Nouvelles de l'environnement

Tirer parti de l’hypothétique : le monde incertain du calcul des crédits carbone

  • Les critiques du marché volontaire du carbone et des stratégies de conservation des forêts telles que REDD+ se sont principalement concentrés sur les méthodes de comptabilisation utilisées pour calculer les crédits carbone.
  • Chaque crédit échangé sur les marchés volontaires est censé représenter la réduction, l'évitement ou l'élimination d'une tonne de dioxyde de carbone de l'atmosphère.
  • Mais des études scientifiques récentes ont soulevé des questions sur la manière dont le programme REDD+ et d'autres types de projets calculent le nombre de tonnes d'émissions réduites.
  • Le principe consiste à établir un scénario de référence pour la déforestation, à partir duquel on peut évaluer le succès d'un projet en matière de réduction ou d'élimination des émissions. Mais les critiques affirment que ce système peut être erroné et que les conflits d'intérêts des parties impliquées dans l'établissement du scénario de référence n'ont été abordés que récemment.

Cet article est le quatrième d’une série en cinq parties sur les crédits-carbone forestiers et le marché volontaire du carbone. Rendez-vous ici pour lire la première partie, la deuxième partie et la troisième partie.

SEN MONOROM, Cambodge – Dans l’est du Cambodge, le bureau de la Wildlife Conservation Society est calme en ce vendredi matin de début avril. Généralement très fréquenté, le bureau a fermé ses portes pour se préparer au nouvel an khmer.

Olly Griffin, responsable du carbone des forêts à la WCS à l’époque, est resté à Sen Monorom pour me parler du projet REDD+ lié au sanctuaire Keo Seima Wildlife Sanctuary, que la WCS soutient et où j’ai passé une semaine à visiter les communautés environnantes qui bénéficient de l’aide de ce projet.

REDD+ est l’acronyme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et à la dégradation des forêts. Les porteurs de projets REDD+ peuvent ensuite vendre ces économies de carbone « en surplus » à des particuliers et à des entreprises souhaitant atténuer leur propre impact sur le climat. Le produit de ces ventes de crédits carbone, du moins une partie, est censé financer la conservation des forêts liée au développement communautaire.

Pour effectuer ce calcul, il est essentiel de déterminer l’ampleur de la déforestation qui aurait eu lieu si le projet n’avait pas été mis en place. Pour répondre à cette question, il faut généralement créer ce que les scientifiques appellent une « méthode contrefactuelle » afin d’établir ce scénario de référence. Les scénarios réels de déforestation sont ensuite comparés à ce scénario hypothétique, et la différence d’émissions entre ces deux cas de figure donne la quantité d’émissions réduites. Il est vrai que c’est un chiffre difficile à définir.

« Le problème principal, c’est qu’il n’y a pas de réalité que l’on puisse mesurer pour confirmer cette autre scénario de référence », a déclaré Griffin. « Il s’agit d’une ligne temporelle différente dans l’univers ».

Aussi difficile que soit l’établissement d’un scénario de référence solide, il demeure essentiel pour déterminer si les projets REDD+ tels que Keo Seima apportent réellement des avantages climatiques. Le processus a donné lieu à une remise en question dans le cadre du commerce des crédits carbone, centrée sur une autre question fondamentale : dans quelle mesure les projets REDD+ sont-ils réellement bénéfiques pour le climat et s’attaquent-ils aux menaces qui causent la déforestation et la dégradation ?

Les efforts déployés pour trouver des réponses concrètes ont récemment suscité des controverses dans presque tous les domaines du commerce du carbone. Tout le monde a été touché ; les acheteurs, qui sont souvent des multinationales pesant des milliards de dollars, mais également les projets sur le terrain, comme ceux de la province de Mondol Kiri au Cambodge, dont le but apparent est de préserver la forêt.

