- Le loris lent comprend toutes les espèces du genre Nycticebus, qui couvrent depuis le nord-est de l’Inde jusqu’à l’Asie du Sud-Est, l’Indonésie et les Philippines. Il reste encore beaucoup à découvrir sur l’espèce, y compris le nombre d’animaux encore à l’état sauvage. Même le nombre de sous-espèces est incertain (l’UICN a augmenté le nombre de 8 à 9 cet automne).
- Ces primates nocturnes sont extrêmement menacés par le trafic animal. Les loris sont chassés pour être revendus comme animaux de compagnie, pour la médecine traditionnelle, et pour être pris en photo avec les touristes. La perte d’habitat est une autre cause importante de leur déclin, bien que les loris aient prouvé leur capacité d’adaptation. Ils aiment vivre en lisière de forêt et peuvent donc vivre près des humains si on les laisse en paix.
- La particularité du loris est d’être un mammifère qui sécrète du venin, sa morsure est toxique et peut être dangereuse pour les humains. Pour cette raison, les trafiquants arrachent les dents de l’animal lors de sa capture, sans aucune anesthésie ni antibiotique. De nombreux animaux capturés pour être vendus comme animaux de compagnie meurent ainsi pendant leur transport.
- Le Dr Anna Nekaris et le Little Fireface Project à Java en Indonésie sont à la pointe de la protection et de la recherche, insuffisamment financée, sur le loris lent. Des refuges ont vu le jour à travers l’Asie pour le protéger. L’éducation est essentielle : le Dr Nekaris suggère par exemple de ne pas « aimer » les vidéos devenues virales sur les loris, mais d’y mettre des commentaires sur la protection de l’animal.
Si vous avez entendu parler du loris lent, c’est probablement pour de mauvaises raisons. Les gens s’attendrissent sur des vidéos devenues virales de loris qu’on chatouille ou qui mangent des boules de riz mais l’histoire en toile de fond de ces images des médias sociaux est loin d’être attendrissante.
On arrache les dents des loris lents capturés pour le trafic d’animaux, afin de les empêcher de mordre, une opération effectuée avec des outils sommaires et sans aucune mesure contre la douleur ou l’infection. Les loris capturés sont généralement tenus éveillés pendant la journée, ce qui stresse ces petits primates nocturnes et endommage leurs grands yeux si « mignons ». Et la plupart des comportements qui semblent si adorables sont une manifestation de détresse : quand un loris essaie d’attraper une petite ombrelle, c’est parce que cette créature arboricole recherche désespérément une branche d’arbre pour s’y accrocher. (Cette seule vidéo a été visionnée plus de 6,8 millions de fois sur youtube.)
En fin de compte, le loris fait un piètre animal de compagnie : si les animaux ne périssent pas lors du trafic, ils meurent en captivité de malnutrition, de manque de soins appropriés ou d’infection.
Bien qu’on ne connaisse pas le nombre de loris à l’état sauvage, toutes les espèces font l’objet d’un ensemble de menaces. Outre le trafic d’animaux, ils sont souvent chassés pour la médecine traditionnelle. Ils subissent une perte d’habitat dans certaines parties de l’Asie, à mesure que les forêts sont détruites pour le développement de fermes, de routes ou d’habitations. Pour l’une des espèces, le loris lent de Java, il reste moins de 20 pour cent de leur habitat, qui se trouve de plus très fragmenté.
Heureusement pour le loris, il a des défenseurs passionnés : Anna Nekaris et ses associés du Little Fireface Project à Java en Indonésie. Le nom anglais de l’organisation est la traduction du nom sundanais du loris : « muka geni », qui désigne le masque de l’animal, qui ressemble à des larmes en forme de flammes autour des yeux.
Grâce à des outils allant de la recherche scientifique de base aux médias sociaux, l’équipe du Little Fireface Project incite le public à la protection du loris, depuis le village où est basée l’organisation, et par extension jusque dans le reste du monde.
Qu’est-ce qu’un loris lent ?
Le loris lent regroupe toutes les espèces du genre Nycticebus, qui s’étend du nord-est de l’Inde jusqu’en Asie du sud-est, en Indonésie et aux Philippines. Il possède nombre de caractéristiques susceptibles de fasciner les humains, mais il a un trait quasiment unique que beaucoup trouvent très cool : la morsure du loris est venimeuse, et il est l’un des très rares mammifères venimeux.
