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Les crédits de carbone forestier et le marché volontaire : une solution ou une diversion ?

  • Les marchés volontaires du carbone et les crédits de carbone forestier font l’objet de nombreuses controverses qui ont atteint leur paroxysme en 2023.
  • Les médias ont fait état de préoccupations à l’égard de leurs bénéfices douteux pour l’environnement, les communautés locales et les droits fonciers, ainsi que de leur utilisation par les entreprises de l’hémisphère Nord pour échapper au lourd fardeau de décarbonisation de leurs activités.
  • Les partisans des stratégies de conservation des forêts telles que REDD+ affirment que les crédits carbone ont un rôle à jouer dans leur lutte, car des forêts saines peuvent absorber une quantité importante de carbone atmosphérique. Ils soutiennent que le mécanisme REDD+ apporte un financement indispensable à la protection et à la restauration des forêts, non seulement pour le carbone qu’elles contiennent, mais aussi pour la biodiversité et les communautés qu'elles abritent.
  • Fin 2023, lors de la Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 28) à Dubaï, les partisans du commerce volontaire du carbone se sont efforcés de renforcer l’ « intégrité » des marchés pour tenter d’en faire un outil viable de lutte contre le changement climatique.

Cet article est le premier volet d’une série de cinq articles consacrés aux crédits de carbone forestier et au marché volontaire. Rendez-vous ici pour lire la deuxième partie.

Au début de l’année 2023, le marché volontaire du carbone semblait sur le point d’étendre sa portée, augmentant la quantité de carbone qu’il cherchait à compenser ainsi que sa valeur commerciale. Les chiffres de 2022 indiquent que le marché a été évalué à 2 milliards de dollars, et pourrait, d’après les projections actuelles, atteindre 10 milliards voire 100 milliards d’ici à 2030 — et des milliers de milliards d’ici à 2050.

Les partisans du marché volontaire affirment que ce dernier a commencé à faire ses preuves et qu’il permet de prendre des actions en faveur du climat et de financer la conservation des forêts dans des endroits où les mesures de protection gouvernementales restent limitées. Ils ajoutent qu’il offre également aux particuliers, aux entreprises et aux États la possibilité de compenser leurs émissions de carbone et de contribuer à freiner le changement climatique. Et, selon eux, ces 2 milliards de dollars sont bien la preuve que le mécanisme fonctionne.

Puis, le 18 janvier 2023, le périodique britannique The Guardian, l’hebdomadaire allemand Die Zeit et l’organisation journalistique à but non lucratif SourceMaterial ont publié le premier volet d’une série d’articles annonçant que plus de 90 % des crédits carbone issus d’un ensemble de projets de conservation des forêts n’avaient pas eu d’effets réels sur le changement climatique. Selon les journalistes, les bénéfices en faveur des forêts à l’origine des crédits, ainsi que la valeur des crédits pour le climat ont été fortement gonflés – pour ne pas dire qu’ils étaient inexistants.

Ces critiques ne sont pas nouvelles. Elles existent depuis que l’idée de compensation des émissions s’est imposée à la fin des années 1980. Une enquête menée en 2022 par Bloomberg Green a révélé que de nombreux crédits, issus essentiellement de projets d’énergie renouvelable et vendus à des entreprises pour compenser leurs émissions de carbone, n’étaient que des crédits de « pacotille ». Une enquête menée conjointement par The New Humanitarian et Mongabay en septembre 2023 a soulevé de sérieuses questions sur les affirmations des Nations Unies selon lesquelles ces entreprises seraient presque entièrement neutres en carbone grâce à leurs achats de crédits carbone.

Peu après le premier article du Guardian au début de l’année 2023, Verra, le plus grand organisme de certification de crédits carbone au monde et ardent défenseur des marchés du carbone, a lancé une contre-offensive. L’organisation à but non lucratif basée aux États-Unis a soutenu que les conclusions des journalistes étaient fausses. Verra et ses partisans ont déclaré que l’analyse reposait en grande partie sur une étude scientifique qui n’avait pas fait l’objet d’un comité de lecture. Verra a également ajouté que les méthodes de calcul n’étaient pas parfaites, à l’instar, selon l’organisation, des autres dispositifs présentés dans l’étude. (L’article en question a depuis été examiné par d’autres scientifiques et publié par la revue Science, bien qu’il continue de faire l’objet de controverses.)

