- L'UICN a récemment publié son nouveau plan d'action sur 10 ans pour la protection du chimpanzé d'Afrique de l'Ouest.
- Le braconnage, la perte d'habitat et les maladies sont les principales menaces auxquelles l'espèce fait face.
- Ces menaces s'avèrent être exacerbées par l'importante croissance démographique de la population d'Afrique de l'Ouest qui entraîne une expansion rapide de l'agriculture et de la demande pour des projets de développement économique.
- Le plan de l'UICN définit neufs stratégies à mettre en œuvre entre 2020 et 2030. Parmi celles-ci, rattraper le retard dans la recherche, s'assurer de la prise en compte des chimpanzés dans l’aménagement du territoire, améliorer la protection au niveau légal et sensibiliser le public sur le sort des chimpanzés.
Les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest sont l’espèce la plus menacée des quatre sous-espèces connues de chimpanzés. Les spécialistes estiment que la population de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodytes versus) a baissé de 80 % entre 1990 et 2014. De vastes zones de leur habitat ont déjà disparu et une grande partie du territoire restant est dans la ligne de mire de projets de développement agricoles, industriels et d’infrastructures.
Outre cette pression, leur habitat d’Afrique de l’Ouest est l’endroit du continent où la population humaine connaît la plus forte croissance démographique dans le monde. Sans une action immédiate, l’UICN a émis la possibilité de l’extinction de l’espèce.
L’UICN a récemment publié son plan d’action sur 10 ans, mettant en œuvre neuf stratégies essentielles pour la protection des chimpanzés. Au programme figurent une meilleure protection juridique, la sensibilisation du public et plus de recherches sur leur répartition, leur génétique et leur comportement. Le programme met également en exergue le besoin de prendre en compte les chimpanzés à tous les niveaux de la gestion territoriale si on veut qu’ils aient une chance de survivre au développement rapide de la région ouest-africaine.
« Le chimpanzé d’Afrique de l’Ouest a désespérément besoin d’une action de conservation coordonnée et efficace immédiatement, » a déclaré Erin Wessling, chercheur en biologie humaine et évolutionnaire à Harvard et rédactrice du plan de l’UICN.
La répartition du chimpanzé d’Afrique de l’Ouest s’étend sur huit pays : Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Sénégal et Sierra Leone. L’espèce a déjà disparu au Bénin, au Burkina Faso et au Togo.
Une question d’espace
Les difficultés particulières rencontrées par les chimpanzés difèrent selon leur localisation, mais l’UICN a identifié les principales menaces communes sur l’ensemble de la région: le braconnage, la perte d’habitat et les maladies.
Selon les données démographiques de l’ONU, près de la moitié des 367 millions d’habitants de l’Afrique de l’Ouest avaient 15 ans ou moins en 2015, ce qui laisse à penser que la rapide croissance démographique actuelle va continuer dans les années à venir. La production agricole en Afrique de l’Ouest a augmenté encore plus rapidement que la population sur les 30 dernières années, ce qui a permis de réduire considérablement la sous-alimentation dans la région.
Bien que vitale pour la sécurité alimentaire de l’Afrique de l’Ouest, cette expansion subite de l’agriculture a eu des conséquences malheureuses pour les chimpanzés. Une grande partie de leur habitat a été sacrifiée à l’agriculture de subsistance et industrielle et le reste est désormais de plus en plus fragmenté.
En Côte d’Ivoire, autrefois refuge de l’une des plus importantes populations de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, la vaste expansion de l’agriculture pour laisser place à des plantations de café, cacao et palmiers à huile a entraîné une chute des effectifs de 70 %. Les chercheurs pensent maintenant que seules quelques centaines d’individus demeurent dans deux des parcs nationaux du pays.
De vastes étendues de l’habitat des chimpanzés en Afrique de l’Ouest (jusqu’à 80 % au Libéria) sont aussi adaptées à la production d’huile de palme, une culture d’exportation lucrative. Si personne ne prend la défense des chimpanzés dans le processus de gestion du territoire, les spécialistes craignent que l’attrait des devises étrangères ne prévale sur la protection des animaux.
Tout comme l’agriculture, l’exploitation minière artisanale ou industrielle, l’exploitation forestière, les nouvelles routes et les projets de développement ont tous un impact sur l’habitat du chimpanzé. Selon une étude sur la répartition géographique du chimpanzé d’Afrique de l’ouest, 10 % des chimpanzés vivent dans un rayon de 25 kilomètres des quatre corridors de développement majeurs de l’ouest africain.
Selon Stefanie Heinicke, chercheur à l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, « avec le changement à grande échelle qui s’opère en Afrique de l’ouest dans la gestion territoriale, ce plan d’action insiste sur le besoin d’un aménagement du territoire intégré impliquant des spécialistes des chimpanzés ».
Aujourd’hui, les chimpanzés sont parfois considérés dans les évaluations d’impact environnemental pour les projets individuels dans la région. Cependant, le plan de l’UICN soutient que si l’impact cumulatif de plusieurs projets n’est pas pris en compte, les conséquences du développement sur les chimpanzés ne seront pas totalement visibles.
