Nouvelles de l'environnement

L’avenir des crédits carbone et des marchés volontaires du carbone forestier

  • Les observateurs ont prédit que 2023 serait une année décisive pour les marchés volontaires du carbone et un « point d’inflexion » pour leur rôle d’atténuation du réchauffement climatique et de la déforestation à l’échelle mondiale.
  • Face aux critiques concernant la comptabilisation des crédits carbone, les revendications de neutralité carbone et les problèmes liés aux populations des zones forestières, les organes de gouvernance affirment qu'ils ont travaillé pour faire progresser la cohérence et « l’intégrité » du marché volontaire du carbone et plus particulièrement de la stratégie de conservation des forêts connue sous le nom de REDD+.
  • L’inquiétude persiste chez certains observateurs, notamment ceux qui estiment que les sociétés d'achat de crédit devraient se concentrer sur l'élimination de leurs émissions de carbone sur l'ensemble de leurs activités.
  • Mais les partisans de ces marchés affirment que si la décarbonisation est indispensable pour limiter la hausse des températures mondiales, le commerce du carbone permet d'atténuer les émissions résiduelles gênantes dont il est impossible ou trop coûteux de se débarrasser à l'heure actuelle.

Cet article est le cinquième d’une série en cinq parties sur les crédits-carbone forestiers et le marché volontaire du carbone. Rendez-vous ici pour lire la première partie, la deuxième partie, la troisième partie et la quatrième partie.

De l’avis de nombreux experts et observateurs, le marché volontaire du carbone est confronté à un ensemble de différentes possibilités pour son avenir, et un changement marqué semble imminent après que les critiques de cette approche ont atteint un niveau record en 2023.

Au milieu de ces préoccupations, les opinions n’ont peut-être jamais été aussi polarisées, en particulier lorsqu’il s’agit des crédits dérivés des projets de carbone forestier. Selon certains, ce commerce est essentiel pour endiguer la hausse des températures et la déforestation. Ses partisans argumentent qu’il canalise des fonds indispensables à la protection des forêts.

Mais d’autres assurent qu’il s’agit d’une diversion qui empêche de progresser vers un avenir sans émission et potentiellement moins chaud. Ces détracteurs des marchés du carbone affirment que le processus de calcul des crédits des projets liés au carbone forestier est fondamentalement faussé car il incite à accorder des crédits excessifs en gonflant à la fois le risque de déforestation et l’efficacité des projets destinés à y remédier. En outre, ajoutent les critiques, le système permet aux plus gros émetteurs, principalement dans le Nord, de sous-traiter leur action climatique à des pays forestiers tropicaux moins industrialisés.

Bien qu’il existe de nombreux types de projets, le plus grand nombre est classé dans la catégorie REDD+, qui signifie réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts. Les projets REDD+ se concentrent généralement sur l’immense puits carbone des forêts tropicales, et ils représentent environ un quart de tous les crédits carbone émis, selon le Berkeley Carbon Trading Project.

Plusieurs articles du Guardian, en Angleterre, de Die Zeit, en Allemagne, et de SourceMaterial, une ONG de journalistes, ont remis en question en janvier 2023 les effets positifs pour le climat d’une écrasante majorité des crédits REDD+. Les analyses cristallisent des inquiétudes de longue date et, ce faisant, ont suscité un changement dans la manière dont les crédits et l’idée de compenser les émissions sont perçus.

Rainforest in Malaysian Borneo.
Forêt pluviale à Bornéo, Malaisie. Les projets REDD+ se concentrent généralement sur l’immense puits carbone des forêts tropicales, et ils représentent environ un quart de tous les crédits carbone émis. Crédit photo : John Cannon/Mongabay.

De grandes entreprises telles que EasyJet, Nestlé et United Airlines renoncent à compenser leur empreinte carbone en investissant dans ce type de crédits. Elles ont exprimé des inquiétudes quant à l’honnêteté des crédits et semblent craindre des accusations d’écoblanchiment. En mai, la compagnie Delta Airlines a été poursuivie pour s’être proclamée « la première compagnie aérienne neutre en carbone au monde ». Les entreprises qui persistent à viser une neutralité basée sur les compensations s’exposent à des critiques. Prenons ainsi l’exemple de Apple et de sa montre Série 9, prétendument neutre en carbone.