Malgré les défenses du groupe, le PDG de Verra a tout de même démissionné en mai 2023. Verra a commencé à diffuser une version actualisée de ses lignes directrices visant à renforcer la transparence et l’« intégrité » des marchés. Le groupe a indiqué que cette mise à jour était déjà prévue depuis longtemps et qu’elle n’avait pas été motivée par l’enquête du Guardian.

Mais par la suite, de nombreuses entreprises, déjà méfiantes à l’égard des compensations carbone, ont commencé à s’en détourner, par crainte d’être accusées de « blanchiment » de leurs activités. C’est le cas du groupe Nestlé qui, en juin 2023, est revenu sur ses engagements de neutralité carbone pour certaines de ses marques, craignant des poursuites judiciaires pour de fausses déclarations concernant sa neutralité climatique. Ou encore du groupe Royal Dutch Shell qui a décidé de renoncer à ses investissements prévus de 100 millions de dollars de développement de compensation CO2. Les procès pour la neutralité carbone intentés à des entreprises comme Delta Airlines, basée aux États-Unis, se sont eux aussi multipliés.

De nombreux analystes avaient prédit que l’année 2023 serait une année charnière pour le marché volontaire du carbone.

One of Liberia’s opposition parties, the Liberian People’s Party, has called for negotiations between the government and Blue Carbon to be suspended until communities who will be impacted by the deal are consulted.
Au Libéria, l’un des partis de l’opposition, le Liberian People’s Party (« le parti du peuple libérien ») a demandé la suspension des négociations de l’accord sur le carbone forestier entre le gouvernement et Blue Carbon tant que les communautés locales touchées par l’accord ne seraient pas consultées. Image de Open Government Partnership via Flickr (CC BY 2.0).

« En 2023, nous nous trouvons à un point d’inflexion pour l’avenir du rôle des marchés du carbone dans l’atténuation des effets du changement climatique au niveau mondial », a déclaré Frances Seymour, qui était membre émérite de l’Institut des ressources mondiales au moment où elle s’est entretenue avec Mongabay.

D’autres ont vu dans la dissection des méthodes du marché la preuve supplémentaire d’une diversion qui empêche le monde de prendre de véritables mesures en faveur du climat.

Aussi imparfaits que soient les marchés, « nous avons besoin de nous doter de tous les outils possibles pour nous adapter aux effets du changement climatique, pour les atténuer et les réduire », a déclaré à Mongabay Robert Nasi, directeur général de l’organisation de recherche CIFOR-ICRAF, répondant à ceux qui s’inquiètent du changement climatique, de la déforestation et de la perte de biodiversité.

Il est presque universellement admis qu’il est impératif de mettre fin à l’utilisation des combustibles fossiles et aux émissions de gaz à effet de serre qui en résultent pour éviter une catastrophe climatique. Mais la quantité de carbone émise depuis le début de la révolution industrielle datant du 18e siècle est tellement massive que même une révision en profondeur des industries du transport, de l’agriculture et de l’électricité ne suffirait pas à maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 1,5° Celsius (2,7° Fahrenheit) ou de 2°C (3,6°F) par rapport aux valeurs préindustrielles. Ces chiffres sont les objectifs clés de l’accord de Paris sur le climat de 2015 et les seuils en dessous desquels les scientifiques affirment que le monde évitera les pires effets du réchauffement climatique.

Nombre de personnes estiment que c’est là que les solutions fondées sur la nature, telles que la conservation des forêts, avec le soutien du marché volontaire du carbone, peuvent jouer leur rôle. Les marchés volontaires du carbone bénéficient également du soutien d’acteurs clés qui les considèrent comme l’approche la plus active pour lutter contre les effets du changement climatique.

« C’est très important d’avoir cela, car nous n’avons aucune autre option pour l’instant », a déclaré Tim Christophersen, vice-président de l’action climatique chez Salesforce, lors d’une table ronde organisée à Dubaï dans le cadre de la COP 28. L’entreprise américaine a créé son propre marché de crédits carbone en 2022.