Les principaux ennemis contre lesquels le loris utilise ce moyen de défense sont les autres loris (les mâles sont très exclusifs quant à leur territoire), mais la morsure peut également être dangereuse pour l’homme.
La toxine est similaire à l’allergène qui cause des réactions chez les personnes allergiques aux chats, et Anna Nekaris connait des personnes qui ont failli mourir d’un choc anaphylactique suite à une morsure de loris. Elle a même écrit un article avec l’une des victimes.
Le venin en lui-même est inhabituel. Le loris a une glande sur son bras qu’il lèche pour stimuler le processus de défense, mais les sécrétions des glandes ne sont pas dangereuses par elles-mêmes. C’est seulement quand l’huile glandulaire est activée par la salive que la combinaison des deux devient toxique. Anna Nekaris, qui est sur le point de publier un article sur ce processus, remarque que « le procédé d’élaboration du venin est [encore] plus complexe que nous le pensions ».
Le mystère de la morsure toxique du loris n’est que l’une des énigmes qui entourent l’animal. Certaines questions très basiques restent sans réponse, comme par exemple le nombre d’espèces existantes. Quand le statut du loris sera mis à jour, la liste rouge de l’UICN reconnaitra neuf espèces, toutes en danger ou en danger critique, au lieu des huit précédemment connues.
Mais Anna Nekaris, qui a travaillé avec l’équipe à l’origine de cette mise à jour, pense que ce chiffre ne peut pas être définitif. Elle note par exemple que l’espèce actuellement connue comme le loris lent du Bengale couvre un territoire immense qui va de l’Inde jusqu’en Chine. En comparant la situation à celle d’autres primates, elle remarque que pour les gibbons et les langurs, cette vaste zone regroupe plusieurs douzaines d’espèces de chaque animal. En outre, le loris lent du Bengale est supposé avoir un nombre de caractéristiques remarquables : « nous avons une espèce de loris dont le poids varie de 2,4 kilos à 600 grammes, dont la couleur va du blanc pur au roux vif. Et il s’agirait d’une seule espèce ! » Il est évident, conclut-elle, que beaucoup reste à découvrir sur ces créatures peu étudiées.
Différencier les dénominations et variétés des différentes espèces et sous-espèces peut paraître une tâche fastidieuse et d’un intérêt purement académique, mais ces distinctions sont essentielles aux stratégies de conservation. Voyez par exemple comment l’espèce invasive de l’écureuil gris (Sciurus carolinensis) est en train de faire disparaître l’écureuil roux de son habitat. Si vous considérez les deux espèces comme une seule, le problème de l’espèce en danger est occulté.
Le même genre de problème pourrait se présenter si des chercheurs bien intentionnés classaient des loris d’espèces proches de manière erronée, regroupant ainsi des espèces ou sous-espèces différentes. Anna Nekaris affirme que de telles erreurs sont actuellement commises, parfois même dans le cas ou des différences entre espèces sont déjà connues. Il est donc d’autant plus important de spécifier les caractéristiques de chaque espèce et leurs lieux de vies.
Quand les loris sont confrontés aux hommes
Le loris lent privilégie un habitat situé en lisière de forêt. C’est là en effet que la lumière du soleil crée les entrelacs de branches et de lianes qui lui sont nécessaires pour grimper méthodiquement en s’accrochant de branche en branche.
Contrairement à de nombreux autres primates, ils ne peuvent pas sauter d’arbre en arbre. Ce qui explique certainement leur surnom de « lent », ainsi que la lenteur de leur métabolisme de base, comparable à celui des paresseux, qui se situe à environ 40 % de celui des autres mammifères placentaires.
La préférence des loris pour la lisière des forêts signifie que les humains créent souvent par inadvertance un habitat favorable au loris lent en abattant des arbres et en en plantant, créant ainsi des parcelles boisées, des plantations d’arbres, des parcelles cultivées et autres milieux en bordure de forêt.
Les loris lents prospèrent ainsi de manière florissante sur le site de recherche du Little Fireface Project, dans le village de Cipaganti, à l’ouest de Java, où les fermiers cultivent une variété d’acacia (Acacia decurrens) appelée localement Jiengjen. Elle fournit une sève dont raffolent les loris. Outre cette sève, les animaux consomment aussi les fruits, le nectar, des insectes, les œufs et de petits animaux.