Au centre d’une grande partie du débat se trouve l’ONG Verra, basée aux États-Unis, qui certifie environ deux tiers des crédits échangés sur les marchés volontaires du carbone, y compris ceux qui proviennent de REDD+, de l’énergie renouvelable et d’autres types de projets destinés à réduire les émissions. La plupart des questions relatives à l’ampleur des économies de carbone supplémentaires que les projets peuvent revendiquer, ainsi qu’à la permanence de leurs activités et à leur impact sur les communautés et les forêts environnantes, renvoient à Verra et aux exigences qu’elle impose dans le cadre de sa norme Verified Carbon Standard, or VCS.

Forest clearance for farming in eastern Cambodia
Défrichement d’une forêt pour l’agriculture dans l’est du Cambodge, près de la frontière avec le Keo Seima Wildlife Sanctuary. Image de John Cannon/Mongabay.

Keo Seima à la croisée des chemins

Les quelque 300 000 hectares du Keo Seima Wildlife Sanctuary abritent plus de 1000 espèces. Ces forêts tropicales comptent plus de plantes, d’animaux et d’autres organismes vivants que n’importe quelle autre zone protégée du Cambodge. Quelque 75 espèces menacées d’extinction y vivent, dont l’éléphant d’Asie (Elephas maximus), le rhinopithèque aux pieds noirs (Pygathrix nigripes) et le gibbon à joues jaunes (Nomascus gabriellae). C’est également l’une des réserves les mieux étudiées du pays, en partie grâce au projet REDD+ qui couvre 167 000 hectares des forêts de Keo Seima.

L’implication de la WCS dans le programme REDD+ peut donner l’impression que le bureau de Sen Monorom est autant une organisation de développement qu’une organisation pour la conservation des espèces fondée il y a plus d’un siècle. Mais presque toutes les personnes impliquées m’ont dit que faire cette distinction entre ces deux types de missions n’est pas logique. En effet, les communautés sont la clé de la protection des espèces et de leur habitat forestier, en particulier dans un endroit comme celui-ci. C’est pourquoi, le temps et l’argent consacrés à l’éducation, à la formation professionnelle pour des moyens de subsistance alternatifs et à des projets tels que l’amélioration de l’assainissement sont de bons investissements pour la sauvegarde de la biodiversité, expliquent les membres de l’équipe.

Les communautés elles-mêmes se trouvent à la croisée des chemins, au sens propre comme au sens figuré. Les 20 communautés qui font partie du projet dans et dans les environs de Keo Seima sont pour la plupart des Bunong, un peuple indigène qui entretient une relation avec la forêt depuis des générations. Elles sont également confrontées à des niveaux d’endettement élevés. Emiel de Lange, conseiller technique en matière d’impact sur la conservation à la WCS, a déclaré que plus de la moitié des ménages participant au projet devaient de l’argent.

« Nous pensons que plus d’un million de dollars de prêts sont garantis par des terrains », a-t-il déclaré.

De nombreux microprêteurs se sont installés dans la ville voisine de Sen Monorom, capitale de la province.

De Lange a déclaré que ces endettements peuvent être des facteurs indirects de déforestation. Le fait de devoir de l’argent peut inciter une famille à défricher davantage de terres pour les cultiver afin d’assurer les paiements. Certains vont même jusqu’à vendre leurs terres lorsqu’ils ont besoin d’argent pour faire face à un imprévu, comme une urgence médicale, d’autant plus que de plus en plus d’étrangers se sont installés dans la région car les prix des terres sont relativement abordables et une route goudronnée relie maintenant Mondol Kiri à Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Ces éléments extérieurs peuvent perturber l’équilibre qui existe entre les populations et les forêts.

Compte tenu de cet ensemble complexe de facteurs, la question à laquelle le projet REDD+ de Keo Seima doit répondre est la suivante : quelle serait l’ampleur de la déforestation si le projet n’avait pas eu lieu ?

Selon Griffin, la pression potentielle sur Keo Seima est à peu près à son maximum. Pour les forêts situées à l’intérieur et autour du sanctuaire, « il est difficile de surestimer le risque de déforestation ».