Mais à mesure que la pression sur les marchés volontaires et les projets qui les alimentent augmente, les inquiétudes quant à leur viabilité se multiplient.

« Pour que ce marché puisse fonctionner […] comme moyen d’accélérer l’action climatique mondiale vers le zéro émission nette, il faut qu’il y ait à la fois de la demande et de l’offre », a souligné Frances Seymour

Des deux côtés, les acteurs cherchent à renforcer l’intégrité du système de crédits. À Dubaï, de nombreuses organisations qui soutiennent les marchés volontaires du carbone se sont ralliées pour rationaliser les lignes directrices des entreprises, ce qui, selon elles, facilitera l’achat de crédits carbone « à haute intégrité » en toute confiance.

Dans les efforts déployés en quête d’« intégrité », les principaux certificateurs, dont Verra, ont accepté de collaborer pour rendre leurs normes plus homogènes. En outre, l’autorité américaine de régulation des matières premières, la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), a proposé ses propres lignes directrices pour les échanges volontaires, ce qui, selon les analystes, pourrait favoriser l’adoption de normes plus strictes.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Et qu’adviendra-t-il des crédits de carbone volontaires ?

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Les défenseurs des stratégies de conservation des forêts soutiennent que le mécanisme REDD+ apporte un financement indispensable à la protection et à la restauration des forêts, non seulement pour le carbone qu’elles contiennent, mais aussi pour la biodiversité et les communautés qu’elles abritent. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

Origines

En 1997, les dirigeants de 160 nations ont adopté le protocole de Kyoto qui tient son nom de la ville japonaise où il a été signé lors de la 3e Conférence des parties sur le climat (COP 3). Le protocole de Kyoto exigeait que les pays industrialisés limitent la quantité de carbone émise. Même si les États-Unis, le plus gros émetteur mondial à cette époque, n’ont jamais ratifié l’accord, celui-ci a été considéré par beaucoup comme la première prise de conscience mondiale de l’impact des activités humaines sur le climat.

La déforestation à grande échelle a décimé les forêts tropicales tout au long des années 1990, et a été principalement alimentée par la demande des pays riches en bois, en cultures commerciales, en viande, etc. L’essor de l’exploitation forestière n’a pas seulement mis en péril l’habitat d’un nombre incalculable d’espèces et les ressources de 20 % de la population mondiale qui dépend des forêts pour sa subsistance et sa survie, il a aussi détruit un important réservoir de carbone, qu’il a laissé s’échapper dans l’atmosphère. Si on avait laissé les arbres grandir, ils auraient continué à capturer du carbone dans l’atmosphère.

Avec l’avènement du protocole de Kyoto et du mécanisme de développement propre, l’idée a germé que les pays pollueurs pourraient investir dans la réduction des émissions dans d’autres pays. Ce mécanisme permettrait aux pays industrialisés d’atteindre leurs objectifs en matière d’émissions, tout en fournissant des fonds pour encourager le développement durable dans d’autres parties du monde. Il s’articule aussi autour de l’idée de crédits « vendables » liés à ces projets de réduction des émissions.

En 2007, à la COP 13 à Bali (Indonésie), le concept de REDD avait déjà gagné du terrain. Il reposait sur l’idée introduite en 2005 par la Coalition des nations à forêts tropicales humides, un groupe de pays représentant aujourd’hui 90 % du couvert forestier tropical humide du monde. Abréviation de « réduction des émissions dues à la dégradation des forêts et à la déforestation dans les pays en développement », l’initiative REDD met en avant le rôle des forêts et de leur conservation dans l’atténuation des effets du changement climatique. Le terme REDD+ a ensuite remplacé le REDD, mettant l’accent sur la gestion durable des forêts afin d’augmenter les stocks de carbone.