Il est à noter que l’Initiative volontaire pour l’intégrité des marchés du carbone (VCMI), une organisation internationale à but non lucratif, a appelé à abandonner les affirmations de neutralité carbone basées sur les compensations, au profit d’une intégration des investissements dans les crédits carbone comme contribution à l’atténuation du changement climatique au-delà de leurs efforts de décarbonisation des opérations.

Dans ce contexte, les prix des crédits sur le marché volontaire ont fortement chuté et les projections indiquent que le marché ne parviendra pas à atteindre la valeur maximale de 2 milliards de dollars qu’il a atteinte en 2021.

« Toutes ces controverses et articles qui ont eu lieu récemment semblent avoir vraiment causé un problème [pour les marchés volontaires]. J’espère que ce n’est qu’un accident de parcours », a déclaré Edward Mitchard, écologiste et cofondateur de la société Space Intelligence, basée au Royaume-Uni, qui fournit des données et des modèles cartographiques à des projets pour la nature ainsi qu’à Verra, le plus important certificateur de crédits de carbone au monde. « Le marché des solutions basées sur la nature continue de croître, mais il semble que de nombreux projets REDD [et] les développeurs de projets REDD rencontrent de nombreux problèmes en ce moment. »

Edward Mitchard affirme être plus optimiste pour l’avenir des marchés, et plus optimiste pour la planète : Après cet incident, le marché et les organismes de certification tels que Verra restaurent la confiance en améliorant la comptabilisation du carbone, et les marchés volontaires du carbone et REDD+ restent, selon lui, des voies essentielles pour financer la protection des forêts.

A coffee farmer carries saplings.
Programme d’agroforesterie Nespresso avec des producteurs de café au Guatemala et en Colombie. Crédit photo Nestlé via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Les partisans des crédits carbone forestiers préconisent une stratégie globale, arguant du fait que la lenteur des gouvernements à légiférer sur le climat signifie que les marchés, aussi imparfaits soient-ils, sont l’un des rares outils disponibles aujourd’hui.

« Nous devons faire tout ce qui est possible, » affirme Edward Mitchard. Face à une déforestation persistante, il ajoute : « Chaque aide supplémentaire que vous pouvez apporter pour obtenir de meilleurs résultats que les politiques actuelles en vaut la peine ».

Cela signifie qu’il faut tirer parti du programme REDD+ et des crédits carbone qu’il produit, a déclaré Josh Tosteson, président d’Everland, une société basée aux États-Unis qui fournit des services de marketing et d’autres formes de soutien aux projets REDD+.

« Aucun calcul ne permet de résoudre la crise du climat sans mettre fin à la déforestation » affirme Josh Tosteson. « Il n’y a pas d’autre mécanisme que les marchés volontaires du carbone qui permette à ce jour d’atteindre cet objectif. »

Selon Edward Mitchard, si l’on peut atteindre l’objectif de mettre fin à la déforestation d’ici 2030, cela pourrait changer le rôle du marché. Bien sûr, il s’agit d’un grand « si », car la déforestation se poursuit à un rythme alarmant : une évaluation récente a démontré que nous sommes en retard sur les progrès nécessaires pour mettre fin à la perte de couverture forestière d’ici la fin de la décennie.

Mais mettre fin à la déforestation impliquerait un changement d’orientation de ce commerce volontaire. Aujourd’hui, le débat tourne autour de la question de savoir si l’accent doit être mis sur la prévention de la déforestation dans les forêts existantes, ce qui donne lieu à un calcul compliqué – et, selon certains, douteux – pour déterminer le montant des réductions d’émissions pouvant être vendues sous forme de crédits, ou sur l’élimination du carbone par la restauration des terres dégradées et le reboisement. Les écologistes insistent sur le fait que si les deux stratégies sont importantes, il est impératif de protéger ce qui reste des forêts tropicales, ce qui conforte les projets REDD+ qui visent à préserver les forêts et à réduire les émissions. Elles représentent des puits de carbone considérables et fournissent également un habitat pour la biodiversité, régulent le climat local et régional tout en apportant des moyens de subsistance aux populations locales. En outre, restaurer une forêt jusqu’à pleine maturité peut prendre plusieurs dizaines d’années, si ce n’est plus.