The headquarters of Keo Seima Wildlife Sanctuary in Cambodia.
Le siège du Keo Seima Wildlife Sanctuary, au Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.
A forest in northeastern Cambodia.
Une forêt dans le nord-est du Cambodge. Image de Mark via Flickr (CC BY-NC 2.0).

Question de méthodes

Début 2023, des rapports du journal britannique The Guardian, de l’hebdomadaire allemand Die Zeit et de l’organisation de journalisme à but non lucratif SourceMaterial ont révélé que les calculs des scénarios de référence d’un certain nombre de projets REDD+ considérés comme réussis, dont Keo Seima, étaient erronés. Par conséquent, plus de 90 % des crédits produits n’avaient pas eu l’impact climatique annoncé.

Les critiques selon lesquelles les porteurs de projets REDD+ pourraient gonfler les scénarios de référence ne datent pas d’hier. Mais dans ce cas-ci, les journalistes ont fondé leur analyse sur des études récentes qui ont tenté de chiffrer le problème. L’étude la plus importante est celle menée par Thales West, professeur adjoint de géographie environnementale à la Vrije Universiteit Amsterdam, aux Pays-Bas. (En janvier 2023, l’article de West n’avait pas encore été approuvé par d’autres experts. Il a finalement été examiné et publié en août dans Science, l’une des principales revues scientifiques dans le monde, bien que certains scientifiques aient contesté les méthodes de l’équipe dirigée par West).

West et ses collègues ont analysé 26 projets REDD+ sur trois continents. Au lieu d’utiliser la méthode contrefactuelle que les projets tels que Keo Seima utilisent pour établir leurs scénarios de référence, West et ses collègues ont calculé la déforestation de référence avec des contrôles « synthétiques ». Ils ont essentiellement utilisé des amalgames de différents endroits qui présentaient des caractéristiques similaires à celles du site du projet.

Établir un « scénario de référence fiable » est essentiel pour estimer un nombre précis de crédits carbone, qui est également une évaluation importante des avantages d’un projet pour le climat, a expliqué West à Mongabay. Mais il s’agit également d’un processus fondamentalement incertain. « Le fait est qu’il n’existe pas d’alternative idéale », a-t-il ajouté.

Cependant, West a indiqué que les méthodologies approuvées par le VCS de Verra, la norme de certification à laquelle de nombreux projets REDD+ visent à se conformer, sont « fondamentalement erronées ».

« C’est vraiment le cœur du problème », a-t-il ajouté.

A camera trap on a tree
Un piège photographique qui fait partie d’une étude de la biodiversité soutenue par REDD+ dans le Keo Seima Wildlife Sanctuary. Image de John Cannon/Mongabay.

Lorsque l’équipe de West a utilisé l’approche du contrôle synthétique, elle a constaté que les projets avaient tendance à surestimer la possible déforestation prise en compte par le scénario de référence, ce qui leur a permis de prouver que leur projet avait un impact plus important, entraînant ainsi la génération de plus de crédits carbone. L’équipe a conclu que plus de deux tiers des crédits générés par les projets qu’elle a analysés étaient loin d’être liés à des réductions significatives de déforestation.

Selon West, le problème réside en partie dans le fait que les projets certifiés VCS avaient auparavant le choix entre un certain nombre de méthodologies différentes pour calculer les scénarios de référence. Pour West, lui-même ancien porteur et auditeur de projets, il est clair que le but est de rendre le projet aussi efficace que possible.

Il affirme qu’il « s’agit de personnes en situation de conflit d’intérêts évident ».

L’une des solutions que propose West est la réévaluation périodique des scénarios de référence d’un projet, y compris avant qu’il ne commence à générer des crédits.

« Ce n’est pas quelque chose que les projets sont prêts à faire car ils ne sont pas obligés de le faire », a affirmé West. « Je dirais qu’aucune méthode n’est parfaite. Les données ne sont pas parfaites, n’est-ce pas ? Nous devons travailler avec ce que nous avons. C’est pourquoi, il est si important d’effectuer des contrôles d’efficacité.