L’idée initiale du dispositif REDD reposait sur un système de récompense pour les pays œuvrant pour la protection de leurs forêts. Kevin Conrad, fondateur et directeur général de la Coalition des nations à forêts tropicales humides, qui a aussi participé à la création de l’une des premières versions de l’initiative REDD, revient sur le système et explique que les pays bénéficiaient de financements à hauteur de leurs résultats au fur et à mesure de l’étoffement de leurs forêts (et de l’augmentation du stock de carbone qu’elles contenaient) – à condition qu’ils continuaient à lutter contre la déforestation.

Pour d’autres, les marchés de carbone constituaient une solution plus rapide, dans laquelle les projets de REDD+ étaient vus comme un moyen de contribuer immédiatement à la réduction des émissions. La feuille de route de Bali, issue de la COP 13, a appelé à la mise en place d’« activités de démonstrations » pour stimuler les efforts des pays à l’égard du dispositif REDD.

« Les activités de démonstration » ont été interprétées comme des « projets », a déclaré Frances Seymour. « On a alors dénombré une énorme floraison d’initiatives de conservation qui ont été rebaptisées « projets REDD+ ».

Tree logged in Gabon.
L’essor de l’exploitation forestière n’a pas seulement mis en péril l’habitat d’un nombre incalculable d’espèces et les ressources de 20 % de la population mondiale qui dépend des forêts pour sa subsistance et sa survie, mais il a aussi détruit un important réservoir de carbone, qu’il a laissé s’échapper dans l’atmosphère. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

Les projets REDD+ nouvellement étiquetés ont proliféré dans des endroits présentant une menace imminente pour les forêts – dans un pays ou une région où les forêts sont converties en terres agricoles à mesure que la population augmente, par exemple. Les développeurs de projets pourraient soutenir que, grâce à leur travail, la « déforestation a été évitée » et, de fait, le carbone n’a pas été rejeté dans l’atmosphère – c’est la partie « réduction des émissions » de REDD+. C’est là que le marché volontaire vient récompenser ces résultats par des crédits pouvant être échangés ou vendus, et non par des paiements comme initialement prévu.

Puis vint le sommet historique de Paris sur le climat de 2015 (COP 21), au cours duquel les pays ont présenté leurs objectifs individuels de réduction des émissions, connus sous le nom de contributions déterminées au niveau national (CDN). Les CDN définissent les bases du marché mondial du carbone soutenu par les Nations Unies et constituent l’un des instruments utilisés par les pays pour atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. L’Accord de Paris a également reconnu l’importance de préserver les forêts et les autres puits de carbone naturels. Une étude menée en 2017 a conclu que les « solutions climatiques naturelles » pouvaient contribuer à plus d’un tiers des réductions d’émissions de carbone nécessaires au maintien de l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2 °C.

Selon cette étude, en « compensant » ou en annulant les émissions ailleurs, le marché des crédits carbone pourrait aider les entreprises à se diriger vers le zéro émission nette, en ligne avec l’effort de réduction des émissions globales de gaz à effet de serre.

Selon Kevin Conrad, seul un système soutenu par les Nations Unies permettra de changer les choses.

« Pour nous, c’est l’avenir », a-t-il affirmé. « C’est de cette manière que les entreprises vont s’impliquer. Ce n’est pas en achetant des crédits volontaires sur la base d’une norme volontaire qui n’est fixée par aucun régime mondial [et] qui n’est pas incluse dans les CDN, et qui de surcroît utilise des normes qui ne sont pas homogènes, mais c’est en étant obligées d’acheter des crédits issus de l’Accord de Paris qui font partie d’un système de comptabilité reconnu et soutenu au niveau mondial. »

Fin novembre 2023, le Suriname est devenu le premier pays à offrir près de 5 millions de crédits carbone au titre de l’Article 6 de l’Accord de Paris par le biais des résultats d’atténuation transférables à l’échelle internationale (internationally transferable mitigation outcomes, ITMO). Kevin Conrad considère la publication des ITMO comme une illustration de l’objectif initial du REDD, qui consistait à récompenser les pays pour la protection de leurs forêts. L’Article 6 de l’Accord de Paris autorise les pays à échanger leurs réductions et absorptions d’émissions et prévoit également un marché mondial du carbone.

