- La production industrielle d’huile de palme se développe depuis le sud-est de l’Asie ; de ce fait, les plantations dans plusieurs pays d’Afrique sont, depuis quelques années, de plus en plus prospères.
- La production d’huile de palme au Cameroun se concentre dans le sud-ouest du pays, et les entreprises font l’article d’emplois potentiels auprès des communautés locales.
- Mais les défenseurs de l’environnement et les activistes affirment que ces plantations sont en train de prendre le dessus sur les forêts et la vie sauvage, et que les entreprises ne tiennent pas les promesses faites aux habitants.
Cet article est le premier épisode d’une série de quatre articles sur la production d’huile de palme au Cameroun. Vous pouvez consulter la deuxième et la troisième partie afin d’en apprendre plus sur ce sujet.
Coincé au milieu des collines de Yaoundé, on remarque les signes d’un pays et d’une économie en mouvement. Les camerounais se massent dans les bars, restaurants et épiceries haut de gamme, et souvent, ils se dispersent dans les rues de la plus grande ville du pays pour observer la circulation et les passants tout en appréciant le climat anormalement tempéré de la capitale connue pour son climat tropical, une bière dans une main, un poisson grillé dans l’autre.
Mais l’économie du Cameroun n’est pas toute rose, surtout quand on voit les villes en difficultés croissantes dans tout le pays : la pauvreté reste omniprésente tandis que les frontières des villes comme Yaoundé et Douala s’étirent au-delà de la capacité de leurs infrastructures.
En 2013, les camerounais résidant à l’étranger ont versé plus de 150 millions de dollars à leur pays, ce qui correspond à environ 0,5 % du PIB du pays, prouvant ainsi que la plupart des camerounais les plus fortunés résident dans un autre pays.
Et tandis que le taux de chômage se stabilise autour de 4%, il faut presque doubler ce chiffre quand on parle des jeunes de moins de 25 ans. À Yaoundé comme ailleurs, le gouvernement déplace la population le long des routes pour raser les maisons ainsi que les magasins, afin de libérer du terrain pour bâtir des résidences plus solides et plus vendeuses.
Pour accélérer la croissance du pays, les dirigeants misent sur les sources de revenu qui devraient maintenir l’économie du pays à flot, ou au moins rapporter plus d’argent, et ils espèrent que l’une des sources les plus prometteuses soit la production d’huile de palme.
D’une certaine manière, le Cameroun est un microcosme de la montée des investissements dans l’huile de palme destinés à prendre d’assaut l’Afrique tropicale. La relation entre le pays et les cultures remonte à plus de soixante ans quand le pays était colonisé par les français. Aujourd’hui, beaucoup de camerounais produisent de l’huile de palme pour eux-mêmes ou pour la vendre sur les marchés locaux. Quelques entreprises internationales ont commencé à faire des tests sur l’eau et à développer des plantations industrielles à grande échelle ; elles ont souvent obtenu le soutien des représentants majeurs du gouvernement qui voient dans ces cultures l’échelon indispensable à franchir pour faire du Cameroun un pays émergent.
Mais avec cette croissance, naissent également les signes de l’application industrielle de l’huile palme dans d’autres parties du globe, et notamment en Asie du sud-est. Des lois territoriales opaques et mal coordonnées ont conduit les populations locales à être privées de leurs droits, tout en voyant les grosses compagnies s’approprier leurs forêts et, bien souvent, ne pas tenir leurs promesses.
L’une des principales questions à se poser dans n’importe quelle situation impliquant un développement agricole est de savoir où établir les plantations qui peuvent s’étendre sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares. La solution la plus durable est celle retenue par la Table ronde pour de l’huile de palme durable (RSPO) – c’est jusqu’ici le seul système de certification international pour la durabilité – qui consiste à sélectionner les terres détériorées pour les développer au lieu d’exploiter les zones forestières.
Mais protéger ces forêts, leur biodiversité, leurs réserves en carbone et les ressources des communautés locales qui en dépendent n’est pas chose facile. Beaucoup de terres détériorées ne n’ont pas une surface suffisante pour remplir les normes exigées par l’agriculture de l’huile de palme à des fins industrielles. Ces terres sont généralement entretenues pas des agriculteurs possédant de petites parcelles de terre. Et dans certaines régions, les terres détériorées disponibles à l’exploitation par les promoteurs ne sont pas adaptées pour la production d’huile de palme. En conséquence, les rapports de suivi montrent que les forêts sont toujours la cible pour les plantations d’huile de palme, et ce, même par des entreprises et dans endroits où aucun engagement concernant la déforestation n’a été pris.
Herakles s’installe et créée la controverse
Les conflits qui, bien souvent, vont de pair avec les vastes projets de développement des terres pour l’agriculture n’ont pas épargné les habitants du Cameroun. En 2009, un ministre de Yaoundé a discrètement accordé un bail de 99 ans pour plus de 73 000 hectares de terres (une surface plus grande que Singapour) dans le sud-ouest du pays à Sithe Global Sustainable Oils Cameroon, une filiale de l’agro-industrie américaine Herakles Farms. Cet accord a déclenché la polémique au sein des communautés à propos des plantations proposées.
