que ce massif reste l’un des rares exemples au monde d’une symbiose homme-nature ou qu’il devienne le terrain d’essai de troupes armées et d’exercice d’artilleries – n’est pas uniquement celle de Gara, des huit tribus, et du gouvernement d’une petite nation des Balkans ; il est probable qu’elle occupe aussi une place significative dans la géopolitique de l’OTAN et de l’Union européenne.
Pour beaucoup, y compris Gara, ces deux options sont incompatibles et c’est ce qui a conduit à une occupation du camp de 51 jours à la fin de l’année 2020. À l’automne, près de 150 fermiers et militants déterminés à bloquer le déploiement du projet militaire avaient campé à Sinjajevina.
Et leur mobilisation a porté ses fruits, du moins pour le moment – leur mouvement de protestation ayant coïncidé avec un nouveau tournant politique dans le pays. Aujourd’hui l’enjeu des défenseurs de l’environnement comme Gara et Dominguez est de transformer ce triomphe éphémère en mesures de protection permanentes pour Sinjajevina et ses habitants.