Près du parc national de Befotaka-Midongy, l’une des plus grandes forêts sempervirentes de l’ile, plus de 1 000 feux ont été signalés cette année. Et rien que le mois dernier, les données officielles en ont confirmé 500.

De nombreux experts avaient prédit une saison des feux dévastatrice en 2020 pour Madagascar, avec une économie et une population fortement impactées par la pandémie de Covid-19 et un pays s’enfonçant dans la pauvreté. En dépit de ses richesses naturelles, trois malgaches sur quatre vivent avec moins de 2 USD par jour.

Les restrictions imposées par la pandémie ont mis un frein à la migration de la population vers les grandes villes, obligeant les habitants à tenter de survivre avec les ressources disponibles. Les conditions de sécheresse extrêmes du sud n’ont fait qu’accroitre la misère, laissant 1,5 million de personnes, dont 100 000 enfants, avec très peu à manger, les forçant à se nourrir de cendre et d’argile pour survivre.

La sécheresse et les mauvaises récoltes ont également rendu les communautés locales plus dépendantes des forêts.

Les données satellites analysées par Greenpeace et GFW indiquent cette année pour les mois d’octobre et novembre un nombre anormalement élevé de points de feux. La saison des feux commence généralement en juin, pour s’intensifier en juillet et en août, avant de diminuer progressivement en novembre, avec le début de la saison des pluies.

Le défrichement des terres pour la mise en cultures est l’une des causes principales de la déforestation à travers le pays. Toutefois, il pourrait bien y avoir d’autres facteurs en jeu cette année.

« C’est toute l’ile de Madagascar qui est en train de brûler, et ce n’est pas uniquement dû à la culture sur brûlis », fait remarquer Jonah Ratsimbazafy, un environnementaliste malgache récemment nommé directeur de la Société internationale de primatologie. « Je suis allé à Manombo, et j’ai vu que les gens étaient en colère envers le gouvernement et sa mauvaise gestion. Quand les gens ne sont pas contents, ils brûlent les forêts. »

Les feux de forêts ne sont pas uniquement un moyen pour les agriculteurs et les éleveurs de créer et de préparer des terres pour leurs cultures et le pâturage, mais c’est également un moyen déjà ancien de résistance à l’emprise du gouvernement sur les ressources naturelles, et en particulier sur les forêts. Au fil des années, les gouvernements se sont efforcés de trouver un juste milieu entre la répression des déclencheurs d’incendies et la protection des moyens de subsistance pour la population.

Ratsimbazafy est à la tête du Groupe d’étude et de recherche sur les primates de Madagascar (GERP), une ONG qui soutient les communautés dans la gestion de la forêt classée de Manombo adjacente à la réserve spéciale, là où la communauté est autorisée à utiliser les ressources de la forêt.

Huit espèces de lémuriens vivent dans cette région, dont trois sérieusement menacées d’extinction. Les 52 espèces d’escargots sont presque toutes endémiques de Madagascar et adaptées à l’environnement des forêts tropicales.

« Ces animaux à corps mou doivent absolument se préserver de la déshydratation », souligne Slapcinsky, l’expert en mollusques. « S’ils sont endémiques des forêts humides, c’est parce qu’ils ne sont pas capables de s’adapter aux zones de savanes, à l’extérieur des forêts. En supprimant les forêts, vous leur ôtez la capacité de rester en vie. »

La forêt tropicale de basse altitude et les marais de Manombo, qui s’étendent sur 5 000 hectares, abritent d’autres espèces en dehors des lémuriens et des escargots ; la réserve compte 58 espèces d’oiseaux et une multitude de plantes uniques à Madagascar. La conversion des forêts en rizières et les feux l’ont dévastée au fil des années.

Un grand chirogale (Cheirogaleus major). Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

La réserve est gérée par l’association des parcs nationaux de Madagascar (PNM), une agence quasi gouvernementale essentiellement financée par des donateurs étrangers, mais supervisée par le ministère de l’Environnement. Quarante-trois aires protégées (AP) ont été placées sous sa tutelle, dont les parcs nationaux et les réserves spéciales. « Dans les forêts classées où nous travaillons, nous servons notre communauté. Mais au sein du PNM, ils ne font qu’appliquer les règles sans même essayer de communiquer avec la population, alors ça, ça rend les gens fous », rapporte Ratsimbazafy.

D’une taille plus importante, le parc national de Befotaka-Midongy, également géré par le PNM, s’étend sur 205 984 hectares de forêts humides de basse à moyenne altitude. C’est un paradis pour les oiseaux ; il abrite plus de 65 espèces d’oiseaux différentes. Ses forêts regorgent également de bois précieux. On y dénombre cinq variétés de palissandres et trois espèces d’ébènes.