La concession de ces terres a été contestée dès le début. Légalement, un ministre ne devrait pas pouvoir signer un contrat pour une telle surface. En vertu de la législation du régime foncier datant de 1976, le « Ministre des terres » peut uniquement accorder temporairement des terres d’une surface inférieure à 50 hectares. Si la surface est supérieure, seul un décret présidentiel peut effectuer cet accord, comme ce fut le cas en 2013, soit quatre and après l’implantation d’Herakles au Cameroun.
Entre 2009 et 2013, Herakles s’est retrouvée entrainée dans cette controverse. Greenpeace a publié un compte-rendu évaluant que 89 % des terres que Herakles comptait développer incluait des « forêts naturelles denses ». Les études suivantes menées sur ces terres ont permis de découvrir qu’une multitude de primates menacés d’extinction ainsi que d’autres mammifères vivent dans cette zone, notamment le piliocolobus, le chimpanzé du Nigeria-Cameroun et l’éléphant de forêt.
Aussi, les groupes environnementaux ont protesté contre le gouvernement camerounais lorsque, courant 2013, celui-ci a levé plus tôt que prévu la sanction contre Herakles de stopper leurs activités, et ce avant que le décret présidentiel ne soit signé. À partir de ce moment-là, il semblait évident que l’entreprise ne comptait pas respecter les conditions du RSPO qui est la principale organisation mondiale pour les certifications internationales.
Mais très tôt, il n’y a pas eu que les dirigeants du gouvernement de Yaoundé qui ont vu la promesse d’un investissement de ce type et de cette ampleur que Herakles représentait.
« Quand ils ont commencé à travailler, nous étions très contents, » a déclaré Philip Wangoe, chef du village de Fabe situé à environ 13,5 km de Mundemba. Selon lui, les ouvriers de l’entreprise achetaient des produits et louaient des espaces habitables auprès des habitants de Fabe. « La compagnie était agréable. »
Les directeurs de l’entreprise sont arrivés avec plein de promesses et de paiements en espèces, avec des bourses d’étude et des offres d’emploi pour les locaux ; certaines choses se sont concrétisées, d’autres non, selon Wangoe.
Cependant, récemment, les problèmes financiers, juridiques et les problèmes de relations publiques ont réduit les effectifs sur les plantations près de Mundemba, ne laissant sur place qu’un effectif réduit pour garder les meubles. Mais d’après Wangoe, les directeurs de l’entreprise ont promis de revenir, et il attend avec impatience leur retour.
D’autres habitants de cette région s’efforcent d’arrêter pour de bon les travaux d’Herakles, et certains d’entre eux ont payé cette rébellion au prix fort. Nasako Besingi, directeur de l’ONG SEFE (Struggle to Economize Future Environment), a mis en place des réunions peu de temps après avoir été témoin de l’implantation de l’entreprise dans la région de Mundemba, il y a sept ans environ.
Depuis, Besingi a fait connaître les intentions de l’entreprise en partageant ses informations lors des réunions avec les communautés au cours desquelles, d’après lui, les représentants étaient toujours invités. Dans sa démarche, il a reçu le soutien des ONG camerounaises et internationales, y compris celui des groupes de surveillance comme Greenpeace et The Oakland Institute.
Les actions militantes de Besingi à l’encontre de Herakles n’ont pas été prises à la légère. Il a été agressé physiquement par des personnes qui, d’après lui, travaillaient sur les plantations. Le gouvernement a également lancé contre lui une série de poursuites judicières « injustifiées » selon lui car sa démarche « interpelle la population. »
À la suite de la plainte portée par les avocats de Herakles en 2012 contre la campagne de Besingi qui « intoxique le public et suscite l’animosité et la rancune envers le projet mis en place par Herakles Farms, » Besingi a été reconnu coupable de quatre chefs d’accusation dont diffamation et diffusion de fausses informations sur internet.
Leur plainte fait directement référence à un e-mail envoyé par Besingi à plusieurs ONG camerounaises et internationales dans lequel on peut lire que Herakles aurait organisé une agression physique contre lui le 28 août 2012. L’avocat de Besingi, Adolf Malle, a fait appel de cette accusation.
En janvier 2016, Besingi a été reconnu coupable d’avoir organisé une assemblée illégale le même mois, et condamné à verser une amende de 25 000 francs CFA (38€) ainsi qu’environ 800 euros de frais de justice, auxquels s’ajoute une peine de prison de deux ans avec sursis pour avoir « fait partie d’une organisation et avoir tenu des réunions publiques clandestines » dans le village de Myangwe en juillet 2012.
Cependant, Besingi continue d’affirmer que ses actes militants contre les activités de Herakles dans la région de Mundemba ne peuvent pas être réduits à sa simple opinion personnelle. Pour lui, il représente la voix des communautés locales et de l’environnement.