Si la déforestation peut être stoppée d’ici la fin de la décennie, l’objectif pourrait passer à la restauration, ce qui impliquerait alors de planter des arbres et de travailler à la restauration des écosystèmes des forêts dégradées. Cela permettrait ensuite de calculer plus facilement la quantité de carbone que ces régions soustraient de l’atmosphère. Dans le même temps, l’accessibilité et l’efficacité accrues d’applications technologiques telles que le captage direct du carbone de l’air pourraient renforcer leur utilité en tant que solutions pour le climat.

Logs harvested from the forests of Malaysian Borneo.
Exploitation forestière à Bornéo, Malaisie. Crédit photo : John Cannon/Mongabay.

Les études actuelles suggèrent que nous devons réduire les émissions de carbone et le faire rapidement si nous voulons atteindre l’objectif de rester en dessous de la limite de 1,5 °C de réchauffement de la température mondiale par rapport aux niveaux préindustriels fixée dans l’accord de Paris sur le climat en 2015. Pour commencer, nous devons arrêter l’utilisation des énergies fossiles, affirme Edward Mitchard.

« La chose la plus importante que nous puissions faire pour résoudre la crise du climat est de faire passer notre modèle énergétique au zéro carbone, » ajoute-t-il.

L’accord final de la dernière conférence pour le climat (COP28) à Dubaï appelait à une « transition et à l’abandon des énergies fossiles ». C’est la première fois qu’une réduction des énergies fossiles était mentionnée dans un accord des Nations unies sur le climat, mais sans toutefois exiger une « élimination » que les scientifiques et les militants jugent nécessaire pour éviter les pires effets du changement climatique.

Mais la réalité pourrait mener à tout autre résultat pour le marché volontaire.

« En 2023, nous nous trouvons à un point d’inflexion pour l’avenir des marchés du carbone dans la régulation globale du climat », a déclaré Frances Seymour, membre éminent de l’Institut des ressources mondiales au moment où elle s’est entretenue avec Mongabay.

La question est aujourd’hui de savoir quel rôle joueront les marchés volontaires et les crédits carbone et s’ils peuvent constituer une passerelle vers un avenir sans déforestation.

Wind turbines set up in India by Yahoo as a carbon offsetting project.
Éoliennes installées en Inde par Yahoo dans le cadre d’un projet de compensation carbone. Crédit photo Vestas/Yahoo via Flickr (CC BY 2.0).

Un prix pour les forêts

À quel point REDD+ peut-il bloquer la déforestation ?

« Il ne pourra pas mettre fin à la déforestation à lui seul, » selon Edward Mitchard.

Selon une estimation récente de l’Energy Transitions Commission, une coalition de leaders du secteur de l’énergie, il faudrait dépenser 130 milliards de dollars par an pour mettre fin à la déforestation d’ici à 2030. Même ses partisans reconnaissent que les 5,2 milliards de dollars engagés dans le programme REDD+ depuis 2008 ne représentent qu’une petite goutte d’eau dans l’océan de ce qui est nécessaire.

« La perte de couvert forestier en elle-même est un problème qui réclame une attention extrême », a déclaré Josh Tosteson à Mongabay. « À ce stade, nous devons multiplier par plus de dix les investissements dans les ressources. »

En dépit de leurs imperfections, REDD+ et le marché volontaire du carbone ont fait évoluer le débat, qui ne considère plus les forêts uniquement en termes de « valeur liquidée » de leur bois, des terres agricoles ou des pâturages, a déclaré Toby Janson-Smith, responsable du développement des programmes et de l’innovation chez Verra.

« En donnant un prix aux forêts sur pied, le paradigme change fondamentalement vis-à-vis de tous les acteurs au sein des pays et dans l’ensemble du paysage », explique-t-il. « Cela comprend les gouvernements, les populations autochtones, les propriétaires terriens et tous les autres acteurs concernés. »

Recently cleared land for an oil palm plantation in Peru.
Terrain récemment déboisé pour une plantation d’huile de palme au Pérou. Crédit photo : John Cannon/Mongabay.

Au moment où le reportage du Guardian a été publié au début de l’année 2023, les projets REDD+ alimentant le marché volontaire étaient déjà en pleine transition.

Plus précisément, il s’agissait de mettre en adéquation les crédits vendus dans le cadre de ces projets individuels avec les efforts déployés à l’échelle nationale pour réduire les émissions de carbone. Parmi les initiatives clés de l’Accord de Paris figurait la codification de l’importance des contributions déterminées au niveau national, qui sont les objectifs de réduction des émissions que les pays signataires de l’accord s’engagent à atteindre sur la voie du zéro carbone.