Mais l’attirance du loris pour les lisières créées par les hommes est à double tranchant. En effet, s’ils sont attirés par un habitat et une nourriture qu’ils affectionnent, les lisières des forêts en Asie ne sont généralement pas protégées, exposant ainsi les animaux qui y vivent au risque de la proximité avec les habitants.
« Ils peuvent survivre ici, mais ils sont à la merci des humains, » déclare le Dr Nekaris. « Si les hommes abattaient tous ces arbres, demain les loris seraient partis. » Et il se trouve que les fermiers abattent actuellement des arbres afin d’obtenir plus de terres pour nourrir une population en pleine expansion dans les régions où vit le loris.
Si l’on veut protéger ces animaux, les fermiers doivent être convaincus de leur utilité, et c’est sur ce point que l’équipe d’Anna Nekaris concentre une grande partie de ses recherches. Un membre de l’équipe observe les loris afin de documenter leur appétit pour les insectes et leur valeur en tant que destructeurs d’insectes nuisibles. Une importante découverte a récemment démontré que ces animaux sont d’excellents pollinisateurs. Le loris a une langue très longue comparée aux autres primates, et peut donc recueillir le nectar d’une fleur sans la détruire. Tandis qu’il lèche le nectar, le loris récolte du pollen sur tout son visage, qu’il transporte avec lui en passant à la fleur suivante.
Kathleen Reinhardt, membre de l’équipe, travaille actuellement sur les caractéristiques des conséquences écologiques de la pollinisation par le loris, une question aux implications scientifiques considérables. « Il existe déjà une théorie selon laquelle les premiers primates ont évolué parallèlement aux angiospermes, » dit-elle. « Nous pouvons voir si leur comportement correspond à cette théorie. » C’est aussi un renseignement important à partager avec les fermiers, car ce sont eux qui plantent les arbres sur lesquels portent ces recherches. Si le loris aide à faire prospérer les arbres et autres plantes utiles aux fermiers, cette découverte pourrait soutenir l’effort de conservation.
Le Little Fireface Project travaille également à la prise de conscience de la jeune génération. « Les enfants sont très vigilants les uns envers les autres, » affirme le Dr Nekaris. « Ils aiment les animaux, et si quelqu’un en attrape un, ils veulent le voir. » L’équipe a donc développé un livret éducatif qui explique aux enfants pourquoi il ne faut pas chasser les loris lents, et qui insiste sur l’importance de les protéger.
Le partage de ces connaissances fait une réelle différence : « Nous avons découvert que lorsque les gens savent que ces animaux vivent près de chez eux, et qu’ils commencent à s’y attacher, ils se chargent eux-mêmes de la surveillance et ne veulent pas qu’on chasse leurs loris lents, » a déclaré le Dr Nekaris à Mongabay. « Nous constatons que dans les zones où nous faisons cet effort d’éducation et de responsabilisation, les gens ne chassent plus [les loris], et quelques kilomètres plus loin, là où nous ne l’avons pas fait, ils les chassent encore. »
Recherche et sauvetage
Le mode de vie du loris (il se déplace lentement et est facile à capturer) ainsi que son apparence et son comportement (que les propriétaires d’animaux domestiques trouvent adorables) ont rendu cette espèce très populaire auprès des trafiquants d’animaux sauvages qui les capturent pour le commerce d’animaux domestiques.
Selon le Dr Chris Shepherd, directeur régional de l’ONG TRAFFIC en Asie du Sud-Est, la loi protège les loris lents contre la chasse, la capture, la possession et le commerce dans la plupart des pays de la zone, et toutes les espèces de loris lents figurent dans l’annexe I de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), le commerce international en est donc illégal.
Mais les lois ne sont utiles que si elles sont appliquées, et c’est là le problème. « En Indonésie, les loris sont souvent vendus ouvertement sur des marchés aux oiseaux, comme le célèbre marché de Jati Negara, » déclare le Dr Shepherd. « Le fait que les marchands exposent ouvertement ces animaux sauvages avec d’autres espèces protégées démontre leur mépris de la loi. C’est aussi un indicateur du faible effort d’application de ces lois. »
Le même problème se pose au Vietnam, selon Tilo Nadler, de l’Endangered Primate Rescue Center (EPRC) dans le parc national de Cuc Phuong. « Même si les gardes forestiers confisquent un loris, les poursuites sont extrêmement rares, » dit-il. Entre 2008 et 2013, l’EPRC a recueilli 150 loris pygmées et 40 loris lents, et 81 pour cent des cas de délits contre des espèces sauvages impliquant des loris n’ont été suivis d’aucune sanction.