Mais les défenseurs du marché volontaire voient l’accent mis sur les mécanismes d’attribution et d’échange de crédits de l’Article 6 comme un soutien aux échanges volontaires, même si les crédits volontaires ne sont pas soumis aux mêmes exigences et à la même surveillance qu’un outil tel que les ITMO. Depuis 2015, le nombre de crédits offerts et reposant sur des projets certifiés augmente chaque année. Et dernièrement, l’idée d’un système juridictionnel plus proche de la comptabilité nationale prévue pour un marché du carbone supervisé par les Nations Unies et le concept du marché volontaire du carbone se sont rapprochés.

Brownsberg reservoir, Suriname.
Réservoir de Brokopondo au sein du parc national de Brownsberg, au Suriname. Fin novembre 2023, le Suriname est devenu le premier pays à offrir près de 5 millions de crédits carbone au titre de l’Article 6 de l’Accord de Paris par le biais des résultats d’atténuation transférables à l’échelle internationale (internationally transferable mitigation outcomes, ITMO). Image de Rhett A. Butler/Mongabay.

Un concert de critiques

Kevin Conrad estime que l’essor du marché volontaire non réglementé exacerbe les problèmes liés au double comptage des réductions et des absorptions d’émissions, susceptible de surgir si les développeurs de projets et les pays n’appliquent pas un système de comptabilité carbone homogène. Le fonctionnement du marché volontaire, ce qu’il implique pour les communautés et les pays forestiers où ces projets ont été mis en place a également fait l’objet de controverses, mais les discussions ont surtout porté sur les réductions d’émissions. Il s’agit en effet de déterminer si elles contribuent réellement à la lutte contre le changement climatique.

D’un côté du débat, les détracteurs affirment que les compensations carbone issues du marché volontaire ne sont qu’une excuse pour les grandes entreprises et les pays riches pour continuer à polluer, tout en incitant très peu à la réduction des émissions. Selon eux, l’achat de crédits carbone, solution relativement bon marché, freine l’investissement de ces entreprises dans des projets qui viseraient à réduire leur empreinte carbone.

Mais pour nombre de défenseurs du marché volontaire, ces critiques ne reflètent pas la réelle situation. Les compensations ne sont qu’une partie de la stratégie climatique des entreprises qui achètent des crédits, a déclaré Josh Tosteson, président d’Everland, une entreprise en charge du marketing des projets REDD+.

« Les organisations les plus impliquées dans la compensation sont celles qui œuvrent le plus et investissent le plus en faveur de la décarbonisation à travers leurs activités », a souligné Josh Tosteson. « Les critiques avançant que les entreprises vont en quelque sorte utiliser ces compensations comme un écran de fumée pour ne pas investir n’ont pas été corroborées par des faits. »

Smoke rising towards the sky from the chimneys of a paper mill in Sweden.
Fumée s’élevant dans le ciel depuis les cheminées d’une usine à papier en Suède. D’un côté du débat, les détracteurs affirment que les compensations carbone issues du marché volontaire ne sont qu’une excuse pour les grandes entreprises et les pays riches pour continuer à polluer, tout en incitant très peu à la réduction des émissions. Image de Daniel Moqvist via Unsplash (Domaine public).

Une récente étude menée par la société britannique d’évaluation et d’analyse des crédits carbone Sylvera auprès de plus de 100 entreprises, a révélé que les entreprises qui investissent dans les crédits carbone réduisent leurs propres émissions presque deux fois plus vite que celles qui n’investissent pas.

Toutefois, selon une étude publiée en novembre 2023 par le journal PLOS Climate, les entreprises ne prennent pas en compte l’ensemble des émissions résultant de leurs activités. L’étude a souligné que les entreprises ne déclaraient pas toujours les émissions issues de certaines parties de leur chaîne d’approvisionnement, celles qu’elles ne contrôlent pas directement. Ces émissions sont appelées émissions de portée 3.

De l’autre côté du débat, les défenseurs semblent soutenir que « les compensations carbone vont sauver le monde », a déclaré Nasi du CIFOR-ICRAF. « Mais c’est faux. »

En dépit de la valeur croissante du marché du carbone, les crédits vendus en 2022 s’élevaient à 116 millions de tonnes de CO2, soit seulement 0,3 % des émissions mondiales totales de l’année issues de la production d’énergie.