Un autre aspect essentiel de l’Accord de Paris est l’article 6 qui permet le commerce de crédits de gaz à effet de serre entre les pays. Nombreux sont ceux qui considèrent cette inclusion comme un soutien au programme REDD+, permettant aux pays riches de compenser leurs propres émissions surdimensionnées tout en finançant la conservation dans les pays forestiers et souvent moins industrialisés. Mais que se passe-t-il quand les crédits sont vendus à un acheteur extérieur ? Les réductions d’émissions peuvent-elles être comptabilisées par l’acheteur et par le pays à l’origine des crédits ?

Bien que l’Accord de Paris de 2015 soit présenté comme un rassemblement crucial dans la lutte mondiale contre le changement climatique, il n’a pas résolu ce problème de double comptage, selon un article récemment publié dans la revue scientifique One Earth. Les auteurs soulignent que « les échanges entre parties privées n’exigent pas que le pays du vendeur procède à un ajustement correspondant », comme le prévoit l’article 6.4 de l’accord. Selon ses détracteurs, le procédé mène inévitablement à une double comptabilisation, chaque tonne équivalent CO2 étant revendiquée à la fois par le pays d’origine et par l’acheteur.

Two rangers in Kasigau Wildlife Sanctuary, Kenya.
Deux gardes forestiers du sanctuaire naturel de Kasigau, au Kenya. Plusieurs entreprises européennes et américaines soutiennent le projet REDD+ du Corridor de Kasigau dans le cadre de leurs programmes de compensation carbone. Crédit photo Geoff Livingstone via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

Le point de vue juridictionnel

De nombreuses acteurs impliqués dans le programme REDD+ affirment que l’adoption d’un système de crédit juridictionnel pourrait contribuer à atténuer le problème du double comptage. Selon Frances Seymour, cette question a été soulevée alors que le programme REDD+ démarrait tout juste, lors de la conférence des Nations unies sur le climat qui s’est tenue à Bali, en Indonésie, en 2007. (Elle travaille actuellement au Bureau de l’Envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat, mais ses opinions ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement américain ou de l’Envoyé spécial du président.) Dès le début, l’objectif était de construire les systèmes comptables de REDD+, ainsi que ses sauvegardes, autour d’entités juridiques, telles que les pays ou les grandes régions administratives ou provinces.

Mais l’appel à des « activités de démonstration » a fait boule de neige, menant à davantage de projets REDD+ qui ont commencé à alimenter le marché volontaire en crédits de carbone, a-t-elle déclaré. Dans le même temps, un système soutenu par l’ONU et financé par des pays du Nord comme la Norvège et l’Allemagne s’est concentré sur les paiements basés sur les résultats. Les deux systèmes prétendaient travailler à la réalisation des objectifs REDD+, ce qui a créé une certaine confusion.

Fin 2022, la Guyane, en Amérique du Sud a vendu pour 750 millions de dollars de crédits carbone à Hess, une compagnie pétrolière américaine.

« Je dirais que ce n’est qu’avec cette émission de crédits de décembre [2022] par la Guyane que ces deux mondes ont commencé à se croiser, avec des échanges de crédits basés sur un marché à l’échelle juridictionnelle », a déclaré Frances Seymour. Les calculs pour les crédits utilisaient une norme connue sous le nom de TREES, abréviation de The REDD+ Environmental Excellence Standard, développée par une organisation appelée Architecture for REDD+ Transactions (ART), dont F. Seymour était la présidente du conseil d’administration au moment où elle s’est entretenue avec Mongabay. (Elle n’occupe plus ce poste aujourd’hui.)

Au début de la COP28, le Costa Rica et le Ghana ont annoncé la vente de 60 millions de dollars de crédits REDD+ juridictionnels à plusieurs grandes entreprises, dont McKinsey, Bayer et la Fondation Walmart, qui font partie de la Coalition LEAF, un partenariat public-privé dont l’objectif déclaré est de mettre fin à la déforestation d’ici à 2030.

« Un problème qui reste à résoudre est celui de savoir ce que l’on fait concrètement de tous ces projets et de l’avènement de l’attribution de crédits à l’échelle juridictionnelle », s’interroge F. Seymour.

Freshly milled balsawood boards in the Peruvian Amazon.
Planches de balsa fraîchement coupées en Amazonie péruvienne. Crédit photo : John Cannon/Mongabay.