Depuis lors, Verra a mis à jour sa méthodologie REDD+ pour les projets visant à éviter la déforestation « non planifiée », comme le projet de Keo Seima, ce qui, selon l’organisme, réduira les conflits d’intérêts et augmentera l’objectivité. Dans le cadre de ces changements, Verra se chargera désormais de définir les scénarios de référence, qui seront réévalués tous les six ans.

Planting seeds for restoration at the headquarters of Keo
Une plantation de graines pour la reforestation au siège du Keo Seima Wildlife Sanctuary. Image de John Cannon/Mongabay.

Trois différents groupes sont impliqués dans le processus de certification VCS : les porteurs de projets eux-mêmes, qui ont fourni les premières données ; les auditeurs, engagés par les porteurs de projets ; et les experts de Verra, qui effectuent leurs propres vérifications et sont désormais responsables de la définition des scénarios de référence. Verra considère que ce processus de vérification et d’équilibrage garantit un examen approfondi du nombre de crédits carbone générés.

Cependant, les critiques soutiennent que chaque groupe a tout intérêt à augmenter le nombre de crédits qu’un projet prétend générer. Ils affirment également que les relations entre les porteurs de projets et les auditeurs peuvent être trop tendres. En septembre, le Berkeley Carbon Trading Project, un programme de recherche et de sensibilisation basé en Californie, a publié une évaluation des projets REDD+, à laquelle Thales West a contribué.

L’equipe indique que « les auditeurs, qui sont engagés par les porteurs de projets et sont donc incités à être complaisants pour être réengagés, n’ont pas suffisamment veillé au respect des normes de Verra, notamment en ce qui concerne la prudence des estimations de réduction des émissions de carbone ».

Les auteurs écrivent : « notre analyse montre que les vérificateurs considèrent que leur rôle est de s’assurer que les calculs d’émissions utilisés sont autorisés, et non qu’ils sont exacts ou modérés. Un vérificateur a évalué un risque d’incendie de zéro pour un projet pour lequel il avait lui-même assisté à un incendie lors de la visite du site ».

L’équipe de Berkeley « a trouvé des preuves d’une génération excessive et généralisée de crédits, due à plusieurs facteurs ».

An elephant sculpture made of confiscated chainsaw parts in eastern Cambodia.
Une sculpture d’éléphant réalisée à partir de pièces de tronçonneuses saisies dans l’est du Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.
A REDD+-supported school in eastern Cambodia.
Une école financée par REDD+ dans l’est du Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

La réponse

Pour Griffin, les réactions au rapport présentant tous les projets REDD+ sous le même jour ont entravé ce qui pourrait être une discussion animée visant à améliorer l’intégrité des crédits carbone et, en fin de compte, les avantages qu’ils peuvent apporter au climat, aux communautés et à la biodiversité.

« Ce n’est pas tant que des gens comme West aient découvert la vérité et constaté que nous avions tort », a déclaré Griffin. « C’est qu’ils pensent que leur approche est différente et plus solide pour faire ce que nous avons fait avec les méthodologies ».

« Il y a un débat constructif à mener sur la bonne méthode à adopter », a-t-il ajouté. « Il est frustrant de constater que les débats aient été houleux ».

Une partie du problème est liée à l’incertitude quant au fait qu’un projet REDD+ tel que Keo Seima réduit réellement la déforestation et, par conséquent, les émissions de carbone. Les chercheurs s’accordent généralement à dire qu’il est impossible de connaître le pourcentage exact, puisqu’il s’agit de comparaisons avec une réalité alternative qui n’a jamais existé. Mais cette incertitude conduit à « l’hypothèse implicite que tout ce qui s’éloigne de la perfection est un échec », a déclaré Griffin.