Les critiques soulevées par The Guardian sur les compensations portent essentiellement sur les méthodes utilisées par les développeurs de projets pour calculer les réductions des émissions de carbone liées à la dégradation forestière et à la déforestation du programme REDD+.

« Les entreprises ont gonflé leurs mesures de référence et leurs projets ne contribuent pas autant à la réduction de la déforestation qu’elles le prétendent », a déclaré en août 2023 à Mongabay Thales West, chercheur principal de l’étude publiée par Science, sur laquelle reposent nombre des conclusions du Guardian.

Des critiques plus importantes portent sur l’idée ironique et hypocrite d’échange de crédits sur les marchés, car c’est précisément ce modèle d’extractivisme capitaliste dans des secteurs tels que l’agriculture et le bois qui a largement conduit à la déforestation et a ensuite contribué au rejet d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Depuis le milieu du 18e siècle, le changement d’affectation des terres pour ces types d’activités est responsable d’un tiers des émissions de CO2.

Les défenseurs des droits humains affirment que soutirer des crédits auprès des pays moins industrialisés pour « compenser » ses émissions dans l’hémisphère Nord est une nouvelle forme de colonialisme, autorisant des modes de vie à empreinte carbone élevée et des spéculations lucratives dans les pays riches. Cette pratique risque également d’empêcher le développement économique des pays moins industrialisés et d’entraver leurs capacités à équilibrer leurs propres émissions.

Malgré toutes ces controverses, les défenseurs du marché volontaire affirment qu’il est impératif d’agir maintenant, même de manière imparfaite.

« Notre obligation est, avant tout, d’arrêter de tergiverser et d’apporter des fonds là où ils sont nécessaires », a déclaré Josh Tosteson.


Dans cette série en cinq parties, Mongabay explore les critiques soulevées par le marché du carbone, et en particulier les projets de conservation des forêts qui génèrent des crédits. Les articles de cette série visent à examiner une variété de perspectives, y compris celles des développeurs de projets, des groupes de normalisation, des intermédiaires et des communautés, recueillies lors d’entretiens, de reportages sur le terrain et d’analyses de l’actualité et de la littérature scientifique.

La clôture de la COP 28 et de l’année 2023 a marqué la fin d’une année charnière pour les marchés du carbone, mais a laissé en suspens des questions cruciales :

Les marchés du carbone joueront-ils un rôle significatif dans la réalisation des futurs objectifs climatiques ? Et si oui, de quelle manière ?


Image de bannière : Un pêcheur jette son filet en Malaisie. Les médias ont fait état de préoccupations à l’égard des bénéfices douteux des crédits carbone pour l’environnement, les communautés locales et les droits fonciers, ainsi que de leur utilisation par les entreprises de l’hémisphère Nord pour échapper au lourd fardeau de décarbonisation de leurs activités. Image de John Cannon/Mongabay.

John Cannon est journaliste chez Mongabay. Retrouvez-le sur Bluesky.


Citations:

Griscom, B. W., Adams, J., Ellis, P. W., Houghton, R. A., Lomax, G., Miteva, D. A., . . . Fargione, J. (2017). Natural climate solutions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 114(44), 11645-11650. doi:10.1073/pnas.1710465114

Nguyen, Q., Diaz-Rainey, I., Kitto, A., McNeil, B. I., Pittman, N. A., & Zhang, R. (2023). Scope 3 emissions: Data quality and machine learning prediction accuracy. PLOS Climate, 2(11), e0000208. doi:10.1371/journal.pclm.0000208

West, T. A. P., Wunder, S., Sills, E. O., Börner, J., Rifai, S. W., Neidermeier, A. N., Frey, G. P., & Kontoleon, A. (2023). Action needed to make carbon offsets from forest conservation work for climate change mitigation. Science, 381(6660), 873–877. doi:10.1126/science.ade3535


Article original: https://news.mongabay.com/2024/01/forest-carbon-credits-and-the-voluntary-market-a-solution-or-a-distraction/

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