Certains considèrent que le fait d’aborder les projets au niveau national est une solution au problème du double comptage. Cela vise également à résoudre des problèmes tels que les fuites, un terme qui fait référence au déplacement de la déforestation – par exemple, si les activités d’un projet REDD+ ralentissent la perte de forêt, mais que les agriculteurs défrichent une autre zone de terre un peu plus loin et qui n’était pas menacée par la déforestation auparavant.

Ces questions ont conduit à des tensions entre les deux camps REDD+, comme s’il ne pouvait s’agir que d’un système ou de l’autre. Mais Frances Seymour n’est pas de cet avis.

« Beaucoup de gens ne comprennent pas que, si vous êtes partisan des crédits à l’échelle juridictionnelle, cela signifie que vous êtes contre les projets », explique-t-elle. « Mais nous avons besoin des projets. Nous devons investir dans des activités en fonction de leur emplacement géographique. Il faut simplement qu’elles soient conformes, d’un point de vue comptable et programmatique, à l’échelle juridictionnelle. »

Josh Tosteson affirme que les projets ont un bilan plus solide à ce stade et qu’ils pourraient contribuer à renforcer l’approche juridictionnelle.

« L’approche juridictionnelle n’est pas vraiment un modèle à l’efficacité avérée, tandis que le modèle d’intervention par les projets a fait ses preuves. Il l’a largement démontré », dit-il, « c’est pourquoi l’intégration des deux modes est à notre avis la meilleure solution pour l’avenir. »

Parallèlement, les pays ont également pris des mesures pour mieux contrôler les projets à l’intérieur de leurs frontières. L’Indonésie, la République démocratique du Congo et le Mozambique ont adopté des lois qui leur confèrent la propriété du carbone présent sur leurs terres. Pour certains, les motivations derrière ces décisions sont logiques.

« Nous assistons à une démarche très compréhensible de la part des gouvernements nationaux, qui souhaitent obtenir une part du gâteau de ces marchés, en particulier lorsqu’il s’agit de ressources forestières situées sur des terres de l’État » explique J. Tosteson.

Il est cependant plus préoccupant de voir les tactiques d’intimidation des pays qui semblent essayer d’obtenir un accès total aux bénéfices des projets REDD+.

Land burned in preparation for farming in the Democratic Republic of Congo.
Terres brûlées pour être cultivées en République démocratique du Congo. Crédit photo : John Cannon/Mongabay.

Dans un exemple particulièrement troublant, des groupes de défense des droits humains ont accusé les autorités gouvernementales du Kenya d’avoir expulsé les populations Ogiek de la forêt Mau. Ces groupes affirment que la recherche de crédits carbone est à l’origine de cette décision.

« Il existe une distinction entre la nationalisation d’un projet et la création d’une réglementation et d’une politique qui inclut et exige, entre autres, le partage des gains avec le gouvernement », a déclaré J. Tosteson.

Il évoque le Camboge qui, selon lui, a trouvé un point d’équilibre. (Everland travaille avec le projet REDD+ Keo Seima dans l’est du Cambodge.)

« Ils ont trouvé un équilibre de partage des gains entre les projets et le gouvernement », explique-t-il. « Une vaste majorité des ressources est consacrée à la mise en œuvre sur le terrain. »

Mais l’inquiétude est que les pays ne prennent une trop grande part des profits. Cela diminuerait le financement de la conservation des forêts et du développement économique sur le terrain. Cela découragerait également les développeurs de projets REDD+ d’opérer dans le pays, déclare Robert Nasi, directeur général de l’organisation mondiale de recherche et de développement CIFOR-ICRAF.

« Ils pourraient décider de ne pas travailler dans tel ou tel pays en raison des changements dans la législation, » explique-t-il. « Traduction : Nous n’allons pas travailler dans ce pays car, au fond, nous n’allons pas gagner autant d’argent que nous l’espérions. »

D’un autre côté, les gouvernements qui prennent plus de responsabilités peuvent avoir un rôle positif, affirme Frances Seymour.

« La raison principale étant que les gouvernements sont ainsi encouragés à faire ce que seul un gouvernement peut faire pour mettre fin à la déforestation à grande échelle », ajoute-t-elle. « Ils doivent mettre fin à l’illégalité, qui représente 95 % du problème. »

Peter Nagul sit on the rubble that used to be his house.
Peter Nagul, résident de l’un des villages Ogiek expulsé de chez lui, assis au milieu des ruines de ce qui était sa maison. Crédit photo Anthony Langat pour Mongabay.