Il a déclaré qu’il n’était pas d’accord avec certaines des méthodes utilisées par West et ses collègues pour parvenir à leur conclusion. Par exemple, la façon dont ils ont abordé la création des contrôles « synthétiques » qui les ont menés à ces résultats. Les contrôles synthétiques rassemblent des données provenant de différentes zones de contrôle, appelées « donneurs ». La précision des conclusions tirées des comparaisons de déforestation dépend de la reproduction exacte d’une situation qui se serait probablement réalisée si le projet n’avait pas existé. Dans le cas de Keo Seima, certaines des zones de contrôle utilisées par West et ses collègues ne représentaient pas exactement la zone du projet, a expliqué Griffin.

En réponse aux accusations contenues dans le rapport du Guardian, Verra a publié une critique similaire envers l’équipe dirigée par West.

Pour se défendre, Verra a publié sur son site web en janvier 2023 : « plus précisément, ils aboutissent à des conclusions erronées car ils s’appuient sur des contrôles synthétiques qui ne représentent pas avec précision les conditions d’avant-projet dans la zone du projet, comme le reconnaissent eux-mêmes les auteurs des études. Cette approche n’est pas adaptée aux projets REDD en raison de la difficulté à trouver des points qui correspondent à l’intérieur et à l’extérieur de la zone du projet au début du projet ».

Ed Mitchard est cofondateur et scientifique en chef au Space Intelligence, une société basée au Royaume-Uni qui fournit des données de surveillance aux projets de solutions basées sur la nature et des services de cartographie à Verra. Selon lui, l’étude menée par West présente « de sérieuses lacunes méthodologiques ». Mitchard et ses collègues ont récemment publié une analyse contradictoire exposant leurs arguments.

Premièrement, West utilise les données sur les changements de couverture forestière dans le monde recueillies par Matt Hansen et ses collègues de l’université du Maryland. Bien qu’elles soient couramment utilisées pour surveiller les forêts au niveau mondial, « elles comportent des erreurs assez importantes au niveau régional », ce qui les rend inadéquates pour les comparaisons que West et son équipe ont utilisées dans leur étude, a déclaré Mitchard. Ces données n’ont pas été conçues pour être utilisées de cette manière, a-t-il ajouté.

A tree nursery supported by the Keo Seima REDD+ project in Cambodia.
Une pépinière financée par le projet REDD+ Keo Seima au Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

« Une amélioration constante »

Tout au long de l’année 2023, Verra a annoncé plusieurs changements. Elle a notamment émis une série de mises à jour visant à rendre plus difficile l’émission d’un trop grand nombre de crédits carbone. Elle a déclaré avoir entrepris ces changements, y compris la publication d’une nouvelle méthodologie REDD en novembre, avant les rapports du Guardian.

Selon Toby Janson-Smith, responsable du développement des programmes et de l’innovation chez Verra, ces publications s’inscrivent dans un processus plus vaste.

« Il s’agit d’un travail en cours, comme il le sera toujours », a déclaré Janson-Smith à Mongabay. « Il s’agit d’une amélioration constante. Il s’agit de créer les meilleures normes et méthodologies possibles à ce moment-là, en utilisant les meilleures sciences, pratiques et réflexions ».

Ces changements consistent notamment à ne plus permettre aux porteurs de projets de choisir la méthodologie qu’ils utilisent et à appliquer de nouveaux labels pour les crédits carbone. Verra a également pris position sur la question de la permanence, a déclaré Janson-Smith.

Le Conseil d’intégrité pour les marchés volontaires du carbone (ICVCM), un organe de gouvernance, a publié des mises à jour de son cadre qui ont fait passer de 30 à 40 ans la durée considérée comme permanente pour l’obtention du label Principes fondamentaux du carbone du groupe. Cela signifie que les projets pour lesquels les réductions de déforestation ont duré moins de 40 ans, devront compenser tous les crédits associés à cet objectif manqué. Verra a récemment introduit une demande d’évaluation de la conformité de son programme VCS avec les Principes fondamentaux du carbone, ce qui, selon le groupe, devrait inspirer plus de confiance aux acheteurs qui souhaitent acquérir des crédits de haute qualité.