Outre l’EPRC, il existe d’autres centres qui viennent au secours des loris lents et les réintroduisent dans la nature. Parmi eux, l’Endangered Asian Species Trust (EAST), également au Vietnam. Le Dr Shepherd, de TRAFFIC, confirme que l’Indonésie possède également un bon réseau de refuges qui travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement.
Les centres reçoivent les animaux de différentes façons, parmi lesquelles des confiscations par les autorités, et des restitutions par des particuliers qui n’avaient pas réalisé que leur animal de compagnie provenait d’un trafic illégal. Les sauveteurs affirment que le trafic est la plus importante menace qui pèse sur les loris. Selon le Dr Marina Kenyon, directrice du Dao Tien Endangered Primate Species Centre, « ils apprécient l’habitat adjacent [aux communautés humaines] tant qu’on les laisse tranquilles ». Mais en raison de la chasse qui vise à les utiliser comme animaux de compagnie, pour la médecine traditionnelle ou attractions pour les touristes, on ne les laisse pas tranquilles. « Au cours des 18 derniers mois, malgré une prise de conscience grandissante et un effort du gouvernement sur les confiscations, les vannes du trafic se sont ouvertes et nous avons reçu plus de 40 loris pygmées contre 4 à 6 habituellement pour cette période, » déclare-t-elle.
Les recherches de base effectuées sur le loris par le Little Fireface Project sont utiles à ces projets de sauvetage, même éloignés, permettant de garder en vie et en bonne santé les loris confisqués jusqu’à leur retour dans la nature. L’une des importantes découvertes faite par l’équipe concerne la consommation de sève des loris : ils en mangent d’énormes quantités.
En conséquence, tout refuge qui souhaite abriter des loris confisqués et faire ce travail correctement doit avoir les bons arbres disponibles, ou bien il doit pouvoir s’approvisionner régulièrement en sève. Le projet partage activement de telles découvertes avec autant de zoos et de refuges que possible, car les loris en captivité souffrent fréquemment de problèmes de santé liés à un régime inadapté.
Cependant, permettre au loris de recouvrer la santé n’est que la première étape d’un sauvetage réussi. La réintroduction dans la nature implique beaucoup plus qu’ouvrir la porte d’une cage. Il est important de connaitre en détail le comportement et les préférences d’habitat du loris.
Par le passé, quand le Dr Nekaris et son équipe ont observé les loris réintroduits dans la nature, ils se sont aperçus que 90 pour cent ne s’en sortaient pas : en gros, les animaux s’enfuyaient dans la forêt jusqu’à épuisement et mouraient de faim.
« J’en ai donc déduit que l’habitat [dans lequel ils étaient relâchés] n’était pas adapté, et qu’ils s’enfuyaient à la recherche d’un habitat qui leur convienne, » déclare le Dr Nekaris. « Notre étude est la première qui ait jamais été menée sur les loris à l’état sauvage, et tous les deux mois [environ], nous faisons de nouvelles découvertes si considérables qu’elles en changent fondamentalement la manière dont nous faisons une réintroduction. »
Malgré tous les efforts et les recherches des refuges, de nombreux loris confisqués ne peuvent jamais être relâchés dans la nature : avec leurs dents arrachées et leur santé définitivement altérée par la captivité, ils ne peuvent plus survivre par eux-mêmes.
Selon le Dr Shepherd, « pour les loris qui ont été vendus, même s’ils sont saisis, peu s’en sortiront. La solution est de mettre fin au commerce. Saisir les animaux uniquement n’aide pas ou peu pour mettre fin au trafic. Les braconniers, les vendeurs et les acheteurs doivent être poursuivis si nous voulons voir la fin de ce commerce illégal. »
Les efforts internationaux pour sauver le loris
Le commerce international des loris démontre que les initiatives purement locales ne suffiront pas à protéger l’animal. Un programme mené en coordination nationale et internationale est nécessaire.
