- C’est en 2009 que Herakles Farms s’est vu octroyer 73 000 hectares d’une terre largement forestière dans la partie sud-ouest du pays pour le développement de plantations d’huile de palme. L’allocation a été réduite a moins de 20 000 hectares en 2013 quand il a été découvert que la terre n’avait pas été octroyée correctement.
- Depuis l’apparition de Herakles au Cameroun, elle est au centre d’une controverse avec les activistes locaux et les ONG internationales. Ces dernières prétendent que l’entreprise a acquis et a commencé à exploiter le terrain sans le consentement des communautés qui l’entourent et qui en dépendent.
- Les concessions de Herakles ne sont plus en activité ces dernières années, mais le contrat pour la terre reste cependant valide. L’entreprise a jusqu’à novembre 2016 pour développer ses exploitations.
Voici la troisième partie d’une série en quatre parties centrées sur l’huile de palme au Cameroun. Consultez la première, la deuxième (en anglais), et la quatrième partie (en anglais) pour plus de discussions sur le sujet.
Se rendre à Mundemba au Cameroun depuis l’intersection de l’autoroute à Kumba nécessite de conduire pendant plus de quatre heures sur une route poussiéreuse ou impraticable à cause de la boue, qui passe par des hameaux roussis par le soleil, et par des kilomètres et des kilomètres de plantations d’huile de palme établies depuis des décennies par des entreprises publiques productrices d’huile de palme, Pamol et la Cameroon Development Corporation.
En dépit des signes de modernité dans la banlieue de Mundemba où l’on habite dans des logements climatisés et où l’on boit de la bière froide, elle a toujours ses racines solidement enracinées dans l’agriculture. Dans le centre-ville on trouve des bananes, du maïs, et de temps en temps des porcheries en hauteur, le tout plein à craquer dans n’importe quel espace libre entre les maisons faites de boue et de parpaings. Au-delà de la route principale de Mundemba, on voit des champs qui ont été brûlés en février, préparés pour des plantations dès que la pluie tombera.
La ville a aussi joué un rôle central dans une dispute relativement bien connue depuis que l’entreprise Herakles Farms a essayé pour la première fois d’installer une plantation d’huile de palme dans les environs. Soutenant le Parc national de Korup, un joyau de biodiversité qui abrite de grands singes, des singes, et des éléphants rares, Mundemba incarne la lutte pour la subsistance des gens et pour la sauvegarde d’un habitat forestier et de puits de carbone précieux tout en utilisant la terre pour faire croître l’économie du pays.
Il y a des signes que la situation sur l’huile de palme, cette dernière s’étendant actuellement à une vitesse jamais vue en Afrique, progresse vers un compromis. Les experts disent qu’Olam, par exemple, a discuté avec les communautés locales au Gabon et a travaillé de très près avec le gouvernement pour identifier et réserver des sujets prioritaires pour en débattre.
Cependant, l’histoire d’Herakles Farms au Cameroun s’est transformée en fable sur les choses à ne pas faire.
« Il n’y avait rien fait de comme il faut à Herakles : pas de plan technique, pas de plan d’entreprise financier, pas d’[évaluation sur l’impact environnemental et social] sérieux, pas de [consentement préalable gratuit et informé des communautés locales] du tout » raconte Laurène Feintrenie, une agronome et géographe avec l’organisme de recherche sur l’agriculture et le développement, CIRAD, qui a déjà travaillé au Cameroun sur l’étude de l’huile de palme. « C’est un fiasco total, et ça va mal finir pour l’entreprise. »
Cependant, cela a bien montré ce qu’il pouvait arriver quand les résidents locaux s’en mêlaient. « La seule chose positive, c’était la démonstration de la puissance sociale camerounaise », explique Feintrenie. « Les ONG ont été très efficaces pour attirer l’attention [sur] les abus du gouvernement et de l’entreprise. »
En 2009, Herakles Farms a commencé à revendiquer quelque 73 000 hectares de terres qui leur ont été octroyées lors d’un contrat avec le ministre responsable des terres à Yaoundé, la capitale politique du Cameroun. Presque aussitôt, un schisme est apparu sur la manière dont l’entreprise a acquis et a commencé à exploiter les terres.