Lanternflies in eastern Cambodia.
Mouches lanternes dans l’est du Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

Au milieu de toute l’agitation concernant l’émission de crédits carbone, les partisans de REDD+ et du marché volontaire affirment que ces derniers constituent une voie pour le financement privé de la conservation des forêts, notamment en l’absence d’une action plus importante de la part des gouvernements ou d’une action internationale visant à lutter contre le changement climatique et la déforestation.

« C’est un excellent moyen de faire payer les riches consommateurs et les entreprises occidentales qui produisent des émissions dont ils ne peuvent se débarrasser, et de consacrer cet argent à la lutte contre la crise de la nature qui sévit actuellement », a déclaré Mitchard.

Il a ajouté que ni les marchés volontaires du carbone ni le REDD+ ne résoudrait le problème de la déforestation. La solution serait d’éliminer les politiques en place qui continuent d’encourager la destruction des forêts pour des activités lucratives telles que l’agriculture, l’élevage et l’exploitation forestière. Mais si quelqu’un dispose de 100 dollars qu’il peut également consacrer à la compensation de ses émissions, cela peut faire la différence, a-t-il ajouté.

« Si vous offrez cette somme à des personnes qui n’ont d’autre choix que d’abattre des forêts et leur donnez donc la possibilité de faire quelque chose de différent de leur vie pour protéger ces forêts, il s’agit d’une utilisation très précieuse de ces 100 dollars, à la fois en termes de niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, mais aussi de personnes et de biodiversité », a déclaré Mitchard.

Confiscated vehicles that were used for hauling illegally harvested timber in Cambodia.
Véhicules saisis qui avaient été utilisés pour le transport de bois illégal au Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

Trouver le bon compromis

La réduction et, à terme, l’élimination de l’utilisation des combustibles fossiles à des fins énergétiques constituent la principale mesure nécessaire pour limiter les émissions et freiner le changement climatique. En effet, le standard Net Zero de la Science-Based Targets Initiative (SBTi) exige que la « plupart » des entreprises réduisent leurs émissions d’au moins 90 % avant de pouvoir compenser, ou « contrebalancer », leurs émissions restantes par des crédits permanents de stockage ou d’élimination du carbone. La SBTi vise à donner aux entreprises un moyen de réduire à néant leurs émissions d’ici 2050, conformément à l’objectif de l’accord de Paris sur le climat, qui consiste à limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels.

De même, il existe des émissions difficiles à éliminer qui font partie des chaînes d’approvisionnement. Il est actuellement impossible de se débarrasser de ces émissions, car les alternatives viables sont, ou trop chères, ou n’existent tout simplement pas à l’échelle requise.

C’est là que les partisans des crédits carbone et du processus de compensation des émissions affirment que l’utilisation des crédits carbone peut faire la différence. A savoir, en ciblant ces émissions résiduelles. Ces entreprises sont souvent accusées d’utiliser ces crédits pour éviter de gérer leur propre empreinte carbone. En résumé, elles sont critiquées car elles achètent des crédits, dont la contribution au climat peut être discutable, au lieu de prendre des mesures, souvent difficiles à mettre en œuvre, pour réorganiser leurs activités en vue de réduire leurs émissions de carbone.

Mitchard a déclaré que, d’après son expérience, les entreprises qui souhaitent acheter des crédits carbone sont généralement plus enclines à réduire leur empreinte carbone. Un rapport récent d’Ecosystem Marketplace une source d’information sur la finance et les marchés environnementaux géré par l’organisation à but non lucratif Forest Trends, a révélé que les entreprises qui investissent dans les crédits carbone sont presque deux fois plus susceptibles d’avoir œuvré à l’élimination de leurs propres émissions de carbone.

Il est important de trouver un équilibre entre des exigences strictes et des conditions auxquelles les acteurs peuvent se conformer, a déclaré Frances Seymour, agrégée supérieure de recherche de l’Institut des ressources mondiales au moment où elle s’est entretenue avec Mongabay, ajoutant que ces projets sont difficiles à mettre en œuvre.