Dans le cadre de cet effort, le Little Fireface Project a rassemblé des plans d’action nationaux des différents pays ou vit le loris et a partagé ces données. Ils forment également les fonctionnaires du secteur à identifier rapidement un loris quand ils en voient un, de manière à le confisquer et à l’apporter rapidement à un refuge.
Un effort conjoint entre TRAFFIC, l’ONG de surveillance du commerce international d’animaux sauvages, et le projet du Dr Nekaris a permis à celle-ci d’effectuer un voyage au Japon. Là-bas, il est légal de posséder un loris avec le permis approprié, mais une application de la loi trop laxiste a entraîné un important trafic d’animaux entrés en contrebande sur le marché.
Le Dr Nekaris a pu ainsi voir un loris à vendre, avec une étiquette indiquant une espèce erronée mais avec un permis de la CITES pour ladite espèce. Elle a aussi trouvé un animal avec un permis de vente de plusieurs années alors qu’il s’agissait clairement d’un bébé. Cependant elle garde espoir : « le gouvernement [du Japon] veut changer les lois pour que cela n’arrive plus, et c’est un grand pas en avant. »
Une grande partie du travail au niveau international se fait sur internet, où l’information est disséminée afin d’éduquer le public sur la cruauté inhérente au commerce d’animaux, sur les vidéos montrant des loris et sur les risques de garder l’un de ces primates comme animal de compagnie. Ce travail, tout comme l’effort d’éducation des fermiers, fait changer les choses.
Selon le Dr Nekaris, en apprenant à connaitre et à aimer ces animaux, et en apprenant les souffrances qu’ils endurent, l’opinion du public évolue. Le projet a observé et compté les commentaires d’internautes sur une période de trois ans et on a pu constater une évolution : « nous avons vu augmenter très nettement le nombre de gens s’impliquant pour défendre le loris, » dit-elle. Le message « commence à se faire entendre, les voix de ceux qui disent qu’il est cruel et illégal [de posséder un loris] et qu’ils ne devraient pas être utilisés comme animaux de compagnie. »
Au travers de ses différents voyages, elle a remarqué qu’il est maintenant plus difficile de trouver des loris dans les marchés d’animaux sauvages. « Autrefois on pouvait en voir trente ou quarante, maintenant on peut parfois en trouver un, » dit-elle des marchés qu’elle a visités. « Ce qui élimine les achats impulsifs. Car maintenant vous pouvez encore en trouver, mais vous devez passer par tout le circuit d’approvisionnement illégal, vous ne pouvez pas l’acheter ouvertement en pleine rue. »
Elle a pu constater des changements similaires lors de sa visite au Japon : « le vendeur me disait, « si vous voulez cet animal, vous feriez mieux de l’acheter aujourd’hui car nous ne savons pas quand nous en aurons un autre, » alors que quelques années auparavant on pouvait les acheter n’importe où. Pour moi, c’est une évolution énorme. »
Encore beaucoup à faire
Ces signes de progrès sont encourageants, dit le Dr Nekaris, et le projet Little Fireface obtient des résultats considérables avec une équipe de moins de douze personnes. Mais il reste beaucoup à faire pour assurer la survie du loris lent.
L’animal est toujours chassé pour son usage en médecine traditionnelle, et aucun projet ne s’est encore attaqué à ce problème. Selon Anna Nekaris, « il faut un projet sur le terrain, avec un modèle de changement comportemental, en collaboration avec les praticiens de la médecine traditionnelle ».
Les recherches qu’elle a menées au Cambodge ont démontré que les animaux sont utilisés pour l’élaboration de potions favorisant la fécondité et pour traiter les maux d’estomac, les blessures et fractures, et même les maladies sexuellement transmissibles. Détail intéressant, il a été constaté que les principales utilisatrices de ces « remèdes » dérivés du loris sont des femmes des classes moyennes et supérieures. Selon le Dr Shepherd, ce commerce est pratiqué dans toute cette région du monde, TRAFFIC a ainsi publié des rapports sur le commerce à but médicinal et la chasse pour la viande de brousse au Myanmar.