Au milieu des incendies ravageant la région, un débat enflammé a émergé en ligne, avec, du côté des militants, Hortençia tirant le signal d’alarme et accusant le ministère de l’Environnement. Les commentaires d’Hortençia sur Facebook, sous le pseudo Randrianasolo Yoann Stivel, ont attisé la colère de la ministre Baomiavotse Vahinala Raharinirina, qui s’est défendue sur la plateforme et s’est expliquée auprès de Mongabay.

« Les feux sont moins nombreux qu’en 2019 ou qu’en 2018. Les gens pensent qu’il y en a plus que les années précédentes, parce que depuis février nous avons rendu la situation sur les incendies publique, et nous communiquons des informations au quotidien », explique Raharinirina dans un e-mail adressé à Mongabay. « Aucun autre ministre ne l’a fait auparavant. « Le but est d’informer, de sensibiliser et d’appeler à l’action », renchérit-elle.

Cependant, les données du NPM sur les 36 aires protégées indiquent que le nombre de feux signalés cette année est plus important que l’an dernier, moindre qu’en 2018, toutefois. Le ministère publiera des données exhaustives relatives à chacune des zones protégées d’ici la fin de l’année.

Le gouvernement encourage une politique de « zéro tolérance » envers les bûcherons illégaux et ceux qui déclenchent des incendies pour défricher des terres. Certains affirment déjà que la politique a échoué, constatant que les responsables des départs de feux ne sont pas punis et que les autorités régionales placées sous l’autorité du MEDD réagissent trop lentement aux départs de feux.

La ministre maintient que la faute est partagée.

« J’en ai un peu assez des critiques au sujet du MEDD. Où sont les organisations de la société civile censées se battre à nos côtés ? En particulier, celles qui ont bénéficié de tant d’aides de financement au nom de la conservation de Madagascar ? ». Raharinirina a publié un commentaire sur Facebook en réponse au message d’un utilisateur sur la gestion des incendies.

Cela a donné lieu à une nouvelle bataille entre la ministre et les dirigeants des aires protégées. La ministre a déjà entamé un réexamen de la gestion de ces zones et réclame une conservation plus axée sur la communauté. Ses critiques sur les ONG, qui sont les gestionnaires désignés de la plupart des aires protégées du pays, en ont laissé certains amers.

« Elle blâme les ONG qui reçoivent des fonds pour la conservation, elle dit qu’elles devraient être tenues responsables. Elle dit que le ministère ne reçoit pas cet argent, alors que ce n’est pas de son ressort », a rapporté Ratsimbazafy, avant d’ajouter : « Mais la ministre, c’est vous ; alors c’est à vous de faire quelque chose pour arrêter cela, plutôt que de continuer de vous plaindre ».

Un propithèque à diadème (Propithecus diadema). Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

En même temps, il a admis que le climat politique du pays n’encourageait pas la mise en place de mesures de répression sérieuses contre les responsables des départs de feux. « Certains des parlementaires incitent même la population à le faire », déclare-t-il, faisant référence aux feux de forêts. « C’est commun pour les parlementaires de dire au ministère de ne pas appliquer les lois. Ils veulent que les gens votent pour eux. »

La polémique a ressurgi dans la course à un remaniement ministériel attendu en janvier. Le gouvernement du président Andry Rajoelina, qui est arrivé au pouvoir en janvier 2019, a adopté une procédure d’évaluation annuelle des ministres, lui permettant de les remplacer si besoin. Raharinirina a pris en charge le ministère de l’Environnement seulement en février dernier, après la destitution de son prédécesseur, un politicien du Parti vert d’Hortençia.

Dans sa réponse à Mongabay, Raharinirina a souligné ses tentatives de mise en place de changements sur le long-terme, comme l’abandon du charbon de bois au profit du gaz pour l’usage domestique. « À Madagascar, nous consommons 450 000 tonnes de charbon de bois contre 15 000 tonnes de gaz. Et il faut compter 100 kg de bois/d’arbres pour produire 10 kg de charbon de bois », rapporte-t-elle. « C’est un vrai désastre et cela explique l’augmentation de la déforestation ces 30 dernières années dans notre pays. »

Les possibilités de sauver les précieuses forêts de Madagascar s’amenuisent à grande vitesse. En dépit des fluctuations annuelles du nombre de feux, la tendance générale reste alarmante. Depuis le début du siècle, le pays a perdu près d’un quart de son couvert végétal. À ce rythme, l’ile Rouge n’aura pratiquement plus de zones vertes à protéger à la fin du 21e siècle.

Image de bannière : Une aire forestière en feu dans la forêt de Kirindy, sur la côte ouest de Madagascar en 2019. Photo de Rhett A. Butler/Mongabay.

Malavika Vyawahare est rédactrice pour Mongabay. Retrouvez-la sur Twitter :@MalavikaVy

 
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/12/as-minister-and-activists-trade-barbs-madagascars-forests-burn/

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