Pour commencer, explique Samuel Nguiffo, une parcelle de terre si gigantesque n’aurait dû être cédée qu’avec un décret présidentiel. Nguiffo est un avocat et le fondateur et le directeur du Centre pour l’environnement et le développement, une ONG dont le siège est à Yaoundé. Selon les lois qui régissent la terre au Cameroun datant de 1976, un contrat signé par un ministre n’est autorisé que pour les terres plus petites que 50 hectares, et non pour la location de 99 ans comme le stipule le contrat.
Herakles a finalement eu un décret signé par le Président Paul Biya en 2013 pour 19 843 hectares, et non les 73 000 hectares originaux. Ce décret n’est qu’une provision temporaire, donnant à Herakles trois ans, dans ce cas présent jusqu’en novembre 2016, pour développer ses possessions.
Se dirigeant vers une confrontation en novembre de cette année, Herakles a tout fait sauf déraciner les plants autour de Mundemba. Les résidents locaux, même ceux qui ont soutenu la présence de l’entreprise dans la zone, disent que seul un personnel fantomatique subsiste pour s’occuper de la pépinière.
« Ils reviendront », confie le chef du village de Fabe, Philipp Wangoe, qui se situe à moins de 15 kilomètres de Mundemba. Wangoe a défendu la présence de l’entreprise et argumente que cela gonflera l’économie de la zone de Mundemba.
Jusqu’à présent, Herakles n’a préparé qu’une petite proportion du terrain pour de la plantation d’huile de palme, raconte Nguiffo. « Dans leur cas, ils doivent dégager le terrain pour pouvoir planter. En tout est pour tout dans les six ans, ils n’ont été capables de dégager que 600 hectares », nous confie-t-il. « Clairement, on dirait que cela pose problème. »
En comparaison, Olam a planté 32 000 hectares d’huile de palme en quatre ans au Gabon, selon un représentant de l’entreprise.
Sur le fondement des accords du contrat, Nguiffo ajoute « Je ne vois pas de quelle façon ils comptent les garder ».
Vu sous un autre angle, le contrat n’a pas été annulé, alors il reste valide. Une chose qu’Herakles n’a pas faite assez tôt, c’est d’embaucher de bons avocats, explique Nguiffo.
« C’est très bien écrit. Si vous êtes un voleur de terrains, c’est le parfait contrat », raconte Nguiffo à Mongabay. « Tout est paré pour un affrontement légal qu’ils peuvent gagner. »
Depuis le début, Peter Namolongo, l’ancien député maire de Mundemba, été convaincu qu’Herakles était en train de « se ruer sur les terres », avec peu de considération sur les conséquences sur les communautés locales, ou sur l’environnement. Ce qui lui est venu à l’esprit en premier, c’était qu’ils « vont abattre toutes les forêts ».
Le travail sur la plantation qui a eu l’air de s’être déroulé s’est fait sans la connaissance des communautés locales, confie Namolongo.
Nasako Besingi, directeur de l’ONG basée à Mundemba Struggle to Economize our Future Environment (Combat pour sauver notre environnement futur), ou SEFE, dit qu’il a trouvé la même chose quand il a voyagé de par cette zone. « Village après village, ils disent qu’ils n’ont vu personne, que personne n’est venu les voir. »
Besingi a créé le SEFE en 1996 pour s’attaquer aux problèmes sur la justice environnementale. Il a dit que de « déraciner » les populations locales de leurs terres pourrait être désastreux.
Linus Arong, qui possède 10 hectares de terres près du village de Fabe où il fait pousser de l’huile de palme, est d’accord avec lui.
« Le village nous appartient à tous », raconte Arong. « Si nous perdons la forêt [Harakles va] se faire de l’argent, mais pas nous. Nous devons être prudents. »
Au vu de ce déséquilibre, Besingi dit qu’il ne voit pas beaucoup de volonté de la part de l’entreprise à discuter avec les personnes qui seraient les plus touchées par ses plants. En 2011, par exemple, Besingi dit avoir invité l’entreprise et les membres de la collectivité pour une « réunion de partage des renseignements » pour qu’Herakles puisse expliquer leur projet. Mais personne n’est venu pour représenter l’entreprise, confie-t-il.