Comme dans le cas de nombreuses autres espèces asiatiques « presque célèbres », le problème de base reste le manque de moyens disponibles pour la protection du loris lent. Aucune grosse organisation internationale de protection n’envoie de courriers de fin d’année exhortant ses donateurs à « sauver le loris ! »
De fait, le Dr Nekaris a décidé de concentrer son travail sur ces petits primates à cause de sa frustration de les voir relégués dans l’ombre par des animaux plus connus et plus charismatiques comme les orang-outans ou les tigres : « Je disais sans cesse que les loris se faisaient décimer, et on me répondait : « nous nous occupons des espèces importantes. » »
Les refuges font face au même problème. « On m’a dit que les loris n’obtiennent pas de bons résultats en collecte de fonds, [et les refuges] doivent souvent utiliser de l’argent d’autres projets pour financer leurs programmes dédiés aux loris, » déclare le Dr Nekaris. « On les trouve tellement mignons, mais ils ne font pas le poids devant un orang-outan. »
Personne n’a encore trouvé une autre méthode de collecte de fonds que celle des appels lancés par les grandes organisations de conservation pour sauver la mégafaune plus charismatique. Ce qui signifie que de nombreux écosystèmes et des espèces fondamentales en danger (sans parler des plantes menacées) ne reçoivent pas l’aide vitale nécessaire pour leur survie dans la nature.
Malheureusement pour les loris, leur sauvetage peut coûter autant que celui des orang-outans. Le travail de conservation est coûteux : la réintroduction d’un loris dans la nature, avec son entretien et les soins médicaux préalables, un collier radio, plus un an de suivi, peut atteindre 20.000 dollars US.
« Tout le monde voudrait savoir combien de loris vivent encore [dans la nature] et nous n’en savons rien, » regrette le Dr Nekaris, mais elle ajoute qu’une somme de 200.000 dollars pourrait apporter un début de réponse à cette question. Lorsqu’on lui demande si de telles sommes sont attribuées à la recherche sur le loris, elle éclate d’un rire surpris : « sûrement pas ! » Depuis le début du Little Fireface Project en 1993, l’équipe n’a reçu qu’une seule fois une somme aussi importante, et c’était pour une étude sur le venin qui fascine tellement les hommes.
Comment aider le loris lent
Le Dr Nekaris insiste sur le fait qu’il n’est pas nécessaire de donner 200.000 dollars pour aider le loris lent. Ne serait-ce que résister à un clic peut aider : ne cliquez pas « j’aime » et ne partagez pas les vidéos de loris en ligne et, au lieu de ça, commentez ces publications de manière éducative.
« Commentez le vidéo avec un message pour sa protection, » recommande-t-elle. « Efforcez-vous de ne pas être agressif. Celui qui a publié la vidéo n’est peut-être pas informé. Il peut s’agir du propriétaire de l’animal, mais il peut s’agir parfois de quelqu’un qui n’a fait que partager sans rien savoir [des cruautés infligées]. »
Lorsque vous voyagez, propose le Dr Nekaris, ne vous faites pas prendre en photo avec des loris ou d’autres animaux sauvages. Ces loris capturés pour les photos ont des conditions de vie souvent pires que ceux qui sont pris comme animaux de compagnie. « Ils sont capturés, souvent drogués et leurs dents sont arrachées, on les fait travailler douze à vingt heures par jour. Le même animal passe d’un vendeur à l’autre et ne peut pas dormir, on les fait travailler en plein jour, » alors que ce sont des animaux nocturnes, dit-elle. « L’animal est dans un état catastrophique. »
Le Dr Kenyon ajoute que des informations rapportées par des touristes ont parfois mené son équipe à secourir des loris de ces vendeurs de photos, et elle suggère aux voyageurs qui remarquent de telles activités de les signaler aux autorités locales.
En tant que consommateurs, il est aussi important de faire des choix qui ne nuisent pas aux forêts : en n’achetant, par exemple, que des produits contenant de l’huile de palme certifiée durable, recommande le Dr Nekaris. La production d’huile de palme est un problème considérable pour la protection de la forêt en Asie du Sud-Est, et les orang-outans ne sont pas les seuls à souffrir de son expansion rapide et mal régulée. Les loris et d’autres espèces en sont affectés également.
Protéger le loris lent est profitable au reste de la faune sauvage, conclut le Dr Nekaris : « Je vois maintenant le loris comme un modèle pour tous les reptiles, petits mammifères et oiseaux peu connus qui sont constamment relégués dans l’ombre de ces grands animaux charismatiques pour lesquels le public fait davantage preuve d’empathie, » dit-elle. « Ce n’est que récemment que le public a commencé à faire preuve de cette [même] empathie pour les loris lents, et cela a été un tournant considérable dans mes recherches. »