Selon le plan d’action qui a été développé après un atelier de quatre jours à Monrovia incluant des représentants des gouvernements des huit pays concernés ainsi que des ONG et des chercheurs, les spécialistes des chimpanzés doivent avoir leur mot à dire dans l’aménagement du territoire.
Les auteurs souhaitent qu’une évaluation environnementale soit menée au niveau national et sur tous les pays de la zone pour estimer l’impact du développement et du changement de destination des terres sur les populations de chimpanzés et pour identifier les zones importantes à protéger absolument. Le plan de l’UICN met aussi en exergue l’importance qu’il y a à s’assurer que les responsables de l’aménagement du territoire soient informés de manière exacte de l’impact potentiel des programmes de développement sur les populations de chimpanzés. En dernier ressort, l’UICN suggère d’établir des programmes de compensation pour contrebalancer l’impact des projets de développement sur les chimpanzés.
Cernés par le danger
Outre la fragmentation de leur habitat, les projets d’infrastructures comme les routes rendent également les chimpanzés plus accessibles aux braconniers : 60 % des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest vivent déjà dans un rayon de 5 km d’une route. La consommation de viande de brousse est le principal facteur de disparition des chimpanzés en Afrique de l’Ouest, les spécialistes ayant délà documenté la présence de viande de chimpanzé sur les marchés de viande de brousse, urbains et ruraux. Les chimpanzés sont également tués pour l’utilisation de parties de leur corps et à la suite de conflits entre les hommes et les animaux, ils sont aussi capturés pour être vendus sur le marché des animaux de compagnie exotiques.
L’étude de Stefanie Heinicke a calculé que 83 % des 52 800 chimpanzés restants vivent en dehors des zones protégées, ce qui les rend particulièrement vulnérables.
« Avec moins de 20 % des chimpanzés dans les zones protégées, le renforcement et l’extension de ces zones est une stratégie essentielle de ce nouveau plan d’action, » explique-t-elle.
Et même vivre dans une zone protégée n’est pas une garantie de sécurité. Une étude menée sur les chasseurs autour du parc national de Sapo au Libéria fait état de 74 chimpanzés tués et de huit petits capturés vivants en deux mois.
Pour résoudre ce problème, le plan d’action réclame une meilleure protection juridique pour les chimpanzés et une coordination internationale pour améliorer l’application des lois de protection des animaux.
Selon Erin Wessling, « les lois et les zones protégées dédiées à la protection de cette espèce ne sont pas aussi efficaces qu’il faudrait. Pour y parvenir, il faut que des spécialistes de la protection des chimpanzés soient présents à la table des discussions. »
On peut s’attendre à d’autres conséquences de la proximité croissante entre les chimpanzés et les hommes.
« Une superposition plus importante des espaces de vie peut augmenter le risque de transmission des maladies entre les êtres humains et les chimpanzés, sans parler des risques de conflits, » explique Stefanie Heinicke.
En raison de nombreuses similarités physiologiques, les chimpanzés sont susceptibles de contracter un certain nombre de maladies humaines et vice versa. Il est reconnu que les chimpanzés ont déjà contracté des maladies respiratoires humaines, y compris un type de coronavirus qui peut s’avérer fatal. Une autre maladie particulièrement préoccupante en Afrique de l’Ouest est Ebola. Bien qu’il n’y ait pas de preuve que les chimpanzés aient été affectés par l’épidémie la plus grave entre 2014 et 2016, les populations de gorilles et de chimpanzés ont été sévèrement touchées par le passé.
Le plan d’action demande un suivi et une analyse de risque pour comprendre et atténuer les risques de transmission des maladies entre les humains et les chimpanzés, une question récemment devenue prioritaire dans le contexte de l’épidémie actuelle de COVID-19.
Un autre point essentiel du plan est le besoin de rattraper le retard pris dans la recherche scientifique sur la répartition géographique, le comportement et la diversité génétique des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, un domaine également désigné dans le plan d’action précédent.
« Depuis le dernier plan d’action […] de nombreuses régions d’Afrique de l’Ouest ont été étudiées, » explique Stefani Heinicke. « Cependant, il existe encore de nombreuses inconnues, particulièrement en ce qui concerne la densité des populations et leur répartition. »
Les autres points stratégiques du plan d’action insistent sur une sensibilisation accrue à la précarité de la situation des chimpanzés au niveau local et international, et sur le besoin d’un financement à long terme pour la protection de l’espèce.
En raison de l’augmentation des conflits d’accès à l’habitat des chimpanzés et de la proximité toujours plus grande de la population croissante de la région, l’avenir du chimpanzé est très incertain. Erin Wessling et Stefanie Heinicke espèrent que les neuf stratégies établies par le plan d’action de l’UICN apporteront une lueur d’espoir pour les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest.
« Il est urgent de faire des efforts organisés pour donner une chance à cette espèce, » déclare Erin Wessling. « Les conséquences de notre inefficacité seraient terribles. »
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/07/10-year-plan-hopes-to-give-western-chimpanzees-a-fighting-chance/