« Nous essayions de nouer un dialogue avec une entreprise qui refuse de dialoguer », raconte Besingi. « Nous essayions de négocier avec une entreprise qui avait fermé toutes les portes pour des négociations. »
Mongabay a essayé à plusieurs reprises de parler avec un représentant d’Herakles Farms, en contactant quelqu’un qui indique sur sa page LinkedIn être le vice-président de la conservation dans l’entreprise. Mongabay a essayé de leur rendre visite à leurs bureaux à Limbe, au Cameroun, mais sans succès, et on a raconté à Mongabay que les bureaux avaient été fermés et qu’ils avaient déménagé à Nguti, à 71 km au nord-est de Mundemba. Le numéro de téléphone pour les bureaux d’Herakles Farms a New York a été réassigné à une entreprise non affiliée, et son site Web est hors service.
Ce pour quoi Besingi et ses collaborateurs ont essayé de se battre est le consentement gratuit, préalable et informé, ou FPIC (free, prior and informed consent), ce que Feintrenie dit qu’Herakles n’a pas fait. C’est une composante des exigences pour une certification par la Table ronde sur l’huile de palme durable.
Mais au Cameroun, souligne Nguiffo, « le FPIC ne fait pas partie de la loi ».
Du point de vue de Nguiffo, il est temps de mettre à jour les lois vieilles de 40 ans du Cameroun sur les lois foncières. Quand elles ont été promulguées dans les années 70, le vol des terres n’était pas un enjeu majeur, et la densité de la population au Cameroun était bien plus faible, il y avait donc moins de pression sur les ressources en terre rares.
Bien que le Cameroun ait une densité de population de 47 habitants par kilomètre carré, la région sud-ouest de Mundemba est 12 fois plus importante.
« Aujourd’hui c’est différent », raconte Nguiffo. « Nous devons vraiment regarder ce genre de provisions dans la loi si nous voulons éviter les conflits. »
Ce qui pose en partie problème, c’est qu’on ne sait jamais clairement à qui appartient la terre, du moins à ceux en dehors des collectivités où les familles ont travaillé la même terre pendant des décennies, si ce n’est plus.
« Ils n’ont pas de titres, mais ils pensent qu’ils n’en ont pas besoin. Ils pensent que ce sont les leurs parce qu’ils vivent dessus », raconte Nguiffo. « Ils les ont héritées de leurs ancêtres, et ça leur appartient. C’est comme ça qu’ils se sentent. »
« Pour l’état par contre, ces terres ne leur appartiennent pas. L’état peut les octroyer ou les louer », ajoute Nguiffo. « Nous devons modifier les [lois foncières] et s’assurer que les collectivités sont mieux protégées. »
Besingi dit que le Cameroun a besoin de plus que de nouvelles lois.
« Il y a une loi en place, des conventions, des protocoles », raconte Besingi. « Le seul problème, c’est que ces lois et ces conventions ne sont jamais respectées. »
De son point de vue, la meilleure approche pour tous ceux impliqués dans cette affaire, y compris l’entreprise, est de discuter avec les collectivités dès le début.
« La collectivité devrait pouvoir choisir de développer un système agricole écologique et durable, et elle devrait être soutenue à cet effet par les entreprises, les gouvernements, ou les organisations », dit-il.
Le problème auquel se confronte Herakles, c’est son image publique assiégée, car c’est en partie grâce à des campagnes de groupes de défenseurs comme Greenpeace et l’Oakland Institute qu’ils ont perdu 70 % de la terre que l’entreprise comptait développer à l’origine, c’est la faute de leur leader, confie Besingi.
« C’est comme s’ils avaient cuisiné la nourriture, puis l’avaient empoisonnée, et se sont mis à pleurer à cause de maux de ventre », a-t-il dit. « Tous les problèmes qu’ils ont, c’est de leur faute, et pas celle de n’importe qui d’autre. »