« Nos paroles ne s’appliquent pas uniquement à nous-mêmes, nous prenons la parole pour la communauté dont la voix ne peut dépasser les frontières de son village, » a déclaré Besingi dans une interview pour Mongabay en février 2016.
Le camp pro-Herakles soutient que les habitants ont grandement besoin de travail, et en particulier les jeunes, à la fois pour se libérer du joug de la pauvreté et pour préserver les communautés. (Les dirigeants locaux émettent souvent des inquiétudes quant au fait que leurs enfants doivent faire face au nombre insuffisant d’opportunités et que de ce fait, ils fuient les petites villes et les villages de l’arrière-pays pour aller dans les grandes villes plus prometteuses.)
Cependant, Peter Namolongo, ancien adjoint au maire de Mundemba, a déclaré à Mongabay que l’entreprise, tout comme le gouvernement, ont partagé très peu d’informations avec les habitants de cette région.
« Tout n’est que manipulation à Yaoundé, » affirme Namolongo, il n’y a que très peu, voire pas du tout d’efforts faits pour tenir les populations locales informées, ajoute-il.
L’huile de palme se rapproche des habitats fauniques critiques
En plus d’avoir des répercussions sur le gagne-pain des camerounais dont la vie dépend de la terre et de la forêt, Besingi s’inquiète des effets qu’une agriculture industrielle à grande échelle aura sur les forêts avoisinantes, foyer d’un éventail impressionnant de primates, et notamment de l’espèce rare du chimpanzé du Nigeria-Cameroun, mais aussi du Korup National Park, qui regorge également d’espèces.
Les frontières initiales prévues pour les plantations Herakles auraient directement butté contre le périmètre de protection du parc.
Ailleurs au Cameroun, scientifiques et défenseurs de l’environnement travaillent dur pour préserver d’autres zones de haute biodiversité mises à mal par le développement attenant de la production d’huile de palme. La forêt d’Ebo, et ses 142 000 hectares, se trouve à moins de 150 km de Yaoundé et elle est encore plus proche de Douala ; ces deux villes comptent presque 2 millions d’habitants. À l’instar du Korup National Park, la forêt d’Ebo abrite aussi une grande variété d’animaux sauvages, comme l’espèce rare du chimpanzé du Nigeria-Cameroun et le drill (Mandrillus leucopaheus), un singe proche du babouin hautement menacé d’extinction, et qui, jusque dans les années 80, était considéré comme éteint par les scientifiques.
Et le nombre d’animaux concernés est loin d’être symbolique. « Il ne s’agit pas uniquement de petits groupes de drills. On parle de troupeaux composés de centaines d’animaux voire plus, » affirme Ekwoge Abwe, manager du Ebo Forest Research Project, à Limbe.
Biologiste de terrain, Abwe a travaillé dans tout le pays. Selon lui : « La forêt d’Ebo est, pour moi, l’un des endroits avec le plus de biodiversité que j’ai pu visiter au Cameroun. » Lors de sa toute première visite du parc, il a vu un gorille ; on peut aussi apercevoir fréquemment des chimpanzés.
Cependant, depuis quelques temps, une entreprise d’huile de palme camerounaise appelée Azur a entamé les procédures pour mettre en place des plantations d’huile palme à l’ouest du parc, plantations qui, avec une surface de 123 000 hectares, ferait passer les premières exploitations de Herakles pour un vulgaire jardin.
Abwe espère qu’il est toujours possible de trouver un compromis, même si, lui et ses collaborateurs ont fait tout leur possible pour protéger au mieux la forêt. Suite aux discussions échangées entre lui, ses collaborateurs et les représentants d’Azur, il affirme que « leur but n’est pas de détruire la forêt. ».
Malgré tout, Abwe affirme que la destruction d’importants habitats naturels est une véritable menace. Et comme la forêt d’Ebo est très proche des deux plus grandes villes du Cameroun, il craint que la chasse de la viande de brousse n’augmente si les nouveaux ouvriers cherchent à améliorer leurs maigres revenus.
« Nos forêts ne sont pas vides, » a-t-il déclaré. « Cette forêt est un véritable refuge pour tous ces primates et autres animaux, et elle abrite une flore tout à fait unique. »
C’est un problème très sérieux pour l’agriculture industrielle. Les forêts, en Afrique comme ailleurs, assurent la survie de tout type de vie. Et les défenseurs des communautés et de l’environnement affirment qu’il est de plus en plus évident que pour le bien de toutes les parties prenantes – des communautés qui dépendent de ces forêts à la faune et la flore qui y vivent en passant par les entreprises elles-mêmes – les décisions concernant l’utilisation des terres ne peuvent pas être exclusivement prises dans des bureaux situés à des centaines de kilomètres des territoires concernés.
Selon Besingi : « les gouvernements africains doivent trouver une meilleure façon de résoudre ce problème. »