La COP28 et le « point d’inflexion »

La plupart des dernières nouvelles sur le climat sont inquiétantes, qu’il s’agisse des réductions d’émissions nécessaires pour maintenir les températures à un niveau bas ou des résultats du premier bilan mondial qui a eu lieu lors de la conférence des Nations unies sur le climat à Dubaï. REDD+ et le marché du carbone volontaire restent des sujets brûlant. Selon certains, leur existence, du moins dans la mesure où elle dépend d’un large soutien international, est en jeu.

Lors de la COP28, les discussions sur l’article 6.4 n’ont pas permis de parvenir à un consensus sur la mise en place d’un marché soutenu par les Nations unies, ce qui pourrait constituer un revers pour les marchés du carbone en général. Selon les observateurs, des désaccords sont apparus sur le degré de réglementation de ces marchés, les États-Unis étant favorables à des restrictions moindres. À ce jour, le développement d’un marché international devra attendre au moins un an, jusqu’à ce que les discussions reprennent lors de la COP29 à Bakou, en Azerbaïdjan, et avec elles, le renforcement de l’intégrité et de la confiance qu’elles pourraient apporter au commerce du carbone.

Mais l’absence d’accord n’empêche pas le commerce volontaire du carbone de se poursuivre, a déclaré Lina Barrera, vice-présidente chargée de la politique internationale et des affaires gouvernementales à Conservation International.

« Le marché volontaire du carbone fonctionne déjà », a déclaré Lina Barrera lors d’une conférence de presse le 13 décembre. « Et il continuera à fonctionner. »

Le tumulte de 2023 a poussé les partisans des marchés volontaires et des crédits de carbone forestier à affronter la mauvaise publicité et à lancer des réformes.

Le nombre de projets accusés de problèmes de comptabilité, de certification et de protection des populations locales reste préoccupant. Deux projets carbone au Kenya, présentés comme des modèles du genre, ont fait l’objet d’accusations selon lesquelles les responsables auraient mal traité les populations locales. L’organisme certificateur Verra a suspendu en mars l’octroi de crédits au Northern Kenya Grassland Carbon Project, en raison des inquiétudes suscitées par les changements qu’il a introduits dans les pratiques locales de pâturage du bétail, ainsi que par ses méthodes de comptabilité. Début novembre, la Commission kényane des droits de l’homme a publié des preuves « d’abus sexuels systémiques » commis par des employés masculins du projet REDD+ du corridor de Kasigau à l’encontre d’employées et de membres de la population. Wildlife Works, un développeur de projets REDD+ basé aux États-Unis, dirige le projet de Kasigau.

Verra a également suspendu les attributions de crédits de Kariba, un autre projet carbone très médiatisé au Zimbabwe, après qu’un article paru en octobre 2023 dans le magazine The New Yorker a soulevé des questions sur ses finances et des allégations selon lesquelles des chasses aux trophées se déroulait dans les zones concernées par le projet.

À la suite de la délivrance des crédits de la Guyane au titre de la norme TREES à la fin de 2022, l’Association des peuples amérindiens (APA) du pays s’est plainte de ce qu’elle estime être un manque de consultation sur l’inclusion de terres gérées par les peuples autochtones. Un grand nombre d’ONG et de groupes autochtones du monde entier ont écrit une lettre ouverte demandant à l’ART de reconsidérer son rejet de la plainte de l’APA.

Land clearance with fire in the Congo Basin.
Défrichage de terres par le feu dans le bassin du Congo. Crédit photo : John Cannon/Mongabay.

L’Afrique, quant à elle, est devenue une cible majeure pour les grandes entreprises et les pays riches qui cherchent à compenser leurs émissions. L’initiative des marchés africains du carbone (ACMI), qui regroupe des donateurs, des groupes de protection de l’environnement et des entreprises, estime que les marchés pourraient fournir environ 50 milliards de dollars par an pour financer l’atténuation et l’adaptation au changement climatique sur le continent. Mais les groupes de défense des droits humains affirment que de nombreux pays africains ne disposent pas de protections adéquates en matière de droits fonciers et d’occupation des sols, ce qui ouvre la voie à des conflits et à des expulsions potentielles une fois que ces projets apparemment gigantesques, qui visent à multiplier par vingt le nombre de crédits, sont mis en œuvre. Des organisations restent sceptiques, comme Power Shift Africa (Kenya), qui affirme également que les projets de plantations d’arbres visant à récolter des crédits carbone pourraient menacer la sécurité alimentaire s’ils absorbent des terres agricoles précieuses. Ils peuvent également nuire aux écosystèmes si des arbres non indigènes sont plantés.