« Le risque sera toujours présent », a-t-elle déclaré. « La seule façon de réduire le risque à zéro est de ne pas avoir de marché du tout ».

Deforestation for farming in Sen Monorom.
La déforestation pour l’agriculture à Sen Monorom. Image de Jacques Beaulieu via Flickr (CC BY-NC 2.0).

Exiger la perfection comporte le risque de mettre fin à un système de soutien financier qui a consacré 3 milliards de dollars à la conservation des forêts au cours des deux dernières décennies.

« Le problème est que si l’on fixe des normes trop élevées, personne ne peut les respecter, il n’y a donc pas de marché », a déclaré Seymour, qui se trouve avec l’envoyé spécial du président pour le climat aux États-Unis, bien que ses opinions ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement américain ou celles de l’envoyé spécial du président. D’un autre côté, « nous voulons qu’elles soient suffisamment élevées pour garantir qu’il s’agit d’une nouvelle action climatique et que les personnes les plus vulnérables de notre planète ne voient pas leur situation empirer, mais bien au contraire, s’améliorer ».

« Le défi est de trouver un bon compromis pour toutes ces initiatives », a-t-elle ajouté.

Olly Griffin espère que la WCS et ses partenaires du projet REDD+ de Keo Seima ont réussi à atteindre cet équilibre parfait. Selon la WCS, les habitants des 20 communautés concernées sont engagés dans le processus de protection des forêts et de développement des économies locales, et de nombreux membres des communautés qui se sont entretenus avec Mongabay en avril ont déclaré que le projet avait changé leur vie de manière positive.

De plus, Griffin a affirmé qu’il y avait plus de forêts aujourd’hui qu’il n’y en aurait eu sans l’existence du projet. Il a donné un exemple de ce qui aurait pu arriver à Keo Seima si REDD+ ne s’était pas trouvé sur sa route.

Le Snoul Wildlife Sanctuary (parfois orthographié Snuol) se trouvait autrefois au sud-ouest de Keo Seima. Créé en 1993, près d’une décennie avant Keo Seima, il abritait également des centaines d’espèces répertoriées. Mais la construction d’une route a entraîné une augmentation brutale du nombre de personnes vivant à proximité. Des parties du sanctuaire ont rapidement été transformées en plantations agricoles et la déforestation a pris de l’ampleur. En 2018, il restait si peu de forêt viable que le gouvernement a retiré à Snoul son statut de zone protégée.

« Tout a disparu », a constaté Griffin. « On ne peut même pas imaginer qu’il s’agissait d’une zone protégée lorsque l’on traverse le sanctuaire. Il ne reste plus que des plantations de manioc, de noix de cajou et de caoutchouc ».

Il ajoute que si l’on compare cette situation à celle de Keo Seima, l’importance de leur travail devient plus évidente, même dans cette parcelle de forêt relativement petite de l’est du Cambodge.

« La déforestation a bien eu lieu, mais elle a été limitée par rapport à ce qui aurait pu se passer », conclut-il

Image de bannière : Un macaque crabier (Macaca fascicularis) à Bornéo. Image de John Cannon/Mongabay.

John Cannon est rédacteur pour Mongabay. Retrouvez-le sur Bluesky.

 
Références:

Mitchard, E. T., Carstairs, H., Cosenza, R., Saatchi, S. S., Funk, J.,Quintano, P. N., … Nowak, E. (2023). Serious errors impair an assessmentof forest carbon projects: A rebuttal of West et al.(2023). arXiv Preprint.doi:10.2139/ssrn.4661873

West, T. A. P., Wunder, S., Sills, E. O., Börner, J., Rifai, S. W., Neidermeier, A. N., Frey, G. P., & Kontoleon, A. (2023). Action needed to make carbon offsets from forest conservation work for climate change mitigation. Science, 381(6660), 873–877. doi:10.1126/science.ade3535

 
Article original: https://news.mongabay.com/2024/01/leveraging-the-hypothetical-the-uncertain-world-of-carbon-credit-calculations/

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