Les opinions sur REDD+ et le marché volontaire du carbone restent divisées, et les points de vue des populations autochtones sur ces sujets sont tout aussi partagés. En mai 2023, une coalition de « Voix du Sud » a publié une lettre soutenant prudemment le programme REDD+ comme moyen d’orienter le financement de la lutte contre le changement climatique vers les peuples autochtones et les communautés locales. Plus récemment, cependant, un autre groupe d’organisations a appelé à un moratoire sur le marché du carbone jusqu’à ce que ces activités « exigent explicitement le respect des droits des peuples autochtones et des communautés locales en matière de carbone ».

Quant à l’organisme Verra, il a supporté le poids des critiques adressées au marché volontaire du carbone, ainsi qu’à ses propres processus de certification, la couverture médiatique ayant remis en question la validité des avantages supposés de REDD+ et des marchés volontaires tout au long de l’année 2023.

Malgré sa défense organisée, en particulier à la suite du reportage du Guardian, Verra déclare qu’il invite « tous les acteurs concernés … à faire part de leurs préoccupations » concernant les pratiques de l’organisation. Il affirme également que les mises à jour publiées par Verra au cours des 11 derniers mois étaient en préparation depuis des années, y compris la publication d’une nouvelle méthodologie REDD+ le 27 novembre. Mais Verra a également appris qu’il devait se faire entendre plus clairement pour promouvoir les avantages potentiels du commerce du carbone.

Les critiques de cette année ont « poussé beaucoup de gens dans la communauté du marché volontaire du carbone (…) qui se soucient profondément de l’action climatique à reconnaître que le VCM a un rôle critique, unique et urgent à jouer dans l’action climatique », a déclaré M. Janson-Smith, de Verra. « S’il disparaît ou est compromis, nous aurons un gros problème en termes d’action climatique. »

Verra et les partisans des crédits carbone reconnaissent que le système n’est pas parfait. Mais ils s’opposent également à l’idée de « jeter le bébé avec l’eau du bain », c’est-à-dire de se débarrasser d’un outil qui, selon eux, a montré son potentiel, même s’il n’a pas encore atteint sa pleine capacité d’action.

« Je ne vous donnerai pas l’illusion que tout est un désastre, [ou] que tout est parfait », a déclaré Josh Tosteson d’Everland. « Il s’agit plutôt de dire, qu’est-ce qui est bon ? Et qu’est-ce qui l’est moins ? … Est-ce que la planète s’en trouve mieux ou non ?

Les réponses à ces questions ont fracturé le débat à bien des égards. Aujourd’hui, la recherche d’un semblant de consensus international pourrait dicter l’avenir du marché volontaire et des efforts tels que REDD+ sur lesquels il repose.

 
Image de bannière : Une enseignante et exploitante agricole à Lukolela, RDC. Crédit photo Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

John Cannon est rédacteur pour Mongabay. Retrouvez-le sur Bluesky.

Citations:

Cook-Patton, S. C., Drever, C. R., Griscom, B. W., Hamrick, K., Hardman, H., Kroeger, T., … Ellis, P. W. (2021). Protect, manage and then restore lands for climate mitigation. Nature Climate Change11(12), 1027-1034. doi:10.1038/s41558-021-01198-0

Cullenward, D., Badgley, G., & Chay, F. (2023). Carbon offsets are incompatible with the Paris Agreement. One Earth, 6(9), 1085-1088. doi:10.1016/j.oneear.2023.08.014

Lamboll, R. D., Nicholls, Z. R., Smith, C. J., Kikstra, J. S., Byers, E., & Rogelj, J. (2023). Assessing the size and uncertainty of remaining carbon budgets. Nature Climate Change. doi:10.1038/s41558-023-01848-5

Morita, K., & Matsumoto, K. (2023). Challenges and lessons learned for REDD+ finance and its governance. Carbon Balance and Management18(1). doi:10.1186/s13021-023-00228-y

 
Article original: https://news.mongabay.com/2024/01/the-future-of-forest-carbon-credits-and-voluntary-markets/

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